IV

La vérité de la certitude de soi-même

Dans les modalités de la certitude rencontrées jusqu’ici, le vrai est pour la conscience quelque chose d’autre qu’elle-même. Mais le concept de ce vrai disparaît dans l’expérience qu’elle en fait ; de la même façon que l’objet était immédiatement en soi, le « ce qui est » de la certitude sensible, la chose concrète de la perception, la force de l’entendement, il s’avère au contraire ne pas être en vérité ; cet en soi se révèle être une modalité telle qu’il n’est que pour autre chose ; le concept qu’on en a s’abolit au contact de l’objet effectif, ou encore, la première représentation immédiate s’abolit dans l’expérience, et la certitude a été perdue dans la vérité. Désormais cependant est né quelque chose qui n’était pas advenu dans les rapports antérieurs, savoir, une certitude qui est identique à sa vérité, étant donné que la certitude est pour elle-même son propre objet, et que la conscience est pour elle-même le vrai. Certes il y a, là aussi, un être-autre ; car la conscience opère des différenciations, mais ce qu’elle différencie est quelque chose qui en même temps | 102 | pour elle est un non-différencié. Si nous appelons concept le mouvement du savoir, tandis que par objet nous désignons le savoir comme unité au repos, ou comme Je, nous voyons que non seulement pour nous, mais pour le savoir lui-même, l’objet correspond au concept. — Ou si maintenant, de l’autre manière, on appelle concept ce que l’objet est en soi, et objet ce qu’il est en tant qu’objet, ou, pour autre chose, il en ressort à l’évidence que l’être en soi et l’être pour autre chose sont la même chose ; l’en soi en effet est la conscience ; mais il est tout aussi bien ce pour quoi une autre chose (l’en soi) est ; et c’est pour lui, pour la conscience, que l’en soi de l’objet et son être pour autre chose sont la même chose ; Je est à la fois le contenu de la relation et l’acte de la relation ; il est lui-même face à autre chose, en même temps qu’il gagne sur cet autre, qui pour lui, tout aussi bien, est uniquement lui-même.

Nous avons donc pénétré maintenant, avec la conscience de soi, dans le royaume natal de la vérité. Voyons comment entre en scène d’abord la figure de la conscience de soi. Si nous examinons cette nouvelle figure du savoir, le savoir de soi-même, par rapport à ce qui précède, par rapport au savoir d’autre chose, nous voyons que celui-ci a certes bien disparu ; mais qu’en même temps ses moments, tout aussi bien, se sont conservés ; et la perte consiste en ceci qu’ils sont ici présents tels qu’ils sont en soi. L’être du point de vue intime, la singularité, et son opposé, | 103 | l’universalité de la perception, de même que l’intérieur vide de l’entendement, ne sont plus là comme essences, mais comme moments de la conscience de soi, c’est-à-dire, comme des abstractions ou des différences, qui en même temps, pour la conscience elle-même sont nulles, ou encore, ne sont pas des différences, sont des essences purement évanescentes. Semble donc ne s’être perdu que le moment principal proprement dit, savoir la simple pérexistence autonome pour la conscience. Mais la conscience de soi, en fait, est la réflexion depuis l’être du monde sensible et perçu, et essentiellement le retour depuis l’être-autre. Elle est, en tant que conscience de soi, mouvement ; mais dès lors qu’elle ne différencie de soi qu’elle-même en tant qu’elle-même, la différence est pour elle immédiatement abolie en tant qu’être-autre ; la différence n’a pas d’être, et elle, elle est seulement la tautologie immobile du : Je suis Je ; dès lors que la différence n’a pas non plus pour elle la figure de l’être, elle n’est pas conscience de soi. L’être-autre est donc pour elle en tant qu’être, que moment différencié ; mais il y a aussi pour elle, comme second moment différencié, l’unité de soi-même et de cette différence. Avec le premier moment, la conscience de soi est conservée comme conscience, de même qu’est conservée pour elle toute l’extension du monde sensible ; mais en même temps uniquement en tant qu’elle est référée au second moment, à l’unité de la conscience de soi avec soi-même ; et cette unité est ainsi pour elle une pérexistence, qui cependant n’est que phénomène, ou encore, une différence | 104 | qui en soi n’a pas d’être. Mais cette opposition de son apparition phénoménale et de sa vérité n’a pour essence que la vérité, savoir, l’unité de la conscience de soi avec soi-même ; cette unité doit lui devenir essentielle ; c’est-à-dire que la conscience de soi est tout simplement désir. La conscience a désormais, en tant que conscience de soi, un objet redoublé1, l’un, l’immédiat, l’objet de la certitude sensible et du percevoir, mais qui pour elle est désigné par le caractère du négatif, et le second, savoir, soi-même, qui est l’essence vraie, et qui n’est d’abord présent que dans l’opposition du premier. La conscience de soi s’y expose comme le mouvement dans lequel cette opposition est abolie et où a lieu l’avènement pour elle de son identité avec soi-même.

L’objet, qui pour la conscience de soi est le négatif, est cependant de son côté tout autant retourné en lui-même pour nous ou en soi que c’est le cas par ailleurs de la conscience. Par cette réflexion en soi il est devenu vie. Ce que la conscience de soi distingue de soi-même comme étant a, étant posé comme étant, non seulement chez soi la modalité de la certitude sensible et de la perception, mais est être réfléchi en soi, et l’objet du désir immédiat est quelque chose de vivant. L’En soi, en effet, le résultat universel du rapport de l’entendement à | 105 | l’intérieur des choses, est la différenciation du non-différenciable, ou encore, l’unité du différencié. Mais comme nous l’avons vu, cette unité est tout autant son repoussement de soi-même, et ce concept se scinde en l’opposition de la conscience de soi et de la vie ; la première étant l’unité pour laquelle l’unité infinie des différences est ; tandis que la seconde n’est que cette unité elle-même, telle qu’elle n’est pas en même temps pour soi-même. Si donc la conscience est autonome, tout aussi autonome est en soi son objet. C’est pourquoi la conscience de soi, qui est tout simplement un pour soi et qui désigne immédiatement son objet par le caractère du négatif, ou qui est d’abord désir, fera bien plutôt l’expérience de l’autonomie de celui-ci.

La détermination de la vie, telle qu’elle ressort du concept ou du résultat universel munis desquels nous pénétrons dans cette sphère, suffit à la désigner, sans qu’il faille, partant de là, développer plus avant sa nature ; le cycle de cette détermination se ferme et conclut dans et selon les moments suivants. L’essence est l’infinité, en tant qu’abolescence de toutes les différences, le pur mouvement de rotation axiale, le repos de ce mouvement lui-même en tant qu’infinité absolument inquiète ; puis elle est autonomie proprement dite, en laquelle sont dissoutes les différences du mouvement ; puis l’essence simple du temps, qui a dans cette identité à soi-même la pure et dense figure de l’espace. Mais | 106 | les différences sont bien là, tout aussi bien, en tant que différences, à même ce medium universel simple ; car cette fluidité universelle n’a sa nature négative qu’en étant abolition de celles-ci ; or elle ne peut abolir les instances différenciées si celles-ci n’ont pas de pérexistence. C’est précisément cette fluidité, en tant qu’autonomie identique à soi, qui est elle-même la pérexistence, ou la substance de celles-ci, en laquelle ces différences sont donc comme autant de membres différents et de parties qui sont pour soi. L’être n’a plus la signification de l’abstraction de l’être, non plus que leur pure essentialité n’a celle de l’abstraction de l’universalité ; leur être est au contraire précisément cette substance fluide simple du pur mouvement en soi-même. Mais la différence de ces membres les uns par rapport aux autres, en tant que différence, ne consiste absolument pas en une autre déterminité que celle des moments de l’infinité ou du pur mouvement lui-même.

Les membres autonomes sont pour soi ; mais cet être pour soi est au contraire tout aussi immédiatement leur réflexion dans l’unité que cette unité est le dédoublement en les figures autonomes. L’unité est scindée parce qu’elle est unité absolument négative ou infinie ; et parce qu’elle est la pérexistence, la différence n’a également d’autonomie que chez elle. Cette autonomie de la figure apparaît comme quelque chose de déterminé, quelque chose pour autre chose, étant donné qu’elle est quelque chose de scindé ; et dans cette mesure, l’abolition de la scission s’opère par l’intervention d’un autre. | 107 | Mais cette abolition est tout autant sise chez elle-même ; car cette fluidité dont nous parlions, précisément, est la substance des figures autonomes ; or cette substance est infinie ; c’est pourquoi la figure est dans sa pérexistence même la scission en deux, l’abolition de son être pour soi.

Si nous différencions plus avant les moments contenus ici, nous voyons que comme premier moment nous avons la pérexistence des figures autonomes, ou encore la répression de ce que l’opération de différenciation est en soi, savoir, de ne pas être en soi et de pas avoir de pérexistence. Mais le deuxième moment est celui de la soumission brutale de cette pérexistence sous l’infinité de la différence. Dans le premier moment il y a la figure pérexistante ; celle-ci, en ce qu’elle est pour soi, ou dans sa déterminité de substance infinie, entre en jeu face à la substance universelle, renie cette continuité fluide qu’elle a avec elle, et s’affirme fortement comme n’étant pas dissoute dans cet universel, et comme se maintenant au contraire en se dissociant de cette sienne nature inorganique, et en la consommant. Et par là même précisément, la vie dans le medium fluide universel, la tranquille décomposition des figures, devient le mouvement de celles-ci, devient la vie en tant que procès. Le fluide universel simple est l’En soi, et la différence des figures, l’autre. Mais du fait de cette différence, cette fluidité devient elle-même l’autre ; car maintenant, pour la différence qui est en soi et pour soi, et qui donc | 108 | est le mouvement infini qui consomme ce tranquille medium, cette fluidité est la vie en tant que vivant. — Mais c’est pourquoi ce renversement est à son tour l’inversionen soi-même ; ce qui est consommé, c’est l’essence ; l’individualité qui se conserve aux dépens de l’universel, et se donne le sentiment de son unité avec soi-même, abolit précisément par là son opposition de l’autre, par laquelle elle est pour soi ; l’unité avec soi-même qu’elle se donne est justement la fluidité des différences, ou encore la dissolution universelle. Mais à l’inverse, l’abolition de la pérexistence individuelle est tout autant la production de celle-ci. Étant donné, en effet, que l’essence de la figure individuelle est la vie universelle, et que ce qui est pour soi est en soi substance simple, cet être pour soi abolit, en posant l’autre dans lui-même, cette sienne simplicité, ou encore son essence, c’est-à-dire qu’il la scinde, et cette scission de la fluidité sans différence, c’est précisément l’opération de position de l’individualité. La substance simple de la vie est donc la scission d’elle-même en figures, et dans le même temps la dissolution de ces différences pérexistantes ; et la dissolution de la scission est tout autant opération de scission ou articulation. On voit ainsi coïncider l’un dans l’autre les deux côtés de l’ensemble du mouvement qui ont été différenciés, savoir, d’une part, la configuration tranquillement décomposée en ses éléments dans le medium universel de l’autonomie, et d’autre part, le procès de la vie ; ce dernier est tout autant une configuration qu’il est l’abolition | 109 | de la figure ; et la première opération, celle de la configuration est tout autant un acte d’abolition, qu’elle est l’articulation. L’élément fluide est lui-même simplement l’abstraction de l’essence, ou encore, il n’est effectif qu’en tant que figure ; et le fait qu’il s’articule est à son tour une scission de l’articulé, ou une dissolution de celui-ci. C’est l’ensemble de ce circuit qui constitue la vie ; ce n’est ni ce qu’on avait d’abord déclaré, la continuité immédiate et le caractère massif et dense de son essence, ni la figure pérexistante et le discriminé qui est pour soi, ni le pur procès de cette figure et de ce discriminé, ni non plus la récapitulation simple de ces moments, mais c’est le tout qui se développe et qui dissout son développement et qui se conserve simplement dans ce mouvement.

Dès lors qu’on part de la première unité immédiate, et que, passant par les moments de la configuration et du procès, on retourne à l’unité de ces deux moments, revenant ainsi à la première substance simple, cette unité réfléchie est une autre que la première. À la première unité immédiate, ou encore, exprimée comme un être, fait face cette seconde unité, l’universelle, qui a en elle tous ces moments comme autant de moments abolis. Elle est le genre simple qui n’existe pas pour lui dans le mouvement de la vie EN TANT QUE cela, que ce simple ; car dans ce résultat la vie renvoie aussi à un autre que ce qu’elle est, savoir, à la conscience pour laquelle elle est en tant que cette unité, en tant que genre. | 110 |

Mais cette autre vie pour laquelle le genre est en tant que tel et qui est pour soi-même genre, la conscience de soi n’est d’abord quant à soi que comme cette essence simple, et se prend elle-même pour objet en tant que pur Je ; nous verrons que dans son expérience, que nous allons maintenant examiner, cet objet abstrait gagnera pour elle en richesse, et connaîtra le déploiement que nous avons vu s’agissant de la vie.

Le Je simple n’est ce genre, l’universel simple pour lequel les différences n’en sont pas, qu’en étant essence négative des moments autonomes configurés ; et, partant, la conscience de soi n’a de certitude d’elle-même que par l’abolition de cet autre qui s’expose, se présente à elle comme vie autonome ; elle est désir. Une fois acquise la certitude de la nullité de cet autre, elle pose celle-ci pour elle-même comme sa vérité, anéantit l’objet autonome, et se donne par là même la certitude de soi-même, comme certitude vraie, c’est-à-dire comme une certitude devenue telle pour elle de manière objectale.

Mais dans cette satisfaction elle fait l’expérience de l’autonomie de son objet. Le désir et la certitude de soi-même atteinte dans sa satisfaction sont conditionnés par lui, car ils sont par l’abolition de cet autre ; pour que cette abolition soit, il faut que cet autre soit. La conscience de soi ne peut donc pas abolir l’objet par sa relation négative à lui ; c’est pourquoi, au contraire, elle le réengendre plutôt, de même que le désir. En fait, | 111 | c’est autre chose que la conscience de soi qui est l’essence du désir. Et c’est par cette expérience que cette vérité lui est advenue. Mais dans le même temps, elle est tout autant absolument pour soi, et n’est cela que par l’abolition de l’objet, et il faut que lui advienne sa satisfaction, car elle est la vérité. C’est pourquoi, en vertu de l’autonomie de l’objet, elle ne peut parvenir à la satisfaction que dès lors que celui-ci accomplit lui­même la négation sur lui-même ; et il faut qu’il accomplisse cette négation de soi-même à même soi, car il est en soi le négatif, et doit nécessairement être pour l’autre ce qu’il est. Dès lors qu’il est négation apportée à lui-même, tout en étant en cela même autonome, il est conscience. Appliquée à la vie, qui est l’objet du désir, la négation est, ou bien appliquée à un autre, savoir, au désir, ou bien comme déterminité opposée à une autre figure indifférente, ou comme son inorganique nature universelle. Mais cette nature autonome universelle chez laquelle la négation est comme négation absolue, c’est le genre en tant que tel, ou comme conscience de soi. La conscience de soi ne parvient à sa satisfaction que dans une autre conscience de soi.

C’est seulement dans ces trois moments que le concept de la conscience de soi est enfin achevé : a) le pur Je non différencié est son premier objet immédiat. b) Mais cette immédiateté est elle-même médiation absolue, elle n’est que comme abolition de l’objet autonome, ou encore, elle est désir. La satisfaction | 112 | du désir est certes la réflexion en soi-même de la conscience de soi, ou la certitude devenue vérité. Mais, c), la vérité de cette certitude est bien plutôt la réflexion double, le redoublement de la conscience de soi. Celle-ci est un objet pour la conscience, objet qui pose en soi-même son être-autre, c’est-à-dire, pose la différence comme différence nulle, et en cela est autonome. Certes, la figure différenciée simplement vivante abolit elle aussi son autonomie dans le procès même de la vie, mais avec sa différence elle cesse d’être ce qu’elle est ; mais l’objet de la conscience de soi est tout aussi autonome dans cette négativité de soi-même ; et c’est ce qui fait qu’il est pour lui-même genre, fluidité universelle au sein même de la caractéristique propre de sa particularisation ; il est conscience de soi vivante.

Celle-ci est une conscience de soi pour une conscience de soi. C’est seulement alors et par là qu’elle est en réalité ; car c’est seulement alors et en cela qu’advient pour elle l’unité de soi-même dans son être autre ; Je, qui est l’objet de son concept, n’est, en réalité, pas un objet ; mais l’objet du désir est seulement autonome, car il est l’universelle substance inanéantisable, la fluide essence identique à soi-même. Dès lors que c’est une conscience de soi qui est l’objet, celui-ci est tout aussi bien Je qu’objet. — Et en cela nous nous trouvons déjà en présence du concept de l’esprit. Ce qui advient ultérieurement pour la conscience, c’est l’expérience de ce qu’est | 113 | l’esprit, cette substance absolue, qui dans la parfaite liberté et autonomie de son opposé, entendons de diverses consciences de soi qui sont pour soi, est l’unité de celles-ci ; un Je qui est un Nous, et un Nous qui est un Je. C’est seulement dans la conscience de soi, en ce qu’elle est le concept de l’esprit, que la conscience atteint son point-pivot, le moment où quittant à la fois l’apparence chatoyante de l’ici-bas sensible, et la nuit vide de l’au-delà suprasensible, elle entre dans le grand jour spirituel de la présence. | 114 |

Gedoppelt.