Je dois aux livres ma victoire contre le silence. Ce sont des passeports. Ils abattent les murs, les remparts, les frontières, toutes les barrières que les humains ont inventées pour s’ignorer, se déchirer. En ce début d’octobre, je présente mon nouveau livre à mes lecteurs bretons quand l’impensable se produit : lors d’une rencontre dans une librairie, je reconnais dans l’assistance un membre de ma famille. À l’issue de la rencontre, il s’avance vers moi.
Il me parle tout de suite de Denise. Comme moi, il ne sait presque rien de l’enquête. Ça semble le tourmenter.
Il est de ces enfants tard venus qui ont permis à ma mère de s’inventer une seconde vie ; il a très peu connu Denise et s’est construit sans elle. N’empêche, il est inquiet et ulcéré par l’opacité qui entoure le meurtre. Comme moi, il craint que le dossier de Denise ne soit classé.
Le sentiment d’injustice nous réunit. Je ne suis plus seule à cheminer sous la pyramide.
Quelques jours après, il m’apprend qu’il a écrit au Maître du Silence. Brièvement, courtoisement, comme il fallait.
À moi, le Mastodonte avait daigné répondre. Mais à lui, un anonyme, cette blague ! Le puissant animal, pas davantage troublé que s’il avait été effleuré par une fusée de papier, a poursuivi sa marche.
Sa marche vers quoi, au fait ? Le classement du dossier de Denise ? Serait-ce que nos modernes tribunaux s’inspirent des hypermarchés qui ceinturent nos villes ? Qu’ils se sont transformés en machines à distribuer de la justice de masse et fonctionnent sur le même principe que le monde de la marchandise : quand un produit, lors d’un arrivage, s’avère bizarroïde ou mal fichu, pas de sentiment, direct à la benne à déchets ?
Ensuite, un bon jet de Javel par là-dessus, on n’en parle plus. Il se trouvera évidemment quelques excités pour crier au gâchis mais ils se lasseront vite.