— Elle ment ! cria Mathieu.
Il espérait convaincre David et Garance, mais leurs mines consternées indiquaient qu’ils prêtaient foi aux propos de Solène. Mathieu comprit alors qu’il était seul. Contre eux. Contre sa propre famille. Le vilain petit canard, il l’avait toujours été. Et il le serait pour le restant de ses jours. Il aurait beau être exemplaire, jamais le point de vue de ses frères et sœurs ne changerait à son sujet.
De son côté, Solène, rouge de colère, haletait et suffoquait. Bras tendus, gonflant les joues à intervalles réguliers, elle semblait se tenir prête à lui sauter à la gorge. David et Garance ne quittaient pas des yeux leur sœur, terrifiés par le récit qu’ils venaient d’entendre. Si Mathieu avait été à leur place, il n’aurait pas cru un mot de ce qu’avançait cette petite garce. Solène, à l’instar de Pauline, cherchait sans cesse à attirer l’attention. Cette fois, pour parvenir à ses fins, elle avait choisi de clouer son frère au pilori – sans lui laisser la moindre chance de se justifier –, et son jugement s’était appuyé sur des mensonges élaborés par une gamine mal dans sa peau.
Mentir. Accuser. Montrer du doigt. Propager des rumeurs.
Voilà les domaines dans lesquels excellait Dame Solène. Elle l’avait déjà prouvé par le passé et ce soir, dans la pire des situations, elle en apportait une nouvelle démonstration. Son témoignage n’était que pure invention. La jalousie parlait pour elle et lui faisait perdre la tête.
Mathieu sentit ses nerfs se nouer, ses muscles se crisper. Il serra les poings à s’enfoncer les ongles dans les paumes. La colère empoisonnait son sang, battait dans ses veines, pulsait dans son cœur. Il devait la contenir, réagir, et prouver que Solène avait tort.
Non, il n’était pas l’homme qu’elle avait décrit.
Son âme n’abritait pas un tel démon.
Son corps ne renfermait pas un tel monstre.
Non.
Mais plus Mathieu essayait de s’en convaincre, plus la migraine entre ses tempes devenait violente. Une décharge électrique lui traversa soudain le corps et il se mit à trembler sans pouvoir se contrôler.
Il devait libérer sa rage avant qu’elle ne le dévore.
À grandes enjambées, il se dirigea vers la table de la salle à manger, attrapa une chaise et la jeta contre une baie vitrée. Sous le choc, le verre vibra, la chaise rebondit et s’écrasa sur le parquet. David évita de justesse ce projectile lancé à toute vitesse.
— T’es malade ou quoi ? hurla Garance. T’as vraiment un problème, mon pauvre Mathieu ! Tu mets Philippe KO et tu manques de blesser David. Tu veux tous nous tuer ? Les uns après les autres ? C’est ça ton plan ? Et tu l’as initié il y a six mois ? Avec maman ?
David et Solène se tournèrent vers leur sœur. Mathieu, accablé par cette nouvelle accusation, ne répondit pas.
— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda David d’une voix chevrotante.
— Notre père n’était pas le seul à avoir des soupçons. J’en ai eu, moi aussi. Une heure avant que nous découvrions notre mère inconsciente, je me suis levée. De la lumière filtrait sous la porte de Mathieu. Il ne dormait pas !
Des regards hostiles se posèrent sur le suspect. Celui de Garance, le pire de tous, transpirait la haine et le dégoût.
— Alors : que faisais-tu debout, à cette heure tardive ?
— Tais-toi, Garance ! Tu délires !
— Maman avait peur de toi. Elle disait que tu étais imprévisible. Ingérable. Un chien enragé. Un bagarreur. Elle assurait qu’un jour tu commettrais l’irréparable. Elle ne s’était pas trompée.
Mathieu aurait aimé se défendre, mais son cerveau était engourdi. La douleur se propageait dans son crâne, rejointe bien vite par une autre qui prenait naissance dans son bras gauche. Toutes convergèrent vers sa nuque où une sensation de brûlure lui arracha un cri. Dans sa poitrine, une pression s’exerça si violemment qu’elle lui coupa la respiration. Il suffoqua en portant la main à son cœur.
Et si la meilleure des solutions était de s’abandonner. De lâcher prise ?
Si, pour une fois dans sa vie, le boxeur acceptait d’être mis au tapis ?
L’idée était tentante.
Épuisé, Mathieu laissa ses sœurs et son frère à leurs suspicions et s’allongea sur le canapé. Il cala les mains derrière son cou et attendit.
La douleur dans son bras gauche n’en finissait plus de grandir. Jusqu’à anesthésier le bout de ses doigts.
Mathieu connaissait parfaitement ces symptômes et, malgré la gravité de la situation, ne put s’empêcher de rire.
— Les infarctus ne font preuve d’aucune originalité, dit-il en fermant les yeux.