Grâce à la lumière de son téléphone portable, David identifia enfin un interrupteur à droite de l’escalier. Lorsqu’il l’actionna, une suspension recouverte d’un tissu poussiéreux s’éclaira.
Une dernière fois, David s’assura que le soupirail – sur lequel il avait placé tous ses espoirs – était bel et bien condamné. Il tira le rideau rouge et caressa les pierres du bout des doigts. Sa seule option pour retrouver le monde extérieur était une voie sans issue.
Il détailla l’énigmatique pièce où il se trouvait. Sa superficie était impressionnante mais son plafond, très bas, obligeait David à se tenir voûté. Une odeur de champignon flottait dans l’air, semblable à celle qui embaume souvent les caves des maisons anciennes.
Les murs et le sol côté ouest retinrent son attention. Ils étaient entièrement noircis. Ces traces étaient-elles le produit de la saleté ou dues aux flammes d’un incendie ? Incapable de répondre à cette question, David poursuivit sa visite.
Au centre de la pièce était disposée une table en bois, nappée d’une couverture blanche brodée, où trônait un crucifix sur pied. Une dizaine de cierges à moitié consumés l’encerclaient. Cet autel ne semblait pas abandonné. Papa, même affaibli, devait s’y rendre régulièrement pour prier.
Derrière la croix du Christ, était suspendu un immense panneau en liège, recouvert de photographies en noir et blanc. Une petite étiquette légendait chaque cliché. La plupart de ces hommes et de ces femmes portaient le nom de Belasko.
David fut parcouru d’un frisson : certains portraits avaient été pris post mortem, notamment ceux de plusieurs enfants, immortalisés dans leur cercueil, mains rassemblées sur la poitrine autour d’un chapelet.
Perturbé, David détourna le regard et focalisa son attention sur les articles de presse punaisés sur la partie gauche du panneau. L’un d’eux, intitulé « Incendie mortel chez les Belasko », datait de 1928. Une photographie de mauvaise qualité l’illustrait. On y voyait la maison cernée de pompiers équipés de lances.
David décrocha la coupure et se dirigea au fond de la pièce. Aucun doute : les flammes avaient tenté de dévorer la Casa, mais les secours étaient arrivés à temps pour l’empêcher d’être réduite en cendres.
D’après les premières constatations, l’incendie aurait été d’origine criminelle. Le journaliste racontait que Victor, vingt ans, et sa sœur Paula, seize ans, se trouvaient seuls à la Casa lors du drame. Leurs parents, Gabriela et Fernando Belasko, ainsi qu’Eduardo, leur fils aîné – le père d’André – étaient en vacances en Espagne. Durant leur absence, Victor aurait muré le soupirail, aspergé le sol d’essence pour ensuite piéger et immoler Paula dans la cave. Rongé par les remords, il aurait finalement appelé les pompiers. La jeune fille, grièvement brûlée, serait décédée à l’hôpital quelques heures plus tard.
Une semaine après les faits, une autre version était rapportée par la presse : celle de Louis Belasko, commissaire de police. Selon lui, Fernando, son frère, aurait lui-même condamné le soupirail – un mois plus tôt – pour prévenir tout cambriolage. Quant à l’incendie, il était accidentel : Paula aurait voulu fumer le cigare en cachette et se serait enfermée dans la cave par mégarde.
Les dires du commissaire avaient été appuyés par le témoignage de Fernando. Verdict : Victor était innocent. L’affaire fut classée.
Les deux frères auraient-ils maquillé ce meurtre en accident ? Fernando, craignant que son fils finisse ses jours en prison, aurait-il fourni un faux témoignage ? Pour David, ça ne faisait aucun doute. Son père partageait-il les mêmes soupçons ? Sûrement. Ce qui expliquait son refus d’évoquer le passé de la Casa et l’histoire de ses ancêtres.
Songeur, David délaissa le panneau en liège et s’intéressa à un arbre généalogique posé contre un mur. Le dessin, orné d’enluminures rehaussées de feuilles d’or, avait été réalisé à l’encre noire sur un Vélin d’Arches. Un véritable travail de bénédictin. Les premiers Belasko recensés étaient nés en 1458 et trois fils parachevaient cette généalogie. Deux d’entre eux étaient décédés à l’âge de huit et dix ans : Antonio et Rodrigue. À droite du prénom de leur frère aîné était collé un Post-it. Le commentaire, rédigé de la main d’André Belasko, était glaçant.
Pablo. Poignarde ses frères.
Des dizaines de feuillets apportaient des précisions tout aussi macabres sur d’autres membres de la famille :
Julio. Étrangle sa sœur et ses frères.
Alonso. Empoisonne ses frères.
Claudio. Poignarde ses frères et sœurs.
Ernesto. Tue sa sœur à coups de hache.
Un spasme violent contracta l’estomac de David.
Depuis plusieurs siècles, les Belasko assassinaient les leurs. Une histoire familiale sanglante qu’André Belasko avait tenté de garder secrète. Dans cette cave, il avait aménagé un autel pour prier et protéger les siens. Pourtant, malgré toutes ses dispositions, ses descendants avaient, eux aussi, cédé à leurs plus basses pulsions.
Et, ce soir, l’histoire s’était répétée.
Deux notes pouvaient à présent compléter cet arbre généalogique :
Mathieu. Bat son frère à mort.
Garance. Étrangle sa sœur.
Partagé entre la terreur et l’incompréhension, David se sentit défaillir. Il prit appui contre une étagère et, haletant, essuya la sueur qui coulait dans sa nuque. Sa vision se troubla et il redouta une nouvelle crise de panique. Mais il devait tenir bon et poursuivre ses recherches dans cette cave.
Reprenant ses esprits, il inspecta des livres alignés sur une étagère. La plupart traitaient de maladies mentales, notamment de schizophrénie, mais aussi d’hérédité et d’atavisme. David choisit un ouvrage intitulé La Malédiction rationnelle et parcourut le résumé en quatrième de couverture.
La criminalité est-elle inscrite dans le code génétique d’un individu ?
La folie meurtrière est-elle héréditaire ?
Peut-on échapper à sa destinée ?
Vingt ans de recherches ont été nécessaires au professeur Edgar Howard pour répondre à ces questions.
Dans cet essai, l’auteur rationalise la notion de « malédiction » et démontre que – dans certains cas – la criminalité ne s’attache pas à la superstition mais bien à une notion d’hérédité.
Grâce à l’étude approfondie de dix lignées, Edgar Howard prouve que le gène pourpre – comme il l’a baptisé – existe, qu’il peut se transmettre de génération en génération et conduire les membres d’une famille à des comportements criminels.
David laissa échapper le livre qui frappa le sol dans un bruit sourd. Une douleur broya son cœur et il se mit à pleurer en imaginant que ce gène, terrible pulsion meurtrière qui empoisonnait le sang de sa famille depuis des siècles, puisse aussi couler dans ses veines.