Chapitre 24

Tom

« Tu dors ?
– Officiellement, oui.
– Les rumeurs disent que tu fais semblant.
– Oui j’ai vu ça dans
Paris Match. Juste des ragots.
– Je vais dormir un peu… »
Dialogue entre Sophie et Julien, extrait du film Jeux d’enfants, de Yann Samuell

Je vais y aller. Cette fois-ci, je vais y aller ! Je ne comprends pas pourquoi elle pleure tous les soirs. Quand je lui pose la question, le matin, elle me dit que j’ai dû rêver.

Pourtant, je ne rêve pas. Je ne fais que des cauchemars.

Je sais que je n’ai pas le droit de sortir de ma chambre une fois couché dans mon lit mais hier, j’ai désobéi. Mon lit est rangé contre le mur du salon. Quand je colle mon oreille contre le mur en me servant du verre où je mets ma brosse à dents, je peux entendre ce qui se passe.

Avant, je les entendais parler et rigoler. Maintenant, je n’entends que du silence, ou Maman qui pleure. Parfois, ce n’est que la télévision.

Hier, quand je me suis approché de la porte du salon, j’ai vu Maman dans le miroir de la porte du placard de l’entrée. Elle était par terre, comme un petit chien, aux pieds de Thomas.

Souvent, Thomas, il pense qu’il est le roi. Il demande du café, un massage des pieds, du chocolat, et un autre café, et plein d’autres choses encore que Maman lui apporte.

Maman, parfois, elle m’énerve.

Elle me gronde quand je lui demande de m’apporter une cuillère pour manger mon yaourt – parce que j’ai oublié d’en prendre une quand j’ai mis la table – mais elle court comme un toutou dès que Thomas lui demande un truc.

Des fois, j’ai l’impression qu’elle a peur de lui.

Moi, j’ai peur.

Il est bizarre.

Il est très gentil des fois, puis d’autres, il devient méchant et se met à crier fort. En vrai, je pense qu’il est plus méchant que gentil. On dirait qu’il fait souvent semblant.

Los abuelos le détestent, je les ai déjà entendus parler entre eux. Ils ont dit qu’il était faux et fourbe. Je ne sais pas exactement pourquoi ils disent ça, et j’ai été regarder dans le dictionnaire ce que voulait dire « fourbe », mais je n’ai toujours pas compris.

Ils disent que son sourire est faux et qu’il ne rend pas Maman heureuse. Moi, au début, je trouvais que Maman avait l’air heureuse avec lui. Il était toujours de bonne humeur et faisait souvent des blagues. Maman aussi.

Il lui a même offert plein de cadeaux, très chers aussi !

Moi, il m’a offert un magazine, une trousse et une figurine.

Mais depuis qu’elle a été malade et que le bébé est arrivé dans son ventre, je trouve que les choses ont beaucoup changé. Ils se disputent souvent. L’autre jour, Thomas a dit à Maman qu’elle était folle et j’ai eu envie de le frapper. On ne touche pas à ma maman. C’est comme avec cette imbécile d’Alicia qui avait dit plein de gros mots sur elle, j’avais eu envie de la tuer.

Alors, hier, quand j’ai vu Maman dans le miroir de la porte, j’ai eu l’impression qu’elle était en train de le supplier. Je n’arrivais pas à entendre ce qu’ils disaient.

Thomas était comme un roi, allongé sur le canapé, avec la télécommande dans la main. Il n’arrêtait pas de changer de chaîne.

Il m’énerve, il fait toujours ça, il dit toujours qu’on est chez lui et qu’on a beaucoup de chance d’habiter là. Moi, j’aime beaucoup ma chambre mais je préférais où on habitait avant. Il y avait plus de gens dans les rues, et plein de magasins aussi.

Ici, les gens sont tous riches. Je crois que je suis le plus pauvre de la classe.

Thomas, il n’a même pas caressé les cheveux de Maman ou essayé de sécher ses larmes quand elle était assise à ses pieds, comme un toutou. Il a fait comme si elle n’était pas là. Moi, j’aurais pu la consoler.

Peut-être que le bébé lui fait mal, je ne sais pas ?

Quand j’ai voulu écouter, je me suis rapproché pour coller mon oreille contre la porte, mais elle a grincé et elle s’est entrouverte. J’ai aussitôt couru dans ma chambre car je ne voulais pas que Thomas me gronde.

Mais ce soir, c’est reparti. J’entends la voix de Maman, triste. J’entends Thomas qui dit « Arrête, arrête ! ». Puis Maman qui pleure. Je me bouche les oreilles, je ne le supporte plus.

Finalement, j’ai l’impression que Maman n’est pas plus heureuse avec Thomas qu’elle ne l’était avec Papa. Je les entendais souvent se disputer aussi. La porte finissait toujours par claquer et, ensuite, c’était le silence.

Je ne comprends pas pourquoi on promet de s’aimer pour toujours quand on n’est pas capable de tenir cette promesse. Je trouve que c’est très grave. Les adultes passent leur temps à nous donner des leçons et à nous apprendre des règles qu’ils ne respectent pas eux-mêmes.

Ils mentent, tout le temps. Moi, je pensais que c’étaient eux qui devaient nous donner l’exemple.

Elle pleure, plus fort.

Je vais y aller. Je dois la protéger.

Le téléphone sonne. C’est Thomas qui répond. Je suis sûr que c’est Édith, elle l’appelle tout le temps.

Édith, elle me fait peur, aussi. Elle répond toujours oui à ce que dit Thomas. Elle aussi, elle pense que Thomas est le roi.

J’ai raconté aux abuelos que Maman pleurait souvent.

Abuelo a dit qu’il en était sûr et a commencé à s’énerver.

Abuela a dit que Maman avait peut-être des problèmes.

Mais ils n’ont rien fait. Ils n’ont pas grondé Thomas et ils ne sont pas venus en aide à Maman. Quand je leur ai demandé pourquoi, ils m’ont répondu qu’ils ne devaient pas s’en mêler et moi non plus. Mais si je ne m’en mêle pas, qui va aider ma maman ? Pourquoi pleure-t-elle autant ?

Si c’est à cause du bébé qui arrive, alors je préférerais qu’il ne vienne pas. Tout allait bien avant…

J’ai très envie d’avoir un petit frère, mais pas si ça rend Maman malheureuse.

L’autre jour, j’ai été passer le week-end avec Papa. Des fois il vient, des fois il ne vient pas. Il ne m’appelle jamais. Je crois que c’est parce qu’il est toujours triste de la séparation avec Maman, mais ce n’est pas de ma faute.

Il m’a dit des choses très méchantes sur Maman. Il l’a traitée de plein de noms, mais il n’a pas le droit de le faire. C’est ma maman.

Je n’ai pas osé m’énerver parce qu’il peut être très violent, des fois. Je préfère qu’il soit mon ami et qu’il m’aime.

Comme il dit qu’il est toujours amoureux de Maman, je me suis dit qu’il pouvait peut-être l’aider. Je lui ai donc raconté ce qui se passait, je lui ai dit que Maman était toujours triste et qu’elle pleurait.

Il n’a pas eu la réaction que j’attendais. Il m’a dit que c’était bien fait pour elle, qu’elle méritait de souffrir et qu’il espérait que Thomas ferait à Maman la même chose que Maman lui avait faite, à lui.

Je ne comprends pas. Comment peut-on dire qu’on est amoureux et souhaiter autant de mal à une personne ? Je ne lui raconterai plus jamais rien.

Tiens, il y a du bruit dans le salon.

J’entends Maman qui parle fort, Thomas qui rigole.

Maman rigole, elle aussi.

Quelqu’un court.

Je pense que c’est Thomas. Maman, elle, elle est trop énorme pour courir. Ça bouge dans tous les sens, on pousse une chaise, on claque des portes, les placards s’ouvrent et se referment. On tire la chasse, j’entends la douche qui coule. Maman parle fort, encore. Je n’entends pas ce qu’elle dit, sa voix est différente.

Il se passe quelque chose ce soir et ça m’énerve de ne pas savoir.

Maman entre dans ma chambre, en peignoir. Je fais semblant de dormir.

« Tom ? Tom, mon chéri, réveille-toi. »

Elle me caresse les cheveux et me parle d’une voix douce. J’ouvre un œil, puis l’autre, comme si je venais de me réveiller.

« Qu’est-ce qu’il y a, Maman ?

– Il faut que tu te lèves, mon chéri.

– Mais pourquoi ? On est la nuit !

– Oui, mais Thomas va t’emmener chez los abuelos.

– Pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait ?

– Rien, ne t’inquiète pas. Ton petit frère va naître bientôt.

– Comment tu le sais ? Il est à la porte ?

– Disons que oui. J’ai perdu les eaux, c’est le signe que c’est pour bientôt.

– Ça fait mal ?

– Non, pas du tout. Tu viens, mon cœur ? Tu restes en pyjama, on te met juste ton manteau. Je te prépare des affaires pour demain, ton cartable est prêt.

– Maman ?

– Oui, chéri ?

– J’ai peur.

– Peur de quoi ?

– Que le bébé, il te fasse mal. Tu peux mourir quand tu as un bébé ?

– Ne t’inquiète pas, chéri. Il n’y aura aucun problème. Tout va bien se passer. On vous appellera dès que Maxence sera né.

– C’est pour ça que tu pleurais, encore, ce soir ?

– Oui, un peu, on y va maintenant chéri. Thomas t’emmène et moi je finis de me préparer, ensuite, on file à la maternité.

– D’accord Maman. Je t’aime très fort.

– Moi aussi, mon chéri. Demain, tu seras grand frère ! »

Maman me demande de poser mes mains sur son ventre. Il est tellement gros que j’ai l’impression qu’il va exploser. Elle me demande si je sens le bébé qui bouge.

Je lui réponds que non.

Elle ouvre son peignoir et se couche par terre, me demande de faire pareil. Là, j’ai l’impression qu’elle a un alien dans son ventre, qui pousse de partout pour essayer de sortir.

Je le vois bien qui bouge, mon petit frère. J’espère qu’il ne va pas trop abîmer ma maman.

Dans la voiture, Thomas me promet un cadeau. Il me dit que je suis très courageux de me lever au milieu de la nuit. Je réponds d’accord, pourquoi pas un cadeau…

Il a l’air un peu excité, je dirais même content.

Quand nous arrivons chez los abuelos, tout le monde fait semblant.

Je le sais, moi.

Thomas ne reste pas longtemps et repart en courant. Il a peur de ne pas être là quand son fils sortira.

Maxence va être son fils, mais moi, je serai quoi, alors ?

Il a déjà l’air de l’aimer plus que moi. Qu’est-ce que ça va être quand il sera vraiment là…