L'Arbre de la Connaissance

« Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. »

 

Genèse 2:17

 

 

Nous vivons véritablement dans notre mental.

 

Du vide absolu se manifeste le monde entier. Le mental n'est rien d'autre qu'un frémissement à la surface de cet océan infini du vide, cet immense paysage de silence.

 

La danse cosmique des couleurs, des formes et des mouvements se joue dans cet espace immense et je ne peux m'en séparer ou m'y retrouver. Dans ce vide, dans ce néant sans commencement, ni fin, il n'y a que cela, que ce qui est et rien d'autre. Il n'y a que cela et pas d'yeux pour le voir, d'oreilles pour l'entendre, de langue pour le goûter, de nez pour le sentir. Les yeux le rendraient aveugle, les oreilles le rendraient sourd, la langue le rendrait insipide.

 

Et lorsque le mental suspend son bavardage incessant, vous pouvez le ressentir, ce silence dévorant, cette paix volcanique, duquel naissent toutes choses, et vers lequel elles retournent.

Mais y penser c'est le perdre, car il ne peut jamais être un objet de connaissance, il ne peut jamais être capturé par la pensée.

 

*

 

A travers les âges, les hommes ont recherché le silence éternel sous les vagues de la vie, mais ils ne l'ont jamais atteint, car, c'est dans la recherche même, qu'ils ont perdu tout espoir de le trouver. Il ne peut être trouvé, car il est ce qui est antérieur à la recherche – antérieur aux pensées, antérieur à la connaissance, antérieur à la raison. C'est ce qui est devant vous, c'est ce moment, c'est maintenant.

 

Et lorsque vous pensez à lui, il a déjà disparu, c'est déjà un autre moment, et votre recherche vous a empêché de le voir. Un moment capturé par la pensée est déjà un vieux moment, il est déjà mort. Vous l'avez tué vous-même.

 

*

 

Pourtant, il n'existe pas de « vieux » moments, de moments morts, il n'y a que l'éternel présent. Pensez au passé, les pensées apparaissent au moment présent. Toutes les pensées apparaissent maintenant, maintenant et maintenant... et pourtant, nous continuons à tomber dans l'illusion du passé et du futur, en tant que réalités concrètes. Personne n'a jamais « touché » le passé, si ce n'est dans les pensées présentes ; personne n'a jamais « touché » le futur, si ce n'est dans les pensées présentes. Passé et futur ne sont que des illusions, rien de plus, ils apparaissent maintenant, maintenant et maintenant. Même ces mots sont interprétés à travers le filtre du passé, à travers la mémoire. Sinon, comment auriez-vous fait pour les comprendre ?

 

Mais regardez ! Un avion gronde dans le ciel, un oiseau pépie dans cet arbre, quelqu'un tousse, les fleurs ondulent gentiment sous la brise – et où pouvez-vous trouver un passé dans tout cela ? Où pouvez-vous trouver un futur ?

 

*

 

Le passé, c'est de la mémoire, le futur une projection reposant sur la mémoire. Et pourtant, tous deux peuvent nous rendre fous, car, avec le passé et le futur survient un sens de soi, un sens de moi, qui j'étais, qui je suis, et qui je serai. Ce lourd sens de « moi et mes problèmes », c'est ce qui nous torture.

 

Et pourtant, alors que le petit oiseau sautille et s'envole loin de l'arbre, je ne peux vraiment pas trouver un « moi » quelque part.

 

*

 

Quelque part, là profondément, nous savons, tous, que nous nageons dans l'illusion.

 

Vous voyez, j'appelle cette chose là-bas un « oiseau », mais en réalité je n'ai aucune idée de ce que c'est. J'appelle cette chose ici, un « arbre », mais c'est vraiment un mystère divin qui me laisse sans voix tellement je suis étonné, lorsque je commence à le contempler. J'appelle cette autre chose un « chat », mais est-ce vraiment ce qu'il est ? Tout cela est un véritable mystère, et toute explication que je pourrais donner, ne sera qu'une explication, une interprétation d'après coup, une théorie. Toute fabrication mentale se superpose à la réalité, qui est antérieure à l'interprétation.

 

Mais cette chose là-bas, cette chose que je désigne et appelle un « chat », est-ce une fabrication mentale ? Et celle-ci, celle que j'appelle « arbre », est-elle une fabrication mentale ? Bien sûr que non ! Pourriez-vous vous exclamer, mais n'avez-vous jamais connu autre chose que des fabrications mentales ?

 

Voulez-vous vraiment connaître ce que cette chose là-bas est ? Alors, laissez le mental calme, approchez-vous et touchez cette chose que nous appelons « arbre ».
Sentez sa forme, sa texture. Écoutez-le, sentez-le, et même goûtez-le. Voyez les petites créatures qui l'appellent leur maison, regardez plus près, ces incroyables motifs dans l'épaisseur de l'écorce, la mousse qui pousse le long du tronc.
Regardez de plus en plus près : Est-ce vraiment un « arbre » ? Est-ce que cela peut bien « saisir » ce qu'il est ?

 

Vous voyez, il est vraiment sans nom, n'est-ce pas ? Ce n'est pas un arbre du tout. C'est une expérience qui change avec chacun des moments qui passent, une expérience qui, de ce fait, ne peut être nommée. Le mot « arbre », le concept, la connaissance de ce dernier, ce n'est que du passé, c'est donc mort. Cela , quoi que ce soit, est vivant. Il n'est jamais le même d'un moment à l'autre.

 

*

 

Une chose vivante ne peut pas être capturée par une chose morte. Seule la pensée vous parlera différemment.

 

*

 

Cet « arbre » n'est pas vraiment séparé des petites créatures qui vivent avec ou en lui, des nutriments et micro-organismes du sol dont il se nourrit, des mousses qui grimpent sur son côté, des gouttes de pluie sans lesquelles il mourrait, des écureuils qui viennent juste de se hisser sur ses plus hautes branches, de moi, alors que je pose ma main sur son tronc, que je respire l'air dont il dépend également. Tout dépend de tout. Cet « arbre » n'est pas séparé de quoi que ce soit, il n'est pas séparé du reste de la réalité, de tout ce qu'on appelle « non-arbre ». Où donc dessinerais-je la limite entre « l'arbre » et le « non-arbre ». A quel endroit pourrais-je couper une tranche de réalité ? Comment pourrais-je en avoir la moindre idée ? La réalité est un tout unifié, et la pensée la tue, la débite en petits morceaux, la tourne en connaissance rassie, la traite en termes du passé, car le mental ne peut concevoir l'immensité de tout cela, il ne peut commencer à appréhender le grand mystère que nous appelons vie. Ainsi, il la réduit, la fragmente, appelle ceci un « arbre », le regroupe avec d'autres choses qui apparaissent semblables et les appelle tous « arbres », au nom de la connaissance et de la science.

 

Mais c'est un mensonge, un mensonge que la plupart d'entre nous ont avalé nos vies durant. Ce n'est pas un arbre. C'est ce que c'est, et nous le désignons et l'appelons un arbre, et oublions que ce n'est pas un arbre, et que cet « arbre » n'est qu'une construction mentale, un objet mental, une illusion.

 

Mais le mot « arbre » satisfait le mental, n'est-ce pas ? Une fois qu'il a ce concept « arbre », il peut se laisser aller et générer toutes sortes de théories sur les « arbres » et comment ils « travaillent ». Les arbres de la connaissance, les arbres de la science sont des arbres du mental. Mangez de cet arbre de la connaissance et vous en mourrez certainement. Vous resterez sans doute enfermé dans le passé, un passé qui vous torture.

 

Venez ici, sentez cette écorce, sentez-la, alors que vous contemplez votre « arbre ». Lequel est réel ?