David voulut se jeter sur Garance, mais un sifflement lui perça les tympans et l’immobilisa. Ses mains devinrent moites, les images autour de lui confuses. La sueur coula sur ses tempes. Ses jambes, du coton, incapables de le supporter une seconde de plus, l’abandonnèrent. Il s’écroula. Sa tête heurta le parquet. Une nuée d’étoiles s’envola au-dessus de lui. Fébrile, il glissa une main tremblante dans ses cheveux. Une texture gluante colla ses doigts. Du sang. Il tenta de se relever, mais une force étrange l’en empêchait.
Épuisé, David lâcha prise. Le bourdonnement dans ses oreilles cessa enfin et fut remplacé par une comptine lointaine, récitée d’une voix chevrotante. Il releva la tête avec difficulté et découvrit, au fond du salon, une forme éthérée qui flottait à quelques centimètres du sol. Ses déplacements étaient gracieux mais plus elle approchait, plus elle semblait menaçante. Elle n’était qu’à une dizaine de pas lorsque David l’identifia : maman. Elle portait une chemise de nuit en soie blanche, sa préférée. Sa chevelure virevoltait autour de ses épaules, ses yeux bleus étaient vitreux et son teint, si pâle, la rendait presque transparente. Elle posa un regard désespéré sur les dépouilles de ses fils, puis, hagarde, se dirigea vers ses filles. En voyant les mains de Garance nouées autour du cou de Solène, elle se figea. Puis se retourna brusquement vers David. Elle se pencha sur lui et ouvrit la bouche, d’où sortit un cri inhumain. Strident. Glaçant.
Pour le couvrir, David se boucha les oreilles et hurla. Il demeura ainsi, les yeux fermés, aussi longtemps qu’il le put. Mais l’oxygène commença à lui manquer et il dut se calmer pour reprendre sa respiration. Lorsqu’il rouvrit les yeux, le fantôme avait disparu. Il ne restait que des plaintes, des bruits de lutte et une voix étouffée qui tentait de raisonner celle qui s’apprêtait à commettre l’irréparable.
David devait agir.
Il se releva mais trébucha aussitôt. Le vrombissement assourdissant était revenu, le privant d’équilibre.
Tout espoir de sauver Solène était perdu.
Soudain, la douleur dans sa poitrine le quitta. David se sentit plus léger. Si léger, qu’il décolla et vola au-dessus du salon. En apesanteur, il vagabonda dans la Casa et l’appréhenda sous un autre jour. Mais le spectacle qui se tenait dans la salle à manger le ramena à la triste réalité : Garance, ivre de rage, étranglait Solène.
Électrochoc.
Puis une chute interminable.
Lorsque cette atroce sensation prit fin, David se retrouva à quatre pattes sur le parquet.
Était-il en train de devenir fou ? Les événements auxquels il assistait étaient-ils réels ? Quel était ce lieu ? Était-ce bien la maison de leur enfance, celle qu’ils avaient connue, aimée, choyée ?
Non. La Casa avait disparu dans les tréfonds de la terre et mené les enfants dans un autre monde. Un monde où la haine triomphe. Où des frères et des sœurs volent la vie des leurs. Où la mort emporte tout sur son passage.
La Casa, cocon familial rempli d’amour, n’existait plus.
Où étaient-ils alors ?
Au purgatoire.
Une ultime chance leur avait été donnée : se pardonner.
Mais aucun d’entre eux ne l’avait saisie.
Une nouvelle fois, l’âme de David s’éleva dans les airs. Cet état aurait pu lui procurer douceur et apaisement. Il n’en fut rien. Il allait perdre l’esprit. Ou mourir. Cette seconde hypothèse était la plus plausible. Si tel était le cas, lorsque la faucheuse lui tendrait la main, il la prendrait sans hésiter. Mourir était, en définitive, la meilleure chose qui puisse lui arriver.