Arts et politique
La tragédie n’avait pas sa place dans la cité platonicienne. Pour Socrate, en effet, l’unique objet de la tragédie est de donner du plaisir aux spectateurs1, un plaisir mixte dans lequel entrent toutes sortes de peines, qu’il s’agisse d’une œuvre littéraire ou du théâtre de la vie2. Du côté du bouc (tragos), la tragédie est le domaine des fables et des mensonges3. Dépouillée de son accompagnement musical, rythmique, métrique, la tragédie deviendrait ainsi un art oratoire proche de la flatterie4. Mais le grand défaut de la tragédie est d’être un art mimétique5, ce que Platon ne peut admettre dans sa cité. Mimétique, la tragédie ne trouve une utilité que si elle se confond avec l’excellence des lois de la cité, qui forment une tragédie dans la mesure où elles imitent la vie la plus belle et la meilleure6. La tragédie devient alors « l’ultime trope pour la philosophie elle-même »7. À défaut d’être telle, la tragédie se pose comme contraire aux valeurs humaines que Platon préconisait. Ainsi, les dieux deviennent responsables du mal, la mort est redoutable, la justice et le bonheur sont incompatibles, toutes affirmations que Platon ne pouvait que rejeter8.
On comprend dès lors que le poète chez Platon ait été éloigné de la cité idéale, après avoir été honoré comme un personnage « sacré, hors pair, délicieux », après avoir reçu du parfum sur la tête et été couronné de laine9. Platon ne veut pas en effet du poète trop diversifié, capable d’imiter toutes choses. Il réserve sa faveur au poète qui se borne à imiter l’homme de bien, dans le cadre des lois de la cité10. Seuls sont admis dans la cité idéale les poètes auteurs d’hymnes aux dieux et de chants d’hommages aux hommes de bien11.
La position d’Aristote est tout à fait différente. Les arts, qui jouent un rôle important dans sa conception de l’éducation et de la vie morale, trouvent aussi leur place dans la cité. Ici, l’exemple choisi est surtout celui de la poésie et en particulier de la tragédie. Aristote fait confiance au jugement du plus grand nombre pour juger la tragédie. Celle-ci peut contribuer à la vie civique. Aristote nous montre d’autre part qu’il y a un lien entre la tragédie et la cité. Et, par un renversement inattendu, c’est vers une véritable poétique de la politique qu’Aristote semble s’acheminer, en s’appuyant sur la musique et, dans une bien moindre mesure, sur la peinture.
1. Le jugement de la masse
Pour Platon, le jugement excessif et bruyant de la foule dans tous les lieux publics, à l’assemblée comme au théâtre, se fait entendre par des hurlements et des battements de mains et peu résistent à ce torrent d’éloges et de blâmes12. Platon ne faisait aucune confiance au jugement de la masse, incapable d’atteindre les Formes, livrée tout entière à la multiplicité de l’apparaître et dont les réactions étaient exploitées par les Sophistes qui en faisaient le fondement de leur enseignement13. C’est au théâtre et avec la musique que s’introduisit l’indiscipline dans la masse : les poètes, peu au courant des lois de la musique, mélangèrent des genres musicaux à l’origine bien distincts au nom du plaisir des spectateurs qui se crurent autorisés à juger les œuvres par des hurlements sauvages et des sifflets14.
Aristote au contraire fait confiance au jugement de la foule15. Dans un passage célèbre et souvent commenté du livre III de la Politique16, Aristote, après avoir, au début de ce livre, analysé la notion de citoyen, montre que dans le gouvernement de la masse, l’ensemble des citoyens, bien qu’ils ne soient pas individuellement des hommes de bien (oi spoudaioi)17, sont meilleurs pris collectivement que chacun de ceux-ci. La foule désigne ici sans aucun doute des citoyens régis par un gouvernement constitutionnel (politeia), dont la démocratie, dans laquelle prédominent les pauvres, n’est qu’une déviation18. Pour montrer que collectivement, tous les citoyens sont supérieurs à l’individu pris en particulier, même si celui-ci est exceptionnel, Aristote recourt à trois exemples. Le dîner, organisé collectivement, est meilleur que celui préparé par un riche individu. Au théâtre, le jugement de la foule a plus de valeur que l’appréciation des experts. Le peintre enfin choisit dans la nature les plus belles représentations afin de créer une figure idéale. L’exemple du théâtre est particulièrement intéressant pour notre propos, parce qu’il montre l’existence d’un goût artistique collectif et qu’il introduit à la question de l’audience de la tragédie et de l’influence de celle-ci sur les citoyens.
Comme l’a montré M.-P. Edmond19, l’exemple du théâtre oppose le jugement du goût collectif de la foule au jugement des sophoi et des gens cultivés20, alors que l’exemple du dîner illustre l’insuffisance des richesses de l’oligarchie et que le troisième exemple oppose vertu collective et vertu de l’homme de bien. La souveraineté de la foule s’explique aisément : bien qu’elle ne soit pas formée uniquement de gens vertueux, la réunion d’individus très différents possédant chacun une part de vertu et de sagesse équivaut à la formation d’une seule personnalité dotée de facultés morales et intellectuelles permettant de juger l’ensemble de l’œuvre, mais aussi ses différents aspects. La multitude, nous dit Aristote dans le même passage, est comme un seul homme qui aurait beaucoup de pieds, de mains et de sens différents. Le public ainsi juge mieux les œuvres musicales et poétiques, car différents spectateurs peuvent porter un jugement sur leurs différentes parties, alors que la foule dans son ensemble peut juger de l’ensemble des œuvres21. Transposant cette image dans le domaine politique, Aristote nous dira que le jugement de la foule dans son ensemble est moins soumis à la corruption et à la passion que celui de l’individu22.
Ces jugements de la foule font partie de ce qu’Aristote appelle les opinions (ta endoxa) et c’est à ce titre qu’il leur accorde sa confiance. Les opinions n’obéissent pas au critère de la vérité. Elles ne sont que probables. Elles sont du domaine de la rhétorique et forment les prémisses de l’enthymème. Aristote a confiance dans leur vraisemblance et leur probabilité : l’homme est doué pour le vrai et arrive la plupart du temps à atteindre la vérité23. Les propositions contre l’opinion courante ont besoin d’être démontrées24 et ce qui n’est l’opinion de personne ne saurait être pris comme prémisse25. Il faut ajouter que si les vérités d’opinion entrent comme prémisses dans les syllogismes, beaucoup se contredisent entre elles26. L’opinion vraisemblable a pour elle de convaincre. C’est à ce titre qu’elle est également admise dans la Poétique, puisque la mimêsis s’exerce à partir du réel, de l’opinion ou du devoir être27.
Aristote admet donc le jugement de la masse sur la tragédie et introduit par là même un élément politique dans l’art. La Poétique éclaire-t-elle le lien de la tragédie et de la cité ?
2. Tragédie et cité
Le jugement de la foule est un exemple de l’intrusion de la politique dans l’art. Y a-t-il d’autres traces dans l’œuvre d’Aristote d’une intrusion de la cité dans la tragédie ?
Comme le montre E. Hall, lorsque l’on considère le contexte civique de la tragédie, le rôle d’Athènes dans l’évolution de celle-ci et le rôle de la cité dans la tragédie d’une façon générale28, la vie de la cité est étrangement absente de la Poétique. Et pourtant, le théâtre tragique grec a été très longtemps lié à la démocratie grecque, tant à cause des cadres institutionnels qu’à cause des thèmes traités dans les différentes tragédies29. Si l’on veut minimiser le rôle de la démocratie dans le développement de la tragédie attique, on ne peut nier pourtant que celle-ci ne peut se comprendre en dehors du cadre de la cité.
On ne peut que noter avec E. Hall l’absence de la politique dans la Poétique en relevant par exemple que pour Aristote le spectacle lui-même de la tragédie (opsis), qui se déroule dans le cadre de la cité, est l’élément à la fois le plus séduisant de la pièce théâtrale et le plus étranger à l’art poétique30. Le spectacle en effet relève bien plus pour Aristote de l’art du fabricant d’accessoires que de celui du poète31, de sorte que la force (dunamis) de la tragédie peut être appréciée en dehors de tout concours ou de tout jeu théâtral32 et à la seule lecture33. Le spectacle, premier élément de la tragédie34, est certes à l’origine de toutes les autres parties de celle-ci35 et c’est lui qui met en relation la cité et le théâtre ; mais pour Aristote, c’est l’élément le moins important de la tragédie.
Et pourtant, malgré la tendance dans la Poétique à dissocier tragédie et cité, afin de mieux mettre en évidence l’essence même d’un genre littéraire au-dessus de toute contingence politique, la tragédie reste pour Aristote liée à la cité même dans la Poétique. Il ne faut pas en effet mal interpréter la phrase sibylline, dans laquelle Aristote déclare que « la notion de correction n’est pas la même en politique ou dans tout autre art que dans le domaine de la poétique »36. Nous suivons ici O. B. Hardison37, lorsqu’il voit dans ce passage une affirmation selon laquelle l’art poétique doit être jugé selon ses propres critères, par opposition à la théorie platonicienne qui juge la tragédie de la même façon que toute réalité, par opposition à l’Idée. Aristote veut simplement affirmer que la poétique est un art autonome, obéissant à ses propres critères, ce qui ne signifie pas qu’elle n’ait aucune relation avec la cité.
La notion même de cité figure à une ou deux reprises dans la Poétique. Aristote fait occasionnellement dans la Poétique allusion à un lien entre la cité (polis) et le théâtre. Aristote nous apprend ainsi que la comédie est née des chants phalliques, encore en vogue dans de nombreuses cités38. La comédie serait née à Mégare, lors de l’instauration de la démocratie39. Mais Aristote nous apprend aussi que la comédie est née en dehors de l’agglomération urbaine, dans les villages du Péloponnèse (kômai), où les acteurs donnèrent leurs spectacles, lorsque les habitants des villes40 les en eurent chassés avec mépris41. Il faut noter que le terme de village (kômê) peut avoir en grec le sens d’une organisation politique et que ce passage peut être considéré comme mettant en relation poétique et politique.
Pour comprendre la liaison entre la cité et la Poétique en matière de culture, il faut revenir brièvement à la Politique.
Il n’y a pas de contradiction, me semble-t-il, entre le passage louant le jugement de la foule et un autre passage de la Politique, où Aristote concède aux classes inférieures composées d’artisans et de laboureurs le droit de se délasser en regardant des spectacles d’une qualité frisant la vulgarité42. À un point de vue répété à plus d’une reprise43, selon lequel la majorité est plus forte, plus riche et meilleure qu’une minorité, se substitue maintenant un autre point de vue, selon lequel le public influence la production poétique et musicale. Dans le premier texte44, la foule des citoyens reflète une assemblée de gouvernement constitutionnel : l’apparition de l’homme cultivé s’explique à la fois par le loisir et la naissance qui lui a fait bénéficier d’une meilleure éducation. L’appréciation de cet homme cultivé, qui n’est pas nécessairement un expert, s’ajoute aux vues partielles, mais justes et nombreuses du reste de l’auditoire pour former un jugement intéressant. Dans le second texte45, Aristote est sensible à l’influence d’une assemblée sur l’évolution même de l’art. Il est particulièrement attentif à la présence dans l’auditoire de ces artisans, laboureurs et autres personnages de ce genre, auxquels, par ailleurs, il hésite à accorder la citoyenneté46. On doit d’ailleurs noter que, dans les deux textes, on peut supposer que le spectacle, qui se déroule dans le cadre de la cité, ne réunit pas uniquement des citoyens, à l’image même d’Athènes, par exemple, où l’auditoire très mêlé du théâtre comprenait, en plus des citoyens, les métèques, parfois des esclaves, ainsi que les étrangers présents dans la cité lors des Grandes Dionysies47. Pour en revenir à nos deux textes, on pourrait peut-être voir une allusion dans l’un à une assemblée théorique dans une cité d’un gouvernement de type constitutionnel et, dans l’autre, à une assemblée plus réelle dans un gouvernement démocratique, donc de type dévié. Cette interprétation trouve un fondement dans un passage de la Rhétorique : Aristote y montre la décadence du goût dans le théâtre, où « les acteurs font plus pour le succès d’une pièce que les poètes ». Et il ajoute : « Ainsi en est-il dans les débats de la cité, par suite de l’imperfection des constitutions »48. Une constitution imparfaite a des conséquences sur la vie politique, mais aussi sur la composition même d’une assemblée et ses effets se manifestent tant dans la vie politique que dans la vie culturelle, chaque fois que se forme une assemblée comprenant majoritairement des citoyens.
Dans la Politique, Aristote rejette, comme nous le verrons49, l’enseignement de la musique comme profession, la compétition entrant pour lui dans la catégorie professionnelle : le concurrent en effet ne prend pas part à un concours pour sa propre amélioration, mais pour le plaisir de ceux qui l’écoutent et ce plaisir-là, Aristote le considère comme vulgaire50. Cette vulgarité, associée à la vulgarité déjà relevée d’une certaine assistance, entraîne une musique qui est appropriée à l’auditoire et à l’amusement que celui-ci recherche, mais qui est une déviation par rapport à une musique plus noble51.
En matière de tragédie, la qualité même de la vie civique et le cadre de la vie politique influencent la qualité de la production théâtrale. Sous l’influence d’un public dont le civisme a connu des déviations, la pensée même, qui préside au choix d’un langage approprié à une situation donnée52, est soumise à changement. Les personnages s’exprimaient autrefois en citoyens et débattaient d’éthique et de politique ; dans les tragédies modernes, nous dit Aristote, ils recourent à des joutes rhétoriques53. La comparaison entre tragédies d’autrefois, celles de Sophocle notamment et tragédies plus récentes, n’est jamais flatteuse chez Aristote pour les œuvres plus récentes.
Une éducation médiocre, un manque de loisir expliquent une baisse dans les goûts des spectateurs. Un public médiocre peut aussi influencer la qualité de la pièce. Nous avons vu plus haut le rôle grandissant des acteurs, déterminant pour le succès des œuvres théâtrales dans les concours. Ils recourent à des artifices d’élocution en exagérant le volume de la voix (megethos) et de l’intonation (harmonia) et en modifiant le rythme (ruthmos) du discours54. Les acteurs ne se privaient pas de grossir l’effet du texte et recouraient à la mimique, aux gestes et aux vêtements pour exciter la pitié55. Aristote condamnait le jeu exagéré de certains acteurs de son temps56, tout en reconnaissant la nécessité d’une certaine gestuelle des acteurs, qui doit toutefois toujours être subordonnée au texte57.
Le jeu des acteurs n’est pas le seul élément qui peut déformer le texte. La vulgarité des spectateurs et une certaine littérature trop facile expliquent l’existence du monstrueux58, occasionné par une crainte née du seul spectacle et non du système des faits eux-mêmes – comme dans toute bonne tragédie. Il existe d’ailleurs, nous dit Aristote, des tragédies entièrement construites à partir du spectacle. Ce sont des pièces qui favorisent une action simple et violente, dans laquelle le spectacle joue un rôle prépondérant59.
Le manque de rigueur intellectuelle de la foule explique aussi d’autres déviations de la tragédie. Il ne s’agit pas d’en relever ici toutes les instances. Un exemple suffira. L’incompréhension même de l’action, qui occupe dans la tragédie un rôle si fondamental, est l’indice d’une évolution due à une instruction défaillante et à un changement de perspective d’une population. N’en donnons qu’un exemple : le chant du chœur qui comprend le « chant d’arrivée » (parodos), le chant sur place (stasimon) et la « plainte » (kommos), particulièrement importante, puisqu’elle émane à la fois du chœur et des acteurs, doit avoir un rapport avec l’action60, à laquelle le chœur doit participer, puisqu’il doit être considéré comme un des acteurs61. C’est Sophocle qui a le mieux, selon Aristote, su intégrer le chant du chœur à l’action de la tragédie. Sur ce point, Euripide lui-même n’est pas un exemple à suivre. Chez tous les autres Tragiques, nous dit Aristote, les chants du chœur n’ont aucun rapport avec l’histoire et, depuis Agathon, le chœur ne chante plus que des interludes qui peuvent s’insérer dans n’importe quelle tragédie.
Il y a ainsi un dialogue entre l’artiste et le public, qui intervient fréquemment dans la Poétique et à juste titre, puisque c’est l’usager qui juge le mieux l’œuvre de l’artisan62. Mais ici ce dialogue se fait au détriment du goût et de la définition même de la tragédie et s’explique par une vie politique en décadence.
L’échange entre le public et la tragédie dans le cadre de la cité n’est toutefois pas uniquement négatif. Si l’ensemble des citoyens peut avoir une influence défavorable sur la pièce dramatique, celle-ci en revanche peut avoir un retentissement moral sur la cité. Nous avons vu que la tragédie était une lutte pour le bonheur63, que l’on y retrouvait la notion de fortune morale, liée à l’éthique aristotélicienne64, que la notion de faute (hamartia) comprenait probablement aussi bien une coloration morale qu’intellectuelle65, que l’action tragique restait profondément morale, car ce sont les actions des hommes qui les rendent heureux ou non66 et qu’enfin la notion de caractère ne pouvait se comprendre sans le recours au choix moral67.
Parmi tous les arguments qui permettent de penser que la Poétique est imprégnée de signification morale et que la tragédie contribue à la formation éthique du citoyen, nous voudrions nous arrêter sur la notion de spoudaios qui peut qualifier un genre littéraire ou un homme et qui revient à plusieurs reprises dans cet ouvrage. Spoudaios a été traduit de diverses façons, ce qui montre bien l’embarras que suscite ce terme, un intraduisible, mêlant plusieurs nuances d’ordre moral, intellectuel ou esthétique. L’accord se fait généralement sur le sens moral de spoudaios dans le chapitre 2 de la Poétique, 1448 a 2 : la mimêsis, dans ce passage, représente des hommes en action, nécessairement bons (spoudaioi) ou mauvais (phauloi). La connotation morale du terme a été soulignée en particulier par G. F. Else68 qui met en évidence le lien entre caractère et action dans l’éthique aristotélicienne. Notre action, pour Aristote, détermine en effet notre caractère et le conduit à être bon ou mauvais, selon l’intention de celui qui accomplit l’action ou la façon dont l’action est accomplie69. Ce sens moral paraît d’autant plus évident que spoudaios chez Aristote correspond à la vertu (aretê)70. Mais cette connotation morale pose un problème dans d’autres passages de la Poétique. G. F. Else reconnaît successivement dans ce terme une connotation technique se rapportant à la production artistique71 ou encore le sens de « sérieux », permettant un parallélisme de la tragédie et de la comédie72. Il s’agit, dans ce dernier passage, de la célèbre définition de la tragédie : « La tragédie est la représentation d’une action spoudaia », souvent traduit par « sérieuse ». L. Golden73 a montré de façon convaincante que le terme noble est préférable à l’adjectif sérieux, car ce qui est spoudaios dans cette phrase, c’est la noblesse de caractère, révélée par l’action. Ce qui différencie la tragédie de la comédie, c’est la qualité du caractère imité. « Noble » conviendrait parfaitement. Il s’agirait donc bien d’un critère moral, le caractère du héros relevant de l’éthique. Par contre, les autres critères de la définition de la tragédie, complétude, unité et universalité relèvent du domaine artistique.
L’adjectif « noble » est ainsi souvent employé pour traduire le terme spoudaios74. La grandeur que le terme implique conviendrait bien à la stature des héros grecs et au caractère des mythes et légendes dont est faite la tragédie. Le code d’honneur tragique, qui a ses racines dans la parenté ou philia75, n’est plus en usage du temps d’Aristote. « Noble » conviendrait donc et serait meilleur que « bon »76, pour qualifier ces héros d’un autre temps, grands par leur situation morale élevée – ce sont des hommes « intermédiaires », plus proches de la vertu que du vice –, mais aussi par un rang et une prospérité notoires77. « Noble » est un terme assez général pour englober un sens à la fois moral et social.
Tout en acceptant la connotation morale du terme spoudaios qu’il se refuse à traduire, G. F. Held78, reprenant la définition aristotélicienne de la tragédie comme représentation d’une action noble79, souligne d’une façon intéressante la signification téléologique du terme. L’action tragique vise, comme toute action, au bonheur, même si la fortune morale ou le destin lui sont contraires. Aristote le dit explicitement80. La tragédie représente l’action, la vie, le bonheur81. En simplifiant, on pourrait dire qu’une bonne tragédie est la représentation d’une action visant au bonheur et contrariée par la faute morale du héros ou par le destin. La connotation morale du terme spoudaios subsiste dans cette interprétation par suite du rapport entre action et bonheur dans l’éthique aristotélicienne.
Si nous insistons sur la signification morale de la Poétique, à travers ces quelques traits82, c’est que chez Aristote la morale n’est jamais indépendante de la cité et de la politique. C’est dans le cadre de la cité que se déroulent les représentations théâtrales, même si, comme nous l’avons vu83, la tragédie peut avoir son effet à la simple lecture. En effet, la tragédie est déterminée par l’organisation de la cité qui subsiste, même à travers la lecture. D’autre part, la politique est garante de la morale chez Aristote. Le Souverain Bien lui-même relève de la science architectonique par excellence qu’est la politique84. Et il est très tentant d’accepter l’affirmation séduisante de R. Bodéüs selon laquelle l’excellence morale de l’individu coïncide avec celle du citoyen dans un régime politique donné85. Cette excellence morale varie par conséquent de régime à régime.
Sans aller jusqu’à prétendre que la Poétique fait partie de la philosophie politique86, il paraît possible de reconstituer, dans une optique aristotélicienne, les leçons que les citoyens pouvaient tirer de la tragédie. La rigueur mathématique n’est en effet pas toujours de mise dans l’apprentissage de la vérité. Les exemples, l’autorité d’un poète peuvent aussi amener à la connaissance87. Et, sans reprendre ici l’analyse des émotions tragiques et de l’effet cathartique, il est possible, avec S. G. Salkever88, de dégager la triple leçon qu’apportait la tragédie à l’audience de la cité : l’hamartia ou faute tragique pouvait inciter à la prudence ; l’excès de pouvoir apparaissait incompatible avec la liberté et le bonheur ; et enfin, l’ordre familial, la philia ou bonne entente à l’intérieur même d’une maison, sentiment si souvent menacé dans le théâtre antique, devait être préservé à l’aide d’institutions. La catharsis serait ici le procédé par lequel un gouvernement de type constitutionnel pourrait arriver à son actualité89. Elle éliminerait ainsi la pleonexia, ce désir de posséder plus que les autres qui est si nocif en démocratie90.
De façon plus générale, tragédie et cité ont des points communs. Tous deux sont naturels. Tous deux obéissent à une nécessité interne. La cité comprend en elle-même un processus interne qui naît de la famille, s’élargit en village et trouve sa fin en elle-même91. La tragédie est semblable à un animal vivant. L’art poétique fait penser à un système biologique, ayant ses lois et sa structure. Les objets, les moyens et les modes de la mimêsis sont comme les matériaux constitutifs de l’animal, comme son sang et ses os, tandis que les six parties quantitatives de la tragédie en seraient comme les organes. L’histoire est comme l’âme de la tragédie. De même que l’animal grandit, l’action se déroule suivant un ordre nécessaire92. Il n’est pas jusqu’à la taille de la tragédie et de la cité qui ne puisse être mise en parallèle : toutes deux doivent pouvoir être aisément appréhendées par l’usager, c’est-à-dire respectivement le spectateur93 et le citoyen94. Cette exigence obéit, comme en biologie, à des considérations de fonction et de finalité, mais fait aussi appel à la notion du beau qui en est inséparable95. Aristote se pose en biologiste et se réfère à la nature, aussi bien dans l’analyse de la cité et de ses constitutions96 que dans l’examen de la tragédie.
Mais la politique, même si la cité obéit à une nécessité interne, même si elle se développe selon des lois naturelles, échappe au destin, contrairement à la tragédie, dans laquelle le hasard même devient causalité : on se souvient de la statue de Mitys qui, à Argos, tua le meurtrier de celui-ci97, en lui tombant dessus, expression, dans une tragédie, non pas d’un hasard aveugle, mais d’un destin ou d’une providence. Il y a une cohérence tragique qui rend difficile l’existence d’un bonheur dû à la pratique des vertus éthiques : le bonheur en effet, dans l’ordre éthique, est l’œuvre d’une perfection et non de la bonne fortune98. Ce n’est pas que le bonheur ne puisse survenir dans la tragédie. L’issue de celle-ci n’est pas nécessairement malheureuse99, elle peut être heureuse100. L’essentiel ne réside pas dans la fin de la pièce dramatique. C’est en effet dans le malheur que se manifeste la grandeur morale et peu importe que ce malheur soit une étape transitoire ou constitue une fin tragique : les tragédies qui se terminent bien répondent mieux à notre sentiment de plaisir, tandis que celles qui ont une fin malheureuse sont plus tragiques ; mais, dans les deux cas, le héros aura révélé sa grandeur morale face à l’adversité101. En politique par contre, le citoyen n’est certes pas à l’abri des coups du sort, mais la fin de la politique, qui est la fin suprême, est de préparer les citoyens au bonheur, en en faisant « des êtres d’une certaine qualité, autrement dit des gens honnêtes et capables de nobles actions »102. La cité pose le cadre d’un bonheur possible, sans pouvoir le garantir à chaque instant de la vie. En d’autres termes, la tragédie est de l’ordre du nécessaire, la politique relève de la contingence.
3. Vers une poétique de la politique
Dans ces conditions, il peut paraître paradoxal de rapprocher politique et poétique qui dépendent certes toutes deux de la partie calculatrice de l’âme, mais qui sont tournées, l’une vers l’action (praxis), l’autre vers la création (poiesis)103. Et pourtant, on trouve assez fréquemment l’expression « poétique de la politique » chez les exégètes modernes d’Aristote. Encore faut-il préciser comment on la comprend. Sans entrer dans le détail de l’argumentation de J.-L. Labarrière, qu’on se contentera de résumer ici très brièvement, notons que celui-ci, faisant de la rhétorique une technê, fait dépendre cette discipline de la poiesis et relève la présence de la métaphore dans le discours politique. La faculté de faire des métaphores permet d’apercevoir les ressemblances et de porter sur les choses un regard neuf. Dans ce sens-là, on pourrait rapprocher, par le biais de la rhétorique, la démarche politique d’une sorte d’acte mimétique104. Nous ne pouvons souscrire entièrement à ce raisonnement, dans la mesure où nous ne considérons pas que la rhétorique dépende de la faculté de production : elle est certes un art, mais un art transversal, plutôt d’ailleurs une discipline ou une méthode qu’un art105. Nous préférons rapprocher politique et poétique chez Aristote pour une raison qu’a mise en lumière M. Davis106 : Aristote transforme la cité idéale en un poème dans lequel les différentes parties, jointes ensemble par la nécessité, s’ajustent l’une à l’autre. Cela nous ramène à la différence entre poésie et histoire et à l’affirmation d’Aristote selon laquelle la poésie est plus philosophique que l’histoire107. Son rôle dans l’éducation est de nous permettre, avec l’ensemble des arts mimétiques, de transformer le réel par le recours à la stylisation de la mimêsis. L’art en effet complète la nature108. Il exprime le « devenir du monde »109. Et, pour reprendre la formule heureuse de M. Davis, si la cité elle-même était un poème parfait et exprimait la rencontre de l’utile et du beau, il n’y aurait pas besoin d’y enseigner la poésie110.
Nous sommes pourtant loin de la cité idéale vers laquelle tendent les livres VII et VIII de la Politique. Et parce que la cité chez Aristote est omniprésente, parce qu’elle organise aussi bien l’amusement que le loisir, dont nous verrons la dimension morale, parce qu’elle réglemente l’éducation qui ne saurait être privée et qu’elle est garante de la vie morale, l’art ne peut chez Aristote se concevoir en dehors du cadre de la cité.
La musique reste pour Aristote l’exemple privilégié pour analyser le rôle de l’art dans la cité. La musique sert en effet à l’amusement et à la formation du caractère, en même temps qu’elle occupe une place prépondérante dans le loisir qui joue un rôle si important dans la vie de l’homme libre.
La musique sert d’abord, selon l’opinion du vulgaire, nous dit Aristote, à l’amusement et au délassement. Elle est aussi essentielle que le sommeil ou l’ivresse et la danse entre dans la même catégorie de plaisirs111. Il n’y a, dans la musique, aucune application utile à ce stade, du moins, contrairement au dessin, par exemple, qui sert d’abord à juger de la valeur artisanale ou artistique d’un objet, avant d’introduire au plaisir esthétique112. En considérant l’hypothèse de la musique comme amusement, Aristote se fait le porte-parole de l’opinion qu’il est loin de rejeter entièrement. Pour le vulgaire, dont Aristote rapporte ici le point de vue, la musique est une chose douce, qu’il ne faut pas prendre au sérieux, pas plus que le sommeil ou l’ivresse. Et la preuve qu’Aristote accepte, en partie du moins, cette opinion, c’est qu’il considère que même les travailleurs manuels, laboureurs et autres artisans ont le droit à des spectacles qui leur procurent une certaine détente. Ils ont droit au délassement et cherchent, en se rendant au théâtre, une musique aussi déviée que leur âme. Aristote tolère ce plaisir et se borne à dire simplement qu’il n’est pas recherché par l’homme libre et instruit113. Cet amusement, qui est concédé à certains adultes, ne peut pas en être un pour l’enfant. Il faut, pour cela en effet, un minimum d’éducation musicale, qui suppose un apprentissage aride, comme tous les apprentissages. Et l’on ne peut, nous dit Aristote, exiger de l’enfant cette éducation, en vue du loisir, puisque l’enfant est trop imparfait pour avoir accès au loisir : celui-ci suppose, comme on le verra, une certaine liberté d’esprit et une certaine formation de l’âme114. Tout au plus, et Aristote approuve cette idée115, peut-on affirmer que l’éducation musicale doit faire partie de l’éducation des enfants, en vue des loisirs qu’ils pourront prendre lorsqu’ils seront adultes et bien développés116. Aristote approuve cette idée, à condition que l’on donne aux enfants une éducation appropriée à cet effet.
Ici, Aristote ouvre une parenthèse sur l’éducation musicale qu’il convient de donner aux jeunes gens. Notons d’abord que la musique fait partie des quatre matières dont l’enseignement s’impose : lettres (c’est-à-dire savoir lire et écrire), gymnastique, musique et dessin (au moins pour certains)117. On peut d’abord se demander à quel âge il convient d’enseigner la musique. Aristote ne le précise pas, mais la musique semble devoir faire partie très tôt de l’environnement des enfants, ce qui n’étonnerait pas dans une civilisation, où l’on a pu parler d’un bilinguisme, fondé sur le langage et la musique. D’autre part, il faut adapter chaque musique à chaque âge118, puisque, comme nous le verrons, la musique a une influence sur le caractère qui change selon l’âge. Ainsi, le petit enfant qui ne parle pas encore pourra-t-il s’amuser avec la crécelle d’Archytas – un Pythagoricien célèbre du temps de Platon, et à qui l’Antiquité attribuait des inventions de toutes sortes119. Ce jouet l’empêchera de casser des objets dans la maison et son bruit conviendra à l’esprit, toujours en mouvement, de l’enfant120. Il faudra, dans un premier temps, que les jeunes gens, à un âge non précisé, sachent chanter et jouer d’un instrument, ce qui leur permettra plus tard de juger en toute connaissance de cause des œuvres qu’ils entendront121. Mais il faut à tout prix éviter le professionnalisme, aussi bien que la virtuosité. Si les jeunes doivent apprendre à jouer d’un instrument, ils doivent l’abandonner quand ils deviennent plus âgés. Ils auront alors le jugement formé et il ne leur servira à rien de continuer à jouer d’un instrument. Il ne faut pas en effet s’adonner à la pratique de la musique au point d’avilir son corps et le rendre inapte aux exercices physiques, sources de vertus militaires et civiques122. Tous les instruments ne sont pas adaptés aux hommes libres ; certains doivent être réservés aux professionnels. Nous avons vu que c’était le cas pour l’aulos123 qui ne produit aucun effet éthique, mais aide seulement à provoquer des états d’enthousiasme, utiles, certes, en vue de la purification. De plus, l’aulos empêche le recours au langage et son emploi déforme le visage. Il faut éviter aussi l’instrument professionnel qu’est la cithare124. Mais d’autres instruments sont aussi à proscrire. Ce sont surtout des instruments anciens à cordes, pectides et barbitons ou encore d’autres instruments à cordes, heptagones, triangles et sambuques, qui demandent une habileté manuelle, sans développer pour autant la vertu ou l’intelligence125.
Les livres VII et VIII de la Politique procèdent souvent par méandres. Aristote revient souvent sur ce qu’il a déjà dit, occasionnant ainsi des redites, mais aussi un approfondissement de la pensée, qui s’exprime avec plus de clarté. Si l’on résume les points déjà acquis, on voit que la musique peut, dans certains cas, servir à l’amusement de gens viles, qui ont besoin de détente et de relaxation. Ils n’en feront que mieux leur travail, lorsqu’ils le reprendront. La musique ne joue pas le même rôle chez l’homme libre. Celui-ci doit avoir une éducation musicale pour pouvoir juger des mélodies qu’il écoute126. Il va sans dire que nous sommes tout à fait d’accord avec C. Lord pour dire qu’il ne s’agit pas pour l’homme libre de juger en esthète la musique qu’il entend. La suite confirmera qu’il s’agit de juger de la valeur morale de cette musique127. Il faut donc que l’homme libre sache chanter et jouer d’un instrument de musique, toutes choses qu’il aura appris à faire dans son enfance, afin d’occuper noblement ses futurs loisirs. Le loisir chez Aristote n’est pas synonyme d’amusement seul, comme on le verra. Il contribue à la formation de la vie morale. Or, pour comprendre la musique, il faut l’avoir pratiquée. Mais il faut arrêter de jouer d’un instrument, avant de tomber dans le professionnalisme et la virtuosité, sinon la musique devient une occupation vulgaire. Le professionnalisme commence lorsque l’on prend part soi-même à des concours et à des compétitions qui ont pour but non de développer la vertu du concurrent, mais de faire plaisir à l’auditeur128, qui lui-même peut se contenter d’un plaisir vulgaire ou même le rechercher.
Aristote définit lui-même ce qu’il appelle la vulgarité. Celle-ci rend semblable à l’artisan. Tout ce qui éloigne l’homme libre de la vertu sera dès lors vulgaire129. Tout ce qui rend son corps, son âme ou son intelligence impropre à la vertu sera vulgaire. Et il est très curieux que le professionnalisme doive être proscrit non seulement en musique, mais aussi en ce qui concerne les sciences libérales130. Celles-ci aussi ne doivent être recherchées que dans la mesure où elles contribuent à la vertu. Il ne faut jamais travailler pour les autres, mais uniquement viser à la vertu et ne pas prendre pour fin ce qui n’est qu’un moyen.
Nous avons vu les limites vite atteintes de la musique comme amusement. Nous avons aussi vu la nécessité de préparer, dès l’enfance, par une éducation musicale appropriée, le loisir de l’adulte dans lequel la musique occupera une place importante. La musique joue également un rôle considérable dans l’éducation. Les airs d’Olympos, qui rendent les âmes inspirées et enthousiastes, montrent que la musique a un effet sur les émotions et les passions et peut par conséquent changer le caractère et le comportement131. L’analyse de la mimêsis musicale nous a montré que la musique contenait en elle-même des fragments de réalité, des équivalents de nos émotions et de nos qualités éthiques, capables de reproduire celles-ci en nous : en écoutant de la musique, l’auditeur est mis dans un état de sympathie et ressent l’émotion de la musique, avec toutes les qualités morales qu’elle contient. Cette émotion et ces qualités influent à leur tour sur l’âme de l’auditeur, qu’elles transforment, la rendant semblable à la réalité exprimée par la musique. Ces équivalents ou homoiômata sont des produits de la mimêsis. Ce sont des représentations imagées, des mimêmata132. Les autres arts ne contiennent pas d’équivalents de la réalité, sauf la peinture, à un très faible degré. C’est pourquoi il est préférable que les jeunes gens aient sous les yeux les peintures de Polygnote, qui représentait les caractères en mieux, plutôt que celles de Pausôn133, pires que dans la réalité.
Puisque la musique contient des fragments de réalité, elle agit de façon similaire sur chacun d’entre nous134. D’où l’idée de l’employer dans l’éducation des enfants, qui l’acceptent d’autant plus volontiers que la musique est une des choses les plus douces et les plus agréables qui soient135, même si son apprentissage est difficile. Mais la musique doit aussi être employée pour changer le comportement des adultes. La musique est en effet un plaisir. Or la vertu consiste à prendre plaisir, à aimer et à détester d’une façon juste et appropriée. La musique peut donc mener à la vertu136. Il y a dans ce mélange de plaisir ressenti et d’émotions transmises par la musique une contradiction que R. Kraut137 a bien mis en évidence : comment la musique peut-elle à la fois inspirer du plaisir et transmettre des émotions comme la peine ou la colère ? En d’autres termes, comment peut-on éprouver du plaisir à ressentir de la peine ou de la colère en écoutant de la musique ? La réponse pourrait résider dans le plaisir cognitif de la mimêsis.
Toute musique ne sera donc pas appropriée à l’éducation. Il faut choisir avec soin la mélodie et le rythme qui contribuent le plus à mettre devant l’enfant l’image d’un bon caractère et à inciter à la vertu. Aristote ici ne considère que la mélodie et le rythme, mais il ne faut pas oublier que la musique (mousikê) comprend le plus souvent chez les Grecs des paroles chantées138. Les mélodies se divisent en trois groupes : éthiques (qui concernent le caractère), pratiques (qui poussent à l’action) et enthousiasmantes (qui mettent le sujet en état de transe et le rend apte à recevoir la purification). En même temps, chaque mélodie est reliée à un mode (harmonia)139. Nous ne reviendrons pas sur les mélodies enthousiasmantes, dont nous avons déjà parlé à propos de la catharsis140. Pour les enfants, le mode dorien – ou tout autre mode qui aurait les mêmes effets que lui – doit être spécialement retenu dans leur éducation. Le mode dorien est en effet le plus ferme, le plus régulier. Il inspire le courage, plus qu’aucun autre mode. Il est un milieu entre deux extrêmes. Il est particulièrement bien approprié à l’éducation des jeunes gens141. Aristote préconise aussi de recourir au mode lydien, particulièrement adapté à l’âge des enfants, parce que ce mode est porteur d’ordre et qu’il est formateur142. On retrouve dans ce choix des modes la théorie de la musique comme équivalent de la réalité (homoiôma) et ayant par conséquent une influence sur les émotions de l’âme. Nous suivons ici R. Kraut, lorsqu’il considère que les musiques éthiques ont seules un effet sur les jeunes gens, qui ne sont pas assez formés pour comprendre les musiques pratiques, puisqu’ils ne saisissent pas bien le fondement des actions d’adultes143. Les musiques pratiques leur mettent toutefois sous les yeux le genre d’actions qu’ils seront appelés à effectuer, lorsqu’ils seront adultes. R. Kraut considère à juste titre que les musiques pratiques sont une subdivision des musiques de caractère ou éthiques144.
Aristote n’interdit pas explicitement dans les domaines autres que celui de l’éducation le recours aux modes les plus variés. Simplement, ils ne doivent pas être utilisés pour les différents publics de la même manière145. Nous avons vu qu’il acceptait même les musiques déviantes pour les gens vulgaires146. Mais les modes doivent être adaptés à l’âge de chacun. On ne peut demander à des personnes âgées de chanter sur des modes tendus. Les modes relâchés au contraire leur conviennent bien147.
La troisième fonction de la musique est de jouer un rôle important dans le loisir de l’homme libre. Le loisir (scholê) est plus important que le travail dont il est le but. Il n’est pas synonyme d’amusement car, s’il l’était, l’amusement serait la fin de notre vie, ce qui n’est pas le cas. Aristote donne du loisir une définition en accord avec sa philosophie morale. C’est en effet durant les périodes de travail que l’on doit recourir à l’amusement et au jeu car celui qui travaille a besoin de détente. L’amusement doit être administré comme un médicament qu’il faut prendre en temps utile. Il ne faut pas confondre amusement et loisir ni se livrer à l’amusement en temps de loisir148. Le loisir au contraire préfigure la vie bienheureuse. Nous n’entrerons pas ici dans la controverse, maintes fois reprise, concernant la nature de la vie bienheureuse chez Aristote. Nous pensons pour notre part, à la suite de G. Richardson Lear149, que la vie pratique et la recherche de la vertu facilitent l’accès à la vie contemplative, qui serait incomplète sans elles, et que d’autre part, l’homme, étant un animal politique pour Aristote et étant appelé à vivre en communauté, ne peut s’abstraire de la cité (polis) pour s’adonner à une contemplation prolongée qui serait au-dessus de ses forces. La vie pratique ferait ainsi partie de la vie contemplative à laquelle elle servirait à la fois d’introduction et de prolongement. Il y aurait ainsi une alternance entre la vie pratique et la vie contemplative. Faute de pouvoir discuter ici en détail ce problème complexe, il était nécessaire au moins de l’évoquer ici et de proposer une solution, même à titre d’hypothèse, car Aristote dit lui-même, en ouverture au livre VII de la Politique150, que le choix de la vie la meilleure est lié à la vie politique du citoyen. Ce choix sera déterminant pour le choix du loisir.
La vie de loisir est source de plaisir, de bonheur et de vie bienheureuse151. Elle est réservée à ceux qui peuvent la mener, c’est-à-dire au citoyen, par opposition aux artisans, laboureurs et autres travailleurs manuels, à qui seul l’amusement est réservé. Il faut bien sûr y ajouter les esclaves. Nous ne nous attarderons pas ici sur la nature du loisir chez Aristote, sujet qui est loin de susciter l’unanimité et qui a été étudié, avec des conclusions différentes, à de nombreuses reprises152. Nous avons suffisamment dégagé pour notre propos les grandes lignes du loisir, faisant nôtre la remarque de P. Demont : « Ce qui, dans la Politique, fonde la supériorité de la fin qu’est le loisir, c’est donc une analogie, de nature idéologique, entre le loisir, la paix, les actes accomplis en vue du beau et la partie rationnelle de l’âme »153.
Revenons à la musique. Elle n’est, pour Aristote, ni nécessaire, ni utile, mais représente une occupation idéale, digne d’un homme libre154. Il ne faut pas en effet oublier les propriétés éducatives de la musique qui prennent toute leur valeur durant le loisir. Ici encore, le rôle de la cité est primordial car c’est elle qui rend le loisir possible et, dans une certaine mesure, l’organise. Le nomothète s’occupe du loisir des citoyens parce que, comme nous l’avons vu, la cité se porte garante de la vie morale, donc du bonheur des citoyens. Le nomothète fera tout pour que le citoyen, qui a reçu de la nature la disposition à la vertu, développe cette disposition par l’habitude et la raison, dans la formation desquelles l’organisation du loisir et de l’éducation par la cité joue un rôle très important pour l’acquisition de la vertu et du bonheur155. La vertu et le bonheur sont en effet liés chez Aristote, mais il ne faudrait pas y chercher une relation de moyens à fin. Le bonheur, pour Aristote, représente un ordre, un « phénomène enveloppe » par rapport aux vertus qui en sont comme les ingrédients156. En agissant sur le caractère, en le fortifiant, en inspirant des vertus comme le courage, par exemple, la musique, de par sa nature, joue un rôle important dans la formation morale des hommes nobles et libres, à laquelle ceux-ci peuvent se consacrer durant le loisir qu’organise et rend possible pour eux la cité idéale d’Aristote.
1- Platon, Gorgias, 502 b.
2- Philèbe, 50 b.
3- Cratyle, 408 c.
4- Gorgias, 502 c-d.
5- Voir supra, p. 26.
6- Lois, VII, 817 a-c.
7- S. Halliwell, « Plato’s Repudiation of the Tragic », in M. S. Silk (éd.), Tragedy and the Tragic, Greek Theater and Beyond, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 339.
8- Voir S. Halliwell, loc. cit., p. 340, avec République, II, 376 e à III, 392c comme texte à l’appui.
9- République, III, 398 a-b. La citation reprend la traduction de L. Robin, Platon, Œuvres complètes, Paris, Librairie Gallimard (Bibliothèque nrf de la Pléiade), 1959, t. I, p. 951.
10- République, III, 398 b.
11- République, X, 606 a. Je ne partage pas l’opinion de R. G. Collingwood, The Principles of Art, London, Oxford University Press, 1958, p. 47-50, pour qui Platon autoriserait seulement la poésie non représentative, c’est-à-dire non mimétique. Le bon poète, auteur d’hymnes, ne fait qu’imiter à son tour les lois édictées par sa cité.
12- Platon, République, VI, 292 a.
13- République, VI, 293 c.
14- Lois, III, 700 a-700 e.
15- Voir D. Micalella, « Giudizio artistico e maturità politica. Una tematica aristotelica », Athenaeum, N.S., 64, 1986, p. 127-137.
16- Pol., III, 11, 1281 b 3-24.
17- Le terme spoudaios est un intraduisible. Il peut signifier aussi « noble » ou « sérieux », voir infra, p. 191-192.
18- Sur les différentes constitutions et leurs déviations, voir en particulier Pol., III, 7, 1279 b 5-10. P. Aubenque, « Aristote et la démocratie », dans Aristote politique (P. Aubenque dir., A. Tordésillas éd.), Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 257, remarque qu’Aristote, très méfiant à l’égard du terme « démocratie », l’emploie pourtant parfois pour désigner la forme correcte du gouvernement par le peuple.
19- M.-P. Edmond, Aristote. La politique des citoyens et la contingence, Paris, Payot, 2000, p. 63.
20- L’opposition me semble rester très générale, sans faire allusion aux coutumes ou institutions de villes spécifiques, comme cherche à le démontrer D. Micalella, loc. cit., p. 136-137.
21- Pol., III, 11, 1281 a 39-1281 b 1-10.
22- Pol., III, 15, 1286 a 32-36.
23- Rhét., I, 1, 1355 a 14-17.
24- Rhét., I, 2, 1357 a 10.
25- Top., I, 10, 104 a 5-8.
26- Rhét., II, 25, 1402 a 32.
27- Poét., 25, 1460 b 7-11.
28- E. Hall, « Is there a Polis in Aristotle’s Poetics ? », in M. S. Silk (éd.), Tragedy and the Tragic, Greek Theatre and Beyond, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 295-309.
29- Ce lien entre la tragédie grecque et la démocratie athénienne a été mis en question récemment par P. J. Rhodes, « Nothing to do with democracy : Athenian drama and the Polis », Journal of Hellenic Studies, 123, 2003, p. 104-119, qui dresse aussi un état de la question, sans nier pourtant le rôle de la cité dans le développement de la tragédie attique.
30- Poét., 6, 1450 b 16-18.
31- Poét., 6, 1450 b 19-20.
32- Poét., 6, 1450 b 18-19.
33- Poét., 26, 1462 a 12. Sur cette question, voir Fr. Frazier, « Public et spectacle dans la Poétique d’Aristote », Cahiers du GITA, n° 11, 1998, p. 123-144.
34- Poét., 6, 1449 b 31-33.
35- Poét., 6, 1450 a 13-15.
36- Poét., 25, 1460 b 13-15.
37- L. Golden et O. B. Hardison, Aristotle’s Poetics, Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, Inc., 1968, p. 274.
38- Poét., 4, 1449 a 12.
39- Poét., 3, 1448 a 31-32.
40- Il faut noter que dans ce contexte Aristote emploie le terme astu et non polis.
41- Poét., 3, 1448 a 35-38.
42- Pol., VIII, 7, 1342 a 17-29. Voir infra, p. 197.
43- Voir aussi Pol., III, 13, 1283 a 41 à 1283 b 1.
44- Voir supra, note 16.
45- Voir supra, note 42.
46- Pol., III, 5, 1278 a 7-13.
47- Voir P. Demont et A. Lebeau, Introduction au théâtre grec antique, Paris, Librairie Générale Française, Livre de Poche, 1996, p. 43. Sur la composition de l’audience théâtrale, voir aussi G. M. Sifakis, Aristotle on the Function of Tragic Poetry, Hérakléion, Crete University Press, 2001, p. 33-37, avec une mise au point sur la question controversée des femmes au théâtre.
48- Rhét., III, 1, 1403 a 32-35. J’ai gardé ici la traduction de M. Dufour et A. Wartelle, Aristote, Rhétorique, livre III, Paris, Les Belles Lettres (Collection des Universités de France), Paris, 1989, t. III. Comme le remarque A. Wartelle, ibid., p. 99-100, note 5, il faut bien entendre « constitutions » et non « citoyens » (selon une correction souvent proposée) : la leçon adoptée ici est bien attestée philologiquement.
49- Voir infra, p. 198-200.
50- Pol., VIII, 6, 1341 b 9-17.
51- Pol., VIII, 7, 1342 a 23-28.
52- Voir supra, p. 98.
53- Poét., 1450 b 4-8. On renverra ici à R. Dupont-Roc et J. Lallot, La Poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 207, note 15, qui, à titre d’exemple, opposent les débats de l’Antigone de Sophocle aux joutes rhétoriques des Troyennes d’Euripide, v. 914-1032.
54- Rhét., III, 1, 1403 b 30-33. Pour la traduction par harmonie, j’ai suivi ici l’interprétation de M. Dufour et A. Wartelle dans l’édition des « Belles Lettres », op. cit., p. 39 et note 3, p. 99.
55- Rhét., II, 8, 1386 a 32-1386 b 1. Ce passage a été souvent rapproché des effets de la tragédie.
56- Poét., 26, 1461 b 32-1462 a 1.
57- Poét., 17, 1455 a 29-33.
58- Poét., 14, 1453 b 1-13.
59- Poét., 18, 1355 a 2-3.
60- Poét., 12, 1452 b 19-25.
61- Sur ce point et sur ce qui suit, voir Poét., 18, 1456 a 25-32.
62- Pol., III, 11, 1282 a 20-23. Il s’agit là d’une idée platonicienne reprise par Aristote, comme le note V. Goldschmidt, Temps physique et temps tragique chez Aristote, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1982, p. 217.
63- Voir supra, p. 126-128.
64- Voir supra, p. 145-146.
65- Voir supra, p. 146-148.
66- Poét., 6, 1450 a 16-20.
67- Voir supra, p. 100.
68- G. F. Else, Aristotle’s Poetics : The Argument, Cambridge (Mass.), 1957, p. 69-78.
69- Voir en particulier EN, II, 1, 1103 b 31 sqq.
70- Cat. 8, 10 b 7-9. Voir aussi EN, notamment I, 9, 1099 a 23 et III, 6 1113 a 25.
71- Poét. 5, 1449 b 17, voir G. F. Else, op. cit., p. 220.
72- Poét. 6, 1449 b 24, voir G. F. Else, op. cit., p. 222.
73- L. Golden « Is Tragedy the “Imitation of a Serious Action”? », Greek, Roman and Byzantine Studies, 6, 1965, p. 283-289.
74- Voir L. Golden et O. B. Hardison, Aristotle’s Poetics, Englewood Cliffs (N.J.), 1968, p. 83-85, suivi en cela par R. Dupont-Roc et J. Lallot, op. cit., passim.
75- Poét., 13, 1453 a 18-22.
76- Voir L. Golden et O. B. Hardison, op. cit., p. 84-85.
77- Poét., 13, 1453 a 10.
78- G. F. Held, « Spoudaios and Teleology in the Poetics », Transactions of the American Philological Association (TAPA), 114, 1984, p. 159-176.
79- Poét., 6, 1449 b 24.
80- Poét., 6, 1450 a 16-17.
81- G. F. Held, loc. cit., p. 174, qui s’appuie sur EN 1176 b 35, 77 a 6 et EN 1097 a 15-98 a 20.
82- La signification morale de la Poétique a été bien analysée par I. Smithson, « The moral view of Aristotle’s Poetics », Journal of the History of Ideas, 44, 1983, p. 3-17.
83- Voir supra, p. 185-186.
84- EN, I, 1, 1094 a 28. Voir toutefois supra, p. 114.
85- Voir R. Bodéüs, Recherches sur les rapports entre morale et politique dans la pensée d’Aristote, Paris, « Les Belles Lettres » (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège – Fascicule CCXXXV), 1982, p. 223.
86- Voir S. G. Salkever, « Tragedy and Education of the Demos: Aristotle’s Response to Plato », dans J. P. Euben, Greek Tragedy and Political Theory, Berkeley, University of California Press, 1986, p. 274-303 et, de façon explicite, p. 276, note 5.
87- Mét., Alpha elatton, 995 a. Voir S. G. Salkever, loc. cit., p. 292.
88- S. G. Salkever, loc. cit., p. 300.
89- Ibid.
90- Ibid., avec Pol., II, 4, 1267 a comme texte à l’appui.
91- Voir V. Goldschmidt, op. cit., p. 217, avec Pol., I, 2, 1252 b 32-33 comme citation à l’appui.
92- Voir D. Gallop, « Animals in the Poetics », dans Oxford Studies in Ancient Philosophy (J. Annas éd.), 8, 1990, p. 145-171.
93- Poét., 7, 1450 b 34-1451 a 6.
94- Pol., VII, 4, 1326 a 34-1326 b 26.
95- Voir supra, p. 66-67.
96- Voir la classification des constitutions, Pol., IV, 4, 1290 b 25-41. Sur « L’idée de nature dans la “Politique” d’Aristote », voir G.E.R. Lloyd, dans P. Aubenque, op. cit., p. 135-159, et plus particulièrement p. 148-149.
97- Poét., 9, 1452 a 1-11.
98- EN, I, 10, 1099 b 10 – 1100 a 15. Sur la séparation de la poétique et de la politique, voir M.-P. Edmond, op. cit., p. 125-131.
99- Pour des fins malheureuses, voir Poét., 13, 1453 a 23-26.
100- Poét., 14, 1454 a 2-8.
101- Voir S. A. White, « Aristotle’s Favorite Tragedies », in Essays on Aristotle’s Poetics, éd. A. Oksenberg Rorty, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 221-240.
102- EN, I, 10, 1099 b 30 sqq., dans la traduction J. Tricot, Éthique à Nicomaque, Introduction, notes et index, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1979.
103- Voir supra, p. 50-51.
104- Voir J.-L. Labarrière, « Aristote : Vers une poétique de la politique ? », in Philosophie, 11, 1986, p. 25-46.
105- Voir supra, p. 51.
106- M. Davis, The Politics of Philosophy, A Commentary on Aristotle’s Politics, Oxford, Rowman & Littlefield Publishers, 1996, voir p. 121-137, et plus particulièrement p. 130.
107- Voir supra, p. 147 sqq.
108- Voir A. Hourdakis, Aristote et l’éducation, Paris, Presses Universitaires de France (Pédagogues et Pédagogies), 1998, p. 49, qui s’appuie sur Pol., VII, 17, 1337 a 1-2.
109- Voir A. Hourdakis, op. cit., ibid.
110- Voir M. Davis, op. cit., p. 133.
111- Pol., VIII, 5, 1139 a 11-22.
112- Voir supra, p. 115.
113- Pol., VIII, 7, 1342 a 18-27.
114- Pol., VIII, 5, 1139 a 26-31.
115- Pol., VIII, 3, 1138 a 10-24 et 30-34.
116- Pol., VIII, 5, 1139 a 32-33.
117- Pol., VIII, 3, 1337 b 23-26.
118- Voir A. Hourdakis, op. cit., p. 29.
119- Voir P. Pellegrin, op. cit., p. 536, note 2.
120- Pol., VIII, 6, 1340 b 26-30.
121- Pol., VIII, 6, 1340 a 20-26.
122- Pol., VIII, 6, 1340 b 36 – 1341 a 17.
123- Voir supra, p. 153.
124- Pol., VIII, 6, 1341 a 6-8.
125- Pol., VIII, 6, 1341 a 39 – 1341 b 2.
126- Pol., VIII, 6, 1340 b 20-25.
127- Voir C. Lord, Education and Culture in the Political Thought of Aristotle, Ithaca-Londres, 1982, p. 98-99.
128- Pol., VIII, 6, 1341 b 10-14.
129- Pol., VIII, 2, 1337 b 8-12.
130- Pol., VIII, 2, 1337 b 15-22.
131- Voir supra, p. 152.
132- Voir Pol., VIII, 5, 1340 a 12 – 1340 b 10 et supra, p.
133- Voir Pol., VIII, 5, 1340 a 35-39 et supra, p. 84-85.
134- Pol., VIII, 5, 1340 a 12-14.
135- Pol., VIII, 5, 1340 b 10-19.
136- Pol., VIII, 5, 1340 a 14-25.
137- Voir R. Kraut, op. cit., p. 195.
138- Voir supra, p. 87.
139- Pol., VIII, 7, 1341 b 32-37.
140- Voir supra, p. 151 sqq.
141- Pol., VIII, 7, 1342 b 12-18.
142- Pol., VIII, 7, 1342 b 30-33.
143- R. Kraut, Aristotle Politics, Books VII and VIII, translated with a commentary, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 208.
144- Ibid.
145- Pol., VIII, 7, 1342 a 1-3.
146- Voir texte cité supra, note 113.
147- Pol., VIII, 7, 1342 b 20-23.
148- Pol., VIII, 3, 1337 b 33 – 1338 a 1.
149- Voir G. Richardson Lear, Happy Lives and the Highest Good, An Essay on Aristotle’s Nicomachean Ethics, Princeton-Londres, Princeton University Press, 2004, voir en particulier p. 175-207.
150- Pol., VII, 1, 1323 a 14 sqq.
151- Pol., VIII, 1, 1338 a 1 sqq.
152- Nous nous contenterons de renvoyer, pour une mise au point et une prise de position, à P. Demont, « Le loisir (skholê) dans la Politique d’Aristote », in P. Aubenque (dir.), A. Tordesillas (éd.), Aristote Politique, Études sur la Politique d’Aristote, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 209-230.
153- Voir P. Demont, op. cit., p. 220.
154- Pol., VIII, 3, 1338 a 9-30.
155- Pol., VII, 13, 1332 a 28 – 1332 b 11. Pour l’acquisition des vertus, voir aussi EN, II, 1.
156- Voir P. Rodrigo, « L’ordre du bonheur. À propos de quelques paradoxes aristotéliciens sur le bonheur et les vertus », in P. Destrée (éd.), Aristote, Bonheur et vertus, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 17-41, voir en particulier p. 41-42.