III

Force et entendement.
Phénomène et monde suprasensible

Dans la dialectique de la certitude sensible, la conscience étourdie a complètement perdu l’usage des sens, puis, en tant que perception, elle est parvenue à des notions, mais qu’elle ne rassemble que dans l’inconditionnément universel. Or, cet inconditionné, si on le prenait comme une essence simple au repos, ne serait à son tour pas autre chose que l’extrême de l’être pour soi qui vient se placer d’un côté, car c’est alors l’inessence qui viendrait lui faire face ; mais référé à celle-ci, il serait lui-même inessentiel, et la conscience ne serait pas sortie de l’illusion de la perception ; simplement, il s’est révélé être un universel qui a quitté un être pour soi conditionné de cette espèce et qui est rentré en lui-même. — Cet universel inconditionné, qui est désormais l’objet vrai de la conscience, a encore le statut d’objet de celle-ci ; elle n’a pas encore saisi son concept comme concept. L’une et l’autre chose doivent être distinguées essentiellement ; pour la conscience, l’objet est revenu du rapport | 60 | à autre chose pour rentrer en soi, et ainsi est devenu en soi concept ; mais la conscience n’est pas encore pour elle-même le concept, et c’est pourquoi ce n’est pas elle-même qu’elle reconnaît dans cet objet réfléchi. Pour nous, le mouvement de la conscience a affecté le devenir de cet objet de telle manière qu’elle est elle-même intriquée dans son devenir, et que la réflexion est la même des deux côtés, ou encore, qu’il n’y en a qu’une. Mais comme dans ce mouvement, la conscience n’avait encore pour contenu que l’essence objectale, et non la conscience en tant que telle, le résultat pour elle doit être posé dans une signification objectale, et la conscience comme étant encore en train de se retirer de ce qui est devenu, de sorte qu’à ses yeux, c’est comme quelque chose d’objectal que ce qui est devenu est l’essence.

L’entendement certes a aboli ainsi sa propre non-vérité et la non-vérité de l’objet ; et ce qui lui est devenu, c’est le concept du vrai ; comme vrai qui est en soi, qui n’est pas encore concept, ou qui est privé de l’être pour soi de la conscience, et que l’entendement laisse prévaloir, sans savoir qu’il y est. Ce vrai mène joyeuse vie et pour lui-même ; d’une manière telle que la conscience n’a aucune part à sa libre réalisation, mais se contente de la regarder et de l’appréhender purement et simplement. Nous devons donc encore, dans un premier temps, nous mettre à sa place et être le concept qui forme et développe ce qui est contenu dans le résultat ; c’est à même cet objet développé jusqu’au terme de sa formation, qui | 61 | se présente à la conscience comme quelque chose qui est, qu’elle deviendra, et seulement alors, pour elle conscience concevante.

Le résultat, c’était l’inconditionnément universel, en ce sens d’abord négatif et abstrait, que la conscience niait ses concepts unilatéraux, les abstractisait, c’est-à-dire les abandonnait. Mais le résultat a en soi cette signification positive qu’en lui est posée l’unité de l’être pour soi et de l’être pour un autre, ou encore, l’opposition absolue est immédiatement posée comme une seule et même essence. Ceci ne semble d’abord concerner que la forme des moments les uns par rapport aux autres ; mais l’être pour soi et l’être pour un autre sont tout aussi bien le contenu lui-même, puisque l’opposition ne peut avoir en sa vérité d’autre nature que celle qui s’est révélée dans le résultat, savoir, que le contenu tenu pour vrai dans la perception n’appartient en fait qu’à la forme et se dissout dans son unité. Ce contenu, en même temps, est universel ; il ne peut y avoir d’autre contenu que sa complexion particulière autoriserait à se soustraire au retour dans cette universalité inconditionnée. Ce genre de contenu serait une certaine manière déterminée d’être pour soi et de se rapporter à autre chose. Simplement, être pour soi et se rapporter à autre chose en général constituent son essence et sa nature, dont la vérité est d’être un universel inconditionné ; et le résultat est tout simplement universel. | 62 |

Mais comme cet inconditionnément universel est objet pour la conscience, on voit surgir chez lui la différence de la forme et du contenu, et dans la figure du contenu, les moments ont l’aspect extérieur dans lequel ils se sont d’abord présentés, c’est-à-dire que, d’un côté ils sont le medium universel d’un grand nombre de matières existantes, et d’autre part un Un réfléchi en lui-même au sein duquel leur autonomie est anéantie. Le premier est la dissolution de l’autonomie de la chose, ou encore, la passivité qu’est un être pour autre chose ; tandis que le second est l’être pour soi. Il faut voir maintenant comment ces moments se présentent dans l’universalité inconditionnée qui est leur essence. Il est évident, pour commencer, que par le fait même qu’ils ne sont qu’en celle-ci, ils ne sont absolument plus désarticulés les uns des autres, mais sont essentiellement chez eux-mêmes des côtés qui s’abolissent, et que la seule chose qui soit posée, c’est le passage des uns dans les autres.

L’un des moments apparaît donc comme l’essence passée sur le côté, comme medium universel, ou encore comme la pérexistence de matières autonomes. Cependant, l’autonomie de ces matières n’est rien d’autre que ce medium ; ou encore, cet universel est de bout en bout la pluralité de ces différents universels. L’universel est chez lui-même en unité indissociée avec cette pluralité, mais ceci veut dire : ces matières sont chacune là où est l’autre, elles s’interpénètrent mutuellement, mais sans se toucher, parce qu’à l’inverse le multiple différencié est tout aussi autonome. Est posée par là en même temps leur pure porosité1, | 63 | ou encore, leur statut de chose abolie. Cette abolescence à son tour, ou encore, la réduction de cette diversité au pur être pour soi, n’est pas autre chose que le medium lui-même, et celui-ci est l’autonomie des différences. Ou encore, celles qui sont posées dans leur autonomie passent immédiatement dans leur unité, et cette unité passe immédiatement dans le déploiement, lequel repasse de nouveau dans la réduction. Or, ce mouvement est ce qu’on appelle la force ; l’un des moments de celle-ci, savoir, cette même force comme expansion des matières autonomes dans leur être, est sa manifestation extérieure ; mais en tant qu’elle est leur disparition, elle est la force qui fait retour de sa manifestation et est refoulée en soi, ou encore, la force proprement dite. Cela dit, premièrement, la force refoulée en soi doit se manifester ; et deuxièmement, dans cette manifestation, elle est tout autant une force qui est en soi, qu’elle est, dans cet être en soi-même, manifestation extérieure. — Dès lors que nous conservons ainsi les deux moments dans leur unité immédiate, l’entendement, auquel ressortit le concept de force, est à proprement parler le concept, qui porte les moments différenciés en tant qu’ils sont différenciés ; chez elle-même, en effet, ils ne sont pas censés être différenciés ; et donc la différence n’est que dans la pensée. — Ou encore, ce qu’on a posé ci-dessus n’est encore que le concept de force, et non la réalité de celle-ci. Mais la force est, en fait, l’inconditionnément universel qui est tout aussi bien chez lui-même ce qu’il est pour autre chose ; ou encore, qui a la différence chez lui-même | 64 | — laquelle, en effet, n’est rien d’autre que cet être pour autre chose. Pour que la force, donc, soit dans sa vérité, il faut qu’on la laisse complètement libre de la pensée et qu’elle soit posée comme la substance de ces différences, ce qui signifie premièrement la poser, elle, comme demeurant essentiellement en soi et pour soi cette force tout entière, et ensuite, poser ses différences, comme substantielles, ou comme des moments pérexistants pour soi. La force en tant que telle, ou en tant qu’elle est refoulée en elle-même, est ainsi pour soi en tant qu’Un exclusif, pour qui le déploiement des matières est une autre essence pérexistante, en sorte que ce sont ainsi deux côtés autonomes différents qui sont posés. Mais la force est aussi le tout, ou encore, elle demeure ce qu’elle est selon son concept, c’est-à-dire que ces différences demeurent de pures formes, des moments évanescents superficiels. En même temps, il n’y aurait pas de différences de la force proprement dite refoulée en soi et du déploiement des matières autonomes, si elles n’avaient pas de pérexistence, ou encore, la force ne serait pas du tout, si elle n’existait pas de cette manière antagonique ; mais dire qu’elle existe de cette manière antagonique n’est pas autre chose que dire que les deux moments sont eux-mêmes, en même temps, autonomes. C’est donc ce mouvement par lequel les deux moments s’autonomisent en permanence et s’abolissent de nouveau que nous devons examiner maintenant. — Il est clair, d’une manière générale, que ce mouvement n’est rien d’autre que le mouvement du percevoir, au sein duquel, d’une part, les deux côtés, à la fois ce qui perçoit, et ce qui est perçu, | 65 | sont, d’un côté, en tant qu’appréhension du vrai, unis et non distincts, mais où, en même temps, et tout aussi bien, chaque côté est réfléchi en soi, ou encore, est pour soi. Ces deux côtés sont ici des moments de la force ; ils sont tout autant dans une unité que cette unité, à son tour, qui apparaît face aux extrêmes pour soi comme le milieu, se décompose toujours précisément en ces extrêmes, lesquels ne sont qu’à partir de et par ce fait même. — Le mouvement qui se présentait antérieurement comme l’autoanéantissement de concepts contradictoires a donc ici la forme objectale, et est mouvement de la force, mouvement dont résulte et procède l’inconditionnément universel comme n’étant pas objectal, ou encore comme intérieur des choses.

La force, telle qu’elle a été déterminée en étant représentée comme telle ou comme réfléchie en soi, est l’un des côtés de son concept ; mais en tant que l’un des extrêmes substantiés, savoir, celui qui est placé sous la déterminité de l’Un. Par là même est exclue d’elle la pérexistence des matières déployées : celle-ci est autre chose qu’elle. Dès lors qu’il est nécessaire qu’elle soit elle-même cette pérexistence, ou qu’elle se manifeste extérieurement, cette manifestation se présente de telle sorte que cet autre vient s’adjoindre à elle, et la sollicite. Mais en fait, dès lors que nécessairement elle se manifeste, elle a chez elle cela même qui était posé comme une autre essence. Et il faut reprendre ce que nous avons dit sur le fait qu’on l’avait posée comme un Un, et qu’on avait posé son essence, qui est de se manifester, comme quelque chose d’autre qui venait s’adjoindre à elle de l’extérieur ; elle est au contraire elle-même ce medium | 66 | universel de la pérexistence des moments en tant que matières ; ou encore, c’est elle qui s’est manifestée, et ce qui était censé être l’autre qui la sollicitait, c’est au contraire elle qui l’est. Elle existe donc maintenant comme le medium des matières déployées. Mais elle a tout aussi essentiellement la forme de chose abolie qui est celle des matières pérexistantes, ou encore, elle est essentiellement Une ; cet être-un, par là même, maintenant qu’elle est posée comme le medium de matières, est un autre qu’elle, et elle a ainsi hors d’elle cette essence qui est la sienne. Mais dès lors qu’elle doit nécessairement être cela même en tant que quoi elle n’est pas encore posée, cet autre vient s’adjoindre et la sollicite à la réflexion en soi-même, ou encore, abolit sa manifestation extérieure. Mais, en fait, elle est elle-même cet être-réfléchi en soi, ou cette abolescence de la manifestation ; l’être-un disparaît comme il était apparu, savoir, en tant qu’autre ; elle l’est elle-même, elle est force refoulée en soi-même.

Ce qui entre en scène en tant qu’autre, et qui la sollicite aussi bien de s’exprimer que de rentrer en soi-même, est soi-même, ainsi qu’il appert immédiatement, force ; car l’autre, en effet, se montre aussi bien comme medium universel, que comme Un ; et de telle manière que chacune de ces figures n’entre en scène en même temps que comme moment évanescent. Si bien que, par le fait qu’un autre est pour elle et qu’elle est pour un autre, la force ne se trouve pas encore sortie de son concept. Mais il y a en même temps deux forces ; le concept des deux est certes le même, mais il est sorti de son unité pour passer à la dualité. Au lieu de rester | 67 | de manière tout à fait essentielle un simple moment, l’opposition semble par le dédoublement en forces entièrement autonomes s’être soustraite à la domination de l’unité. Il faut regarder de plus près ce qu’il en est de cette autonomie. Dans un premier temps, la deuxième force, en tant que ce qui sollicite, et ce, comme medium universel, par son contenu, entre en scène face à celle qui est déterminée comme sollicitée ; mais dès lors que la première est essentiellement alternance de ces deux moments et est elle-même une force, elle n’est en fait pareillement medium universel qu’à partir du moment et dans la mesure où elle y est sollicitée, et, de la même manière, elle n’est aussi unité négative, ou sollicitant au retour de la force, que parce qu’elle est sollicitée. Et ainsi aussi, cette différence qui existait entre les deux moments, et selon laquelle l’un était censé être celui qui sollicitait, et l’autre celui qui était sollicité, se transforme en ce même échange réciproque des déterminités.

Le jeu des deux forces consiste donc en cet état de détermination opposé de l’une et de l’autre, en leur être l’une pour l’autre dans cette détermination, et dans l’interversion immédiate et absolue des déterminations : en un passage qui seul permet d’être à ces déterminations, dans lesquelles les forces paraissent entrer en scène de manière autonome. Le moment sollicitant, par exemple, est posé comme medium universel, le sollicité l’étant à l’inverse comme force refoulée ; | 68 | mais le premier n’est lui-même medium universel que par le fait que l’autre est force refoulée ; ou encore, cette dernière est au contraire le moment sollicitant pour l’autre, et c’est elle, et d’abord elle, qui fait de lui le medium. Le premier n’a sa déterminité que par l’autre, et n’est sollicitant que dans la mesure où il est sollicité de l’être par l’autre ; et il perd tout aussi immédiatement cette déterminité qui lui est donnée ; car celle-ci passe à l’autre moment ou, plus exactement, est déjà passée à celui-ci ; le moment étranger qui sollicite la force apparaît comme medium universel, mais uniquement par le fait qu’il y a été sollicité par elle ; mais ceci revient à dire que c’est elle qui le pose ainsi et qu’elle est au contraire elle-même essentiellement medium universel ; elle pose le moment sollicitant ainsi pour la raison que cette autre détermination lui est essentielle, c’est-à-dire parce qu’elle est, bien plutôt, elle-même celle-ci.

Pour compléter la compréhension intime du concept de ce mouvement, on peut encore attirer l’attention sur le fait que les différences se montrent elles-mêmes dans une différenciation redoublée, savoir, d’abord en tant que différences de contenu, en ce que l’un des extrêmes est force réfléchie en soi, tandis que l’autre est medium des matières ; et, deuxièmement, en tant que différences de forme, dès lors que l’un est sollicitant, l’autre sollicité, le premier actif, le second passif. Selon la différence de contenu, ils sont tout simplement, ou sont différents pour nous ; mais selon la différence de forme, ils sont autonomes, ou sont, au sein même de leur relation, en cours de séparation l’un de l’autre et opposés. Et qu’ainsi les extrêmes | 69 | ne soient, selon ces deux côtés, rien en soi, et qu’au contraire ces côtés, en lesquels était censée consister leur essence distincte, ne soient que des moments évanescents, passage immédiat de chaque côté dans le côté opposé, cela devient et advient pour la conscience dans la perception du mouvement de la force. Mais pour nous, comme nous l’avons rappelé ci-dessus, il y avait encore ceci qu’en soi les différences, en tant que différences de contenu et de forme, disparaissaient, et que du côté de la forme, selon l’essence, l’actif, le sollicitant, ou encore, ce qui est pour soi était la même chose que ce qui, du côté du contenu, se présentait comme force refoulée ; que le passif, le sollicité, ou encore ce qui était pour un autre, était, du côté de la forme, la même chose que ce qui, du côté du contenu, se présentait comme medium universel des multiples matières.

Il résulte de cela, à la fois que le concept de force devient effectif par le doublement en deux forces, et la façon même dont il le devient. Ces deux forces existent comme essences qui sont pour soi ; mais leur existence est un tel mouvement de l’une face à l’autre, que leur être est bien plutôt un pur être posé par autre chose, c’est-à-dire que leur être a bien plutôt la pure signification de la disparition. Elles ne sont pas comme des extrêmes qui conserveraient pour soi quelque chose de solide et se contenteraient de s’envoyer l’un à l’autre une propriété extérieure vers leur point médian et à l’endroit de leur contact ; mais ce qu’elles sont, elles ne le sont qu’en ce milieu et ce contact. S’y trouve immédiatement aussi bien l’être refoulé en soi, ou l’être pour soi de la force, | 70 | que sa manifestation extérieure, l’acte de la sollicitation aussi bien que le fait d’être sollicité ; et, par là même, ces moments ne sont pas répartis sur deux extrêmes autonomes qui ne se présenteraient qu’une pointe opposée, mais leur essence consiste tout bonnement à être chacun uniquement par l’autre, consiste en ceci que, ce que chacune est ainsi par l’autre, tout en l’étant, et immédiatement, elle ne l’est plus. Elles n’ont donc en fait aucunes substances propres qu’elles porteraient et conserveraient. Le concept de force se conserve, au contraire, en tant qu’essence dans son effectivité elle-même ; la force en tant que force effective n’est tout simplement que dans la manifestation extérieure, laquelle en même temps n’est rien d’autre qu’une auto-abolition de soi-même. Cette force effective, quand elle est représentée comme libre de sa manifestation extérieure et comme étant pour soi, est la force refoulée en soi, mais cette déterminité, comme il est apparu, n’est elle-même en fait qu’un moment de la manifestation. La vérité de la force demeure donc seulement la notion de celle-ci ; et les moments de son effectivité, ses substances et son mouvement s’effondrent sans plus se contenir en une unité indifférenciée qui n’est pas la force refoulée en elle-même, car celle-ci n’est elle-même que l’un de ces moments : cette unité est au contraire son concept, en tant que concept. La réalisation de la force est donc en même temps perte de la réalité ; la force y est devenue au contraire quelque chose de tout à fait autre, savoir, cette universalité que l’entendement connaît d’abord, ou connaît immédiatement, comme son essence et qui s’avère aussi comme son essence en la réalité censée être la sienne chez les substances effectives. | 71 |

Dans la mesure où nous considérons le premier universel comme le concept de l’entendement, où la force n’est pas encore pour soi, le second universel maintenant sera son essence, telle qu’elle s’expose en soi et pour soi. Ou, à l’inverse, si nous considérons le premier universel comme l’universel immédiat qui devrait être un objet effectif pour la conscience, ce deuxième universel est alors déterminé comme le négatif de la force sensible-objectale ; il s’agit de celle-ci telle qu’elle est en son essence vraie uniquement comme objet de l’entendement ; ce premier universel serait la force refoulée en elle-même, ou encore la force en tant que substance ; tandis que le second est l’intérieur des choses en tant qu’intérieur, qui est la même chose que le concept en tant que concept.

Cette essence véritable des choses s’est maintenant déterminée de telle manière qu’elle n’est pas immédiatement pour la conscience, mais que celle-ci au contraire a un rapport médiat à l’intérieur, et regarde en tant qu’entendement par ce milieu du jeu des forces dans l’arrière-fond véritable des choses. Le milieu qui appareille les deux extrêmes, l’entendement et l’intérieur, est l’être développé de la force, lequel est désormais pour l’entendement lui-même un disparaître. C’est pourquoi on l’appelle apparition ou phénomène ; nous appelons en effet apparence l’être qui est immédiatement en lui-même un non-être. Mais ce n’est pas seulement une apparence, c’est aussi une apparition, un tout de l’apparence. C’est ce tout en tant que tout, cet universel, qui | 72 | constitue l’intérieur, le jeu des forces, comme réflexion de celui-ci en lui-même. En lui les essences de la perception sont posées de manière objective pour la conscience telles qu’elles sont en soi, savoir, comme des moments qui se transforment immédiatement, sans repos ni être, en leur contraire, l’Un se transformant immédiatement en l’universel, et l’essentiel immédiatement en l’inessentiel, et inversement. C’est pourquoi ce jeu des forces est le négatif développé, mais sa vérité est le positif, savoir, l’universel, l’objet qui est en soi. — L’être de cet objet pour la conscience est intermédié par le mouvement de l’apparition phénoménale, dans lequel l’être de la perception et le sensible-objectal tout court n’ont qu’une signification négative, et où donc, de ce fait, la conscience se réfléchit en elle-même comme dans le vrai, mais où, en tant que conscience, elle fait de nouveau de ce vrai un intérieur objectal, et distingue cette réflexion des choses de sa réflexion en elle-même ; de même que pour elle le mouvement intermédiant est encore tout autant un mouvement objectal. C’est pourquoi cet intérieur est pour elle un extrême qui lui fait face ; mais il est pour elle le vrai parce que en lui, en tant que l’en soi, elle a en même temps la certitude de soi, ou le moment de son être pour soi ; toutefois, de cette raison elle n’est pas encore consciente, car l’être pour soi que l’intérieur devrait avoir chez lui-même ne serait alors rien d’autre que le mouvement négatif, alors que celui-ci est encore pour la conscience le phénomène objectal73 | évanescent, n’est pas encore son propre être pour soi à elle ; c’est pourquoi l’intérieur est bien pour elle concept, mais elle ne connaît pas encore la nature du concept.

C’est seulement dans ce Vrai intérieur, en tant que l’absolument universel nettoyé de l’opposition de l’universel et du singulier, et devenu pour l’entendement, que s’ouvre alors comme monde vrai, par-dessus le monde sensible en tant que monde qui apparaît, un monde suprasensible ; que s’ouvre désormais par-dessus l’ici-bas évanescent l’au-delà durable ; un en soi qui est la première apparition, et pour cela elle-même imparfaite encore, de la raison, ou qui n’est que le pur élément dans lequel la vérité a son essence.

En sorte que désormais notre objet est le syllogisme qui a pour extrêmes l’intérieur des choses et l’entendement, et pour moyen terme le phénomène ; mais c’est le mouvement de ce syllogisme qui fournit la détermination ultérieure de ce que l’entendement aperçoit dans l’intérieur à travers l’élément médian, et l’expérience qu’il fait sur ce rapport de co-inclusion.

L’intérieur est encore un pur au-delà pour la conscience, car elle ne se trouve pas elle-même encore en lui ; il est vide, car il n’est que le rien du phénomène, et parce que, positivement, il est l’universel simple. Cette façon d’être de l’intérieur conforte immédiatement ceux qui disent que l’on ne peut pas connaître l’intérieur des choses ; mais qu’il faudrait en concevoir autrement le fondement. Certes, il n’y a pas de connaissance de cet intérieur, | 74 | tel qu’il est ici immédiatement, mais ce n’est pas à cause d’un excès de myopie, ou de limites, de la raison, ou de tout ce qu’on peut encore dire, et au sujet de quoi rien ne nous est encore connu, car nous n’avons pas encore progressé si profondément que cela ; c’est, au contraire, en raison de la nature simple de la chose elle-même, étant donné en effet que dans le vide rien n’est connu, ou, si l’on veut dire les choses par l’autre bout, parce qu’il est précisément déterminé comme l’au-delà de la conscience. — Le résultat, assurément, sera le même, qu’on mette un aveugle dans la richesse du monde suprasensible — pour autant que ce monde ait une richesse et qu’elle soit alors le contenu propre de celui-ci, ou que la conscience elle-même soit ce contenu — ou qu’on mette un voyant dans les pures ténèbres, ou si l’on veut, dans la pure lumière, pour autant que ce monde suprasensible ne soit que cette lumière ; le voyant voit aussi peu dans sa pure lumière que dans ses pures ténèbres, et exactement autant que l’aveugle dans l’abondance de richesses qu’il aurait face à lui. S’il n’y avait rien d’autre à tirer de l’intérieur et de la co-inclusion avec lui par l’intermédiaire du phénomène, il ne resterait plus qu’à s’en tenir à ce qui apparaît, au phénomène, c’est-à-dire à percevoir, à prendre pour vraie une chose dont nous savons qu’elle n’est pas vraie ; ou encore, pour que dans ce vide, qui est d’abord advenu comme vacuité de choses objectives, mais qui doit être pris aussi, en tant que vacuité en soi, pour la vidité de tous les rapports spirituels et des différences de la conscience | 75 | en tant que conscience — pour que, donc, dans ce vide intégral qu’on appelle aussi le sacré, il y ait quand même quelque chose, il ne resterait plus qu’à le remplir avec des rêveries, c’est-à-dire avec des phénomènes, des apparitions que la conscience se produit à elle-même ; il faudrait qu’il se satisfasse qu’on le traite si mal, car il ne mériterait pas d’être mieux traité que cela, dans la mesure où des rêveries elles-mêmes sont encore mieux pour lui que sa vacuité.

Mais l’intérieur, ou l’au-delà suprasensible, est , il vient du phénomène, et celui-ci est sa médiation ; ou encore, l’apparition phénoménale est son essence, et ce qui, en réalité, le remplit et accomplit. Le suprasensible est le sensible perçu, posé tel qu’il est en vérité ; or la vérité du sensible et perçu est d’être phénomène. Le suprasensible est donc le phénomène en tant que phénomène. – Mais si l’on pense, en l’occurrence, que le suprasensible est donc le monde sensible, ou encore le monde comme il est pour la certitude et la perception sensibles immédiates, on comprend les choses à l’envers ; car le phénomène, bien au contraire, n’est pas le monde du savoir et du percevoir sensible en tant qu’il est, mais ce même monde en tant qu’il a été aboli, ou posé en vérité comme monde intérieur. On a coutume de dire que le suprasensible n’est pas le phénomène ; mais ce disant, on n’entend pas, sous phénomène, l’apparition phénoménale, mais au contraire le monde sensible, comme étant lui-même effectivité réelle. | 76 |

L’entendement, qui est notre objet, se trouve précisément à l’endroit où, pour lui, l’intérieur n’est d’abord advenu que comme l’en soi universel, non encore rempli ; le jeu des forces n’a précisément que cette seule signification négative de ne pas être en soi, et cette seule signification positive d’être l’intermédiant, mais hors de l’entendement. Mais sa relation à l’intérieur par la médiation est son mouvement, mouvement par lequel l’intérieur va se remplir pour lui. — Ce qui est immédiat pour lui, c’est le jeu des forces ; mais ce qui est vrai pour lui, c’est l’intérieur simple ; c’est pourquoi le mouvement de la force n’est, lui aussi, tout autant le vrai que comme simple en général. Or nous avons vu, à propos de ce jeu des forces, qu’il est fait de telle manière que la force sollicitée par une autre force est tout aussi bien l’élément sollicitant pour cette autre force, laquelle ne devient qu’alors et de ce fait une force sollicitante. Il est donc ici, tout aussi bien, uniquement le changement immédiat, ou l’échange absolu de la déterminité qui constitue l’unique contenu de ce qui intervient ; savoir, d’être, soit, medium universel, soit, unité négative. Il cesse immédiatement, dans son intervention déterminée elle-même, d’être ce en tant que quoi il intervient ; sollicite par son intervention déterminée l’autre côté, lequel par là même se manifeste ; c’est-à-dire que ce côté est maintenant immédiatement ce que l’autre était censé être. Ces deux côtés, le rapport de sollicitation, et le rapport de contenu déterminé opposé, sont chacun pour soi l’inversion et la confusion | 77 | absolue. Mais ces deux rapports sont eux-mêmes à leur tour une seule et même chose, et la différence de forme, savoir, celle qu’il y a à être le sollicité et à être le sollicitant, est la même chose que ce qu’est la différence de contenu, le sollicité étant en tant que tel le medium passif ; tandis que le sollicitant est le medium actif, l’unité négative, ou encore l’Un. Par là même disparaît toute différence de forces particulières, qui seraient censées être présentes dans ce mouvement, et opposées les unes aux autres en général ; car ces forces reposaient uniquement sur ces différences ; et la différence des forces coïncide et aboutit tout aussi bien, en même temps que ces deux différences, en une seule et unique différence. Ce qu’il y a, dans cet échange absolu, ce ne sont donc ni la force, ni le fait de solliciter ou d’être sollicité, ni la déterminité de medium pérexistant et d’unité réfléchie en soi, ni le fait d’être individuellement pour soi quelque chose, ni diverses oppositions ; mais simplement la différence en tant que différence universelle, ou que différence en laquelle s’est réduite la pluralité des oppositions. C’est pourquoi cette différence, en tant qu’universelle, est ce que le jeu de la force comporte lui-même de simple, et le vrai de ce jeu ; elle est la loi de la force.

C’est cette différence simple que le phénomène absolument changeant devient par sa relation à la simplicité de l’intérieur ou de l’entendement. L’intérieur n’est d’abord que l’universel en soi ; mais cet universel simple en soi est essentiellement, de manière tout aussi absolue, la différence universelle ; car il est | 78 | le résultat du changement lui-même, ou encore, le changement est son essence ; mais le changement en tant qu’il est posé dans l’intérieur, tel qu’il est en vérité, et donc accueilli en lui comme différence tout aussi absolument universelle, apaisée, et demeurant identique à soi. Ou encore, la négation est un moment essentiel de l’universel, et elle est, ou encore, donc, la médiation en général est différence universelle. Laquelle est exprimée dans la loi, en tant qu’image constante de l’instable phénomène. En sorte que le monde suprasensible est un tranquille royaume de lois, qui certes sont situées au-delà du monde qu’on perçoit, car celui-ci ne présente la loi que par un changement constant, mais qui sont tout aussi présentes en lui et sont son immédiate et paisible copie.

Ce royaume des lois est certes la vérité de l’entendement, laquelle a son contenu en la différence qui est dans la loi ; mais il n’est en même temps que sa première vérité, et il ne remplit pas tout le phénomène. La loi est présente en celui-ci, mais elle n’est pas son présent tout entier ; elle a, dans des circonstances toujours différentes, une effectivité toujours différente. Ce qui fait qu’il reste toujours au phénomène pour soi un côté qui n’est pas dans l’intérieur ; ou encore, il n’est pas encore posé en vérité comme phénomène, comme être pour soi aboli. Ce défaut de la loi doit tout autant se mettre en évidence chez la loi elle-même. Ce qui semble lui faire défaut, c’est qu’elle a certes en elle la différence, mais comme différence universelle, indéterminée. | 79 | Toutefois, dans la mesure où elle n’est pas la loi en général, mais une loi, c’est chez cette différence qu’elle a sa déterminité ; d’où une pluralité indéterminée de lois. Simplement, cette pluralité est elle-même bien plutôt un manque ; elle contredit en effet le principe de l’entendement, pour qui, en tant que conscience de l’intérieur simple, c’est l’unité universelle en soi qui est le vrai. C’est pourquoi l’entendement doit bien plutôt faire coïncider la multiplicité des lois en une loi unique. De la même façon que, par exemple, la loi selon laquelle la pierre chute, et celle selon laquelle les sphères célestes se meuvent, ont été conçues comme loi unique. Mais en coïncidant ainsi les unes dans les autres, les lois perdent leur déterminité ; la loi est de plus en plus superficielle, si bien que ce qu’on trouve en fait n’est pas l’unité de ces lois déterminées, mais une loi qui se débarrasse de leur déterminité ; de la même façon que la loi unique qui réunit en elle la loi de la chute des corps sur la terre et celle du mouvement céleste, n’exprime pas, en réalité, ces deux lois. La réunion de toutes les lois dans l’attraction universelle n’exprime pas d’autre contenu que précisément le simple concept de la loi elle-même, qui est posé là comme étant. L’attraction universelle dit simplement ceci que tout a une différence constante par rapport à autre chose. L’entendement estime en l’occurrence avoir découvert une loi universelle qui exprimerait l’effectivité universelle en tant que telle ; mais il n’a trouvé en réalité que le concept de la loi80 | elle-même ; toutefois, il le fait de telle manière qu’il énonce en même temps par là que toute effectivité est en elle-même conforme à une loi. C’est pourquoi l’expression d’attraction universelle a une grande importance en ce qu’elle est dirigée contre la représentation sans pensée, pour qui tout se présente sous la figure de la contingence, et pour qui la déterminité a la forme de l’autonomie sensible.

Fait donc face aux lois déterminées l’attraction universelle, ou encore, le pur concept de la loi. Dès lors que ce pur concept est considéré comme l’essence, ou comme l’intérieur véritable, la déterminité de la loi déterminée appartient elle-même encore au phénomène, ou plus exactement à l’être sensible. Simplement, le pur concept de la loi ne va pas seulement au-delà de la loi qui, elle-même loi déterminée, fait face à d’autres lois déterminées, mais il va également au-delà de la loi en tant que telle. La déterminité dont il était question n’est à vrai dire elle-même qu’un moment évanescent, qui ne peut plus survenir ici comme essentialité ; il n’y a en effet que la loi qui soit présente comme le vrai ; mais le concept de la loi est tourné contre la loi elle-même. Car en la loi la différence elle-même est immédiatement appréhendée et enregistrée dans l’universel, mais en même temps qu’une pérexistence des moments dont elle exprime la relation comme essentialités indifférentes et en soi. Mais ces parties | 81 | de la différence chez la loi sont en même temps elles-mêmes des côtés déterminés ; le pur concept de la loi, en tant qu’attraction universelle, doit être appréhendé dans sa vraie signification de telle sorte qu’en lui, en tant qu’absolument simple, les différences présentes chez la loi en tant que telle, reviennent elles-mêmes dans l’intérieur en tant qu’unité simple ; celle-ci est la nécessité interne de la loi.

La loi, par là même, se trouve présente d’une manière double, d’abord en tant que loi où les différences sont exprimées comme des moments autonomes ; et ensuite sous la forme du simple retour effectué en soi, forme qui peut à son tour être appelée force, mais sous une espèce où elle n’est pas la force refoulée, mais la force tout court, ou comme concept de la force, abstraction qui tire elle-même en soi les différences de ce qui attire et de ce qui est attiré. C’est ainsi, par exemple, que l’électricité simple est la force ; en revanche l’expression de la différence échoit à la loi ; cette différence c’est : électricité positive et électricité négative. Dans le mouvement de la chute, la force, c’est le simple, la pesanteur, laquelle a pour loi que les grandeurs des moments distincts du mouvement, savoir, du temps écoulé et de l’espace parcouru, soient dans un rapport de racine à carré. L’électricité proprement dite n’est pas la différence en soi, ou encore, elle n’est pas dans son essence l’essence hybride de l’électricité positive et de l’électricité | 82 | négative ; c’est pourquoi on a coutume de dire qu’elle a pour loi d’être de telle manière, voire qu’elle aurait la propriété caractéristique de se manifester ainsi. Cette propriété est certes une propriété essentielle et unique de cette force, ou encore, elle lui est nécessaire. Mais nécessité ici est un mot creux ; la force doit précisément, parce qu’elle le doit, se redoubler de la sorte. Si l’on pose bien, de fait, une électricité positive, une électricité négative est aussi nécessaire en soi ; parce que le positif n’existe que comme relation à un négatif, ou encore, parce que le positif est chez lui-même la différence de soi-même, tout de même que le négatif. Mais il n’est pas en soi nécessaire que l’électricité en tant que telle se partage ainsi ; en tant que force simple, elle est indifférente à l’égard de sa loi, qui est d’être comme électricité positive et comme électricité négative ; et si nous appelons la première son concept, mais la seconde son être, son concept est indifférent à l’égard de son être ; elle ne fait qu’avoir cette propriété-ci ; c’est-à-dire précisément que cela ne lui est pas en soi nécessaire. — Cette indifférence prend une autre figure lorsqu’on dit qu’il ressort de la définition de l’électricité d’être comme positive et négative, ou que ceci est tout simplement son concept et son essence. Son être serait dès lors son existence tout court ; or, dans la première définition, on ne trouve pas la nécessité de son existence ; ou bien elle est parce qu’on la trouve, c’est-à-dire qu’elle n’est pas du tout nécessaire ; ou alors son existence est par l’effet d’autres forces, c’est-à-dire que sa nécessité est une nécessité extérieure. Mais le fait que | 83 | la nécessité soit posée dans la déterminité de l’être par autre chose nous fait retomber dans la pluralité des lois déterminées, que nous venions précisément de quitter pour considérer la loi en tant que loi ; c’est seulement à celle-ci qu’il faut comparer son concept en tant que concept, ou sa nécessité, laquelle cependant ne s’est encore montrée dans toutes ces formes que comme un mot vide.

L’indifférence de la loi et de la force, ou du concept et de l’être, est présente encore sous une autre manière que celle que nous avons indiquée. Dans la loi du mouvement, par exemple, il est nécessaire que le mouvement se divise en espace et temps, ou alors, en distance et vitesse. Dès lors que le mouvement n’est que le rapport de ces moments, il est bien ici, lui l’Universel, divisé en lui-même ; or ces parties, temps et espace, ou encore distance et vitesse, n’expriment pas chez elles-mêmes cette origine à partir d’une entité unique ; elles sont indifférentes l’une à l’autre, l’espace est représenté sans le temps, le temps sans l’espace, et la distance, à tout le moins, sans qu’elle puisse être la vitesse — de la même façon que leurs grandeurs sont indifférentes les unes aux autres ; en ceci qu’elles ne se rapportent pas les unes aux autres comme du positif et du négatif, ne se réfèrent pas les unes aux autres par leur essence. En sorte que, si la nécessité de la partition est bien donnée, celle des parties en tant que telles les unes pour les autres ne l’est pas. Or c’est précisément pourquoi cette première nécessité n’est elle-même qu’une fausse nécessité, une nécessité simulée | 84 | ; le mouvement, en effet, n’est pas représenté lui-même comme quelque chose de simple, ou comme essence pure ; mais déjà comme étant divisé ; le temps et l’espace sont ses parties autonomes, ou des essences en elles-mêmes, ou encore, la distance et la vitesse sont des modalités, de l’être ou de la représentation, dont chacune peut très bien être sans l’autre, le mouvement n’étant plus que leur relation superficielle et non leur essence. Certes, représenté comme essence simple, ou comme force, il est bien la pesanteur, mais celle-ci ne contient pas du tout ces différences en elle.

Dans les deux cas, la différence n’est donc pas une différence en soi-même ; ou bien l’universel, la force, est indifférente à l’égard de la division qui est dans la loi, ou bien les différences, les parties de la loi, le sont les unes à l’égard des autres. Or l’entendement a à même soi le concept de cette différence, précisément en ce que la loi est, d’un côté, l’intérieur, ce qui est en soi, mais est en même temps à même cet intérieur, le différencié ; le fait, donc, que cette différence soit différence intérieure est donné en ceci que la loi est force simple, ou est comme concept de la différence, et donc est une différence du concept. Mais cette différence interne n’échoit encore pour l’instant qu’à l’entendement ; et elle n’est pas encore posée à même la chose même. Ce que l’entendement énonce, c’est donc simplement sa nécessité propre ; savoir, une différence qu’il ne fait donc qu’en exprimant dans le même temps ceci que la différence n’est pas une différence de la chose même. Cette nécessité | 85 | qui réside uniquement dans le mot, est par conséquent le récit qu’on débite des moments qui en constituent le cercle ; certes, on différencie ces moments, mais en même temps on exprime leur différence comme n’étant pas différence de la chose même, ce qui revient à l’abolir de nouveau tout aussitôt ; c’est ce mouvement qu’on appelle expliquer. Ainsi donc, on énonce une loi, et de cette loi on distingue son universel en soi, ou le fondement, comme étant la force ; mais de cette différence on dit qu’elle n’en est pas une, et qu’au contraire le fondement est exactement fait comme la loi. L’événement singulier que constitue l’éclair par exemple est appréhendé comme universel, et cet universel est énoncé comme la loi de l’électricité : après quoi l’explication ramasse et résume la loi dans la force, en tant qu’essence de la loi. Cette force est alors ainsi faite que, lorsqu’elle s’exprime, il surgit des électricités opposées, qui redisparaissent l’une dans l’autre, c’est-à-dire que la force est exactement faite comme la loi ; on dit que l’une et l’autre ne diffèrent absolument pas. Les différences sont d’une part la pure manifestation universelle, la loi, et d’autre part la force pure ; mais l’une et l’autre ont le même contenu, sont faites de la même façon ; en sorte qu’on revient aussi sur la différence comme différence du contenu, c’est-à-dire de la chose en question.

Dans ce mouvement tautologique, l’entendement, comme on le constate, reste figé dans la tranquille unité de son objet, et le mouvement échoit non dans l’objet, | 86 | mais uniquement dans l’entendement : il est une explication qui non seulement n’explique rien du tout, mais qui même est si claire que, dès lors qu’elle se dispose à dire quelque chose de différent de ce qui a déjà été dit, elle ne dit au contraire rien, mais se contente de répéter creusement la même chose. Ce mouvement ne fait rien naître de nouveau chez la chose même, mais n’entre en ligne de compte que comme mouvement de l’entendement. C’est simplement lui qui, en tant que mouvement de l’entendement, est pris en considération. Or ce que nous reconnaissons en lui, précisément, c’est ce dont on déplorait l’absence dans la loi, savoir, l’alternance absolue elle-même, étant donné que ce mouvement, si nous l’examinons de plus près, est immédiatement le contraire de lui-même. Il présuppose en effet une différence, qui non seulement pour nous n’est pas une différence, mais qu’il abolit lui-même en tant que différence. On a ici la même alternance que celle qui s’était présentée comme jeu des forces ; il y avait en elle la différence du sollicitant et du sollicité, de la force qui se manifeste extérieurement, et de la force refoulée en elle-même ; mais c’étaient des différences qui, en vérité, n’en étaient pas, et qui donc se réabolissaient tout aussi bien immédiatement. On n’est donc pas seulement en présence de la pure et simple unité, où aucune différence ne serait posée, mais de ce MOUVEMENTcertes une différence est faite, mais où, parce qu’elle n’en est pas une, elle est réabolie. – Avec l’explication, toute la mouvance et le changement qui antérieurement n’étaient, hors de l’intérieur, qu’au niveau phénoménal, ont donc pénétré dans le suprasensible lui-même ; mais notre conscience est passée de l’intérieur, en tant qu’objet, sur l’autre côté, | 87 | dans l’entendement, et c’est en lui qu’elle a le changement.

Ce changement n’est ainsi pas encore un changement de la chose elle-même, et se présente même au contraire précisément comme changement pur, par le fait que le contenu des moments du changement reste le même. Mais dès lors que le concept comme concept de l’entendement n’est rien d’autre que ce qu’est l’intérieur des choses, cette alternance devient pour lui comme loi de l’intérieur. Il apprend donc par l’expérience que c’est une loi du phénomène lui-même qu’adviennent des différences qui ne sont pas des différences, ou que ce qui est de même nom se repousse de soi-même ; et, pareillement, que les différences ne sont que des différences qui en vérité n’en sont pas et qui s’abolissent ; ou encore que ce qui n’est pas de même nom s’attire. — Seconde loi, dont le contenu est opposé à ce qui antérieurement avait été nommé loi, savoir, à la différence qui perdure dans l’identité constante à soi-même ; cette nouvelle loi exprime en effet au contraire le devenir non identique de l’identique, et inversement, le devenir identique du non-identique. Le concept impute à l’absence de pensée qu’elle rassemble les deux lois et qu’elle prenne conscience de leur opposition. — La seconde est certes bien aussi une loi, ou un être intérieur identique à soi-même, mais c’est plutôt une identité à soi de la non-identité, une constance de l’inconstance. — Le jeu des forces a montré cette loi comme étant précisément ce passage absolu, et comme pure alternance ; ce qui est de même nom, la force, se | 88 | décompose en un opposé, qui apparaît d’abord comme une différence autonome, mais qui s’avère en fait n’en être aucune ; car c’est ce qui est de même nom qui se repousse de soi-même, en sorte que ce repoussé, essentiellement, s’attire, puisque aussi bien il s’agit de la même chose ; la différence faite, comme elle n’en est pas une, se réabolit donc. Elle s’expose ce faisant comme différence de la chose même, ou encore comme différence absolue, et cette différence de la chose n’est donc rien d’autre que ce qui est de même nom et s’est repoussé de soi, ne posant donc qu’un opposé qui n’en est pas un.

Par ce principe, le premier univers suprasensible, le paisible royaume des lois, la copie immédiate du monde perçu, se trouve renversé en son contraire ; la loi était de manière générale ce qui, tout comme ses différences, reste identique à soi ; or, ce qui est maintenant posé, c’est que ce sont l’un et l’autre, à l’inverse, qui sont chacun le contraire de soi-même ; l’identique à soi se repousse bien plutôt de soi-même, tandis que le non-identique à soi se pose à l’inverse comme l’identique à soi. Et c’est, de fait, seulement avec cette détermination, dès lors que l’identique est non identique à soi, et le non-identique, identique à soi, que la différence est la différence interne, ou la différence en soi-même. — Ce second monde suprasensible est, de cette manière, le monde à l’envers2 ; et, dès lors que l’un des côtés est déjà présent dans le premier monde suprasensible, il est le monde inversé de ce premier monde. L’intérieur par là même est achevé en tant que phénomène. Le premier monde suprasensible n’était en effet que l’élévation | 89 | immédiate du monde perçu dans l’élément universel ; il avait en lui sa contre-image nécessaire, et celui-ci conservait encore pour soi le principe du changement et de la modification ; le premier règne des lois en était privé, mais il l’obtient en tant que monde à l’envers.

Selon la loi de ce monde inversé, ce qui est de nom identique dans le premier monde est donc le non-identique à soi-même, et pareillement, le non-identique de ce monde est non identique à celui-là même, ou encore, il devient identique à soi. À certains moments déterminés, la chose se produira de telle manière que ce qui, dans la loi du premier monde, est doux ou sucré, se trouvera être aigre dans cet en soi inversé ; ce qui là était noir, est ici blanc. Ce qui dans la loi du premier monde est le pôle Nord selon l’aimant, est pôle Sud dans son autre en soi suprasensible (savoir, dans la terre) ; mais ce qui là est pôle Sud, est ici pôle Nord. De même, ce qui dans la première loi de l’électricité est le pôle de l’oxygène, devient dans son autre essence suprasensible, pôle de l’hydrogène ; et inversement, ce qui là est le pôle de l’hydrogène devient ici le pôle de l’oxygène. Dans une autre sphère, si l’on s’en tient à la loi immédiate, la vengeance sur l’ennemi est la suprême satisfaction de l’individualité offensée. Mais cette loi qui veut que face à celui qui ne me traite pas comme une essence propre, je me montre moi-même comme l’essence, et qu’au contraire je l’abolisse lui en tant qu’essence, s’inverse par le principe de l’autre monde en la loi opposée, la restauration de moi-même comme étant l’essence par l’abolition de l’essence d’autrui s’inverse | 90 | en autodestruction. Or, si cet invertissement, qui est représenté dans la punition du crime, est fait loi, il n’en demeure pas moins, à son tour, la loi de l’un des mondes qui a face à lui un monde suprasensible à l’envers, dans lequel ce qui est méprisé dans ce monde-là, est en honneur, tandis que ce qui y est à l’honneur tombe dans le mépris. La punition qui, selon la loi du premier monde, frappe l’homme d’opprobre et l’élimine, se transforme dans son monde inversé en la grâce qui conserve son essence et qui le comble d’honneur.

D’un point de vue superficiel, ce monde à l’envers est donc le contraire du premier en ce qu’il a celui-ci hors de lui et qu’il repousse de lui-même ce premier monde comme une effectivité inversée, en ce que l’un des mondes est le phénomène, tandis que l’autre est l’en soi, que l’un l’est tel qu’il est pour un autre, tandis que l’autre l’est tel qu’il est pour soi ; en sorte que, pour employer les exemples précédents, ce qui est sucré au goût serait à proprement parler, ou internement, à même la chose, aigre, ou que ce qui est le pôle Nord sur la boussole réelle du phénomène serait pôle Sud en l’être interne ou essentiel ; ce qui se présente comme pôle oxygène dans l’électricité qui apparaît, serait pôle hydrogène en celle qui n’apparaît pas. Ou encore, une action qui au niveau phénoménal de ce qui apparaît est un crime, serait censée pouvoir être à proprement parler bonne au niveau interne (une action mauvaise pourrait avoir une bonne intention), la punition pourrait n’être punition qu’au niveau phénoménal, mais être en soi ou dans | 91 | un autre monde, un bienfait pour le criminel. Simplement, nous n’avons plus ici ce genre d’oppositions de l’interne et de l’externe, du phénoménal et du suprasensible, comme si c’étaient deux sortes d’effectivités. Les différences repoussées ne se répartissent plus une nouvelle fois sur deux genres de substances qui les porteraient et leur conféreraient une pérexistence séparée ; ce qui ferait retomber l’entendement depuis l’intérieur à sa place antérieure. L’un des côtés, ou la substance, serait de nouveau le monde de la perception, dans lequel l’une des deux lois donnerait libre cours à son essence, et on aurait, lui faisant face, un monde intérieur, un monde rigoureusement sensible comme le premier, mais dans la représentation ; il ne pourrait pas être désigné comme monde sensible, ne pourrait être vu, ni entendu, ni goûté, et pourtant il serait représenté, comme un monde sensible de ce genre. Mais en fait, si l’une des choses posées est quelque chose de perçu, et que son en soi, en tant que l’inverse de celui-ci, est tout aussi bien quelque chose qu’on se représente sensiblement, l’aigre est donc ce que serait l’en soi de la chose sucrée, une chose aussi effective qu’elle, une chose aigre ; le noir qui serait l’en soi du blanc est le noir effectif ; le pôle Nord, qui est l’en soi du pôle Sud, est le pôle Nord présent sur la même boussole ; le pôle oxygène, qui est l’en soi du pôle hydrogène, est le pôle oxygène présent de la même pile. Tandis que le crime effectif, lui, a son inversement et son en soi comme une possibilité dans l’intention en tant que | 92 | telle, mais non dans une bonne intention ; car seul l’acte proprement dit est la vérité de l’intention. Mais, pour ce qui est de son contenu, le crime a sa réflexion en soi, ou son inversement, dans la peine effective ; c’est celle-ci qui est la réconciliation de la loi avec l’effectivité qui s’est opposée à elle dans le crime. Enfin, la peine effective possède à tel point chez elle son effectivité inversée, qu’elle est une effectivation de la loi qui fait que l’activité que cette loi déploie en tant que peine s’abolit elle-même, que de loi active elle redevient loi en vigueur et au repos, et que les mouvements de l’individualité contre elle, et d’elle-même contre l’individualité, se sont éteints.

 

Il faut donc éloigner de la représentation de l’invertissement, qui constitue l’essence de l’un des côtés du monde suprasensible, la représentation sensible de la consolidation des différences dans un élément de pérexistence distinct ; et ce concept absolu de la différence, en tant que différence intérieure, repoussement de lui-même de ce qui est de même nom en tant qu’étant de même nom, et qu’identité du non-identique en tant que non-identique, il faut l’exposer et l’appréhender dans sa pureté. Il faut penser le changement pur, ou si l’on veut, l’oppositionen soi-même, la contradiction. Dans la différence, en effet, qui est une différence intérieure, l’opposé n’est pas seulement l’un des termes dans un ensemble de deux – sinon il s’agirait de quelque chose qui est, et non de quelque chose d’opposé — mais il est l’opposé d’un opposé, | 93 | ou encore, l’autre y est immédiatement lui-même présent. Certes, je place bien par ici le contraire, et par là-bas l’autre dont ce contraire est le contraire ; donc, je place le contraire d’un côté, en soi et pour soi, sans l’autre. Mais c’est précisément pour cette raison, en ce que j’ai ici le contraire en soi et pour soi, qu’il est le contraire de lui-même, ou qu’il a de fait immédiatement l’autre chez lui-même. — Ainsi le monde suprasensible, qui est le monde inversé, a en même temps gagné sur l’autre, et l’a chez lui-même ; il est pour soi le monde inversé, c’est-à-dire le monde inverse de soi-même ; il est à la fois lui-même et son contraire au sein d’une seule Unité. C’est ainsi seulement qu’il est la différence en tant que différence intérieure, différence en soi-même, ou encore, qu’il est en tant qu’infinité.

Par l’infinité, nous voyons la loi achevée chez elle-même en une nécessité, et tous les moments du phénomène recueillis dans l’intérieur. Dire que le simple de la loi est l’infinité signifie, d’après les résultats obtenus : α) Elle est un identique à soi-même qui cependant est la différence en soi ; ou encore, elle est quelque chose de même nom qui se repousse de lui-même, ou qui se scinde en deux. Ce qui a été appelé la force simple se redouble soi-même, et est par son infinité la loi. β) Le scindé en deux, qui constitue les parties représentées dans la loi, se présente comme quelque chose qui pérexiste ; et, ces parties considérées sans le concept de la différence intérieure, l’espace et le temps| 94 |, ou encore, la distance et la vitesse, qui entrent en scène comme moments de la pesanteur, sont tout aussi indifférentes et sans nécessité l’une pour l’autre que pour la pesanteur proprement dite, tout de même que cette pesanteur simple l’est à leur égard, ou que l’électricité simple l’est à l’égard du positif et du négatif. γ) Mais le concept de la différence intérieure fait de ce différent et indifférent, de l’espace et du temps, etc., une différence qui n’est pas une différence, ou encore, qui n’est qu’une différence de ce qui a même nom, dont l’essence est unité ; l’un et l’autre terme sont en tant que positif et que négatif animés l’un contre l’autre, et leur être consiste au contraire à se poser comme non-être, et à s’abolir dans l’unité. Les deux choses différenciées subsistent, elles sont en soi, elles sont en soi en tant qu’opposées, c’est-à-dire, en tant qu’elles sont l’opposé d’elles-mêmes, elles ont leur autre en elles-mêmes et ne sont qu’une seule unité.

C’est cette infinité simple, ou le concept absolu, qu’il faut appeler l’essence simple de la vie, l’âme du monde, le sang universel présent en tous lieux, qui n’est interrompu ni troublé par aucune différence, qui est lui-même au contraire toutes les différences, en même temps que leur abolescence, qui bat donc en lui-même, sans se mouvoir, de ses propres pulsations, tressaille en soi-même sans être frappé d’inquiétude. Elle est identique à soi-même, car les différences sont tautologiques, car ce sont des différences qui n’en sont pas. Mais c’est ce qui fait que cette essence identique à soi-même ne se réfère qu’à elle-même ; à elle-même : c’est donc à un autre que s’adresse la relation, et la relation95 | à soi-même est bien plutôt la scission, ou encore, cette identité à soi-même est précisément différence intérieure. Ces termes dédoublés sont ainsi en soi et pour soi-même chacun un contraire : celui d’un autre, en sorte qu’en chacun l’autre se trouve déjà simultanément exprimé ; ou encore, il ne s’agit pas du contraire d’un autre, mais simplement du contraire pur, en sorte qu’il est chez lui-même le contraire de soi ; ou encore, il n’est absolument pas un contraire, mais est purement pour soi, pure essence identique à soi-même qui n’a pas chez elle de différence, et nous n’avons donc pas besoin de nous poser la question — ni à considérer comme philosophie le tourment de pareille question, ni même à la tenir comme ne pouvant trouver pour elle de réponse — la question, donc, de savoir comment, à partir de cette pure essence, comment en sortant de celle-ci, peut provenir la différence ou l’être-autre ; car la scission s’est déjà produite, la différence est exclue de l’identique à soi-même et a été mise à son côté ; ce qui était censé être l’identique à soi est donc déjà, bien plutôt que l’essence absolue, l’un des deux termes de la scission. Dire que l’identique à soi se scinde en deux, signifie donc tout aussi bien : il s’abolit en tant que déjà produit d’une scission, s’abolit en tant qu’être-autre. L’unité dont on a coutume de dire que la différence ne peut pas sortir d’elle, n’est en fait elle-même que l’un des moments de la scission ; elle est l’abstraction de la simplicité qui fait face à la différence. Mais dès lors qu’elle est l’abstraction, | 96 | qu’elle n’est que l’un des deux opposés, nous disons déjà qu’elle est scission ; car si l’unité est quelque chose de négatif, un opposé, elle est précisément posée comme ce qui a l’opposition chez soi. C’est pourquoi les différences entre scission et devenir identique à soi ne sont précisément que ce mouvement d’abolition de soi ; dès lors en effet que l’identique à soi qui doit d’abord se scinder en deux ou devenir son contraire est une abstraction ou est déjà lui-même quelque chose de scindé en deux, sa scission est ainsi une abolition de ce qu’il est, et donc l’abolition de son état de scission. Le devenir identique à soi est tout autant une scission ; ce qui devient identique à soi vient ainsi faire face à la scission ; ce qui signifie qu’il se met lui-même par là sur le côté, ou plutôt, qu’il devient quelque chose de scindé.

L’infinité, ou cette inquiétude absolue du pur « se mouvoir » autonome, qui veut que ce qui est déterminé d’une quelconque manière, par exemple, comme être, soit bien plutôt le contraire de cette déterminité, a certes déjà été l’âme de tout ce que nous avons rencontré jusqu’ici, mais c’est seulement dans l’intérieur qu’elle s’est elle-même librement avancée et produite. Le phénomène, ou le jeu des forces, la présente déjà elle-même, mais c’est en tant qu’explication qu’elle s’avance et se produit, d’abord librement ; en ce qu’elle est enfin objet pour la conscience, en tant que ce qu’elle est, la conscience est conscience de soi. L’explication donnée par l’entendement ne fait d’abord que la description de | 97 | ce que la conscience de soi est. Il abolit les différences présentes dans la loi et déjà devenues pures, mais encore indifférentes, et les pose au sein d’une unique unité, celle de la force. Mais ce devenir identique est tout aussi immédiatement une scission, car il n’abolit les différences et ne pose l’Unicité de la force qu’en faisant une nouvelle différence, celle de la loi et de la force, laquelle, cependant, dans le même temps, n’est pas une différence ; et afin d’obtenir que cette différence n’en soit tout aussi bien aucune, il persévère lui-même à réabolir cette différence en faisant que la force soit tout à fait constituée comme la loi. — Or, ce mouvement, ou cette nécessité, sont encore ainsi nécessité et mouvement de l’entendement, ou encore, en tant que tel, le mouvement n’est pas l’objet de l’entendement, mais celui-ci, à l’inverse, a en lui pour objets électricité positive et négative, distance, vitesse, force d’attraction, et mille autres choses, objets qui constituent le contenu des moments du mouvement. Et si dans la pratique de l’explication on éprouve tant d’autosatisfaction, c’est parce que la conscience qu’on y a, pour dire les choses ainsi, dans un monologue immédiat avec soi-même, ne jouit que de soi, semble certes, ce faisant, mener une autre visée, mais ne fait, en réalité, que baguenauder ici et là en la seule compagnie de soi-même.

Dans la loi opposée, en tant qu’invertissement de la première loi, ou encore, dans la différence intérieure, l’infinité devient certes elle-même objet de l’entendement, mais celui-ci la manque à son tour en tant que telle | 98 | en redistribuant sur deux mondes, sur deux éléments substantiels, la différence en soi, le repoussement de soi de ce qui est de même nom, et les non-identiques s’attirent ; le mouvement, tel qu’il est dans l’expérience, est ici pour lui un advenir, quelque chose qui arrive, ce qui est de même nom et le non-identique sont pour lui des prédicats, dont l’essence est un substrat qui est. La même chose qui pour lui est objet dans une enveloppe sensible, l’est pour nous dans sa figure essentielle, comme concept pur. Cette appréhension de la différence telle qu’elle est en vérité, ou encore, l’appréhension de l’infinité en tant que telle, est pour nous, ou est en soi. L’exposition de son concept ressortit à la science ; mais la conscience, telle qu’elle a immédiatement ce concept, apparaît de nouveau comme forme propre ou comme figure nouvelle de la conscience, qui ne reconnaît pas son essence dans ce qui précède, mais la considère au contraire comme quelque chose de tout autre. — Dès lors que ce concept de l’infinité est objet pour elle, elle est donc conscience de la différence comme de quelque chose qui tout aussi bien est immédiatement aboli ; elle est pour soi-même, elle est différenciation du non-différencié, ou encore, conscience de soi. Je me différencie de moi-même, et en cela il est immédiatement pour moi que ce différencié n’est pas différencié. Je, ce qui est de même nom, me repousse de moi-même ; mais, immédiatement, cette instance différenciée, posée comme non identique, en étant différenciée, n’est pas une différence pour moi. La conscience d’un autre, d’un objet | 99 | tout simplement qui me fait face, est certes elle-même nécessairement conscience de soi, état de réflexion en soi même, conscience de soi, dans son être-autre. La progression nécessaire des figures de la conscience vues jusqu’à présent, qui avaient pour leur vrai une chose, un autre qu’elles-mêmes, exprime précisément ceci que non seulement la conscience de la chose n’est possible que pour une conscience de soi, mais aussi que seule cette dernière est la vérité de ces figures. Or, c’est seulement pour nous que cette vérité est présente, elle ne l’est pas encore pour la conscience. La conscience de soi, pour l’instant, est seulement devenue pour soi, n’est pas encore comme unité avec la conscience en général.

Nous voyons donc que dans l’intérieur du phénomène l’entendement ne découvre pas autre chose, en vérité, dans cette expérience, que le phénomène lui-même. Toutefois, il ne le découvre pas tel qu’il est comme jeu de forces, mais découvre ce jeu de forces lui-même dans ses moments absolus-universels et dans le mouvement de ceux-ci. En fait, il ne fait que faire l’expérience de lui-même. La conscience, élevée au-dessus de la perception, se présente comme conjointe au suprasensible par l’élément médian du phénomène, à travers lequel elle regarde cet arrière-plan. Les deux extrêmes, le premier, celui du pur intérieur, et l’autre, celui de l’intérieur qui regarde dans ce pur intérieur, coïncident désormais, et, tout de même qu’eux, en tant qu’extrêmes, le médian lui aussi, en tant que quelque chose d’autre qu’eux, a disparu. Ce rideau a donc été tiré de devant l’intérieur, et l’on voit l’intérieur regarder dans l’intérieur ; on voit le regard de ce qui est de même nom et non différencié qui se | 100 | repousse lui-même, se pose comme un intérieur différencié, mais pour lequel il y a tout aussi immédiatement non-différenciation de l’un et de l’autre, la conscience de soi. Il appert que derrière le soi-disant rideau censé cacher et couvrir l’intérieur, il n’y a rien à voir si nous n’allons pas nous-mêmes faire un tour derrière, à la fois pour qu’il y ait vision, et pour qu’il y ait là derrière quelque chose à voir. Mais il se révèle en même temps qu’on ne peut pas aller comme ça, sans s’embarrasser de toutes les circonstances, voir par-derrière ce qui se passe ; car ce savoir de ce qu’est la vérité de la représentation du phénomène et de son intérieur n’est lui-même que le résultat d’un mouvement circonstancié par où passent et trépassent les modalités de la conscience, opinion intime, perception, et entendement ; et nous verrons tout aussi bien que la connaissance de ce que la conscience sait en se sachant elle-même, requiert d’autres circonstances encore, dont nous allons, dans ce qui suit, faire l’analyse détaillée. | 101 |

Porosität : allusion aux pores, ou espaces interstitiels vides composant, selon J. Dalton, 99,9 % des gaz, et susceptibles d’être occupés par d’autres gaz.

Verkehrt. Le sens est proche de celui de umgekehrt, mais il ajoute à la stricte inversion « topique » une extension à d’autres ordres, et notamment à l’ordre normal des choses.