La neige tombait rarement sur le domaine, mais Solène se rappelait parfaitement les deux hivers où un beau tapis blanc s’était déposé sur le toit de la Casa.
Janvier 1981.
Elle s’était disputée avec Garance pour une histoire de jouet volé. Leur père avait puni celle qu’il estimait coupable : l’aînée. Solène, acquittée, était allée jouer dehors. Elle avait fait un bonhomme de neige, l’avait baptisé « Garance » et s’était amusée à le bombarder de boules.
Décembre 2015.
Solène n’était plus une gamine, pourtant, elle s’était réjouie de revoir la vallée recouverte d’une blancheur immaculée.
Comme chaque année, les Belasko s’étaient réunis à la Casa pour fêter Noël : Mathieu, Laurence et leurs trois enfants, Garance et son époux, Solène et son petit ami de l’époque – Thierry, un journaliste –, David, sa compagne et leurs deux bambins. Seuls Philippe et les siens étaient absents, les années impaires étant réservées à Mathieu. Depuis le mariage de Garance, les deux hommes étaient irréconciliables et refusaient de se retrouver au même endroit, au même moment. Leurs parents avaient accepté, à contrecœur, de les recevoir à tour de rôle.
La soirée avait été douce et joyeuse ; le repas, préparé par Thérèse, faste. À minuit, petits et grands s’étaient rués au pied du sapin pour déballer les cadeaux et une mer de papier avait inondé le salon.
Garance, prétextant la fatigue, avait été la première à prendre congé. Suivie quelques minutes plus tard par son époux. À trois heures du matin, les Belasko encore debout s’étaient souhaité bonne nuit, et tous avaient regagné leur chambre.
Le silence s’était abattu sur la Casa.
Le lendemain, Mathieu, Garance, David et leurs familles pliaient bagages. Solène avait prolongé son séjour d’une semaine. Très vite, elle avait constaté l’humeur massacrante de son père. Inquiète, elle avait attendu qu’il soit seul dans son bureau pour le questionner. Papa, ajustant ses lunettes sur son nez, s’était enfoncé dans son fauteuil sans quitter sa fille des yeux.
— On m’a cambriolé.
— Quand ?
— Lors de la veillée de Noël.
Solène connaissait la paranoïa maladive de son père. Aussi, son premier réflexe avait-il été d’émettre des doutes sur ce supposé cambriolage.
— Tu en es sûr ?
— Certain.
— Qu’a-t-on volé ?
— Beaucoup de choses.
— De l’argent ?
— Oui. Entre autres…
— Pourquoi gardes-tu du cash dans cette maison, papa ? Tu es inconscient !
— Je refuse de confier toutes mes liquidités aux banques ! Je ne leur fais pas confiance !
— Avoue qu’en matière de sécurité ce n’est pas l’idéal. La preuve ! Où était cet argent ?
— Dans le coffre de ma chambre.
— Les caméras ont-elles enregistré quelque chose ?
— Non. Il n’y en a pas à l’étage.
— C’est vrai… Pourquoi n’en mets-tu pas ?
— Pour préserver une certaine… intimité. Choix que je commence sérieusement à reconsidérer.
— Le coffre a-t-il été fracturé ?
— Non. Il n’était pas fermé.
— Pardon ?
— Il déconnait depuis plusieurs jours. J’avais demandé à Paul d’en acheter un nouveau, mais il ne s’en était pas encore occupé. Le pauvre… Je le sollicite tellement.
Perplexe, Solène s’était mise à réfléchir avant de formuler ses interrogations.
— Comment un cambrioleur aurait-il pu s’introduire chez nous ? Disposait-il d’un passe pour déverrouiller le portail et la porte d’entrée ? Et même s’il en possédait un, aurait-il pu échapper à la vigilance des caméras ?
— Non. Impossible. J’ai demandé aux agents du service de sécurité de visionner les enregistrements de la nuit du 24 décembre. Ils sont formels : personne ne s’est introduit dans le domaine. Ni dans la Casa.
— Ce qui signifie…
— Que le cambrioleur était parmi nous. Oui.
Un long silence avait suivi avant que Solène éclate de rire.
— Tu plaisantes ?
— Pas du tout.
— Qui suspectes-tu ? Paul ?
— Paul ? Me voler ? Allons, Solène ! C’est le plus honnête d’entre nous !
— Qui alors ?
— L’un de mes enfants.
Que son père accuse si facilement un membre de la fratrie avait alarmé Solène. Elle devait se blanchir de tout soupçon sur-le-champ.
— Je te jure que ce n’est pas moi. Jamais je n’aurais fait une chose pareille.
— Ne t’inquiète pas. J’ai confiance en toi. En David aussi. Il n’a pas besoin d’argent. Il est bien plus riche que moi.
— Mathieu ?
— Ou Garance. En voilà une qui ne cracherait pas sur quelques milliers d’euros.
Solène avait tressailli. Imaginer sa sœur voler ses parents la révulsait. C’était inconcevable. Non : Garance ne pouvait pas être aussi vénale.
Et pourtant…