Les portraits de ses ancêtres.
L’arbre généalogique des Belasko.
La Malédiction rationnelle.
Voilà les premières images qui accompagnèrent le réveil de David.
Il frissonna en réalisant s’être endormi dans cet endroit sordide et se redressa avec empressement. Il épousseta son pantalon et, tout en massant sa nuque endolorie, ramassa le livre sur le sol pour le remettre sur l’étagère.
David leva les yeux vers la trappe dans le plafond. Les volets roulants ne s’étaient pas encore ouverts, mais l’heure sur son téléphone portable lui indiqua que ce moment allait arriver. Dix minutes seulement le séparaient de la liberté. Il devait se tenir prêt à quitter la Casa. Dès que les portes se déverrouilleraient, il sauterait dans sa voiture et roulerait jusqu’à la vallée pour prévenir les secours.
Tandis qu’il montait les marches de l’escalier, une idée lui traversa l’esprit. Incendier cette cave n’était-il pas la meilleure des solutions ? Non. C’était une erreur à ne pas commettre. La police pourrait interpréter dans ce geste l’envie de dissimuler des preuves, et David n’avait rien à se reprocher.
Il se retourna une dernière fois et imagina, sur le panneau en liège, les coupures de presse qui compléteraient, le lendemain, l’histoire des Belasko. Cette fois, il n’y aurait pas de commissaire pour étouffer l’affaire.
De retour dans le salon, il referma la trappe derrière lui et repositionna le tapis. Il évita du regard les dépouilles de Philippe, Mathieu et Solène, et se dirigea vers la porte du bureau.
— Nous allons bientôt pouvoir partir, Garance.
Pas de réponse.
— Tu es là ?
S’était-elle endormie, elle aussi ? Sans doute : les chocs traumatiques entraînent souvent une grande fatigue. Garance, apaisée par la quiétude du bureau de papa, avait certainement dû trouver le sommeil.
Impatient, David poussa la porte.
La violence de la scène qu’il découvrit le fit tomber à genoux.
Garance était assise dans le fauteuil club, la mâchoire relâchée, le teint livide, les yeux rivés droit devant elle. Ses bras pendaient de chaque côté des accoudoirs. Ses poignets étaient couverts de sang. Deux flaques rouges s’étaient formées sur le parquet. Dans l’une d’elles gisait un coupe-papier. Dans l’autre la lettre de papa.
Fou de chagrin, David rampa jusqu’à Garance.
Il aurait aimé pleurer mais aucune larme ne coula sur ses joues.
Il posa ses mains tremblantes sur les cuisses de sa sœur et dévisagea, hébété, cette femme qu’il avait tant aimée.
Elle était morte.
Ils étaient tous morts.
Il était le prochain sur la liste.
Personne ne sortirait vivant de cette maison.
David se blottit contre la poitrine de Garance, s’enivra de son parfum, puis, résigné, attendit que la faucheuse vienne le chercher.
Mais elle ne se présenta pas.
À sa place, une entité lumineuse descendit du ciel et se fraya un passage à travers l’ouverture circulaire du bureau. Sa silhouette s’étira jusqu’à remplir la pièce de ses lueurs. Son avènement fut accompagné d’un vacarme sonore qui fit sursauter David.
Il se précipita dans le salon.
Les volets roulants de la Casa se levaient.
La lumière du matin, douce et rassurante, inonda les pièces de réception.
David se posta devant une baie vitrée et ferma les yeux. La chaleur lui caressa le visage. Il s’immobilisa quelques secondes, le front collé contre ce dernier rempart le séparant de l’extérieur.
Les volets terminèrent leur course et des cliquetis retentirent aux quatre coins de la maison. Les portes se déverrouillaient.
David sentit le doute l’envahir. La Casa accepterait-elle de le laisser partir ?
Il n’y avait qu’une façon de le savoir.
Il s’élança dans le hall d’entrée, posa la main sur la poignée de la porte, marqua une pause et frémit lorsqu’elle bougea sous ses doigts.
Il courut jusqu’à sa voiture, prit place au volant et démarra en trombe.
Le portail en fer forgé s’ouvrit et David s’engagea sur le chemin de Nyme.
L’odeur de la sève.
La caresse du vent.
Le gazouillis des oiseaux.
Les couleurs de ce matin de juin.
Tout cela ne lui apporta aucun réconfort.
David était sain et sauf, mais il ne parvenait pas à s’en réjouir. Il savait que, si son corps avait survécu à la tragédie, son âme resterait, elle, à tout jamais prisonnière de la Casa.