Bifurcation puis longue bretelle qui fend les champs. Vestiges d’un camp de Roms, monceau de ferraille. Une vieille ferme fortifiée déroule ses murs trapus sous le ciel bas avant de s’effacer devant des maisons de meulière, des pavillons bourgeois. Les rues sont de plus en plus étroites. Le centre-ville est proche.
On se gare, on sort. Qu’est-ce qu’on cherche ? On ne sait pas trop. On ira déposer une fleur sur la tombe de Denise, ça, c’est prévu, on arpentera le lotissement, on jettera un œil à l’impasse, sûr aussi, mais pour le reste, aucun projet précis. On ira ici et là, nez au vent, comme ça nous prendra.
Sur une place, au dos d’un panneau publicitaire, un plan. Le lotissement où se trouve la maison de Denise n’y figure pas. La carte s’arrête à la hauteur du « quartier sensible ».
Nos téléphones sont équipés d’un GPS mais nous aimerions une carte en papier : rien de meilleur pour se faire une idée de la forme d’une ville. Isabelle remarque une boutique : journaux, livres, cahiers, stylos : si nous tentions notre chance ? Nous ne sommes pas entrés que le quinquagénaire qui la tient secoue la tête :
– Longtemps que ça ne se vend plus. Peut-être à la mairie. Autrefois, ils en donnaient.
Isabelle insiste :
– Et une brochure sur l’histoire de la ville ? On trouve souvent des cartes dans ces petits bouquins-là.
– Qui voulez-vous qui lise ça ? Les anciens sont morts. Ou ils sont partis quand ils ont pris leur retraite. Les jeunes, eux, ils travaillent à Paris, alors quand ils rentrent, la lecture… Les journaux, oui, ils les lisent un peu. Mais les livres… Ici personne ne s’intéresse plus à la vie.
Il me plaît, cet homme, qui confond la vie et les livres. Denise, quand j’étais petite, était ainsi.
Ça le rend triste, que le monde ait changé. Il considère ses rayons d’un air désabusé.
– Alors votre brochure, votre plan…
– Vous savez, c’est comme tout, intervient Isabelle, qui a l’air d’avoir une idée en tête. Le calendrier des postes, par exemple. Il y a quantité de villes où c’est fini. Les postiers ne passent plus.
Au seul mot de « postiers », l’homme passe de la tristesse à la colère :
– Attendez, là ! Les postiers, il faut voir comment on les reçoit quand ils se présentent ! Et s’il n’y avait que ça, ici ! Les violences et le reste !
Réflexe de journaliste, Isabelle saute sur l’occasion :
– Vous voulez parler des cambriolages qui ont eu lieu ces derniers temps ?
J’ai pensé que la conversation allait s’arrêter net. Ce fut tout le contraire. Dans la seconde, l’homme a enchaîné sur la série d’agressions.