14.

Après la pluie, Mevlido déambule au long des avenues luisantes.

Le commissaire Berberoïan l’a vivement encouragé à aller faire son témoignage auprès de Petro Michigan. Il lui a demandé de se joindre à l’équipe qui a commencé le travail d’investigation. Ses collègues. En ce moment, ceux-ci cherchent l’arme du crime. La femme en vert a dû la perdre immédiatement après l’avoir déchargée sur les ministres ou juste avant d’avoir été renversée par le tramway. Ils sondent les trous dans l’asphalte, les caniveaux. Ils ne trouvent rien.

Berberoïan a rappelé à Mevlido qui sont les victimes de l’attentat :

Mevlido a enregistré ces éléments, qui d’ailleurs pour lui n’avaient rien de neuf, et il a promis à Berberoïan qu’il allait de ce pas rejoindre Michigan sur Memorial Avenue. Sous la pluie qui avait perdu toute force, il a bavardé une demi-minute avec Michigan et, comme celui-ci ne semblait pas intéressé par ce qu’il lui confiait, il s’est éclipsé en évitant tout contact avec l’équipe policière, et il a commencé à errer sans but.

La morte s’appelle Linda Siew.

Maintenant, il connaît son nom. Après avoir parlé à Berberoïan, il a rouvert sa sacoche et il a jeté un coup d’œil sur les documents de la femme en vert. Il les a examinés, mais très peu de temps, car il ne souhaitait pas s’attarder sur des photographies qui montraient le visage qu’avait Verena Becker il y a vingt ans. La ressemblance est frappante, en effet. Elle est insupportable. Linda Siew. Il n’a pas cherché à en savoir plus. Le portefeuille ne contenait rien, sinon un billet de dix dollars, presque neuf mais encore très mouillé.

Le ciel ne s’est pas dégagé, l’après-midi reste sombre et même, vers cinq heures, il devient encore plus noir. Trompées par cette luminosité de crépuscule, des chauves-souris de grande taille planent déjà d’un jardin public à l’autre. Les oiseaux diurnes croassent sur les frangipaniers et les figuiers, sur les sophoras géants, les platanes, les catalpas. Ils regrettent que l’orage ait décimé les mouches et ils croassent. Les arbres ne procurent aucune fraîcheur. De toute façon, Mevlido évite de circuler sous le feuillage, en raison des gouttes et des chutes de guano. Il erre dans les anciens arrondissements riches, ceux qui ne sont plus fermés par des barrières barbelées et des chevaux de frise. Il fait des boucles, de temps en temps il atteint les bords du fleuve. On avait là autrefois des résidences de luxe qui jouissaient d’une vue imprenable sur l’estuaire. Les constructions ont subi les ravages des siècles, leurs façades en miroir sont aujourd’hui ébréchées, discontinues. Certains blocs sont inhabitables et inhabités depuis les nettoyages ethniques de la dernière guerre. Au pied des immeubles, l’eau est boueuse, lisse et splendide. Sans remous, elle file vers l’océan. Mevlido ne s’accoude pas au parapet de ciment, il ne rêvasse pas au-dessus des containers éventrés, il ne s’intéresse ni aux embarcations de roseaux, ni aux allées et venues des réfugiés Laks qui squattent les ruines des installations portuaires. La beauté de l’endroit ne le retient pas. Dès qu’il arrive en vue des eaux, il rebrousse chemin. Il reprend son errance, il rejoint les grandes artères qui rayonnent autour de Continental Plaza. Il se mêle de nouveau à la bousculade, car il y a beaucoup de monde. Il respire les odeurs. Il accueille, comme venant de très loin, les fragments de phrases que prononcent les gens. Puis c’est le soir.

C’est le soir, alors il rentre à Poulailler Quatre.