Les émotions tragiques
et la catharsis
C’est par la mimêsis que l’art acquiert, chez Aristote, son statut esthétique. C’est la mimêsis qui explique la naissance des arts poétiques, de la musique et de la danse. Parmi tous les arts, Aristote a choisi de faire la théorie de la tragédie, le plus noble des arts, le plus complet, le plus conforme aussi aux présupposés de sa philosophie, dont la tragédie est tout imprégnée. Mais c’est la catharsis qui, dans la pensée d’Aristote, donne son sens véritable à l’art et montre que le phénomène esthétique est inséparable d’une signification morale.
La catharsis a fait l’objet de multiples théories. Peut-être est-il impossible d’en proposer une interprétation qui n’ait pas été déjà développée et défendue, tant la littérature secondaire sur ce sujet est ample, tant aussi les textes aristotéliciens sur ce point sont allusifs, laissant le champ libre à l’imagination de chacun. On voudrait ici indiquer simplement les éléments du problème, montrer leur interconnexion possible et proposer une solution qui, sans s’éloigner des textes, paraisse à la fois simple et plausible.
Dans cette perspective, il convient d’abord de réunir les rares passages où Aristote nous parle de la catharsis et de voir s’il y a lieu de les compléter par d’autres textes, certains plus tardifs, qui peuvent être rattachés à la tradition aristotélicienne. L’analyse de la catharsis avant Aristote peut aussi mieux faire comprendre ce qu’est la perspective aristotélicienne et quelle est l’originalité d’Aristote dans ce domaine. La catharsis aristotélicienne part des émotions de la pitié et de la crainte, comprises comme étant les véritables et pour ainsi dire les seules émotions tragiques. Il n’y a de catharsis, dans le domaine de la poésie, que par l’intermédiaire de la pitié et de la crainte. Il convient par conséquent d’analyser ces émotions, de comprendre leur signification tragique dans le contexte de la Grèce antique et de mettre en évidence la place qu’Aristote leur assigne dans son œuvre. Enfin, nous essaierons avec beaucoup de prudence de reconstituer le processus de la catharsis à partir de ces émotions, en indiquant quelques interprétations possibles de ce phénomène qui restera mystérieux à tout jamais.
1. Données aristotéliciennes
Un passage très célèbre de la Poétique fait mention de la catharsis dans la définition aristotélicienne de la tragédie. Celle-ci s’achève toujours par la catharsis de la pitié et de la crainte. Bien que nous ayons déjà cité ce passage célèbre1, nous le transcrivons ici encore, pour la meilleure compréhension du lien entre la catharsis et les émotions sur lesquelles elle s’exerce :
« La tragédie est la représentation d’une action noble, menée jusqu’à son terme et ayant une certaine étendue, au moyen d’un langage relevé d’assaisonnements d’espèces variées, utilisés séparément selon les parties de l’œuvre ; la représentation est mise en œuvre par les personnages du drame et n’a pas recours à la narration ; et, en représentant la pitié et la crainte, elle réalise une épuration de ce genre d’émotions »2.
À lire le texte de la Poétique, on peut se demander si d’autres émotions tragiques ne menaient pas à la catharsis. Aristote parle en effet d’une catharsis d’émotions, pouvant appartenir au même genre que la pitié et la crainte. On s’est souvent étonné en effet que d’autres émotions, comme la colère ou l’indignation par exemple, ne soient pas mentionnées parmi les émotions tragiques. Mais Aristote nous laisse ici dans l’obscurité la plus complète et, à défaut de précisions, ce sont la pitié et la crainte seules qui seront mises ici en rapport avec la catharsis. Ce qu’il faut aussi relever dans ce passage, c’est le lien de la mimêsis d’une action noble avec la catharsis. C’est parce que les émotions naissent d’une œuvre mimétique et non de la vie que la catharsis est possible. Il n’y a pas de catharsis des émotions inspirées par la vie. D’autre part, toute la construction de la tragédie, avec sa recherche d’universalité et de vraisemblance, doit aboutir à un paroxysme d’émotions grâce auxquelles la catharsis peut avoir lieu. Devant les difficultés d’analyser le terme de catharsis, sa traduction demeure quasi impossible. Comme nous le verrons, les termes de purgation, purification ou clarification sont eux-mêmes des interprétations. Le mot de catharsis a d’ailleurs passé tel quel dans un grand nombre de langues.
Un texte de la Politique3 éclaire ce passage si allusif de la Poétique. Il lui est certainement antérieur4, puisque Aristote y promet de revenir sur ce point dans la Poétique. On sait qu’Aristote ne tint pas sa promesse ou qu’il faut situer dans la partie perdue de la Poétique le développement plus systématique de ce problème. Voici un court extrait de ce long passage où, distinguant entre musiques éthiques, actives et enthousiasmantes, Aristote ajoute :
« Car la passion qui assaille impétueusement certaines âmes se rencontre dans toutes, mais avec une différence de moins et de plus, ainsi la pitié, la crainte et aussi l’enthousiasme. En effet, certains sont possédés par ce mouvement, mais nous voyons que quand <ces gens> ont eu recours aux mélodies qui jettent l’âme hors d’elle-même, ils sont ramenés, du fait des mélodies sacrées, à leur état normal comme s’ils avaient pris un remède et <subi> une purification »5.
C’est la musique, dans ce passage de la Politique, qui est à l’origine de la catharsis. Les musiques enthousiasmantes, qui s’opposent aux musiques éthiques et actives (ou pratiques)6, ont seules un pouvoir purificateur. Elles s’adressent à plusieurs catégories de personnes, celles en qui elles provoquent l’enthousiasme, celles aussi, plus modérées, mais qui sont sujettes à la pitié et à la crainte. L’enthousiasme est ici une émotion du même genre que la pitié et la crainte. Nous avons vu en effet, dans la Poétique, que ces deux dernières émotions pouvaient s’accompagner « d’émotions de même genre ». Mais nous ne retrouvons pas l’enthousiasme dans la Poétique : sans doute est-il lié exclusivement à la musique. L’enthousiasme, selon notre passage de la Politique, peut habiter une certaine catégorie d’âmes, particulièrement enclines à ce genre d’émotions. L’excès même d’enthousiasme, apporté par la musique, éteint leur ardeur et les ramène à la raison, comme nous allons le voir. Le même traitement thérapeutique est proposé par Aristote à tous ceux qui sont trop enclins à la pitié et à la crainte, comme aux gens plus raisonnables qui ne peuvent qu’en tirer un grand bénéfice, le même pour tous, c’est-à-dire une catharsis, comme à la suite d’un traitement médical. La catharsis s’accompagne d’un soulagement et d’un sentiment de plaisir7. Les mélodies enthousiasmantes provoquent, elles aussi, un bien-être innocent à ceux qui les écoutent8.
Il convient d’approfondir ce passage, si important pour la compréhension de la catharsis. La musique, qui provoque l’enthousiasme dans l’âme des auditeurs, appartient, pour Aristote, au mode phrygien9. Cette musique avait été illustrée en particulier par Olympos, un musicien mysien de l’époque archaïque, dont Platon aussi vante les airs extraordinaires, qu’il attribue à Marsyas, maître légendaire d’Olympos10 et lui-même phrygien. D’après Platon, ces airs sont divins et ont seuls le pouvoir de mettre en état de possession. Avec Olympos, nous retrouvons chez Aristote le problème de l’inspiration divine, à laquelle, comme nous l’avons vu11, il ne croyait guère, mais aussi celui de la transe religieuse, dont il avait peut-être été le témoin, et à laquelle il accorde quelque crédit. Aristote, comme Platon, met en relation les mélodies d’Olympos et la naissance de l’enthousiasme et y voit une preuve de l’influence de la musique sur le caractère12.
L’instrument de musique, approprié aux mélodies enthousiasmantes, est l’aulos, que l’on traduit à tort par flûte13. Pour Aristote, c’est un instrument de musique dont le seul rôle est de faire naître l’extase religieuse. L’aulos n’a aucun effet sur le caractère ; il ne contribue pas à l’éducation et son emploi doit être limité à provoquer la catharsis14. De plus, l’aulos a le désavantage d’empêcher la parole de se faire entendre en même temps que la musique15, ce qui prouve que la musique sans paroles était pratiquée par les Anciens – mousikê peut donc aussi signifier musique instrumentale – et aussi que la poésie, pour Aristote, doit occuper une grande place dans l’éducation des jeunes gens. Aristote rappelle que jouer de l’aulos avait autrefois fait partie de l’éducation, à Athènes, comme à Sparte, mais que cet instrument n’était plus en faveur, parce que les mélodies qu’on y jouait ne menaient guère à la vertu. De plus, cet instrument est disgracieux : il déforme les traits du visage et Aristote de rappeler qu’Athéna elle-même, après l’avoir essayé, l’avait jeté à terre par colère et par dépit16.
Par chance, nous pouvons reconstituer ce qu’Aristote entend par « enthousiaste ». Il met en effet les enthousiastes sur le même plan que les prophètes. Ce sont des gens, doués de pensée, mais qui ne sont maîtres ni de leurs paroles, ni de leurs actions. Reprenant une citation de Philolaos, Aristote reconnaît que certaines raisons sont plus fortes que nous17.
Ici se pose le problème de l’irrationnel, qui concerne à la fois les enthousiastes et les chanceux18. On sait que d’après l’Éthique à Eudème la chance est due à la disposition naturelle du chanceux19. Une impulsion naturelle, qui provient de la partie irrationnelle de l’âme, portera le chanceux, sans qu’il ne formule aucun raisonnement, là où se trouve son bien20. Sans entrer ici dans une analyse détaillée de la théorie du hasard et de la chance chez Aristote, il faut comprendre, avec P. Aubenque21, que dans l’Éthique à Eudème, le hasard, guide des chanceux, est le « Hasard fondamental auquel notre existence est suspendue », en d’autres termes le Premier Moteur. Bien qu’Aristote ne le dise pas expressément, on peut supposer que l’enthousiaste, qui se situe, comme le chanceux, en dehors de la rationalité, est aussi, comme lui, mû par un dieu qui est supérieur à la raison22. On a souvent prétendu que cette explication dénotait l’influence de Platon et que l’Éthique à Eudème devait se situer à une date relativement haute23.
Un témoignage de Cicéron est décisif pour faire reconnaître le mélancolique d’Aristote dans l’homme possédé, dont l’âme divine prévoit l’avenir24. Le tableau du mélancolique, tel qu’on peut l’inférer de divers traités scientifiques d’Aristote25, montre un homme qui n’est plus dirigé par une inclination naturelle quasi divine, mais se présente comme un sujet à la bile noire déréglée, secrétée en trop grande abondance, chaude, et sous forme de fluide. Nous n’entrerons pas ici dans le détail du processus physiologique des dérèglements biliaires du mélancolique. Contentons-nous de souligner que cet état modifie le comportement du mélancolique et qu’il lui donne l’apparence d’un homme enfiévré ou ivre.
Comme on le voit, les données aristotéliciennes sont très maigres, incomplètes et morcelées. Tout au plus nous donnent-elles les grandes lignes qui nous font connaître la catharsis, dont le processus est passé sous silence. La Politique donne plus d’indications que la Poétique. Encore faut-il savoir s’il est de bonne méthode de rapprocher, en ce qui concerne la catharsis, Poétique et Politique. Certains s’y sont refusés, comme par exemple G. F. Else qui sépare bien les deux écrits et qui explique le texte de la Poétique par la seule Poétique. Dans la Politique, la catharsis réside bien pour lui dans l’âme du spectateur. Mais ce ne serait pas le cas dans la Poétique où, pour lui, la catharsis résiderait non dans l’âme du spectateur, mais dans le déroulement même de la pièce. Elle serait liée à la reconnaissance et n’interviendrait qu’après celle-ci. La catharsis serait donc limitée aux pièces complexes, c’est-à-dire aux pièces comportant une reconnaissance26. L’exemple qu’il donne d’Œdipe, dans l’Œdipe Roi de Sophocle, est particulièrement éclairant pour la compréhension de sa thèse. Après la reconnaissance, qui entraîne le dévoilement de la vérité, Œdipe apparaît au spectateur comme un homme qui regrette profondément son erreur ou sa faute (hamartia). Sa douleur et ses remords le purifient aux yeux du spectateur qui peut alors laisser libre cours à sa pitié27. La catharsis a donc lieu dans la tragédie même, après la scène de reconnaissance. Toute la structure du drame et surtout la reconnaissance montreraient que le héros est exempt de souillure28. La catharsis suivrait ainsi la démonstration que l’acte tragique, le pathos, n’était pas voulu et que le héros était par conséquent digne de pitié.
G. F. Else a lui-même relevé les points faibles de sa théorie et a cherché à y remédier, en répondant par avance aux objections qui pouvaient lui être faites. Mais ses arguments ne paraissent pas convaincants sur au moins deux points. D’abord la catharsis se limiterait aux tragédies de type complexe et ne trouverait pas sa place dans les tragédies de type simple, dénuées de reconnaissance. Cela paraît contraire au texte déjà cité29 de la Poétique, dans lequel la catharsis fait partie de la définition de toute tragédie. Et puis surtout, en réduisant la catharsis à n’être qu’un moment de la structure tragique, cette théorie lui enlèverait beaucoup de son intérêt. D’autre part, cette théorie fait du spectateur un juge30, ce qui paraît étranger à l’esprit de la tragédie grecque. Ainsi, c’est dans l’âme même du spectateur qu’il faut situer la catharsis, qui est bien, avec la mimêsis, la grande découverte esthétique d’Aristote.
Tout en situant la catharsis dans l’âme du spectateur, certains, comme L. Golden, séparent nettement Poétique et Politique. Pour L. Golden31, la première œuvre, qui a une fin esthétique, et la deuxième, qui a une fin éducative et politique, n’emploient pas le terme de catharsis dans le même sens. L. Golden ne précise pas le sens de la catharsis dans la Politique. Dans la Poétique, la catharsis a pour lui le sens de clarification intellectuelle. Nous ne le suivrons guère dans son hypothèse : la catharsis doit avoir le même sens dans les deux œuvres. Le fait que la pitié et la crainte reviennent toutes deux dans les passages sur la catharsis, aussi bien dans la Poétique que dans la Politique, le fait que la musique soit présente dans la représentation théâtrale permettent, semble-t-il, de comprendre de la même façon la catharsis dans les deux œuvres.
On peut tenter de rapprocher les quelques passages d’Aristote sur la catharsis d’autres textes qui sont, sinon d’Aristote lui-même, du moins de tradition aristotélicienne. Le Papyrus d’Herculanum 1581 trouverait sa place au début du livre V du Peri Poiêmatôn de Philodème de Gadara, dont les écrits, découverts calcinés dans la Villa des Papyri à Herculanum, à la suite de l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C.32, nous apportent des témoignages inestimables sur la philosophie hellénistique, en particulier épicurienne et stoïcienne. Le Peri Poiêmatôn contient en effet la réfutation, par l’épicurien Philodème, de diverses théories artistiques sur la poésie et la tragédie. Philodème nous apporte un témoignage très précieux sur les théories artistiques de l’époque hellénistique, puisqu’il donne le point de vue épicurien sur des doctrines diverses qu’il expose en détail et qui nous seraient, pour certaines, complètement inconnues.
Le Papyrus d’Herculanum 1581 a eu sa place assignée au début du livre V du Peri Poiêmatôn, pour des raisons techniques, à cause de sa parenté avec le Papyrus 207 d’Herculanum33, daté sur critères techniques de la deuxième moitié du Ier siècle et dont on sait, de façon sûre, par une indication écrite, qu’il nous livre la fin du IVe livre du Peri Poiêmatôn. Le Papyrus 207 nous livre une version un peu déformée des vues aristotéliciennes sur le théâtre et il paraît normal que le Papyrus 1581, qui parle notamment de la catharsis, lui fasse suite34.
On a voulu attribuer à Aristote lui-même le contenu du Papyrus 207, qui se rapporte essentiellement à la tragédie et à l’épopée. R. Janko, reprenant une théorie de F. Sbordone, voit dans cet écrit de Philodème une attaque en règle contre le De Poetis35 d’Aristote, dont nous ne possédons que très peu de fragments, insuffisants pour nous faire connaître le détail de cette œuvre. Le Papyrus d’Herculanum diverge pourtant sur quelques points de la Poétique d’Aristote. Il n’y a pas lieu ici de relever en détail toutes ces divergences. Signalons-en la plus importante. La colonne X du Papyrus36 contient des données qui ne figurent pas dans la Poétique d’Aristote : elle envisage les parties lyriques de la tragédie, qui n’ont aucune place dans la Poétique, et cite, comme bon auteur de chants lyriques, Dicéogènès, qui apparaît certes dans la Poétique37, mais dans un passage consacré aux scènes de reconnaissance. On préférera attribuer le contenu du Papyrus 207 à une source proche du Lycée, mais postérieure à la mort d’Aristote : cette source d’époque hellénistique, tout en s’appuyant sur la Poétique, en donnerait une version légèrement modifiée. Ainsi, c’est bien Aristote qui serait visé par Philodème dans ce texte, mais un Aristote revu par un disciple.
De même, on attribuerait volontiers le Papyrus 1581 sur la catharsis à un disciple d’Aristote, plutôt qu’à Aristote lui-même. L’adversaire de Philodème y parle en effet d’une catharsis d’une des parties de l’âme38. Or Aristote, dans les quelques fragments que nous avons de lui sur ce sujet, ne limite jamais l’action de la catharsis à une seule partie de l’âme. D’autre part, la curieuse expression, relevée dans un des fragments du Papyrus par D. F. Sutton39, « la catharsis de nos fautes » paraît très peu aristotélicienne. D. F. Sutton relève la parenté du texte du Papyrus avec un passage de Jamblique40, dont il pourrait être la source. Mais nous ne suivrons pas ici D. F. Sutton, qui, confrontant ces deux textes, voit dans la catharsis un moyen de purger le spectateur de ses passions et de le conduire à la tranquillité de l’apatheia, doctrine qui ne pouvait manquer de retenir toute l’attention de Philodème.
L’étude du mot « catharsis » dans la littérature avant Aristote peut aider, dans une certaine mesure, à mieux définir le problème et à faciliter l’interprétation de la catharsis. Le radical de catharsis – cathar – a servi à former toute une famille de mots relevant du registre de la pureté. Ces mots ont été trop souvent analysés de façon détaillée pour qu’il soit nécessaire de reprendre ici leur étude41. On ne trouvera donc que quelques références au mot catharsis lui-même, les quelques rapprochements effectués comprenant aussi les mots dérivés, appartenant à la même famille. Le mot appartient d’abord au domaine religieux. Ainsi, Hérodote42 parle de purification lors de cérémonies initiatiques, Thucydide43 de la purification religieuse de Délos. La purification jouait un rôle important dans certaines fêtes, en particulier lors de la fête des Thargélies, pendant laquelle l’Apollon de Delphes recevait en offrande, à titre de purification et d’exorcisme44, les prémices de la moisson. Mais la véritable purification durant ces fêtes consistait, du moins à l’époque classique, à expulser de la cité les Pharmakoi, hommes et femmes qui, chargés de toutes les souillures d’Athènes, servaient de boucs émissaires. La catharsis et les mots de la même famille reviennent fréquemment dans ce contexte. Il en est de même pour la fête des Anthestéries, dédiée à Dionysos à la fin de l’hiver, fête des fleurs et des morts, « jours de souillure » par excellence45. Toujours dans le domaine religieux, il faut mentionner la purification d’Athènes, ordonnée au début du VIe siècle par l’oracle de Delphes46.
Tout en dépendant encore du domaine religieux, la catharsis s’oriente vers le domaine éthique avec les Pythagoriciens et les fidèles orphiques. Pour reprendre l’expression heureuse de P. Somville, « la pureté orphique et pythagoricienne nous est apparue comme l’incarnation dans l’homme d’une valeur morale gouvernée par une religion du salut »47. En effet, chez les Orphiques, une vie ascétique permet au fidèle, par une discipline stricte, de libérer son âme du mal, incarné par les pulsions du corps, héritage des cendres des Titans dont sont issus les hommes. Le fidèle retrouve alors l’élément dionysiaque – les Titans furent foudroyés après avoir dévoré Dionysos – et atteint la sérénité d’Orphée, véritable libérateur et fondateur d’une religion de salut48. La vie de pureté morale que mène le fidèle orphique lui permet de retrouver dans la mort la pureté originelle et immortelle au-delà de toute souffrance. Quant aux Pythagoriciens, ils se rattachent à l’orphisme et un passage de Diogène Laërce49, qui recourt aux mots de la famille de la catharsis, montre bien comment une religion de salut impose à ses adeptes une purification morale en vue d’un salut éternel50.
L’étude de la catharsis chez les Pythagoriciens est particulièrement intéressante pour notre propos. En effet, les premiers Pythagoriciens semblent avoir connu une catharsis musicale, une purification par la musique, purification qui paraît avoir été à la fois religieuse et médicale51. Ainsi, d’après Aristoxène52, les Pythagoriciens effectuaient la purification (catharsis) du corps par la médecine, celle de l’âme par la musique. Il s’agit bien d’une catharsis musicale. Ainsi, d’après Jamblique53, Pythagore lui-même donnait le nom de catharsis au traitement par la musique. Porphyre54 nous présente un tableau très vivant de Pythagore, faisant sur ses amis malades l’essai de la musique, mais aussi de la récitation chantée d’Homère et d’Hésiode et de l’incantation magique, pour harmoniser l’âme et lui restaurer l’équilibre de ses qualités55. La musique pourrait aussi avoir été l’auxiliaire de la médecine, calmant le patient avant l’administration des soins médicaux et chirurgicaux nécessaires56. Malheureusement, les sources sur cette question précise sont dans l’ensemble tardives, comme on a pu le voir par les quelques références données. Le processus de cette catharsis n’est jamais décrit. Il faut une longue reconstitution, souvent à partir des textes aristotéliciens eux-mêmes, pour en deviner le déroulement. Retenons qu’Aristote, dans l’élaboration de sa propre théorie de la catharsis, est redevable à une tradition pythagoricienne qui nous échappe en partie.
La catharsis prend souvent le sens de purgation dans les écrits d’Hippocrate. Il s’agit de purger le corps de l’une des quatre humeurs qui sont la cause de la bonne santé – sang, phlegme, bile jaune et bile noire – et qui, se trouvant en surabondance, menace l’équilibre du corps. L’école d’Hippocrate a analysé en détail les différents éléments qui peuvent entraîner ce déséquilibre, ainsi que les cas nécessitant l’évacuation du mal ou encore la façon dont cette évacuation devait être opérée57. Nous ne reviendrons pas ici sur cette question, sinon pour souligner quelques points. La purgation était pour l’école d’Hippocrate un remède auquel on recourait souvent, tant pour les affections du corps que pour le trop-plein d’émotions de l’âme. On pense aujourd’hui que, dans certains cas, la purgation s’effectuait par l’introduction dans le corps d’un élément de même nature que le mal dont souffrait le patient58. Il s’agirait d’une sorte de procédé homéopathique avant la lettre, qui consisterait à soigner le mal par le mal : en introduisant dans le corps un élément de même nature que le mal, le médecin aurait augmenté la maladie, et précipité la crise pour mieux la soigner. Il est vrai que le corpus hippocratique recommandait de guérir surtout par les contraires, mais la guérison par le semblable était aussi considérée dans quelques cas comme un moyen de guérison59. L’homéopathie moderne se réclame en partie d’Hippocrate. Nous verrons qu’Aristote pourrait, au moins d’après certaines interprétations, faire référence à ce procédé homéopathique, ce qui a incité à voir dans la catharsis aristotélicienne une forme de purgation60. Le terme de catharsis s’applique dans la médecine hippocratique à toutes les opérations qui consistent à retrouver l’équilibre des humeurs par l’expulsion, naturelle ou provoquée, de tout ce qui menace la santé. De toutes ces opérations, c’est l’image de la purgation qui a été retenue par certains pour évoquer la catharsis aristotélicienne. Il faut toutefois noter que le terme « purifier » (catharein) peut avoir comme complément direct aussi bien le mal dont on débarrasse un malade que la partie qui en est débarrassée61. Ceci n’est pas sans conséquences pour la bonne compréhension d’Aristote, même si grammaticalement aucun passage dans la Poétique ou la Politique ne contient cette ambiguïté au niveau de la construction de la phrase. On a pu, en effet, comme on vient de le voir, se demander sur quoi s’exerce la catharsis aristotélicienne, si c’est l’âme du spectateur qui subit la catharsis de la pitié et de la crainte ou si la pitié et la crainte doivent être évacuées de la tragédie elle-même. Nous avons vu que la première hypothèse paraît plus vraisemblable.
Les trois sens, religieux, éthique et médical du mot catharsis et de sa famille se retrouvent chez Platon qui n’a pourtant pas, comme Aristote, créé, à partir de la catharsis, une notion esthétique applicable à la tragédie. Chez Platon, pitié et crainte ne doivent pas être tempérées, comme chez Aristote, mais détruites et toute tragédie, lieu par excellence de ces émotions, doit être interdite dans le contexte culturel de la cité. Il n’en reste pas moins que Platon a fait de la catharsis une notion riche, dans laquelle se mêlent les trois registres, à l’origine distincts, et qu’il a pu ainsi contribuer à la formation d’un nouveau concept philosophique.
Les mots de la famille de catharsis gardent leur sens de purification religieuse, en particulier dans la République62, où référence est faite à Musée, à Orphée et aux initiations – sans doute celles d’Éleusis : la purification absout du crime les vivants et les morts. Dans le Phèdre63, Stésichore, devenu aveugle pour avoir médit d’Hélène, accomplit l’antique purification religieuse sous forme de palinodie et recouvre la vue. De même, Platon connaît le sens médical de purgation et recourt aux mots de la famille de catharsis pour l’évoquer64. Un sens éthico-politique a été relevé dans plusieurs passages des Lois où il est question de la pureté de la cité65. Mais le plus souvent, la catharsis a chez Platon un sens métaphysique nouveau, tout imprégné de sa philosophie. Ce sens apparaît nettement dans le Phédon66 : l’âme doit être purifiée et vivre, autant qu’elle le peut, détachée du corps. Le corps est source d’impureté et nous empêche d’accéder aux Idées67. La catharsis chez Platon est marquée par sa philosophie des Idées, auxquelles l’homme n’a accès que si, possédant une âme pure, il sait se détacher des réalités d’ici bas pour se tourner vers « un ciel où les Idées sont venues remplacer les Dieux »68.
Comme on le voit, la catharsis a une histoire très riche avant Aristote. Nous avons vu, à plus d’une reprise, que la religion ne jouait guère de rôle dans la théorie artistique d’Aristote. Il reste donc à la catharsis aristotélicienne la possibilité de s’inspirer de la médecine ou d’une purification qui n’a plus rien de religieux. Ces deux possibilités, purgation ou purification, sont à l’origine des différentes interprétations de la catharsis chez Aristote et il est très difficile, comme on le verra, de choisir parmi elles. On remarquera aussi que nulle part, ni chez Aristote, ni chez ses prédécesseurs, le processus même de la catharsis n’est décrit. Nos sources s’arrêtent aux moyens de la provoquer ou à ses effets bienfaisants. Et cette lacune obscurcit pour nous à tout jamais le phénomène de la catharsis. Seule l’analyse de l’enthousiasme apporte quelque éclaircissement, en nous montrant que l’excès même de l’émotion apporte un apaisement et en nous en expliquant les raisons. Mais ceci ne constitue pas une explication complète de la catharsis, dont le mécanisme est très difficile, voir impossible, à reconstituer.
2. Pitié et crainte, moyens de la catharsis
Pitié et crainte sont étroitement liées à la catharsis qui, dans la Poétique, « réalise l’épuration de ce genre d’émotions »69. Pitié et crainte sont chacune une émotion qu’Aristote désigne en général par le terme pathos. Dans ce passage, le terme d’« émotions » traduit généralement le terme pathemata, dérivé de pathos. On a parfois voulu donner à pathemata un sens plus large que celui d’émotions. Le terme désignerait tout événement accidentel qui affecte le corps ou l’âme. A. Nehamas propose d’y voir des « incidents ». Le sens général du passage serait : la catharsis produit son effet, lorsqu’elle agit sur la pitié et la crainte, ainsi que sur des incidents inspirant de tels sentiments70. Cette traduction aurait l’avantage de supprimer toute allusion à d’autres émotions que la pitié et la crainte et de mettre fin à la spéculation sur la nature de ces autres émotions. Mais ne serait-ce pas revenir, au moins en partie, à la théorie de G. F. Else, pour qui la catharsis s’exerçait sur la tragédie elle-même ? C’est pour cette raison que nous préférons garder ici à pathemata le sens d’émotions. Pitié et crainte sont véritablement les deux sentiments tragiques par excellence.
L’émotion est donc un pathos. Il faut distinguer le terme générique d’émotion de son sens dérivé et quasi technique de pathos ou effet violent qui, dans la plupart des passages de la Poétique, désigne une des parties de la tragédie71. Le pathos, effet violent, est lié aux émotions de pitié et de crainte, comme l’a bien montré E. Belfiore72. Dans la Rhétorique, la pitié est suscitée par le spectacle d’un mal destructeur ou pénible, qui frappe un innocent et que l’on peut s’attendre à devoir subir soi-même73, tandis que la crainte provient de l’imagination d’un mal suscitant destruction ou peine74. Pitié et crainte naissent à l’idée ou du spectacle du pathos, qui, dans la Poétique, est présenté comme une action violente, causant destruction ou douleur75. Pour Aristote, les émotions sont des états affectifs, elles se classent dans ce qui arrive à l’âme76, avec les facultés qui permettent de les éprouver77 et les dispositions qui permettent de définir si un comportement est bon ou mauvais par rapport à elles78. L’émotion est un état que l’on subit et qui est provoqué par un objet ou un événement extérieur. Nous sommes mus par nos affections79. L’émotion s’accompagne toujours de plaisir ou de peine80 et elle a un effet sur nos jugements81. C’est la peine qui accompagne pitié et crainte, mais, sous l’effet de la mimêsis, ces deux émotions deviennent agréables. Comme la vertu, qui relève non de l’affection, comme l’émotion, ou de nos facultés, mais de nos dispositions, l’émotion appartient en effet à la partie de l’âme irrationnelle qui est susceptible d’écouter la raison et de lui obéir.
Tout en étant subie, l’émotion a en effet une part cognitive qui suppose l’intervention de l’âme rationnelle. Pour ne prendre qu’un exemple, on ne plaindra un homme que s’il obéit à certains critères : être innocent ; ou souffrir plus que son dû ; être proche de nous, sans l’être trop… La pitié, en effet, obéit pour Aristote à certaines conditions très précises qui en font un sentiment un peu différent de celui que nous entendons sous ce nom. Dans la tragédie, la pitié a besoin de certaines conditions essentielles pour éclore. Rappelons-les ici à nouveau82. Le héros tragique doit être un « homme intermédiaire », qui n’arrive ni jusqu’à la justice parfaite, ni jusqu’à l’excellence, un homme moyen qui, comme le spectateur, est susceptible, de par son caractère de commettre une erreur ou une faute qui aura des conséquences très lourdes. De plus, sa chute ne sera que plus pitoyable s’il appartient à un rang social élevé et s’il jouit d’une bonne fortune (eutuchia), ainsi que d’un rang illustre83. C’est pourquoi Aristote recommande de chercher les sujets dramatiques dans un petit nombre de familles légendaires, auxquelles appartiennent les héros tragiques qui répondent le mieux aux critères requis84. Il faut de plus que la tragédie raconte la chute de ce héros, par suite d’une faute ou d’une erreur, de la bonne fortune à la mauvaise85. En effet, certaines circonstances rendent la pitié inopérante. Ce sont les cas où, par exemple, le juste passe de la bonne à la mauvaise fortune. Tant d’injustice dégoûte. Si ce sont des méchants qui passent de la mauvaise à la bonne fortune, le spectateur ne ressentira aucun sentiment de l’humain et ne sera pas sensible aux émotions tragiques. Si un homme foncièrement méchant tombe de la bonne fortune dans la mauvaise fortune, cela n’éveillera ni pitié, ni crainte, seulement peut-être le sens de l’humain. Il reste donc comme cas possible, qu’Aristote n’envisage pas, le passage de l’« homme intermédiaire » de la mauvaise à la bonne fortune. On sait qu’Aristote acceptait les tragédies qui finissent bien86 : pitié et crainte y sont au rendez-vous, puisqu’il y existe un pathos, un acte violent, même si celui-ci ne va pas à son terme87. Dans les cas qui éveillent les émotions tragiques, la pitié ne s’adresse qu’à celui qui n’a pas mérité son sort, ce qui est confirmé par la Rhétorique d’Aristote, comme nous le verrons.
Il y a donc une évaluation dans la pitié, comme dans toute émotion, une part cognitive qui peut toujours s’expliquer par un syllogisme dont le terme moyen est la cause efficiente de l’émotion en question88. Aristote est étonnamment moderne dans le lien qu’il établit entre cognition et émotion. Ses réflexions sur leur intervention ont été souvent rapprochées de travaux de la science moderne, comme ceux d’A. Damasio et J. Le Doux. L’émotion a même été interprétée comme étant une source d’élucidation intellectuelle par ceux pour qui la catharsis est un phénomène de clarification. Ajoutons que l’émotion joue un rôle important dans la vie morale d’Aristote89.
Le caractère cognitif de l’émotion a des conséquences importantes dans le domaine de la Poétique. Il permet à Aristote de se démarquer de Platon, qui condamnait la tragédie comme étant particulièrement nocive, parce que faisant appel à ce qu’il y a de plus irrationnel en nous. Le poète, en effet, d’après Platon, n’imite pas le calme et la sérénité du sage frappé par le malheur, mais le « tempérament bigarré » de l’âme qui se laisse aller à ce que l’émotion a de plus irrationnel90. L’émotion pour Platon porte atteinte au raisonnement et ruine l’échelle des valeurs humaines dans l’âme de chacun91. En liant émotion et cognition, en reconnaissant un élément cognitif dans l’émotion, Aristote rend l’émotion digne d’être représentée. L’objection platonicienne contre les effets de la mimêsis n’a plus aucune valeur. D’autre part, Aristote peut employer les émotions tragiques dans le processus complexe de la catharsis.
Pitié et crainte sont liées à la tragédie grecque dans la tradition littéraire antérieure à Aristote92. Nous avons vu la place et la fonction que Gorgias leur accorde dans son Éloge d’Hélène, dans un contexte qui évoque celui de la tragédie93. Nous avons aussi vu que chez Platon, pitié et crainte sont évoquées dans le contexte épique94, mais surtout en rapport avec la tragédie95. Pour Platon, ce sont des émotions qui ne conviennent pas à des gens de bien et qui peuvent les rendre mous et en faire des êtres désemparés, lorsque le malheur les frappe à leur tour. Cela rend d’autant plus intéressante l’attitude d’Aristote pour qui l’aspect cognitif de l’émotion rend à celle-ci sa dignité et lui permet de faire l’objet d’une catharsis, dans le cas de la pitié et de la crainte.
Pitié et crainte sont l’objet même des pièces tragiques qui sont parvenues jusqu’à nous. Pour la pitié, l’exemple le plus frappant est le Philoctète de Sophocle, l’auteur préféré d’Aristote. Du chœur de marins, la pitié gagne Néoptolème et le public ne devait pas être insensible aux nombreux appels à la pitié du héros lui-même96. D’une façon générale, la pitié imprègne la tragédie grecque. C’est un sentiment proprement théâtral, dans la mesure où il suppose une distance entre celui qui plaint et l’objet de la pitié, entre le spectateur et le personnage théâtral, deux personnes qui ne se confondent jamais, deux subjectivités bien distinctes97. Quant à la crainte, elle prédispose à la pitié et est indissociable de celle-ci. Elle est présente à des degrés divers chez les grands Tragiques. Ainsi, le théâtre d’Eschyle baigne dans une angoisse méticuleusement décrite, avec tous les phénomènes physiques qui l’accompagnent, frissons, cheveux dressés, chair de poule… La crainte est mise dans une relation quasi médicale avec certains organes, notamment le cœur ou le foie98. D’irrationnelle et intérieure chez Eschyle, la crainte devient plus ordonnée chez Sophocle, ce qui expliquerait que l’on trouve chez lui une crainte plus argumentée que décrite, tandis que chez Euripide, la crainte se fait souvent discrète, peut-être parce que les dieux s’absentent des affaires humaines99. Quoi qu’il en soit, Aristote ne pouvait pas, dans un traité théorique, tenir compte de toutes ces nuances et sa théorie sur le rôle de la pitié et la crainte dans la tragédie grecque est d’une grande justesse. Ces deux émotions sont indissociables l’une de l’autre et imprègnent toutes deux le théâtre grec, tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La pitié fait l’objet d’une analyse approfondie dans la Rhétorique d’Aristote100. Elle naît devant le spectacle d’un malheur qui frappe « qui ne le méritait pas »101. Cette dernière condition est peut-être celle qui nous surprend le plus. Elle peut se comprendre de deux façons. Soit la personne que l’on plaint est innocente et devient le jouet d’un dieu ou de la fortune, soit cette personne souffre plus que son dû – et on pense par exemple à Œdipe dans la tragédie de Sophocle Œdipe Roi. Le second cas de figure semble plus fréquent, surtout dans la tragédie grecque, dans la mesure où celle-ci, du moins dans l’optique aristotélicienne, suppose toujours la notion de faute102. Dans les deux cas, la mentalité antique diffère de la nôtre. Dans un procès antique, par exemple, la notion de circonstances atténuantes n’a aucune raison d’être : la pitié ne naîtra pas en effet du passé d’un coupable, mais de l’innocence d’une victime de la fortune ou de la punition démesurée d’un homme qui n’en méritait pas autant103. La pitié est une passion prospective, dans la mesure où on ne l’éprouve que si l’on peut être soi-même frappé, dans sa personne ou dans celle des siens, d’un malheur similaire à celui qui excite la pitié. La nature des maux qui peut provoquer la pitié est liée à la maladie, à la mort, aux revirements de fortune, dont Aristote dresse une liste qui recoupe en partie les maux dus à la fortune, énumérés dans l’Éthique à Nicomaque104. La Rhétorique insiste davantage sur les maux physiques, l’Éthique à Nicomaque sur la condition sociale, mais on retrouve, exprimé ou en filigrane, le rôle prépondérant de la fortune dans la vie morale105. La Rhétorique est aussi très proche sur un point de la Poétique. La pitié peut en effet intervenir lorsqu’un mal survient à la place d’un bien attendu106. C’est la définition même d’une des formes de la péripétie, dont nous avons vu le rôle primordial dans la tragédie107. À l’inattendu, Aristote ajoute la répétition des maux, qui peut également faire naître la pitié108 ou encore la survenue d’un bien devenu inutile après un mal irréparable109.
Les conditions qui, pour Aristote, font naître la pitié nous paraissent encore aujourd’hui très finement analysées, même si, sur certains points, elles sont étrangères à notre mentalité, forgée en grande partie par la tradition judéo-chrétienne. D’après Aristote, celui qui plaint se sait exposé à un mal similaire qui peut l’atteindre, lui ou un des siens, dans un avenir proche110. Aussi ne sera-t-on pas affecté par la pitié, si on est soi-même accablé de grands malheurs ou si on est (ou si on se croit) à l’abri des revirements de la fortune111. Ce dernier point est très important car il explique que, dans la tradition littéraire grecque, les dieux n’éprouvent que très difficilement de la pitié112. Pour ne prendre qu’un exemple, dans le domaine de la tragédie grecque, le Dionysos des Bacchantes d’Euripide, avec son sourire séduisant et son assurance tranquille, n’a pitié de personne, ni de Penthée, pourtant son cousin, ni de Cadmos, dont il n’accepte pas la piété tiède, ni d’Agavé, mère de Penthée, qui est pourtant une de ses fidèles. Aristote énumère avec finesse tous ceux qui sont susceptibles d’éprouver de la pitié113. Tous les cas particuliers se ramènent à la capacité de calculer l’avenir : gens qui ont eux-mêmes échappé au malheur, vieillards, faibles, gens instruits… De même, la pitié ne peut s’exercer qu’envers certaines personnes : il faut en être proche pour les plaindre, sans en être trop proche. La famille, qui fait partie de soi-même, ne saurait être plainte, pas plus que les très proches amis114. L’idée que l’on est soi-même à plaindre ne semble pas exister dans une théorie antique de la pitié, ce qui n’empêche pas les héros et les héroïnes de la tragédie grecque de se sentir malheureux à plus d’une occasion115. Aristote illustre très bien cet aspect de la pitié par une anecdote : Amasis ne pleura pas son fils qui était conduit à la mort, mais il pleura lorsque son ami lui demanda l’aumône116. La mort de son fils était pour lui une réalité horrible et inéluctable et la pitié de soi n’est pas un sentiment reconnu par Aristote. Au contraire, le cas de son ami était pitoyable, puisque le même événement pouvait menacer Amasis dans un avenir proche. Plus l’homme que l’on plaint nous est semblable par le caractère, les dispositions et la famille, plus la pitié trouve matière à s’exercer117. Pour que l’on puisse éprouver de la pitié, il faut que le malheur qui nous menace nous paraisse proche. Aussi Aristote admet-il tout ce qui met « les choses sous les yeux », les rendant proches dans l’avenir ou le passé – ce dernier point paraît être une allusion qui peut s’appliquer aussi à la tragédie : gestes, voix, vêtements, mimique, discours, actions de ceux qui souffrent118. On voit qu’Aristote, en général si sévère pour le jeu exagéré des acteurs, admet la gestuelle et la mimique, lorsqu’il s’agit d’éveiller la pitié.
Comme la pitié, la crainte, phobos, qui s’éveille au malheur d’un semblable119, est une passion prospective, dans la mesure où elle est une peine accompagnant l’idée d’un mal susceptible de survenir dans un avenir proche et pouvant occasionner de graves destructions120. La Rhétorique examine en détail tous les cas pouvant susciter la crainte. Les énumérer équivaudrait à dire que la crainte naît de l’idée que l’on puisse être à la merci d’un autre, les hommes étant moins bons qu’ils ne devraient l’être121. La Rhétorique examine surtout la crainte que l’on éprouve pour soi-même, alors que, dans la Poétique, le spectateur craint à la fois pour lui-même les maux à venir (et ici, pitié et crainte sont étroitement liées) et éprouve de la crainte pour le héros tragique, dont le destin se déroule devant lui, sans rien laisser présager de favorable. S. Halliwell a montré comment la crainte se transformait sous l’effet de la mimêsis tragique : s’adressant surtout à autrui, elle devient, plus qu’une impulsion, un indicateur de l’intensité de l’émotion de pitié que le spectateur sera capable de ressentir. La pitié sera d’autant plus grande que la crainte aura été intense122. La complémentarité entre pitié et crainte fait que l’on ne suivra pas D. Konstan, lorsqu’il affirme qu’il y a dans la pitié un élément d’attente qui n’existe pas dans la crainte : pour lui, l’aisthésis, ou sensation de douleur ou de plaisir qui suit toute émotion, est une « perception faible » dans le cas de la pitié, puisqu’elle naît du dommage ou de la douleur subis par quelqu’un qui ne les mérite pas ; au contraire, il n’y aurait pas, d’après D. Konstan, dans la crainte, née directement de l’image ou impression (phantasia) d’un objet douloureux, cette référence au mérite et cette attente123. Or cet élément d’attente semble bien exister dans la crainte car celle-ci est également de nature prospective. Pitié et crainte sont suivies de la même douleur et sont complémentaires. Comme le souligne A. Nehamas124, nous craignons pour nous-mêmes ce que nous tendons à plaindre chez les autres et nous plaignons chez les autres ce que nous craindrions pour nous-mêmes.
Si certaines composantes de la pitié et de la crainte antiques se retrouvent aujourd’hui dans notre conception de ces deux émotions, il faut souligner que la pitié et la crainte, telles que les définissait Aristote, ne répondent pas tout à fait à nos propres définitions de ces émotions. Ce décalage intrigue et pourtant il s’explique par la nature même de l’émotion, qui est modelée par la société et qui n’a pas la même connotation suivant les époques et les cultures125. Même l’expression faciale qui exprime l’émotion et dont on pourrait penser qu’elle est la même partout peut être déterminée, dans un grand nombre de cas, par notre environnement culturel. Sans entrer ici dans une étude des émotions, qui voit s’affronter plusieurs théories souvent adverses, on peut donc noter d’une façon générale que les émotions étudiées par Aristote ne correspondent pas toujours à nos propres distinctions. De plus, certaines de nos émotions, comme le sentiment de la solitude ou la tristesse ne figurent pas dans les listes antiques des émotions126. Il était donc nécessaire de définir les deux émotions, pitié et crainte, sur lesquelles s’exercera la catharsis.
Il faut noter que pitié et crainte doivent naître, dans une tragédie, de l’agencement même des faits et de leur enchaînement causal. Ces émotions seront d’autant plus fortes que cet enchaînement causal se produira de façon rigoureuse, bien que contre toute attente. Des événements amenés par le hasard seul ne produiront pas le paroxysme tant recherché de la pitié et de la crainte127. La crainte, qui ne naîtrait que du spectacle, se confondrait avec le monstrueux. Le spectacle fait naître en effet une pitié et une crainte violentes, mais passagères, qui ne dureront pas assez longtemps pour faire l’objet d’une catharsis128. Pitié et crainte ne sont pas seulement liées à l’agencement des faits en système, qui correspond à la première partie de la tragédie, c’est-à-dire à l’histoire ou au mythe. Elles sont aussi redevables à la pensée, dianoia, et à la parole, lexis129, qui sont respectivement les troisième et quatrième parties de la tragédie. Pour la pensée, Aristote renvoie à la Rhétorique, mais étudie l’expression dans la Poétique, précisément parce que la poésie a son propre style130. Comme on le voit, pitié et crainte, transformées par la mimêsis dans un contexte artistique, atteindront leur paroxysme dans une tragédie bien faite. On peut peut-être même ajouter que ce sont ces deux émotions qui lient ensemble mimêsis et catharsis.
3.- Le processus de la catharsis : quelques interprétations
Nous ne citerons que pour mention les interprétations qui tendent à nier purement et simplement la catharsis et les émotions de pitié et de crainte.
Nous ne suivrons pas Cl. W. Veloso131, lorsqu’il supprime de la définition de la tragédie dans la Poétique132 catharsis, pitié et crainte et y voit une glose tardive, ajoutée par un néoplatonicien ou un stoïcien éclectique. La catharsis existe certes dans la théorie artistique des stoïciens, surtout dans le Moyen Portique, mais elle y est très rarement attestée et il faut y voir précisément une influence de l’aristotélisme qui a par ailleurs tellement influencé les stoïciens133. G. F. Else déjà considérait le passage en question de la Poétique concernant la catharsis et les émotions comme une glose134 et justifiait son interprétation par le fait que rien de ce qui précède ne justifie l’allusion à la catharsis et aux émotions. Mais il ajoute que cette glose peut être une seconde pensée d’Aristote lui-même en se relisant et que rien ne laisse supposer qu’elle soit tardive. De même, nous ne supprimerons pas comme Cl. W. Veloso la catharsis d’un texte de la Politique135, nous conformant en cela aux avis autorisés qui gardent le terme dans ce passage, sans toucher à celui-ci.
Pour P. L. Donini aussi, il faut envisager, dans la Poétique, une tragédie sans catharsis136. Pour lui, en effet, dans la célèbre définition aristotélicienne de la tragédie137, celle-ci ne réalise pas la catharsis, contrairement à l’interprétation généralement acceptée, elle la couronne : le verbe « perainein » peut en effet signifier « achever » ou « conclure ». Il faudrait par conséquent séparer la catharsis musicale de la Politique de la catharsis tragique de la Poétique, qui, de ce fait, n’existerait plus. Seule la musique sacrée aurait un pouvoir cathartique – la musique accompagnant la tragédie n’aurait aucun effet de ce genre, pas plus que la tragédie elle-même. La catharsis musicale aurait déjà épuré les passions, d’une manière quasi médicale, lorsque le spectateur se rend au théâtre pour voir une tragédie. La catharsis aurait donc lieu en dehors de la tragédie et celle-ci ne ferait que la compléter par la compréhension rationnelle des raisons des émotions138. Cette hypothèse soulève de nombreuses objections. Tous les spectateurs de tragédies avaient-ils entendu des chants sacrés ? La catharsis provoquée par les chants sacrés durait-elle encore, lorsque le spectateur se rendait au théâtre pour voir une tragédie ? Une réponse négative à ces deux questions semble probable, ce qui rend très peu vraisemblable l’hypothèse, pourtant intéressante et ingénieuse, de P. L. Donini.
La catharsis semble donc liée à la musique et à la tragédie. Il faut donc, par conséquent, revenir au texte de la Politique139, comme à celui qui contient le plus d’indications à ce sujet. Une des interprétations les plus célèbres de la catharsis est due à J. Bernays. Pour J. Bernays, oncle par alliance de Freud140, et les adeptes de sa théorie, la catharsis doit être comprise comme une métaphore médicale. J. Bernays reprend, en lui donnant un éclat tout particulier, une théorie déjà formulée vers le milieu du XVIe siècle par Minturno141. D’après lui, la catharsis s’applique à la sphère des émotions : pitié et crainte, lorsqu’il s’agit de tragédie et de musique, délire religieux ou enthousiasme en musique, pour les âmes prédisposées à ce genre de troubles. En termes modernes, on pourrait qualifier la catharsis d’homéopathique, dans la mesure où elle combat le mal par le mal : la tragédie instille les émotions dans une âme qu’elles remplissent déjà et la catharsis les guérit. Les mêmes airs servent à provoquer le trouble et à le guérir. On a vu qu’Hippocrate préconisait cette forme d’« homéopathie » dans la catharsis. Il n’y aurait pas de finalité morale dans la catharsis. Le point de vue d’Aristote serait purement pathologique. Il part des mouvements de délire religieux pour suggérer un traitement pathologique de toutes les émotions. Après la crise, le délire disparaît pour laisser place au calme et même au soulagement, suivi d’un certain plaisir et ceci grâce au recours aux mêmes mélodies qui ont provoqué le mal. On pense au malade devenu sain grâce au traitement médical par le même, c’est-à-dire par le mal même qui a provoqué sa maladie. Le terme catharsis, pris ici à la médecine, est une métaphore. Dans le domaine de la tragédie, comme de la musique, la catharsis s’exerce par les émotions de pitié et de crainte, mais dans la musique, il faut ajouter à ces émotions l’enthousiasme.
De façon générale, les critiques faites à cette théorie relèvent à leur tour de la médecine. Pourquoi faudrait-il supposer que les spectateurs soient malades, au point d’avoir besoin, même en se situant d’un point de vue métaphorique, du traitement de la catharsis ? Celle-ci s’applique certes, comme nous l’avons vu, à un public de mélancoliques et de gens trop émotifs, mais aussi à des gens parfaitement équilibrés et raisonnables. D’autre part, la catharsis serait la même pour tout le public indifféremment. J. Bernays ne distingue pas entre les deux formes de la catharsis, selon qu’elle s’applique à un public prédisposé au délire ou au contraire à des spectateurs, dont la sensibilité aux émotions est moindre142. Cette distinction, qu’Aristote fait dans le domaine de la musique, n’est pas reprise par lui dans le domaine tragique. On peut ajouter qu’il n’est pas du tout certain qu’Aristote ait connu l’homéopathie143. Il faut souligner néanmoins l’influence considérable qu’a eue J. Bernays sur les études aristotéliciennes. Il a inspiré beaucoup de théories modernes, selon lesquelles la catharsis est un défoulement d’émotions accumulées144.
Malgré les objections qui lui ont été faites, la théorie de J. Bernays reste séduisante en ce qui concerne la catharsis par l’enthousiasme. Nous avons vu que la catharsis avait la même valeur dans la Poétique et dans la Politique, mais nous ferons ici avec S. Halliwell une distinction qui nous paraît importante, en mettant à part la catharsis de l’enthousiasme, dont nous parle la Politique. S. Halliwell réserve l’explication médicale et physiologique à la seule catharsis de l’enthousiasme et rappelle que la sensibilité aux émotions varie d’une personne à l’autre, d’où l’idée qu’il y a aussi des variations dans l’intensité même de la catharsis. Seule la catharsis musicale des gens modérés, peu enclins à la frénésie religieuse et à l’enthousiasme, peut être comparée à la catharsis tragique145.
Le grand apport de S. Halliwell et ce qui rend sa théorie séduisante, c’est qu’il intègre la catharsis musicale et la catharsis tragique dans la théorie aristotélicienne des émotions. La catharsis habitue l’âme à l’émotion et lui apprend à prendre l’habitude de réagir de façon vertueuse146. Elle lui apprend à être modérée et pourrait même améliorer la capacité émotive chez certaines personnes, déficientes de ce point de vue. Ainsi, la catharsis tragique aligne d’une certaine façon émotion et raison et harmonise nos émotions « avec nos perceptions et nos jugements sur le monde »147. Cette explication de la catharsis a l’avantage de rester dans une perspective aristotélicienne.
Cette théorie a aussi l’avantage d’être complète et de prendre en compte aussi bien la psychologie du spectateur que le point de vue éthique et esthétique de l’œuvre. Elle lie ensemble catharsis musicale modérée et catharsis tragique. Elle est inséparable de la mimêsis qui, nous l’avons vu148, peut seule expliquer l’effet de la musique et des émotions sur l’âme. La catharsis est ainsi un concept esthétique qui s’accompagne d’une signification morale149. Elle ne peut s’effectuer que dans certaines conditions. Il faut que la mimêsis ait donné au spectacle et aux sentiments une valeur esthétique. En d’autres termes, il faut, comme nous l’avons vu dans l’étude des émotions, que la tragédie soit parfaite, afin que les émotions soient à leur paroxysme et qu’il s’établisse une distance suffisante entre le spectacle et la réalité. Il est en effet certain que l’on ne réagit pas devant un événement malheureux de la même façon au théâtre et dans la vie. Au théâtre, l’élément de plaisir qui fait partie du contexte esthétique n’existe pas dans la vie. À partir de là, le processus de la catharsis s’enclenche dans la musique, comme dans la tragédie et s’explique pour S. Halliwell par l’emploi homéopathique de la pitié et de la crainte dans la musique comme dans la tragédie. Si, comme nous le pensons, l’explication de J. Croissant paraît aussi possible150, elle peut s’appliquer aussi dans l’hypothèse de S. Halliwell et ne change rien au processus même de la catharsis. Pitié et crainte, dans les deux cas, provoquent dans l’âme du spectateur ce que l’on pourrait qualifier de crise. Celle-ci s’atténue par son excès même et la dépense émotionnelle s’en trouve maîtrisée, mettant le spectateur dans une habitude de vertu, qui lui permet de réagir correctement devant les émotions que donnent le théâtre et, plus significativement, la vie. « Ce domaine de l’expérience mérite de valoir comme “esthétique” du fait qu’il s’incarne dans les actes de l’attention intensément contemplative portée aux objets mimétiques, mais aussi comme éthique, du fait qu’il active et exerce l’êthos – le caractère moral et la sensibilité – du public de la musique et de la poésie »151. En nous donnant cette belle description de la catharsis, S. Halliwell reste prudent, en se référent dans une citation liminaire, à T. S. Eliot : « … hints and guesses, Hints followed by guesses… »152.
La théorie de S. Halliwell, que l’on peut considérer comme une hypothèse très plausible, sinon définitive, fait partie d’un groupe d’interprétations que S. Halliwell lui-même appelle l’hypothèse de la modération153. Il y a en effet un rapport entre ce type de théories et la théorie aristotélicienne de la juste mesure154, qui décrit un état d’équilibre, semblable à celui qu’atteint le spectateur ou le lecteur après la catharsis. De telles hypothèses avaient été formulées dès le XVIe siècle par Vettori et Piccolomini155. C’est aussi la théorie de Lessing dans son ouvrage Hamburgische Dramaturgie156. Nous ajouterons à ce groupe l’hypothèse très intéressante d’E. Belfiore, qui en constitue en quelque sorte une variante : la tragédie met au jour, à travers le héros tragique, un certain nombre de croyances et de désirs que nous qualifierons de honteux. Il s’en suivra des événements destructeurs qui le feront souffrir et nous savons que la même chose peut nous arriver157. La catharsis enlève le trop-plein des émotions de pitié et de crainte et nous met dans un état d’équilibre qu’E. Belfiore rattache à la crainte de la honte (aidôs)158. Si cette analyse est ingénieuse, il n’en reste pas moins qu’elle introduit une émotion, dont Aristote ne parle pas, dans les passages cités de la Politique et de la Poétique. Nous préférons d’autre part l’interprétation de S. Halliwell : la catharsis aboutit chez lui à l’acquisition de vertus, alors qu’E. Belfiore suppose, après la catharsis, un équilibre certes excellent, mais qui n’est pas dû à l’acquisition de vertus, mais au règne d’une émotion.
Nous laisserons de côté les autres interprétations de la catharsis : catharsis didactique, catharsis comme clarification, notamment, contre lesquelles S. Halliwell a dressé un réquisitoire justifié159 sur lequel nous ne reviendrons pas. De la théorie de J. Bernays, nous retiendrons son application possible à l’état d’enthousiasme, dû à une catharsis musicale. Et nous ne dirons rien de la catharsis comique, faute de témoignages fiables et authentiques160. Il faut se résoudre à ignorer, sinon la signification, du moins le processus de la catharsis aristotélicienne, dont nous ne devinons que les grandes lignes, suffisamment pourtant pour y reconnaître un apport majeur d’Aristote à l’esthétique de tous les temps.
1- Voir supra, p. 128.
2- Poét., 6, 1449 b 24-28. Nous avons gardé ici la traduction de R. Dupont-Roc et J. Lallot, Aristote, La Poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 53. Nous avons toutefois remplacé frayeur par crainte, comme marquant mieux la relation de cette émotion avec la pitié, voir infra, p. 170-171.
3- Pol., VIII, 7, 1341 b 33-1342 a 17.
4- Nous avons vu, supra, p. 17, note 20, les incertitudes qui entourent la date de la Poétique : celle-ci peut avoir été remaniée et complétée à des dates très différentes. La date de la Politique ne nous est guère mieux connue. Les différentes parties de ce traité peuvent avoir été composées à des dates différentes. Faut-il considérer les livres VII et VIII, qui nous intéressent particulièrement dans cette étude, comme des livres « platonisants », donc anciens et antérieurs aux parties réalistes de l’œuvre ? D’après certains, ce même caractère serait un indice indiquant une date tardive, voir P. Pellegrin, Aristote, Les Politiques2, traduction et présentation, GF Flammarion, (1990), 1993, p. 62-68.
5- Pol., VIII, 7, 1342 a 5-15. Nous avons gardé la traduction de P. Pellegrin, op. cit., p. 542-543.
6- Nous reviendrons sur ce point, infra, p. 201, en étudiant le rôle de l’art dans la cité.
7- Sur ce sentiment de plaisir, voir supra, p. 58.
8- Pol., VIII, 7, 1342 a 15-17. Le mot kathartika à la ligne 16 est parfois corrigé en praktika, voir R. Kraut, Aristotle, Politics, Book VII and VIII, translated with a commentary, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 212 ; voir aussi P. L. Donini, La tragedia e la vita. Saggi Sulla Poetica di Aristotele, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2004, p. 61-62.
9- Pol., VIII, 5, 1340 b 5.
10- Platon, Banquet, 215 c. Sur Olympos, voir en particulier R. Kraut, op. cit., p. 193.
11- Voir supra, p. 20-21.
12- Voir supra, p. 83-84.
13- Voir supra, p. 38, note 146.
14- Pol., VIII, 6, 1341 a 18-23.
15- Pol., VIII, 6, 1341 a 24-27.
16- Pol., VIII, 6, 1341 a 26 – 1341 b 9.
17- EE, II, 8, 1225 a 27 sqq.
18- Un parallélisme entre l’enthousiaste et le chanceux a été tracé par J. Croissant, Aristote et les Mystères, Liège, Faculté de Philosophie et Lettres, Paris, Librairie E. Droz (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fasc. LI), 1932, p. 20-33.
19- EE, VIII, 2, 1246 a 30-35.
20- Une deuxième sorte de chanceux réussit, malgré un raisonnement faux et par conséquent sans suivre uniquement son impulsion, voir EE, VIII, 2, 1247 b 20 sqq.
21- P. Aubenque, La Prudence chez Aristote, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, p. 73.
22- EE, VIII, 2, 25 sqq.
23- Voir P. Aubenque, op. cit., p. 74, note 2.
24- Cic., De divinatione, I, 38, 51, cité par J. Croissant, op. cit., p. 32.
25- Voir J. Croissant, op. cit., p. 35 sqq. qui s’appuie notamment sur PA, 649 a 24 sqq., et 677 a 12-13 ; de Somno 457 a 31 ; de Insomniis, 461 a 22-25. Nous ne pouvons nous appuyer qu’avec prudence sur le Problème, XXX, 1, qui se situe dans la tradition aristotélicienne, mais dont l’attribution à Aristote lui-même est incertaine : voir J. Pigeaud, Aristote, L’homme de génie et la mélancolie, Traduction, présentation et notes, Paris, Éditions Rivages, 1988. Il est important pour notre propos de souligner que, d’après l’auteur de ce traité, tous les hommes d’exception, qui se sont illustrés en philosophie, en politique, en poésie et dans les arts, sont, à des degrés variables, des mélancoliques : voir Problème, XXX, 1, 953 a 10 sqq. Nous savons, par un témoignage de Cicéron, Tusculanae Disputationes, I, 953 a 10 sqq., qu’Aristote partageait cette opinion, voir J. Croissant, op. cit., p. 76.
26- Voir G. F. Else, Aristotle’s Poetics : the Argument, Harvard (Mass.), Harvard University Press, 1957, p. 437-445, notamment.
27- Ibid., p. 438.
28- Ibid., p. 438-439.
29- Voir supra, p. 150 et note 2.
30- Voir G. F. Else, op. cit., p. 436-437.
31- Voir par ex. L. Golden, « The Purgation Theory of Catharsis », Journal of Aesthetics and Art Criticism, 31, 1972, p. 473-479 et plus particulièrement p. 474-477.
32- On renverra, pour un premier aperçu sur la Villa des Papyri et les écrits de Philodème, à M. Gigante, La Bibliothèque de Philodème et l’épicurisme romain, préface de P. Grimal, Paris, Société d’édition « Les Belles Lettres » (Collection d’Études anciennes 56), 1987.
33- Ce papyrus a été republié par R. Janko, « On Poems and Aristotle’s On Poets », Cronache Ercolanesi, 21, 1991, p. 5-64. Cette publication n’est pas définitive. Elle sera reprise dans l’édition en cours d’établissement du Peri Poiêmatôn, dans la partie de cette édition monumentale qui incombe à R. Janko et dont le volume I, signé par lui, a déjà paru (Philodemus, On Poems, Book I, Collection The Philodemus Translation Project, Philodemus : The Aesthetic’s Works, vol. I, 1, Oxford, New York, Oxford University Press, 2000, 2003 en paperback).
34- Voir M. L. Nardelli, « La catarsi poetica nel PHerc. 1581 », Cronache Ercolanesi, 8, 1978, p. 96-103 et plus particulièrement p. 99 ; R. Janko, loc. cit., p. 59-63. L’appartenance de ce Papyrus au Peri Poiêmatôn a toutefois fait l’objet de doutes, voir D. F. Sutton, « PHerc. 1581 : the Argument », Philosophia, 12, 1982, p. 270-276 et plus particulièrement p. 273, note 2. Pour l’étude de ce papyrus, on renverra aussi à R. Janko, « From Catharsis to the Aristotelian Mean », dans A. Oksenberg Rorty, Essays on Aristotle’s Poetics, Princeton, Londres, Princeton University Press, 1992, p. 349.
35- Voir supra, p. 17, note 2.
36- Voir R. Janko, Cronache Ercolanesi, loc. cit., p. 16-17, X.
37- Poét., 16, 1455 a 1.
38- Nous suivons ici R. Janko, « From Catharsis to the Aristotelian Mean », dans A. Oksenberg Rorty, op. cit., p. 349, frag. 7, qui, toutefois, présente son hypothèse avec un point d’interrogation.
39- D. F. Sutton, loc. cit., p. 271, frag. III bis (= M. L. Nardelli, loc. cit., p. 100, frag. III bis).
40- D. F. Sutton, loc. cit., p. 274 sqq. Le texte de Jamblique est le De Mysteriis, I, 11.
41- Voir P. Somville, Essai sur la Poétique d’Aristote, Paris, Vrin, 1975 ; M. Paillier, La Katharsis chez Aristote, Paris, L’Harmattan (Ouverture philosophique), 2004, en particulier p. 12-39. C’est de ces deux sources qu’ont été extraits les quelques exemples cités ici.
42- Hérodote, Histoires, I, 35.
43- Thucydide, La guerre du Péloponnèse, III, 104, section 2 ; V, 1, section 1.
44- Voir P. Somville, op. cit., p. 56-57. Sur la fête des Thargélies, voir ibid., p. 56-59.
45- Voir P. Somville, op. cit., p. 59-61.
46- Voir P. Somville, op. cit., p. 62-63, avec référence en particulier à Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, I, 110.
47- Voir P. Somville, op. cit., p. 69.
48- Voir P. Somville, op. cit., p. 64-68.
49- Diogène Laërce, op. cit., VIII, 34.
50- C’est à la tradition orphico-pythagoricienne qu’il faut rattacher Empédocle et sa théorie de la haine, source de l’impureté humaine, voir les extraits donnés par M. Paillier, op. cit., p. 20-23.
51- Voir J. Figari, « Les premiers Pythagoriciens et la catharsis musicale », Revue de philosophie ancienne, XVIII, n° 2, 2000, p. 3-32. Les références antiques données ici sur ce sujet sont extraites de cet article.
52- Diels-Kranz, I, p. 468, 19-21.
53- Jamblique, Vie pythagorique, 110.
54- Porphyre, Vie de Pythagore, 32-33.
55- Voir J. Figari, loc. cit., p. 11-12.
56- Voir J. Figari, loc. cit., p. 10.
57- Voir P. Somville, op. cit., p. 73-75 ; M. Paillier, op. cit., p. 33-39.
58- Voir A. Döring, Die Kunstlehre des Aristotles, Iena, H. Dufft, 1876, appendice.
59- Pour quelques exemples de traitement par le semblable dans le corpus hippocratique, voir E. S. Belfiore, Tragic Pleasures, Aristotle on Plot and Emotion, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1992, p. 279. J. Jouanna souligne que la médecine hippocratique est essentiellement allopathique, voir J. Jouanna, « Hippocrate », dans J. Brunschwig et G. Lloyd, avec la collaboration de P. Pellegrin, Le Savoir grec, Dictionnaire critique, Préface de Michel Serres, Paris, Flammarion, 1996, p. 716,
60- Voir infra, p. 174-175.
61- Voir G. Moulinier, Le pur et l’impur dans la pensée et la sensibilité des Grecs jusqu’à la fin du IVe siècle avant J.-C., Paris, 1950, cité par P. Somville, op. cit., p. 74.
62- Voir par ex. République, II, 364 e-365 a. « Katharmoi » est employé ici pour signifier les purifications religieuses. Pour un corpus des emplois de catharsis et de sa famille chez Platon, voir P. Somville, op. cit., p. 70-73 et M. Paillier, op. cit., p. 23-33.
63- Phèdre, 243 a-b. Ici encore, le mot employé pour purifications est katharmos.
64- Le Sophiste, 230 c ; les Lois, 628 d ; Cratyle, 405 a-c.
65- Lois, 735 d et 736 a-b.
66- Phédon, 67 c.
67- Phédon, 66 d.
68- P. Somville, op. cit., p. 71.
69- Poét., 6, 1449 b 27-28. Cette traduction est donnée ici d’après R. Dupont-Roc et J. Lallot, op. cit., p. 53.
70- Voir A. Nehamas, « Pity and Fear in the Rhetoric and the Poetics », A. Oksenberg Rorty, op. cit. (à la note 34), p. 307.
71- Voir supra, p. 135, note 100. Une bonne analyse du pathos comme « effet violent » a été faite par E. Belfiore, op. cit. (à la note 59), p. 134-141.
72- E. Belfiore, op. cit., p. 135.
73- Rhét., II, 8, 1385 b 13-16.
74- Rhét., II, 5, 1382 a 21-22.
75- Poét., 11, 1452 b 10-13.
76- EN, II, 4, 1105 b 20. Voir J. Tricot, Aristote, Éthique à Nicomaque, Introduction, notes et index, Librairie Philosophique J. Vrin, 1979, p. 100, note 5.
77- EN, II, 4, 1105 b 23-25.
78- EN, II, 4, 1105 b 25-28.
79- EN, II, 4, 1106 a 4-5.
80- EN, II, 4, 1105 b 23.
81- Rhét., I, 2, 1356 a 15-17 ; II, 1, 19-22.
82- Voir aussi supra, p. 59, p. 103-104, p. 146 et infra, p. 222.
83- Poét., 13, 1453 a 7-12.
84- Poét., 13, 1453 a 17-23.
85- Poét., 13, 1453 a 15-17.
86- Poét., 13, 1454 a 4-9.
87- Voir supra, p. 135, note 100.
88- Voir W. W. Fortenbaugh, Aristotle on Emotion2, London, Duckworth, 2002, p. 9-16.
89- Pour un survol du rapport de la cognition et de l’émotion dans quelques travaux récents sur Aristote, on se permettra de renvoyer à M.-A. Zagdoun, « Autour de la Poétique d’Aristote », Revue des Études Grecques, 117, 2004, p. 728-729.
90- République, X, 605 a, citation d’après la traduction de L. Robin, Platon, Œuvres complètes, Paris, Libraire Gallimard (Bibliothèque nrf de la Pléiade), 1959, t. I, p. 1218.
91- République, X, 605 b-c.
92- Voir la bibliographie donnée par S. Halliwell, Aristotle’s Poetics2, p. 170, note 3.
93- Voir supra, p. 25.
94- Platon, Ion, 535 b-c.
95- Voir supra, p. 25.
96- Pour une analyse de la pitié dans le Philoctète de Sophocle, voir S. Halliwell, The Aesthetics of Mimesis. Ancient Texts and Modern Problems, Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2002, p. 208-212.
97- Voir S. Halliwell, The Aesthetics of Mimesis, op. cit., p. 216.
98- On renverra sur cette question à l’étude de J. de Romilly, La crainte et l’angoisse dans le théâtre d’Eschyle, Paris, « Les Belles Lettres », 1971.
99- Voir J. de Romilly, op. cit., p. 101.
100- Rhét., II, 8.
101- Rhét., II, 8, 1385 b 14.
102- Voir supra, p. 146-148.
103- Voir D. Konstan, Pity Transformed, London, Duckworth, 2001, en particulier le chapitre I (abrégé ici : Pity Transformed).
104- EN, I, 9, 1099 b 3-6.
105- Voir supra, p. 145-146.
106- Rhét., II, 8, 1386 a 11-12.
107- Voir supra, p. 135, note 98.
108- Rhét., II, 8, 1386 a 12-13.
109- Rhét., II, 8, 1386 a 13-14.
110- Rhét., II, 8, 1385 b 13-19.
111- Rhét., II, 8, 1385 b 20-21.
112- On renverra sur ce point à D. Konstan, Pity Transformed, chap. 4, p. 105-124.
113- Rhét., II, 8, 1385 b 23-1386 a 3.
114- Rhét., II, 8, 1386 a 16-20. L’idée que la famille fait partie de soi-même peut être rapprochée de la notion de l’oikeiôsis, reprise et théorisée plus tard par les stoïciens. Les Anciens ne plaindront la famille que lorsque la pitié deviendra compassion, voir D. Konstan, Pity Transformed, chap. 4, et plus particulièrement p. 58-60.
115- Voir D. Konstan, Pity Transformed, p. 64-65.
116- Rhét., II, 8, 1386 a 20-22.
117- Rhét., II, 8, 1386 a 25-26.
118- Rhét., II, 8, 1386 a 32-1386 b 4.
119- Poét., 13, 1453 a 5-6.
120- Rhét., II, 5, 1382 a 21-25.
121- Rhét., II, 5, 1382 b 4-6.
122- Voir S. Halliwell, The Aesthetics of Mimesis, op. cit., p. 217, note 32.
123- Voir D. Konstan, Pity Transformed, p. 128-136, en particulier p. 133-136.
124- A. Nehamas, loc. cit. (à la note 70), p. 301. Voir Aristote, Rhét., II, 8, 1385 b 14-15 et 1386 a 26-28.
125- Sur les théories modernes des émotions et leur rapport avec Aristote, on renverra à D. Konstan, The Emotions of Ancient Greeks, Studies in Aristotle and Classical Literature, Toronto, Buffalo, Londres, University of Toronto Press, (2006), 2007 (paperback), p. 3-40.
126- Voir D. Konstan, op. cit., p. 16.
127- Poét., 9, 1452 a 1-11.
128- Poét., 14, 1453 b 1-13, voir R. Dupont et J. Lallot, op. cit., p. 253, note 2.
129- Poét., 19, 1456 a 1 – 1456 b 8.
130- Rhét., III, 1404 a 28, cité par R. Dupont-Roc et J. Lallot, op. cit., p. 310.
131- Voir Cl. W. Veloso, « Aristotle’s Poetics without Katharsis, Fear or Pity », Oxford Studies in Ancient Philosophy, 33, 2007, p. 255-284.
132- Voir supra, note 2.
133- Sur la catharsis dans la théorie artistique des stoïciens, on se permettra de renvoyer à M.-A. Zagdoun, La Philosophie stoïcienne de l’art, Paris, CNRS Éditions, 2000, notamment p. 221 et 222.
134- G. F. Else, op. cit. (à la note 26), p. 231-232.
135- Voir Cl. W. Veloso, loc. cit., p. 257 sqq. (Pol., VIII, 7, 1341 b 32-1342 a 4.)
136- P. L. Donini, op. cit. (à la note 8), p. 53-66.
137- Poét., 6, 1449 b 24-28. Le verbe « perainein » figure à la ligne 27. Il est employé à nouveau à la ligne 30, cette fois-ci avec le sens de « réaliser », ce qui pourrait être une objection à la théorie de P. L. Donini, comme celui-ci le reconnaît lui-même.
138- Voir P. L. Donini, op. cit., en particulier p. 58-61.
139- Voir supra, note 135.
140- J. Bernays, Zwei Abhandlungen über die aristotelische Theorie des Drama, Berlin, W. Hertz, republié à Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1968. Dans cette œuvre, J. Bernays reprend une théorie déjà publiée à Breslau, en 1857 sous le titre Grundzüge der verlorenen Abhandlungen des Aristoteles über die Wirkung der Tragödie.
141- En 1559, dans le De Poeta et en 1563 dans son Arte Poetica, cités par L. Golden, loc. cit. (à la note 31), p. 473.
142- Voir S. Halliwell, « La psychologie morale de la catharsis. Un essai de reconstitution », Les Études philosophiques, octobre 2003, p. 505.
143- Il n’y a aucune allusion à une guérison du semblable par le semblable chez Aristote dans l’ouvrage de J. Lombard, Aristote et la médecine. Le fait et la cause, Paris-Budapest-Turin, L’Harmattan, 2004. On peut rappeler ici la théorie aristotélicienne de l’extinction du feu par ses contraires (le froid et l’humide), mais aussi par son semblable (une plus forte chaleur), voir J. Croissant, op. cit., p. 83 sqq., qui explique la catharsis par l’extinction de la chaleur, due à la bile des mélancoliques, par la chaleur plus forte apportée par les émotions tragiques. Elle accepte l’idée d’une « purge homéopathique ». Cette interprétation qui recourt à la destruction du semblable par le semblable a été contestée par E. Belfiore, op. cit. (à la note 59), p. 267, qui voit au contraire dans la catharsis telle qu’elle est expliquée par J. Croissant un recours aux opposés, le plus grand et le plus petit en ce qui concerne la chaleur. Aristote serait donc ici un partisan de l’allopathie. Mais voir aussi supra, note 59.
144- Voir S. Halliwell, Aristotle’s Poetics2, With a New Introduction, London, Duckworth, 1986, 1998, p. 353-354.
145- Voir S. Halliwell, ibid., p. 191.
146- Voir S. Halliwell, ibid., p. 197, note 40, avec références à EE, 1220 b 7-10, 1234 a 24-33, pour la relation entre les émotions et la vertu et à EN, 1108 a 30 sqq., EE 1233 b 16 sqq., pour la modération dans les émotions, particulièrement de pitié et de crainte.
147- Voir S. Halliwell, op. cit. (à la note 144), p. 201.
148- Voir supra, p. 83 sqq.
149- Voir S. Halliwell, loc. cit. (à la note 142), p. 499.
150- Voir supra, note 143. Pour une critique assez sévère de la théorie de J. Croissant, voir E. Belfiore, op. cit. (à la note 59), p. 310.
151- Voir S. Halliwell, loc. cit. (à la note 142), p. 516-517.
152- « … Allusions et conjectures, Conjectures suivies d’allusions… », voir S. Halliwell, loc. cit. (à la note 142), p. 499.
153- Voir S. Halliwell, op. cit. (à la note 144), p. 352-353.
154- Voir infra, p. 232, note 159.
155- Voir S. Halliwell, op. cit. (à la note 144), p. 353.
156- Ibid., p. 353.
157- Pour une analyse plus détaillée du processus de la catharsis chez Aristote, voir E. Belfiore, op. cit., p. 349-350 et, d’une façon plus générale, p. 291-360.
158- E. Belfiore, op. cit., p. 350. Pour une analyse très détaillée de la honte chez Aristote, voir E. Belfiore, op. cit., p. 190-225. On se reportera aussi à ce que dit sur cette émotion D. Konstan, op. cit. (à la note 125), p. 91-110, qui donne une bibliographie abondante à ce sujet.
159- Voir S. Halliwell, op. cit. (à la note 144), p. 350-356.
160- Pour une tentative de reconstitution de la catharsis comique, on renverra à l’étude brillante, mais très hypothétique, de R. Janko, Aristotle on Comedy, Towards a Reconstruction of Poetics II, Londres, Duckworth, (1984), 2002 (paperback), p. 136-151.