— Tu ne ripostes pas, Mathieu ? Je suis un peu déçue. Mais tant mieux. Tu me simplifies la tâche. Où est donc passé ton courage légendaire ? Il ne se cache que derrière tes deux petits poings musclés ? C’est plus facile de donner des coups que d’avouer qu’on a merdé, pas vrai ? Pas la peine de me regarder avec cet air dépité, David. Si tu savais ce que je sais… Dis-moi, Mathieu : nos parents connaissaient-ils ton petit secret honteux ? Pas tes histoires de cocaïne à la con, mais l’autre, le vrai ? Non, évidemment. Si notre père avait su quoi que ce soit à ce sujet, il t’aurait banni. J’aurais pu tout lui raconter. Je ne l’ai pas fait par crainte de briser notre famille. Mais quand je vois Philippe dans cette mare de sang, je regrette. J’aurais dû ouvrir ma gueule ! Oui ! Ça nous aurait évité d’en arriver là. Tu as vu ce que tu as fait, Mathieu ? Tu as vu, bordel ? Baisse les yeux et regarde ton frère ! Tu l’as réduit en charpie ! Putain, mais pourquoi n’ai-je rien dit quand il était encore temps ? Je me sens si coupable de l’état de Philippe. Ces coups… C’est comme si c’était moi qui les avais portés. Laisse-moi parler, Mathieu. Tu veux m’en empêcher en me cassant la gueule ? Je m’en fiche. Frappe-moi ! Tue-moi, si tu veux ! Tue-nous tous ! Il ne restera que toi. Seul héritier de la fortune des Belasko ! C’est ça que tu veux ? La thune ? OK. Tu l’auras. Mais tu crèveras en prison ! Laurence se cassera. Tes enfants te haïront. Tu seras à jamais l’homme qui a tué Philippe, leur oncle. L’amour plus fort que tout ? Conneries ! Lâche-moi, Garance ! Laisse-moi finir mon histoire. Mathieu ne s’en sortira pas comme ça. Pas cette fois. Je sais des choses… des choses qu’on fout sous le tapis parce qu’elles nous semblent trop moches, mais qu’on garde toujours dans un coin de la tête… Juste parce qu’on se dit « et si c’était vrai ? ». N’essaie pas de me faire taire, Mathieu. Tu voulais, aussi, que Laurence la ferme et tu y es parvenu. Elle s’est écrasée ! Elle a si peur de toi… Et les enfants… Quand ils étaient gosses, tu étais incapable de les punir sans en venir aux mains. Et ce piquet où tu les envoyais des heures entières… Tu crois que j’ai oublié ? Je me rappelle un week-end où j’avais dormi chez vous. Tu avais puni Mathéo parce qu’il ne voulait pas se brosser les dents. Tu as crié si fort qu’il s’est pissé dessus ! Puis il a passé la nuit debout, au coin, dans son pyjama mouillé, avec l’interdiction de bouger ! Il avait onze ans ! Huit heures au piquet ! Mais ce n’est pas tout. Il y a quelques années, Pauline, ta fille, s’est confiée à moi. Elle m’a révélé que tu terrorisais ta famille. Que tu brûlais tes enfants avec une cigarette lorsqu’ils désobéissaient, que tu plongeais Lucas dans la cuvette des chiottes quand il refusait de finir son assiette, que tu interdisais à Laurence de sortir sans ta présence, que tu l’aurais forcée à se raser le crâne pour la tenir à distance des autres hommes ! Et ces coups que tu lui portais. Un jour, Pauline a dû intervenir. Elle tremblait encore quand elle m’a raconté cette scène. Tu as battu Laurence pour dix minutes de retard ! Trois côtes cassées et une hémorragie cérébrale ! Si Pauline ne s’était pas interposée, tu aurais pu tuer sa mère ! Oui. Voilà ce qu’elle m’a dit en pleurant : « Mon père a failli tuer ma mère. » Elle m’a aussi rapporté les humiliations que subissait Laurence au quotidien. Les mots que tu utilisais pour t’adresser à elle. Pauline n’a même pas osé les prononcer. La seule chose qu’elle a accepté de me répéter c’est qu’au cours d’un repas, alors que ton assiette n’était pas propre, tu as traité ta femme de « pute ». Oui. Voilà le mot que tu as employé pour une histoire de vaisselle mal lavée ! Pas la peine de secouer la tête, Mathieu. C’est la vérité. Ne nous mens pas, comme à Laurence ou à nos parents. Car après ma discussion avec Pauline, j’ai questionné ton épouse. Elle a nié les allégations de sa fille. Elle s’est mise en colère en me certifiant que Pauline était une adolescente difficile, mythomane. Qu’elle voulait attirer l’attention. Et tu sais quoi ? J’y ai cru ! Je ne pouvais pas imaginer mon frère lever la main sur une femme ou sur un enfant. Mais ce soir, tout fait sens. Même l’infidélité de Laurence. À l’époque, nous avons blâmé son attitude et celle de Philippe. Nous nous sommes rangés de ton côté. « Pauvre Mathieu ! Trompé par son épouse ! Trahi par son frère ! » Pourquoi crois-tu qu’elle ait fait ça ? Je vais te le dire : parce qu’elle avait trouvé auprès de Philippe un homme doux, tendre, attentionné. Ne viens pas te plaindre d’avoir été le cocu de service. Tu as eu ce que tu méritais. Ne te justifie pas : je me fiche de tes explications. Et si Philippe succombe à ses blessures, et que les flics nous demandent qui est responsable de sa mort, ne compte pas sur moi pour te protéger. Oh, non ! Pas cette fois ! Car si je n’avais pas été aussi lâche, aujourd’hui, nous n’en serions pas là !