Après les insultes et les reproches, le silence était revenu dans la salle à manger. Et il était pesant. Pour Solène, il avait le goût d’un affront : Mathieu, comme d’habitude, n’assumait pas ses actes. Il s’était allongé sur le canapé – ce qui ne lui ressemblait guère – et s’était tu – ce qui lui ressemblait encore moins. Se défendre des accusations qu’on lui portait était bien le cadet de ses soucis.
Sa plus belle réponse ? Le mépris.
Pensait-il s’en sortir si facilement ? Hors de question !
Il devait des explications et, surtout, des excuses. Mathieu semait la terreur depuis trop longtemps dans la famille. Pire : il avait profité de la générosité de ses parents pour se tirer d’une mauvaise passe. S’ils avaient su quel monstre était leur fils, ils l’auraient renié. Mais ils s’étaient laissé berner. Comme tout le monde.
Ce soir, Solène était bien décidée à rétablir la vérité.
Sûre d’elle, elle traversa le salon et s’immobilisa à quelques pas du canapé.
— Ne te défile pas, Mathieu ! Admets que j’ai raison, et cesse de nous mentir !
Pas de réponse.
Solène se tourna vers Garance et David pour chercher l’approbation dans leur regard. Elle ne la trouva pas. Son frère et sa sœur, encore sous le choc des révélations, se tenaient derrière elle, les bras ballants, l’air abattu. Allaient-ils la soutenir dans sa quête de vérité ? Non ! Garance la détestait et David, le diplomate de service, n’obligerait jamais Mathieu à reconnaître ses erreurs.
Se sentir seule face à l’ennemi décupla son irritation.
— Tu n’as plus envie de discuter, Mat ? Tu ne veux pas te défendre ? Livre-nous ta version des faits puisque la mienne n’est qu’un tissu de mensonges !
Toujours pas de réponse.
Agacée par son mutisme, plus déterminée que jamais, Solène s’approcha de son frère. Son assurance s’étiola lorsqu’elle se pencha sur Mathieu. Une grimace de douleur lui tordait le visage et la pâleur de son teint était inquiétante. Sa main gauche, posée sur son torse, était crispée, prête à s’enfoncer dans sa poitrine. De timides oscillations soulevaient sa cage thoracique. Elles devinrent peu à peu imperceptibles avant de cesser.
Solène ne cligna plus des yeux et focalisa son attention sur la respiration de son frère.
— Tu m’entends, Mat ?
Aucune réaction.
Partagée entre la colère et la stupeur, Solène le secoua. Doucement d’abord. Puis avec fougue. Mais les paupières de Mathieu demeuraient ouvertes et, dans ce regard froid, Solène croisa celui de la mort. Cette vision lui arracha un cri.
David se précipita vers sa sœur, sans savoir toutefois pourquoi la panique la gagnait. Lorsqu’il arriva auprès de Mathieu, nul besoin que Solène formule ses craintes : David les devina. À son tour, il tenta de réveiller son frère. Impuissant, il le fit glisser du canapé, l’allongea sur le sol et commença à lui prodiguer un massage cardiaque.
En état de choc, Solène recula d’un pas. Elle voulut hurler mais sa voix s’étrangla. Son désespoir était si grand qu’un couteau aurait pu s’enfoncer dans son cœur sans qu’elle éprouve la moindre douleur.
Elle se mit à errer dans le salon.
Un infarctus était en train d’emporter son frère.
D’après son épouse, les crises étaient de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes. Mathieu, incapable de céder la moindre concession, vivait en sursis depuis plusieurs années. Et malgré les recommandations des médecins, le trio cocaïne-alcool-boxe ne cessait de rythmer son quotidien.
Solène s’effondra sur une chaise et les derniers mots scandés par son frère martelèrent son esprit.
Elle ment !
Il s’était défendu, avec acharnement, des accusations qu’elle lui portait. Cette détermination lui avait-elle coûté la vie ?
Un brouillard épais l’enveloppa.
Aux cris de Mathieu se mêlaient les bruits de la biche contre le pare-chocs de la voiture et ce craquement atroce : la roue qui broie ensuite le museau de l’animal.