Note de l’auteur

Fin novembre 2005. Le Salon du livre de Montréal vient tout juste de se terminer. Vous avez été nombreux à venir me rencontrer et je vous le redis : c’est un immense plaisir, un grand privilège de vous parler. Mais c’est aussi un incroyable défi que vous me lancez à chacune de vos visites. Vous attendez le prochain livre avec impatience, vous me l’avez dit. Alors, inévitablement, revient cette hantise qui me poursuit d’un livre à l’autre.

Cet ouvrage en gestation, en préparation, saura-t-il être à la hauteur de vos attentes ? À chaque fois, j’ai des doutes.

Ce matin, je renoue avec l’écran de mon ordinateur. Pour l’instant, il est presque vide. Il se remplit lentement des mots que je vous adresse. Puis, je le sais, il se couvrira de l’histoire de Jeanne et Thomas, de plus en plus rapidement, de plus en plus fébrilement. Je sens votre présence derrière moi, chers lecteurs, et cela me donne de l’assurance. Merci d’être si nombreux à me lire et sachez que ma reconnaissance va bien au-delà de ces quelques mots, habillés malheureusement d’une certaine banalité.

Il y a de nombreux mois, déjà, que Jeanne et Thomas ont commencé à envahir ma vie. Il y a eu d’abord deux visages éthérés sans caractéristiques détaillées. Suivi de peu par quelques apparitions furtives où les traits prenaient forme, en même temps que leur destinée se précisait dans ma pensée. Aux regards qu’ils se lançaient, j’ai vite compris que ces nouveaux personnages étaient habités par des émotions qui m’interpelleraient à coup sûr. Cependant, je n’étais pas encore disponible. Par respect pour la famille Deblois, je leur ai donc demandé de se tenir dans l’ombre. Pour un temps, leur ai-je précisé. Ils ont gentiment accepté. Mais dès que j’ai eu posé le point final à mon dernier roman, ils sont revenus presque aussitôt. Je crois qu’ils n’étaient pas très loin et qu’ils m’attendaient. J’aurais tout de même voulu prendre quelques jours de repos. Cette fois-là, ils ont refusé. Ce qu’ils ont à vivre est trop lourd, trop important, trop beau aussi, malgré la détresse, pour le tenir sous le boisseau. Ils doivent parler et veulent le faire tout de suite, avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce qu’ils ont laissé entendre, c’est ce que j’ai cru comprendre. Alors j’ai décidé de les écouter.

Je cheminerai donc à leurs côtés les prochains mois.

Ils ont tous les deux à peu près mon âge. Peut-être quelques années de plus. Ils pourraient être mes voisins et, si tel était le cas, je crois que nous pourrions devenir amis. À les voir, je dirais qu’ils font partie de ce que j’appellerais la classe moyenne aisée. Ils habitent un beau quartier depuis de nombreuses années déjà, de telle sorte que les arbres et les haies qu’ils ont plantés jadis ont eu le temps de croître en abondance. Aujourd’hui, le soleil peut, en toute liberté, dessiner des ombres en dentelle sur les pelouses bien taillées et c’est très joli. Même s’ils ont tempêté pendant des années contre les ponts qu’il leur fallait traverser pour se rendre au travail, maintenant ils apprécient de ne pas avoir cédé à la tentation de s’installer sur l’île. Le calme serein de la banlieue se prêtera mieux à leurs ambitions de retraite. Lui rêve de photographie, elle de jardinage. Cependant, si l’envie de se perdre dans l’anonymat de la grande ville se manifestait, ils pourront, très bientôt, s’y rendre en dehors des heures de pointe. Dans quelques mois, Jeanne prendra sa retraite et Thomas suivra, l’année prochaine.

Comme il le dit parfois en riant : à eux la liberté ! Les enfants sont grands et autonomes ou presque. La maison est payée, les autos aussi. Ils ont su être suffisamment économes et vigilants pour se créer un fonds de placement intéressant. Ils peuvent donc envisager en toute quiétude quelques voyages exotiques qui viendront pimenter l’ordinaire d’une vie qu’ils projettent autrement plutôt calme et sans histoires. Plus d’horaire à suivre ou d’échéancier à respecter, pas de grand projet en perspective, alors pas de désagrément à l’horizon. Dans le fond, ce qu’ils souhaitent, c’est d’avoir la chance de profiter du temps qui pourra désormais s’écouler doucement à travers les rêves qu’ils auront enfin la possibilité de réaliser. Ils font partie de cette génération privilégiée que nous appelons les baby boomers. Mais n’allez surtout pas leur dire qu’ils ont été favorisés par la vie ! Ils vous répondront probablement, sourcils froncés et irritation dans la voix, qu’ils ont travaillé ferme pour en arriver là. Et sans doute auraient-ils en partie raison. Ce n’est toujours pas leur faute si l’existence était plus facile à l’époque où ils étaient jeunes.

Voilà ! Vous en savez, sur eux, à peu près autant que moi. Je crois que ces personnages seront faciles à apprivoiser. Dans un sens, leur vie s’apparente à la mienne, nos générations se touchent. Il ne me reste plus qu’à être à l’écoute de ce qu’ils veulent me confier pour qu’à mon tour, je puisse vous le raconter.

Les opinions exprimées dans ce roman reflètent uniquement les points de vue de l’auteur qui, à certains égards, s’est permis quelques libertés relativement aux différents organismes dont il est question dans le livre. Toute ressemblance avec des gens œuvrant en leur sein serait purement fortuite.