Au début de mes explications, c’est plus fort que moi, je parle en accusée. Je plaide que tout ça, c’est quand même de l’histoire ancienne, j’avais alors trente-quatre ans. Depuis ce temps-là, il a coulé de l’eau sous les ponts ; je n’en étais qu’à mon troisième livre, c’est dire. Il faut me consentir une marge d’erreur. J’ai gardé une mémoire très nette de ce qui est arrivé mais le passé est une matière malléable et je suis comme tout le monde : sans m’en apercevoir, je recompose mes souvenirs, je les brasse, les façonne, les refaçonne. Il va falloir faire avec. Je suis cette mémoire, je suis ce passé.
Plus je parle, plus je me sens coupable. Ça doit se voir mais ça n’y change rien : si c’était à refaire, je le referais.
Je le dis au juge. Ça l’exaspère, il me lance : « Allez au fait ! » Je ne peux plus reculer.