« J’avais sûrement du goût quand j’étais petite, je devais aimer le rouge plus que le vert, oui,
maintenant je m’en souviens, j’avais le vert en horreur, et l’idée du orange et du vert ensemble
suffisait à me donner envie de gerber. Or, là, je ferme les yeux, j’imagine orange et vert orange et
vert, l’envie de gerber ne vient pas, j’ai perdu mon dégoût. »
Rien de grave, Justine Lévy
Ce matin-là, je me lève péniblement après une nouvelle nuit d’insomnies causées par mes nausées. Mais pas uniquement. Il s’agit surtout d’un grand jour pour Tom, qui va enfin intégrer sa nouvelle école et qui, lui aussi, a eu beaucoup de mal à s’endormir la veille. Je n’en mène d’ailleurs pas beaucoup plus large que lui. Si l’on dit souvent que les mères sont plus stressées que leurs enfants pour leur premier jour d’école, je pense que Tom et moi sommes largement à égalité cette fois-ci.
Je m’habille avec plus de soin que d’habitude pour l’occasion. Après avoir essayé une dizaine de tenues, j’opte finalement pour une jupe crayon noire et un chemisier blanc, que j’accessoirise avec un foulard à pois et un long sautoir de perles. C’est une des tenues préférées de Thomas.
J’ai parfois l’impression que mon ventre s’arrondit déjà légèrement, mais rien n’est encore perceptible et c’est tant mieux.
Une fois la table préparée pour le petit déjeuner, je réveille Tom en déversant une pluie de petits baisers sonores sur son visage encore tout chaud. Thomas, lui, est parti plus tôt ce matin car il avait un rendez-vous important. J’avais espéré qu’il nous conduirait tous les deux à l’école pour le premier jour, mais je crains que cette idée ne lui ait même pas traversé l’esprit.
Quant au père de Tom, je n’ai plus aucune nouvelle depuis près de deux mois. Il a disparu et ne répond plus à mes appels. Il ne semble pas particulièrement s’inquiéter de savoir si son fils a besoin de quelque chose, si tout va bien pour lui. Bien entendu, il se soucie encore moins de mon sort. Il avait été on ne peut plus clair lors de notre dernier échange, quand il m’avait glissé tout ce qu’il pensait de moi au creux de l’oreille, pour que Tom ne puisse pas l’entendre.
« Je veux que tu crèves. »
Je le sais encore blessé, mais sa rancœur toujours aussi vive et son irresponsabilité vis-à-vis de son fils ne font que conforter le désamour que j’ai nourri pour lui pendant nos derniers mois de vie commune. Depuis, il n’a cessé de me répéter à chacun de nos rares échanges que j’étais la seule et unique responsable de cette situation et que je devais en assumer seule les conséquences.
Cela me fait mal pour Tom, qui ne comprend pas les longs silences et les absences répétées de son père. Je mens donc à mon petit garçon, en lui racontant que son papa est retenu par son travail et qu’il est loin, ce à quoi il me répond par un simple regard, ses grands yeux noirs semblant contenir toute la peine du monde.
Je le secoue légèrement en tirant sur son bas de pyjama. Il réagit en se recouvrant la tête avec sa couette.
« Je ne veux pas aller à l’école, Maman. Je suis fatigué, marmonne-t-il de sa petite voix ensommeillée.
– Chéri, c’est le premier jour. Tu ne peux pas rater ton premier jour d’école ! Tu vas faire connaissance avec tous tes nouveaux copains.
– Je m’en fiche. Je ne veux pas y aller. Reste avec moi à la maison », supplie-t-il.
Toujours sous la couette, il réussit à s’accrocher à mon bras de toutes ses forces.
« Nous ne pouvons pas rester, mon chéri. Maman aussi a sa rentrée. Je suis attendue au travail, aujourd’hui.
– C’est nul.
– Mais non. Tout va bien se passer.
– Je suis sûr qu’ils vont se moquer de moi.
– Mais pourquoi ?
– À cause de mes dents.
– Arrête de dire des bêtises.
– Et parce que je n’ai pas de papa.
– Mais tu as un papa !
– Alors pourquoi il n’est pas là pour mon premier jour d’école ?
– Il travaille, chéri. On ne peut pas tous se libérer comme on le souhaiterait. C’est compliqué. Moi, je travaille à côté, alors je peux aller au bureau très vite après t’avoir déposé. Et puis il y a Thomas. Il t’aime, lui aussi.
– Ah oui ? Alors pourquoi il n’est pas là non plus ?
– Il avait du travail. Mais je suis sûre que si on lui avait demandé, il serait resté un peu.
– C’est nul. Ça sert à rien d’avoir des enfants si c’est pour être tout le temps au travail.
– Allez, mon chat, on se lève doucement. Je t’ai préparé tes habits, là sur ta chaise.
– Je veux que tu m’habilles.
– Enfin, Tom. Tu es un grand. On va être en retard.
– Non, je ne suis pas un grand. Je veux rester ici, toute la journée, tout seul alors, puisque personne ne peut me garder. »
Heureusement, j’avais prévu que le réveil ne serait pas évident et j’ai donc pris un peu d’avance sur l’horaire. Je décide de ne pas contrarier Tom et de faire en sorte que les choses se déroulent au mieux. Je sais combien il peut être difficile de perdre ses repères, ses amis, et de se retrouver catapulté dans un nouvel univers. J’habille donc Tom comme un bébé, puis lui passe un gant de toilette sur le visage, le coiffe et lui mets même quelques gouttes du parfum de Thomas. Je lui donne ensuite la main, la serre fort et l’entraîne vers la salle à manger pour l’asseoir sur la chaise à coussin. Chose interdite en temps normal, j’ai allumé la télévision afin qu’il puisse regarder ses dessins animés et, peut-être, penser à autre chose.
J’ai placé absolument tout ce qu’il aimait sur la table, mais il ne daigne pas lever son nez de la tache rouge de confiture qui profane outrageusement la nappe blanche. Je lui tends un grand verre de jus d’orange frais, qu’il s’empresse de boire.
« Qu’est-ce que tu veux manger, Tom ?
– Rien.
– Tu ne peux pas ne rien manger ! Tu auras faim à l’école et tu ne te sentiras pas bien.
– Je veux des Chocapic.
– Mais… On n’en a pas. Regarde, il y a des pains au lait, des tartines, des Miel Pops, des Pepito, des pancakes, et même tes barres de céréales préférées. Tu vas bien trouver quelque chose.
– J’aime pas. Je veux des Chocapic !!
– Tom, il n’y en a pas ! dis-je en haussant légèrement le ton. Alors, on va faire avec ce qu’il y a, d’accord ?
– Je n’ai pas faim.
– Tom ! »
Je n’ai pas eu le temps de m’énerver qu’il éclate tout à coup en sanglots. De chaudes larmes ruissellent sur son visage de petit garçon qui n’en est presque plus un. Ses pleurs ne cessent qu’après cinq bonnes minutes, après avoir menacé de faire céder mes propres canaux lacrymaux, mais j’ai tenu bon. J’essuie ses larmes et lui tends un mouchoir, puis je glisse deux barres de céréales et une brique de jus de pomme dans son cartable. J’expliquerai la situation à la maîtresse…
Enfin, je le prends dans mes bras et le serre fort en couvrant ses joues de baisers. Nous finissons par rester collés front contre front pendant quelques secondes.
« Tu sais que je t’aime, hein, mon bonhomme ?
– Oh, Maman ! Tu ne t’es pas brossé les dents ! Tu sens mauvais de la bouche !
– Merci, mon fils ! Tu as raison, allons nous brosser les dents. »
Il ne proteste pas et me suit dans la salle de bains où il commence à se brosser lentement les dents, le regard perdu dans le vide.
À la sonnerie de l’alarme qui annonce que les deux minutes de brossage sont écoulées, il recrache et se rince la bouche sans rien dire. Il part fouiller un tiroir de son bureau, y prend quelque chose puis s’en va dans le salon en courant. Je le retrouve assis sur le canapé, sa veste en jean sur les épaules, son cartable à ses pieds. Il relève les yeux vers moi.
« Tu es belle comme ça, Maman.
– Merci, mon chéri.
– C’est toi qui viens me chercher ce soir ?
– Oui. Absolument. On y va ? »
Tom se lève, chargé du poids du monde entier sur ses épaules d’écolier. En bas de l’immeuble, nous croisons la gardienne, Maria, que Tom aime beaucoup. Elle-même adore les enfants, qui le lui rendent bien. Tom se précipite d’ailleurs dans ses bras pour l’étreindre chaleureusement, mais il a aussi sa petite idée derrière la tête. Il lui demande si elle ne pourrait pas le garder chez elle aujourd’hui ! Maligne, elle lui répond que ce n’est vraiment pas possible, d’autant plus que la présence de Tom est indispensable à l’école. Tous les autres enfants ont bien trop hâte de faire sa connaissance !
Tom me redonne la main et lui adresse un sourire timide, résigné à l’idée que personne ne puisse lui venir en aide aujourd’hui. Sur le chemin de l’école, nous croisons des dizaines d’enfants, cartable sur le dos et baskets flambant neuves aux pieds, autant d’accessoires achetés spécialement pour la rentrée.
Arrivé devant la porte de l’établissement, Tom me broie presque la main. Autour de nous, des rires, des pleurs et des visages anxieux de parents, mais aussi les premières feuilles mortes qui préfigurent l’arrivée prochaine de l’automne. Mon cœur de mère se gonfle, mais je ne peux le montrer à mon fils.
Après nous être fait bousculer par des enfants manifestement pressés de retrouver leurs camarades, nous parvenons enfin à pénétrer dans l’enceinte. Un énorme brouhaha monte de la grande cour. Les garçons galopent dans tous les sens tandis que les filles sont plutôt réunies en petits groupes. Parfois, un garçon plus effronté que les autres vient se faire remarquer en soulevant la jupe d’une fille ou en lui tirant les cheveux. Les techniques d’approche n’ont pas beaucoup évolué…
Rapidement, je reconnais la directrice, Mme Penot, qui se dirige vers nous.
« Bonjour Madame, dit-elle en me tendant la main. Et toi, tu es Tom, si mes souvenirs sont bons. Sois le bienvenu !
– Bonjour ! », répond timidement Tom, au bord des larmes.
Elle ne se laisse pas émouvoir et attaque bille en tête.
« Madame, vous n’avez pas le droit d’être là puisque seuls les parents des élèves de CP sont autorisés à accompagner leurs enfants. Toi, Tom, tu es un grand maintenant. Je te laisse dire au revoir à ta maman et je vais te montrer où se trouve le rang de ta classe.
– Mais Madame, c’est son premier jour dans une nouvelle école. Vous m’aviez dit que je pourrais l’accompagner.
– Eh bien voilà qui est fait ! Nous ne pouvons pas faire d’exception, cela deviendrait ingérable. Tom, tu es à moi maintenant ! »
Et sans transition, sans nous accorder le moindre moment pour nous consoler mutuellement, elle le prend par la main. Des larmes commencent aussitôt à rouler sur les joues de Tom, et je sens mes yeux s’humecter à leur tour. La directrice me fait alors signe de m’en aller, avec un regard chargé de reproche signifiant qu’il est temps de mettre fin à cette comédie. Je me baisse rapidement, prends Tom dans mes bras et, la voix chargée de sanglots, lui annonce que tout va bien se passer. Il me regarde et essuie mes larmes.
La directrice interrompt ce court moment d’intimité pour aborder un dernier point, celui de la logistique.
« Est-ce que Tom reste à la cantine ce midi ? me demande Mme Penot.
– Oui, bien sûr. Je travaille.
– Ah, c’est juste que nous ne le conseillons pas aux parents le premier jour, cela fait une journée trop fatigante pour les enfants.
– Je comprends bien, mais je n’ai pas le choix. Je viens déjà le chercher à 16h30 parce qu’il n’y a pas de garderie.
– Peut-être le papa ?… »
Tom se tourne aussitôt vers moi.
« Ça lui est impossible aussi. Croyez-moi, Madame, si j’avais le choix de faire autrement, je le ferais.
– J’en suis certaine. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Bonne journée, Madame. »
Je la déteste déjà. De quel droit me fait-elle culpabiliser ? Que sait-elle de nos vies ?
Elle s’éloigne d’un pas pressé vers le fond de la cour, entraînant mon fils avec elle. En chemin, elle ne manque pas de décocher une petite tape sur la tête d’un garçon presque aussi grand qu’elle qui s’obstinait à tirer la queue de cheval d’une petite blondinette… Tom me suit du regard autant que possible, peut-être persuadé que je vais changer d’avis et revenir le chercher. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque.
Tout à coup, je réalise que j’ai gardé son cartable sur mon épaule. Je me mets à courir derrière lui pour le lui rendre, tout en glissant dans la pochette avant un paquet de mouchoirs afin qu’il puisse sécher ses larmes. Pochette dans laquelle je découvre une vieille photo de vacances sur laquelle nous sommes trois.
Tom, son père et moi…
La photo a été prise quelques années plus tôt, alors que Tom n’était encore qu’un bébé. Derrière nous les falaises de la Bouche de l’Enfer, à Cascais, au Portugal. Un semblant de bonheur se lisait alors sur mon visage. Celui de son père a été gribouillé de feutre noir.
Je feins de ne pas avoir vu la photo, rends son cartable à Tom sans rien dire et reprends le chemin de la sortie, les yeux embués de larmes. Une petite fille au visage de poupée se poste alors devant moi.
« Ne pleurez pas, Madame. C’est une bonne école et les maîtresses sont gentilles. Tout va bien se passer. Ma maman, avant, elle pleurait tout le temps aussi. Maintenant ça va, parce qu’elle sait qu’ici je suis bien. Au revoir, Madame ! Bonne journée ! »
La petite fille s’éclipse aussi vite qu’elle m’est apparue pour aller se ranger dans la même file que Tom. Je viens de faire la connaissance d’Ariane.
La sonnerie qui retentit m’oblige à quitter la cour. J’aperçois toujours Tom au loin et lui adresse quelques grands signes de la main. Mais il ne me regarde déjà plus, trop occupé à discuter avec Ariane et le groupe de filles qui s’est formé autour de lui. Je suis rassurée ; je peux maintenant débuter ma propre rentrée.
Je descends la rue de la Faisanderie pour arriver sur l’avenue Foch, que je dois remonter jusqu’à son sommet. Le soleil a du mal à s’immiscer entre les nombreux nuages mais, au loin, on devine un minuscule carré de ciel bleu. La température est tout à fait agréable en ce début de mois de septembre. Malgré un démarrage nébuleux, je suis persuadée que la journée va être belle !
J’apprécie de pouvoir me rendre de nouveau à mon travail à pied et de ne pas être obligée de prendre le métro. D’ailleurs, l’Arc de Triomphe, indétrônable au sommet de l’avenue, m’incite à le rejoindre. J’aime marcher sur ces trottoirs larges et arborés, souvent désertés par les piétons. Ces vingt-cinq minutes de promenade sont mon sas de décompression avant d’arriver au bureau. J’en profite pour réfléchir à la manière dont je vais annoncer ma grossesse à mes parents et à ma sœur.
Mais quand le dirai-je à Camille ? Et qu’en pensera-t-elle ?
Et Tom ? Comment le prendra-t-il ?
Enverrai-je un message à Jean-Philippe ? Pour quoi faire ? Je n’ai plus de nouvelles depuis déjà neuf mois. En réalité, depuis l’incident du mail. Le dernier mail que nous avons échangé…
Ce jour-là, Jean-Philippe rentrait de voyage et m’avait envoyé un message pour me demander de le rejoindre pour le déjeuner : il avait un petit cadeau pour moi. J’avais malheureusement dû décliner car je devais déjeuner avec Thomas et je préférais éviter tout nouvel interrogatoire de sa part. J’avais donc proposé à Jean-Philippe de nous retrouver le lendemain, mais je n’avais jamais obtenu de réponse de sa part. J’avais multiplié les coups de fil, inondé son téléphone de SMS et certainement saturé sa messagerie. Son silence était resté de marbre, ce qui ne lui ressemblait pas.
Un jour, j’avais décidé de passer à son bureau, mais on m’avait informé qu’il était en voyage et qu’il ne reviendrait que le lendemain. J’avais alors demandé une feuille et une enveloppe à l’hôtesse d’accueil et j’avais rédigé un message à son intention. L’hôtesse m’avait promis qu’elle le lui remettrait en personne dès son arrivée. Avant de repartir, j’avais vérifié que j’avais bien refermé l’enveloppe et, pour plus de sécurité, j’avais mis un nouveau coup de langue sur la bande collante… J’avais bien vu que j’avais éveillé la curiosité de la jeune femme et je m’étais imaginé que de nombreuses têtes féminines se tournaient tous les matins dans les couloirs du bureau en voyant passer Jean-Philippe… Un peu comme la mienne la première fois que je l’avais vu : bouche ouverte, air niais et stupide.
Dès le lendemain, j’avais reçu un mail de sa part sur mon adresse professionnelle, celle qu’il n’utilisait qu’en cas d’urgence. Mon visage s’était éclairé quand j’avais vu son nom s’afficher sur l’écran de mon ordinateur, mais le contenu du message m’avait beaucoup moins enchantée.
« Bonjour Juju. Efface ce message après l’avoir lu car, au cas où tu ne le saurais pas, tu es pistée. Quelqu’un que j’imagine être ton mec a répondu à mon dernier mail où je t’invitais à boire un verre après le boulot. Ta réponse (ou plutôt devrais-je dire la sienne) ne s’est pas fait attendre : “Juliette a un mec, merci de lui foutre la paix. Si tu as besoin qu’on te présente des filles, appelle-moi. En attendant, lâche-la. J’espère que tu as bien compris.” J’en ai conclu qu’il a répondu à ta place… et donc piraté ta boîte mail. Je ne veux pas te causer de problèmes. Je trouve que son comportement n’est pas très clean vis-à-vis de toi. Moi, je m’en fous. Par respect, je ne lui ai pas répondu comme il le méritait. J’aurais pu venir lui casser la gueule. J’espère qu’au moins il te rend heureuse. JP »
Je l’avais appelé plus d’une dizaine de fois par la suite, mais il ne m’avait jamais répondu. Furieuse, je m’étais enfermée dans une salle de réunion pour appeler Thomas et lui faire connaître le fond de ma pensée. Pour une fois, il n’était pas collé à son téléphone et n’avait donc pas décroché, ce qui n’avait fait qu’amplifier ma colère. Des tombereaux d’insultes s’étaient mis à couver dans ma tête. Il n’avait pas le droit de me faire ça ! Je m’étais connectée à ma boîte mail pour voir ce qu’il en était et je n’y avais plus trouvé aucun message. Ils avaient tous été effacés.
Thomas m’avait rappelé quelques minutes plus tard.
« Ça va, mon bébé ? Ça me fait plaisir que tu m’appelles. Normalement c’est toujours moi.
– Thomas, tu es allé trop loin ! avais-je hurlé dans le combiné.
– Eh ! Oh ! Qu’est-ce qui se passe encore ?
– Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? avais-je répété, absolument hors de moi. Tu réponds à mes mails, maintenant ? Mais pour qui te prends-tu ? De quel droit ?
– Ah, ça ? Déjà, tu te calmes ! Je ne suis pas un chien pour que tu m’aboies dessus comme ça. Ça y est, tu es calme ?
– ABSOLUMENT pas ! Tu vas me dire ce qui t’a pris ?
– Je ne te répondrai que lorsque tu seras calmée. Tu es hystérique. J’ai horreur des scènes !
– Tu as horreur des scènes ? Tu as intérêt à me trouver une explication qui tienne la route. T’es complètement malade ? C’est pour ça que tu voulais avoir accès à ma boîte mail ? Je comprends que ton ex soit partie, si tu agissais comme ça avec elle ! »
Ça avait été la phrase de trop. J’avais regretté de l’avoir prononcée à l’instant même où elle s’était enfuie de ma bouche. Je ne savais pas ce qui s’était passé entre Carla et lui et, surtout, je n’avais pas le droit de m’en mêler. Piqué au vif, Thomas m’avait raccroché au nez.
Tout le monde m’avait regardée quand j’étais sortie de la salle de réunion. Je m’étais alors dit que l’insonorisation des murs était à revoir…
Le soir, à la maison, nous avions dû attendre que Tom soit couché pour discuter. Nous ne nous étions pas adressé la parole de toute la soirée. Quand j’étais revenue dans notre chambre après avoir bordé Tom, j’avais trouvé Thomas couché dans notre lit. À 21h30.
J’avais soigneusement refermé la porte de la chambre avant de relancer notre confrontation.
« Alors, qu’est-ce que tu as à me dire ?
– Oh, pas de scène, s’il te plaît ! avait-il gémi en mettant sa main droite sur le front. J’ai mal à la tête.
– Moi aussi. Je ne suis toujours pas redescendue en température !
– Tu n’as pas été très gentille avec moi. Ce que tu m’as dit m’a blessé. Mon histoire avec Carla ne regarde que Carla et moi.
– Je suis d’accord et j’en suis désolée, je n’aurais pas dû dire ça. Mais toi… Toi ! Comment as-tu osé ?
– J’ai juste remis ce mec à sa place. Tu es trop naïve. Il est plus qu’évident qu’il te tourne autour. Je ne crois pas à l’amitié homme-femme. Il a des vues sur toi, c’est clair. Je ne voulais pas qu’il s’immisce dans notre couple.
– Mais ça ne te donne pas le droit ! Jamais je ne me serais permis de faire ça.
– Je n’aurais peut-être pas dû. Je ne savais pas comment t’en parler. Mais je ne regrette pas. J’ai vu sa tête, il a une tête de coureur.
– JP ?
– Ah, tu l’appelles JP ?
– Je t’ai déjà dit qu’on se connaît depuis des années.
– Oui c’est vrai. Lui, il t’appelle bien Juju.
– Et ? Sa tête ?
– Il a une tête de coureur, c’est tout. Je ne veux plus en parler. Je vais essayer de dormir, j’ai un mal de crâne pas possible et j’ai une grosse journée demain. »
Le souvenir de cet incident me remplit encore d’amertume en ce jour de rentrée. J’étais pourtant la seule responsable de cette situation puisque je lui avais moi-même donné accès à ma boîte mail, comme si je l’avais implicitement autorisé à fouiller dedans. Deux jours de vive tension s’étaient ensuivis durant lesquels nous ne nous étions pratiquement pas adressé la parole. Comme souvent, Thomas avait fini par expédier cet épisode aux oubliettes, ou plutôt au lit. En ce domaine, son pouvoir sur moi était grisant. Ces longues minutes durant lesquelles il faisait de moi son objet, son jouet sexuel, me donnaient le sentiment de disposer d’un pouvoir étrange. Mais elles faisaient aussi de moi une femme soumise, et une femme qui avait l’air d’aimer cela.
*
Le mois de septembre s’écoule à une vitesse folle. Les couleurs rouge et or commencent déjà à habiller nos trottoirs. Tom, qui s’est rapidement fait de nouveaux amis, a l’air ravi d’avoir un maître cette année. J’ai pu le rencontrer lors de la réunion parents-élèves et je suis heureuse de lui avoir confié mon enfant.
Il semble passionné, profondément humain et ouvert aux différences, ce qui est une bonne chose, car Tom n’est pas ce que l’on pourrait appeler un très bon élève. C’est plutôt un enfant distrait et bavard, plus intéressé par ce qui se déroule à côté de lui que par l’enseignement qui lui est proposé. Tous les soirs, je dois travailler dur avec lui.
Pour Tom, il est plus important de se construire un solide groupe d’amis que de travailler. Il est dans l’affectif depuis tout petit, en quête permanente de reconnaissance et d’amour. Qui ne le serait pas ? Mais il l’est encore plus depuis que son père et moi nous sommes séparés et que ce dernier ne semble plus se préoccuper de lui. Alors même que j’avais prétendu que notre séparation ne changerait rien. Tom se croit désormais indigne de l’amour de son père, un père dont je n’arrive pas à croire qu’il ait un jour cessé d’aimer son fils. En réalité, il ne fait qu’exprimer sa colère contre moi, au détriment de son propre enfant. J’en souffre, bien évidemment, mais ce n’est rien comparé à ce que peut ressentir Tom.
Notre fils est ainsi devenu un grand anxieux qui manque d’assurance, ce qui le handicape dans le contexte scolaire et l’amène au fil des semaines à placer toute sa confiance en Thomas, qui a promis de l’élever comme son propre fils et de ne jamais nous abandonner. De ne jamais l’abandonner… Comme son père ? Mais si Thomas ne peut remplacer son père, Tom lui voue néanmoins une grande admiration et se montre prêt à tout pour attirer son attention.
J’entame quant à moi mon deuxième mois de grossesse plus sereinement. Les nausées se font plus rares et vont même jusqu’à s’offrir quelques journées de RTT successives. La fatigue est toujours présente, mais si j’en juge par l’expérience de ma première grossesse, c’est à partir du troisième mois que tout devrait aller mieux. Cela étant, je ne peux cacher longtemps mon état à Camille.
Sans même que je lui aie glissé le moindre indice, elle me pose ouvertement la question un jour où nous déjeunons ensemble.
« T’es en cloque, toi, petite cachottière…
– Moi ? Oh ? J’ai tant grossi que ça ?
– Oui, surtout des oreilles, d’ailleurs. Tu devrais faire attention ! Non, mais tu me prends vraiment pour une écervelée ? L’autre jour, tu n’as pas bu de champagne quand nous avons fêté la signature du projet de Cannes. Toi, l’alcoolique du bureau ?!
– Je fais attention, c’est tout. Ça fait grossir…
– C’est ça… Et tu arrives avec les bras piqués comme si tu faisais des prises de sang tous les quatre matins. Bizarre, non ? Et puis il y a un truc qui a changé en toi… Ton visage ? Je ne sais pas… En tout cas, tu as l’air plus sereine.
– Ah bon ? Plus sereine ? Pourtant…
– Et puis bon, oui, je crois que tu as pris un peu, non ?
– Noonnnnn ! Ne me dis pas ça !
– Allez, crache, combien de temps ?
– Presque deux mois », finis-je par avouer, toute penaude.
Camille se lève aussitôt pour me prendre dans ses bras et me mettre une petite tape sur la tête.
« Parce que je suis blonde et jeune, tu crois que je ne réfléchis pas, hein ? Ce n’est pas parce que tu es brune et vieille que tu pourras me la faire à moi ! Félicitations, ma caille.
– Merci, ma Camille. Je ne savais pas si je devais attendre les trois mois, ni ce que tu allais en penser. Ce n’était pas clair dans ma tête…
– Pfff… tu déconnes. De toute façon, je l’avais dit à Alexandre. Je m’en doutais.
– Ah, et qu’en pense-t-il ?
– Tu connais les hommes, toujours un peu méfiants…
– Non, ce sont les femmes en général qui sont méfiantes. Dis-moi !
– Juste qu’il pense que c’est peut-être un peu trop tôt… Mais bon, t’inquiète, il sera ravi ! Notre Juju bientôt en femme-hippopotame !
– Arrête ! Tu sais bien que mon poids a toujours été un sujet qui fâche… De toute façon, quand j’aurai accouché, je me mettrai au régime pomme-salade.
– Ne dis pas de bêtises. Tu auras tout le temps d’y penser. Tu l’as annoncé à tes parents et à Tom ?
– Non. On attend les trois mois. Mais je meurs de trouille à l’idée de leur dire.
– N’y pense pas. Ils ne réagiront peut-être pas comme tu veux sur le moment, mais l’arrivée d’un petit-fils apaise toujours les choses.
– Ou d’une petite-fille. Thomas veut une fille.
– Ah bon, bizarre pour un mec, non ?
– Non, je pense qu’il veut une petite princesse. Les filles sont toujours proches de leur père, non ?
– Je ne peux pas te dire. Je n’en ai pas eu.
– Oh, désolée, je suis stupide.
– Mais non… On s’en fout. Sinon, je voulais savoir. Question sexe ?
– Quoi, question sexe ?
– Bah, vous faites encore l’amour ?
– Évidemment, pourquoi ?
– Je ne sais pas… Il paraît que certains mecs ne veulent plus avoir de rapports après… Genre ils ont peur que ça touche la tête du bébé ou que ça les dégoûte… Et toi, t’as envie ? »
J’éclate de rire, rougissante.
« Oh oui. Moi, crois-moi, mes hormones sont au taquet. Tu me touches et je mouille la culotte ! »
Camille passe une main sur mon bras.
« Alors, tu mouilles ?
– T’es bête !
– Et lui ?
– Lui, toujours pareil, à fond aussi. Peut-être que ça changera quand mon ventre sera énorme. Par contre, toucher la tête du bébé, il faut arrêter avec ces conneries… C’est une excuse à la con.
– T’en sais rien ! Rocco Siffredi, lui, je suis sûre qu’il la toucherait. »
Il ne nous reste plus qu’à demander l’addition en gloussant toujours comme deux poules octogénaires…
*
La semaine suivante, Thomas et moi partons trois jours en Italie. Le week-end que j’ai réservé à Venise grâce au coffret cadeau d’Alexandre est enfin arrivé et je m’en réjouis. La seule ombre au tableau vient du fait qu’il me faut laisser Tom derrière nous. Je culpabilise pour lui, mais j’ai également peur qu’il m’arrive malheur et qu’il se retrouve sans sa mère. Avoir un père occasionnel est déjà assez dur pour lui.
La veille du départ, je confie Tom à mes parents. Pour une fois, ma mère me rassure et m’encourage à partir tranquille. Le lendemain, un vendredi, je prends ma journée entière, bien que nous ne décollions qu’en milieu d’après-midi. Thomas, lui, travaillera le matin. Nous sommes censés nous retrouver à la maison pour le déjeuner et partir ensuite à l’aéroport. Il est heureux de cette escapade et m’a même confié que c’était la première fois qu’une fille organisait quelque chose pour lui. Il en est flatté…
Et moi donc !
L’horloge de la cuisine indique 13 heures précises. Thomas devrait déjà être là, mais je n’arrive pas à le joindre. Le déjeuner est prêt depuis une bonne demi-heure quand le téléphone sonne.
« Bébé ? T’es prête ? me demande Thomas à brûle-pourpoint.
– Ben oui, évidemment ! Tu devais arriver pour midi ! Qu’est-ce que tu fous ?
– Je terminais une négociation, je ne pouvais pas arrêter en plein milieu. J’ai cartonné ! Je les ai éclatés ! Ils ont une semaine pour revenir vers nous, mais crois-moi sur parole, bébé, c’est avec Bibi qu’ils vont signer le contrat. Tu peux être fier de ton chéri.
– Cool. Mais… On va être en retard.
– Mais non, j’arrive. Tiens-toi prête. On partira directement à l’aéroport.
– Et le déjeuner ?
– Pas le temps ! Sauf si tu ne veux plus partir !
– Oh mais tu aurais pu m’envoyer un texto ! J’ai fait à manger pour rien.
– Désolé. On grignotera à l’aéroport. Ma fille a faim ?
– Ahaha. Arrête de dire que c’est une fille. Et c’est notre enfant. Tu n’as plus rien à mettre dans la valise ?
– Mon gel et ma brosse à dents. Tout le reste y est.
– Tu ne voudrais pas prendre un pull en plus ? J’ai vu qu’il n’allait pas faire très chaud le soir.
– Tu peux rajouter le rose à capuche, s’il y a encore de la place. Je te laisse, il y a les flics. Je serai là dans vingt minutes. Attends-moi devant l’entrée et n’oublie pas mon passeport ! Je t’aime ! »
Je déverse le contenu de nos deux assiettes directement dans la poubelle et m’empresse de réunir les dernières affaires, puis je croque une pomme et pars me brosser les dents et me recoiffer dans la salle de bains. Mes cheveux sont naturellement ondulés, mais Thomas préfère quand ils sont raides. Je me dépêche de lisser deux mèches rebelles à l’aide de mon Babyliss Pro et le fourre ensuite dans la valise, sur laquelle je dois m’asseoir pour parvenir à la refermer.
Il ne me reste plus qu’à courir aux toilettes pour la dixième fois de la journée. Une, deux, trois, trois gouttes et demie… Tout ça pour ça, à chaque fois. Encore sept mois à tenir ! Enfin, je vérifie que toutes les lumières sont éteintes et ferme la porte avec un grand sourire. Venise, nous voilà !
Thomas arrive en trombe deux minutes plus tard. Il klaxonne tellement fort que la voisine du premier étage sort sur sa terrasse pour voir de quoi il retourne. Quel drôle de personnage que cette femme ! Ni Thomas ni moi n’arrivons à lui donner un âge. Elle a certainement dépassé la cinquantaine, mais aucun indice ne nous a permis d’être plus précis. Les opérations de chirurgie esthétique qu’elle a subies sont les seules marques que nous pouvons lire sur son visage inexpressif. Elle est comme figée…
Quand elle sourit, elle donne l’impression de râler.
Quand elle râle, elle fait la même tête que quand elle sourit.
Il est vraiment très difficile de la prendre au sérieux, surtout quand elle sort son coupé Mercedes du garage après avoir embarqué ses trois chihuahuas à côté d’elle sur le siège passager. À l’arrivée des beaux jours sur Paris, au début de l’été, nous avons même pu admirer l’intégralité de son fessier se dévoiler sous un string couleur rose malabar. Elle aime également se faire bronzer sur sa terrasse, les seins nus et une coupe de champagne à la main.
Pas plus qu’à elle nous n’étions parvenus à donner un âge à son fessier, encore moins à sa poitrine.
Je la trouve ridicule, mais Thomas, lui, la trouve respectable.
Il salue d’ailleurs Miss Malabar d’un rapide geste de la main, puis sort de la voiture pour s’emparer de notre valise et me coller un rapide baiser sur la bouche. Il sourit et chantonne un air qui m’est familier.
« En voiture, chérie, en route pour la ville de l’amour !
Felicità… Nananananananana… Felicità… Nananananananana… »
Il effectue un demi-tour à l’entrée du parking devant lequel Maria balaye les feuilles mortes.
« Bon voyage, les amoureux ! crie-t-elle en nous voyant.
– Merci, Maria ! », répondons-nous en chœur.
Oui, nous sommes amoureux. À cet instant, j’ai vraiment envie de croire que nous sommes heureux. Thomas me regarde et me sourit tandis qu’une chanson d’Al Bano & Romina Power retentit dans l’habitacle.
« C’est pour te mettre dans l’ambiance, bébé. Comment tu te sens ?
– Bien, dis-je en passant la main sur mon ventre. Mais j’ai un peu faim.
– Tu n’aurais pas dû m’attendre pour manger ! »
Il augmente le son, comme il aime le faire à chaque fois que nous sommes en voiture. Au rond-point de la porte Dauphine, il s’engage sur le boulevard périphérique. Le trafic semble fluide ; notre désir d’aller à la rencontre de la fortune amoureuse, aussi.
Nous roulons sans problèmes jusqu’à la hauteur de l’héliport d’Issyles-Moulineaux. Les voitures devant nous préviennent déjà d’un ralentissement à venir en mettant leurs warning. Je regarde l’heure et m’inquiète.
« Et merde ! On n’est déjà pas en avance…
– Ce n’est que ce petit tronçon, ne t’inquiète pas. Quand nous aurons passé la porte de Gentilly, ça roulera », tente de me rassurer Thomas.
Les minutes avancent cependant bien plus vite que notre voiture et le stress finit par me gagner. Et, avec lui, mes brûlures d’estomac… J’envisage déjà de rater l’avion et j’ai le réflexe de vouloir sortir une cigarette, mais je repense plutôt à la vieille dame corse. Et si c’était un signe ? Peut-être serait-ce une bonne chose de rater l’avion ?
Thomas a cessé de chanter pour commencer à son tour à montrer des signes d’inquiétude. Il passe et repasse la main dans ses cheveux tout en consultant son portable de l’autre. Nous devons décoller dans une heure seulement, et il nous faut encore enregistrer notre bagage. C’est donc presque résignés au pire que nous nous engageons finalement sur l’autoroute.
« Tu es prête, bébé ? Accroche-toi bien, je vais passer en mode pilote. Thomas Narcise ne s’avoue jamais vaincu ! »
Thomas souffre parfois du syndrome Alain Delon. Il parle de lui à la troisième personne.
Je vois alors sa main droite passer les vitesses les unes après les autres, jusqu’à atteindre la sixième. Collée à mon siège, je sens les 280 chevaux du moteur nous propulser vers notre destination. Je ferme les yeux.
« On y est ! On y est ! s’exclame bientôt Thomas. Putain, il est où le parking, c’est mal indiqué ici ! Bébé, aide-moi !
– Là, regarde à droite. Tu n’avais pas réservé ?
– On s’en fout, on prend le plus proche, là où il y a de la place ! »
Thomas hurle après l’automate qui ne délivre pas assez vite le ticket, vocifère contre la barrière qui ne se lève pas assez vite, puis contre la voiture devant nous qu’il manque de chevaucher. Nos pneus crissent sur le sol du parking souterrain jusqu’à trouver une place libre, loin de l’ascenseur. Il ne nous reste plus qu’à courir. Je me projette dans la peau de Forrest Gump et ne pense plus qu’à une chose : Venise.
Venise, Venise, Venise, je te veux.
Arrivés dans le hall, un rapide coup d’œil en direction d’un écran d’information nous confirme que le statut de notre vol est « Embarquement en cours » alors même qu’il nous reste du chemin à faire.
Mais Juliette Gonzalez ne s’avoue pas aussi facilement vaincue.
Moi aussi, je suis parfois prise du syndrome Alain Delon.
Nous arrivons devant notre guichet d’enregistrement à bout de souffle et hélons l’hôtesse qui s’apprêtait à quitter son poste. Elle lève les yeux vers nous.
« Passagers pour Venise ?
– Oui ! je hurle, haletante.
– Dépêchez-vous, l’embarquement va fermer. Je préviens mes collègues. Attention, vous ne serez pas assis à côté car le vol est complet, mais vous pourrez vous arranger avec les autres passagers pour changer. »
Nous vivons le check-in le plus rapide de toute notre vie et passons le contrôle sécurité en un temps record grâce à l’hôtesse qui nous accompagne jusqu’aux portiques. Mes deux mèches rebelles, trempées de sueur, ont profité de cette cavalcade impromptue pour friser à nouveau. Elles me lèchent désormais le visage.
C’est presque sous escorte que nous pénétrons enfin dans l’oiseau géant, où nous sommes aussitôt fusillés du regard par la centaine de passagers déjà assis, ceintures bouclées, prêts à décoller. Visiblement, nous étions attendus.
La seule âme charitable prête à nous épargner à bord se présente sous la forme d’un charmant steward qui adresse un sourire plus qu’appuyé à Thomas. Il nous demande nos numéros de siège.
« Ah, vous n’êtes pas ensemble ? En effet, c’est normal. Je vais voir si vos voisins de siège voyagent seuls et si cela ne les dérange pas de changer. On peut tomber sur des gens sympas, parfois, vous savez. »
Le frère jumeau de Ken nous guide un peu plus loin dans la travée, jusqu’à un siège vide situé côté couloir, près d’un homme en costume qui semble voyager seul. Je vérifie sur ma carte d’embarquement, il s’agit bien de mon siège. Nous entendons le steward s’adresser à l’homme d’affaires de sa voix la plus mielleuse.
« Bonjour, Monsieur. Vous voyagez seul ?
– Oui, pourquoi ?
– Parce que vous voyez cet adorable petit couple ? Ils ne sont pas placés à côté. Et je suis sûr que vous comprenez que quand on part à Venise, la ville de l’amour, on essaie de le faire sous les meilleurs auspices. Est-ce que ça vous dérangerait de laisser votre siège à Monsieur pour prendre le sien qui se trouve un peu plus loin ?
– Oui, ça me dérange. Primo, je voyage pour affaires, alors Venise et les violons, je m’en contrefiche. Ensuite, je n’aime pas être trop à l’arrière de l’appareil. Désolé, les amoureux. »
Sans se démonter, le steward le remercie avec un tel sourire que j’en suis presque à m’étonner qu’on puisse avoir autant de dents.
Il adresse maintenant sa demande à une dame d’une soixantaine d’années, coiffée d’un chapeau jaune décoré d’une perruche. Nous n’entendons pas ce qu’elle répond, mais nous comprenons à son signe de tête qu’elle refuse elle aussi. Intérieurement, je maudis ces gens et leur manque d’empathie.
Dépité, le steward revient vers nous en s’excusant platement. Enfin, surtout auprès de Thomas.
Je semble d’ailleurs plus contrariée que Thomas, qui effleure ma joue d’un rapide baiser avant de caresser mon ventre et de suivre le steward afin de gagner rapidement son siège. À mon tour, je pars m’asseoir – à côté de l’homme qui se contrefiche de Venise et de ses violons.
Il m’adresse un sourire maladroit que je lui échange contre un regard noir.
Connard.
J’attache ma ceinture, mais réalise que je dois l’élargir avant de pouvoir la boucler.
C’était un enfant qui voyageait avant moi ?
Cette escapade commence plutôt mal. Je me retourne pour adresser un petit signe à Thomas, en pleine discussion avec Madame Perruche. Il me voit, hoche la tête et m’adresse un « Je t’aime » que je parviens à lire sur ses lèvres.
Je me retourne alors et ferme les yeux sans accorder la moindre attention à mon voisin, qui me dévisage discrètement. Les mots qu’adresse ensuite le commandant de bord à ses passagers suffisent à me bercer. Je dors pendant tout le trajet, jusqu’à ce que de violentes secousses me réveillent à l’atterrissage. J’ai alors la sensation de mourir de faim.
Après m’être levée trop rapidement et m’être sentie de nouveau nauséeuse, je décide de me rasseoir quelques instants et de laisser passer les autres voyageurs. Mon voisin me fait aussitôt comprendre qu’il est pressé et m’oblige malgré moi à m’engager dans la travée. Thomas, qui est descendu par l’arrière de l’appareil, est déjà au téléphone quand je le rejoins. Je comprends tout de suite qu’il parle à sa mère. Arrivée à sa hauteur, j’entends même la fin de sa conversation.
« Bisous, Maman, je te raconterai la suite de nos aventures. En espérant que tout se passe bien à partir de maintenant ! »
Il prend mon sac à main et m’enlace.
« Comment va ma fille ?
– Pas au top.
– Comment ça, pas au top ?
– Bah je ne me sens pas très bien, tu voulais savoir, non ?
– C’est par rapport au bébé ?
– J’ai faim, j’ai la nausée, j’ai envie de faire pipi et je n’en peux plus !
– Oui, ma chérie, on va remédier à tout ça. Ah, les hormones ! », ajoute-t-il presque gêné en s’adressant au couple qui marche à nos côtés.
Puis, comme pour se justifier, il me caresse de nouveau le ventre et lui sourit. À mon ventre.
Une fois notre valise récupérée et le passage aux toilettes effectué, nous nous renseignons sur les moyens de gagner Venise et notre hôtel. On nous recommande de prendre un bus, puis une vedette-taxi qui pourra nous déposer directement à notre hôtel.
Le trajet me paraît bien long et la nuit commence déjà à tomber. Les lumières artificielles qui s’allument pour mieux se refléter sur la lagune nous offrent nos premières images de la ville de l’amour. Partout, les ponts grouillent de monde. Les canaux sont quant à eux encombrés de vaporettos dont les coques font naître d’énormes vagues, au risque de faire tanguer notre vedette-taxi et de me faire vomir. Je demande à notre capitaine de ralentir, mais il se contente de me sourire et de filer de plus belle avant de ralentir enfin devant un ponton qui prolonge un édifice rose de cinq étages, défraîchi. Nous pouvons y lire le nom de notre hôtel. Nous sommes arrivés.
Quand je lui demande le montant de la course, il m’annonce cent euros en itanglais. Thomas me regarde d’un air perplexe ; il n’a pas compris. Je lui répète alors le montant en français et le laisse régler.
En pénétrant dans le hall, nous ne sommes pas déçus. Un mélange de marbre et de moquette rouge Napoléon habille la vaste pièce. Dorures et fauteuils en velours vert et rouge viennent compléter cette atmosphère baroque tout à fait dans son jus. Voila, nous sommes à Venise.
Je présente mon bon de réservation au réceptionniste tout en lui rappelant le surclassement que j’ai demandé et payé. Il m’adresse en retour un signe de la tête pour m’indiquer qu’il a bien compris, puis, dans un anglais très approximatif, me donne quelques explications sommaires et un plan de Venise. Il y dessine une croix pour symboliser l’emplacement de l’hôtel avant d’entourer consciencieusement tous les principaux sites touristiques – la place Saint-Marc, le palais des Doges, la basilique Saint-Marc, le campanile et le pont des Soupirs – et me glisse ensuite la carte d’un restaurant ainsi que celle d’une compagnie de taxis-bateaux.
De tout son charabia je retiens surtout que notre chambre se trouve au fond du couloir, à gauche. Je le laisse photocopier mon passeport, récupère en échange la clé magnétique de notre chambre et rattrape Thomas qui, impatient pour ne pas changer, s’est déjà dirigé vers l’ascenseur. Discrètement, je lui indique que notre chambre se trouve en réalité au rez-de-chaussée. Je comprends aussitôt à son air agacé que cela ne lui convient pas, mais il fait l’effort de ne rien exprimer oralement. Je le prends par le bras pour le guider.
« Alors, tu m’emmènes où ?
– Apparemment c’est au fond, là-bas. Le mec de l’accueil n’est pas foutu d’aligner une phrase en anglais. Presque obligée de communiquer en morse !
– Ne te moque pas, moi non plus je ne parle pas anglais ! répond-il en piquant du nez.
– Oui, mais toi, tu ne travailles pas dans le tourisme. Ça me fait halluciner les gens qui bossent dans l’hôtellerie, surtout à Venise, et qui sont incapables de s’exprimer en anglais. On ne leur demande quand même pas de parler français, putain !
– Tu vas arrêter de râler pour tout, toi ! Tiens, regarde, ça ne peut pas être par là, on dirait que c’est le bar au fond.
– C’est curieux ! Ça ne peut pourtant pas être ailleurs ? »
J’avance à pas de loup jusqu’au fond du couloir. En face de moi, la porte vitrée qui conduit au bar. Je colle ma tête contre la vitre et vois qu’il est désert. Mais je repère aussi sur ma gauche une porte sans numéro, mais dotée d’un lecteur à puce pour l’ouverture.
J’y insère ma carte sans trop d’espoir. Miraculeusement, le voyant passe au vert et la serrure se débloque. Je pousse la porte et appelle Thomas.
« Viens, c’est là !
– Tu déconnes ? À côté du bar ? Mais c’est une blague ! », maugrée-t-il en entrant.
Nous découvrons une chambre de petite taille et très étroite dont l’unique fenêtre ne s’ouvre pas. Faute d’aération, l’atmosphère que nous respirons subitement nous donne le sentiment d’avoir pénétré dans une grotte humide. La décoration est quant à elle la parfaite prolongation de celle du hall et du couloir : baroque, chargée à souhait et vieillissante. Au point qu’il me faut détourner mon regard du couvre-lit, dont la couleur ne peut qu’entraîner une hémorragie oculaire.
Je conserve néanmoins mon optimisme en pénétrant dans la salle de bains. J’espère de toutes mes forces y trouver une baignoire gigantesque, et pourquoi pas un jacuzzi. Je ne suis pas déçue.
Elle est, pour le moins, fonctionnelle et, surtout, dotée d’un concept innovant : on peut y faire pipi tout en prenant sa douche et même se risquer à se brosser les dents en même temps, pour peu que l’on ait une âme d’aventurier ou d’acrobate. Au choix.
Après avoir jeté un rapide coup d’œil à la minuscule salle d’eau, Thomas me fait signe de sortir.
« En gros, dit-il, ils ont transformé un cagibi en chambre ? C’est inadmissible. On ne reste pas là.
– Mais… mais que veux-tu faire ?
– Eh bien, ils nous trouvent une autre chambre, ils se débrouillent. On ne dormira pas ici, c’est moi qui te le dis.
– Thomas… Au moins, c’est propre ! dis-je maladroitement.
– Il ne manquerait plus que ça… Et puis en plus, on va supporter tous les mecs bourrés qui vont sortir du bar à 2 heures du mat’… Combien tu l’as payée, la chambre ?
– Euh, je ne sais plus, c’est un coffret qu’Alexandre m’avait offert.
– Tout s’explique…
– Mais j’ai demandé un surclassement ! dis-je, vexée.
– Qu’est-ce que ça serait si tu ne l’avais pas fait ! Viens, bébé, on y va. »
De retour à l’accueil, le réceptionniste n’est plus le même. C’est maintenant une jeune fille qui occupe le comptoir d’accueil situé sous un masque vénitien orné de plumes. Gênée, je tente de lui expliquer le plus diplomatiquement possible que la chambre ne nous convient pas. Son anglais est un peu meilleur que celui de son collègue, mais il ne faudrait tout de même pas faire usage d’un trop grand nombre d’adjectifs. Thomas, planté derrière moi, me dicte toutes mes phrases, ce qui m’agace profondément.
La réceptionniste nous regarde, chacun notre tour, attendant que je finisse de traduire chacune des exigences de Thomas. Elle perçoit mon malaise, mais elle ne m’en annonce pas moins très solennellement que l’hôtel est complet. J’imagine que Thomas a compris le sens de la phrase, ne serait-ce que le mot « full », mais il me regarde toujours en attendant que je traduise chaque mot exprimé.
Je me lance d’une voix tremblante.
« L’hôtel est complet…
– C’est impossible, cet hôtel est pourri. Redemande-lui ! C’est juste que ça les saoule de nous changer de chambre. Ils croient peut-être qu’on va se contenter d’un cagibi à cause de ton coffret à la con ? »
Plus rouge encore que la moquette baroque, je demande de nouveau à la réceptionniste si elle peut encore vérifier. Agacée à son tour, elle fait pivoter son écran d’ordinateur vers moi et me montre son planning tout en enchaînant plusieurs phrases en italien auxquelles je ne comprends rien.
Pas l’ombre d’un limoncello, d’une mozzarella ou d’une stracciatella.
Toutes les cases de son planning sont rouges. Décidément, c’est la couleur à la mode, par ici.
Un carré vert, couleur de l’espoir, se détache cependant en haut de l’écran. Il n’échappe pas à Thomas.
« Et le 501, là, c’est quoi ? Demande-lui ! »
Je n’ai pas le temps de m’exécuter que la jeune femme comprend déjà ce que je dois lui demander. Elle nous explique qu’il s’agit d’une suite « very expensive ».
Pour le coup, Thomas a compris.
« Combien ? interroge Thomas en se rapprochant du comptoir.
– Four hundred euros, sir.
– OK, no problem ! », répond-il du tac au tac, désormais expert dans les négociations en italien.
Il lui tend sa carte de crédit en me toisant d’un air satisfait. Je me sens humiliée, mais je tiens bon malgré les larmes qui me piquent les yeux. Je m’engouffre dans l’ascenseur sans adresser un seul regard à Thomas, presque soulagée qu’un jeune couple vienne se faufiler dans la cabine juste avant que la porte ne se referme sur nous. Ils sont tous les deux très blonds et très amoureux, et sans doute suédois. Lui serre très fort la main de sa compagne ; elle, du revers de son autre main, lui caresse tendrement la joue. Ils sortent comme nous au cinquième et dernier étage et s’arrêtent devant la chambre 502, voisine de la nôtre. Après nous avoir adressé un timide « Good evening », ils disparaissent derrière leur porte en pouffant comme deux adolescents. Je les envie…
Thomas ouvre la porte de notre chambre qui, soyons honnêtes, se révèle spacieuse, beaucoup plus spacieuse que la précédente. Si le nouveau couvre-lit me fait toujours aussi mal aux yeux, la décoration de la suite n’en est pas moins plus raffinée.
Je m’assieds sur l’immense lit pour souffler quelques instants pendant que Thomas inspecte la salle de bains.
« Voilà, ça c’est une vraie chambre, bébé, tu ne trouves pas ? On se sent à l’aise. Dans l’autre on allait mourir étouffés. Ça te fait plaisir ? Tu vois, quand on veut, on peut ! », ajoute-t-il avec un clin d’œil.
C’est pour moi la phrase de trop. Je ruminais déjà dans mon coin depuis un petit moment, mais là, je ne peux m’empêcher d’exploser subitement.
« Ça me fait plaisir ? Ça me fait plaisir que quoi ? Que tu m’aies humiliée ? Que tu ne sois pas capable de respecter un putain de cadeau que je te fais, avec mes moyens ? Tu serais mort si tu avais dormi dans cette chambre ? Deux petites nuits ? Deux petites nuits, putain ! Il faut toujours que tu la ramènes et que tu montres ton pouvoir, ta supériorité, ton argent.
– Juliette… Juliette… Ce sont encore tes hormones qui te jouent des tours ! Ne t’énerve pas, ce n’est pas bien pour ma fille. Tu as besoin de manger, viens, on va sortir pour se trouver un bon petit resto.
– Réponds-moi ! je hurle, désormais hors de contrôle. Tu n’aurais pas pu faire un effort, pour une fois ? Il faut toujours que tout se fasse à ta façon ? »
Il s’assied à côté de moi pour me prendre les deux mains, mais je me relève brutalement, avant d’être obligée de me rasseoir dans la seconde sous l’effet d’un vertige soudain. J’ai la tête qui tourne, les oreilles qui sifflent et le cœur qui galope.
« Juliette, tu exagères, comme d’habitude… Quand on aura trouvé un psy, il faudra que tu lui en parles. Nous ne pouvions tout de même pas dormir dans cette chambre, tu en conviens aussi bien que moi ? Si Venise est aussi belle à voir, autant réunir toutes les conditions pour que ce soit magique. Ne gâchons pas ce moment. Allez, viens, maintenant. Remaquille-toi un peu et coiffe-toi, on va aller dîner. »
Dix minutes plus tard, nous arpentons les rues désormais désertes de Venise. Le contraste avec l’animation qui régnait plus tôt est hallucinant. Où peuvent bien être passées toutes les personnes qui colonisaient les ponts, les ruelles et les trottoirs ? Certainement pas dans les restaurants, qui semblent eux aussi peu fréquentés. De tels établissements vides n’inspirant aucune confiance à Thomas, et la température étant très basse pour la saison, je remonte le col de mon manteau en espérant que l’un d’eux finira par recueillir son assentiment. Son choix se porte finalement sur un petit restaurant de sept tables seulement, dont deux sont occupées par une famille de touristes et un couple d’Italiens. Il est rassuré.
Nous ne sommes pas accueillis pour autant avec le sourire, et là non plus il n’est pas envisageable de se faire comprendre autrement qu’en parlant italien. En revanche, on nous apporte très vite la carte, et après avoir passé ma commande, je n’ouvrirai plus la bouche de tout le dîner, sinon pour manger. Nous n’avons d’ailleurs pas le temps de terminer notre plat de poisson que le serveur nous fait déjà comprendre que le restaurant va fermer. Nous gagnons le comptoir pour payer, sans même avoir la force de contester une erreur dans l’addition, sans même dire merci ou au revoir.
Thomas me regarde avec un tel air de pitié que j’ai l’impression d’être malade, ou plutôt coupable. Cette nuit-là, je me couche après avoir pris une douche brûlante et avalé un Doliprane pour soulager ma migraine. Je me blottis sous les draps en recouvrant ma honte et ma tristesse avec.
Le reste du séjour se déroule heureusement sans autre incident majeur. J’ai décidé de prendre sur moi pour ne pas succomber à une nouvelle crise d’hystérie. Thomas met également un peu d’eau dans son vin, et même le soleil y met un peu du sien, nous apportant une sorte d’apaisement.
Cependant, ni Thomas ni moi n’apprécions Venise à sa juste valeur. Nous regardons tous les deux sans voir, nous déambulons côte à côte sans pour autant nous promener ensemble, et nous subissons Venise sans la savourer. Aujourd’hui encore, je garde un très mauvais souvenir de cette ville où je n’ai jamais eu le courage de retourner, moi, la grande amoureuse de l’Italie…
Tu peux être dans le plus bel endroit du monde, si ce n’est pas avec la bonne personne, cela peut vite se transformer en cauchemar, affirme l’un de mes adages de comptoir préférés.