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David

Des bouffées de chaleur.

Des crampes dans les mains.

La bouche sèche.

Et des tremblements incontrôlables.

Une lumière crue aveugla David et une odeur nauséabonde parvint à ses narines. Il l’identifia sur-le-champ. L’urine. Machinalement, il porta la main à son pantalon. Son entrejambe était humide, sa perte de conscience ayant entraîné un relâchement total de sa vessie.

Honteux, il replia les genoux sur sa poitrine. Dans cette position du fœtus, il se sentit rassuré, hors de danger. Il s’imagina dans le ventre de sa mère, simple embryon incapable de subir les affres de la peur ou de la tristesse. Il demeura ainsi un long moment, étranger à la notion de temps qui passe. Seules ses larmes égrenaient les secondes en frappant le parquet d’un tic-tac régulier.

Puisant dans ses maigres ressources, il effectua un mouvement de bascule et s’agenouilla. Autour de lui, les formes ne cessaient de se dédoubler. Agacé d’être aussi affaibli, David se gifla. La mise au point se fit.

Une douleur lui cingla le dos. L’espace d’un instant, il redouta que ses vertèbres restent scellées entre elles et l’empêchent de se tenir debout. Sa colonne se déploya finalement dans un craquement qui lui arracha une grimace. Enfin sur pieds, il massa ses jambes lourdes et paralysées avec vigueur, puis serra les poings pour chasser les fourmillements dans ses mains. Du bout des doigts, il caressa son arcade sourcilière : il s’était blessé en tombant. Du sang coagulé regroupait les poils en paquet, mais la coupure semblait superficielle.

La crise de panique était terminée, mais elle avait semé ses effets secondaires : une oppression dans la poitrine, des membres engourdis, des gestes lents et maladroits. Et un immense désespoir.

Abattu, David se frotta les yeux et balaya la pièce du regard.

Où étaient ses frères et sœurs ?

Quel était son dernier souvenir ?

Il se concentra et, lorsque les images jaillirent, un étrange pressentiment l’envahit : n’avait-il pas rêvé ?

Cette sensation se mua peu à peu en certitude.

Oui. Les drames survenus ce soir n’étaient que les composants d’un cauchemar dont David venait de s’éveiller.

Si ces événements n’appartenaient pas à la réalité, alors Mathieu était encore en vie et son corps inanimé ne reposait pas sur le parquet du salon. Convaincu par cette théorie, David, le cœur plus léger, contourna la table basse mais étouffa un cri en découvrant son frère, mort, gisant au pied du canapé.

En état de choc, il chancela jusqu’à la salle à manger.

Deux silhouettes étaient couchées sur le sol. L’une d’elles était Philippe, le visage tuméfié, la tête auréolée d’une flaque rouge. Près de lui, Solène, la bouche ouverte et les yeux exorbités. Garance se tenait à sa droite. Elle l’avait enlacée et la couvrait de baisers, mais sa sœur demeurait insensible à ces marques d’affection.

— Qu’as-tu fait, Garance ? murmura David.

Elle se redressa en affichant une moue candide et haussa les épaules. Sa voix, méconnaissable, ressemblait à celle d’une gamine qui avoue avoir commis une bêtise.

— Je ne l’ai pas fait exprès. C’était un accident.

Cette réponse estomaqua David. Garance réduisait le meurtre qu’elle avait perpétré à un banal accident.

Terrifié par tant de froideur, il recula d’un pas. Sa sœur se leva et, menaçante, approcha de lui.

— Lorsque les policiers nous interrogeront, David, tu leur expliqueras que je me suis défendue. Que Solène m’a attaquée.

— Hors de question ! Je leur dirai la vérité… Que tu as étranglé ta propre sœur… Pour la simple et unique raison qu’elle avait sali ta réputation…

— Solène a eu ce qu’elle méritait !

— Tu l’as tuée, Garance.

— Elle m’a tuée la première. Tu me vois, je suis là, face à toi, mais il ne reste rien de celle que j’étais. Je ne suis qu’une coquille vide. Un corps sans âme. À l’intérieur, je suis morte, David. Depuis très longtemps.

— Non…

— Solène ne supportait pas ma réussite. Elle a ruiné ma vie, ma carrière. Sa jalousie l’a poussée à faire des trucs horribles. Oui, horribles… Oh, si tu savais…

S’il pouvait comprendre le désespoir de Garance, David refusait de cautionner ses actes. Être trahi par un frère ou une sœur est la plus grande des offenses, mais céder à la haine et assassiner l’un des siens était impardonnable.

L’air agressif, Garance se rapprochait toujours plus.

Elle ne se trouvait qu’à quelques pas lorsque David tendit instinctivement les bras devant lui pour se protéger. Contre toute attente, sa sœur le contourna sans même un regard. La lettre roulée en boule dans la main droite, elle tituba jusqu’au bureau de son père et ferma doucement la porte derrière elle.

À présent seul dans le salon, David s’effondra, obnubilé par la plus atroce des pensées : Garance était dangereuse. Elle venait de tuer sa sœur de sang-froid. S’en prendrait-elle à son frère pour l’empêcher de témoigner contre elle ?

David n’avait aucune réponse à fournir à cette question, mais il était certain d’une chose : s’il voulait rester en vie, il devait fuir la Casa au plus vite.