PRELUDE
EN FORME DE GLOSSAIRE 9
Pour la doctrine psychanalytique freudienne et néo-freudienne 10 , hors du Père, point de salut. Quiconque ne passe point par les fourches caudines de l’entonnoir symbolique monothéiste patriarcal, phallo-androcratique est inexorablement condamné à la psychose, à la perversion ou, au mieux, à la marginalité. Aussi bien notre cas personnel que notre clinique journalière, et notamment depuis mai 1968, nous prouvent — Déesse merci ! — le contraire. C’est ce qui nous a incité à aller chercher dans l’histoire anthropologique, d’autres systèmes symboliques susceptibles d’expliquer une psychogénèse (un développement psychologique) humaine qui ne se fonde pas sur le sacro-saint développement œdipien mis à jour par le père de la psychanalyse et depuis, sans cesse repris par ses émules.
Pour ceux-ci en effet, la psychogénèse de l’enfant se divise en deux grandes périodes caractéristiques, la prégénitale ou préœdipienne et la génitale ou œdipienne.
La période préœdipienne est caractérisée par une dyade fusionnelle mère-enfant continuant la fusion intra-utérine et que, seule, l’intervention du père, comme un coin dans le bois, pourra faire cesser en la clivant inexorablement. C’est alors que la période œdipienne commencera, marquée par le désir de meurtre de ce gêneur et la crainte, en retour, de la castration punitive. La résolution de ce conflit tragique se trouvant dans l’abandon de l’objet maternel du désir (acceptation de la castration) et l’identification à ce paradigme absolu, porteur des valeurs monothéistes patriarcales : le Père symbolique.
Nous ne réfuterons pas ce schéma — œdipien — de développement, simplement nous le relativiserons. Nous le relativiserons par rapport à une culture (collective) patriarcale d’une part et, en cette culture, par rapport à une structure individuelle particulière, d’autre part. A cette structure, innée autant que congénitale et acquise, nous donnerons le nom de Fils-œdipien (du père).
Mais nous montrerons qu’à côté de cette culture (structure collective, système symbolique) et souvent même à l’intérieur de celle-ci il en peut exister — et co-exister — d’autres. Et surtout qu’à côté — ou même à l’intérieur — d’un système familial œdipien, il peut exister — et co-exister — des structures individuelles également autres ; et notamment des individus opérant leur développement psychogénétique dans/et par la mère, sans intervention « cunéiforme » du fameux Père symbolique ; le « coin » phallique maternel (son Animus, dirons-nous avec Jung), y suffisant largement — ô combien ! trop souvent. Au Père symbolique nous adjoindrons la Mère symbolique. A ces structures individuelles particulières, innées autant que congénitales et acquises, nous donnerons le nom de Fils-Amants (de la Mère) 11 .
Reprenons les deux périodes freudiennes (préœdipienne et œdipienne) en une présentation critique qui aura le mérite d’introduire notre point de vue propre.
1. La période prégénitale ou préœdipienne va de la naissance à trois ans environ et se subdivise en phase orale suivie d’une phase anale. Pendant cette période l’enfant vit sa relation au monde — et d’abord à la mère — sur un mode fusionnel et confusionnel, c’est-à-dire indifférencié sur le plan du sujet (enfant) et de l’objet (mère), du Moi et de l’autre. Le monde psychologique primitif de l’enfant, reproduisant celui de la mentalité archaïque des sociétés tribales passées ou ethnologiques actuelles, est un animisme, c’est-à-dire une subjectivisation des objets. Le sujet investit l’objet de l’énergie (libido) propre à sa pulsion 12 positive (d’amour) ou négative (de destruction). Dès lors l’objet (extérieur) lui apparaît soit comme bon et agréable (le Bien, plus tard) soit comme mauvais et désagréable (le Mal, plus tard), non en vertu de la qualité objective de cet objet mais en vertu de sa qualité subjective (projective) . C’est ce phénomène d’investissement subjectif des objets (« Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » — ou de haïr) qui est appelé projection, altérisation , interprétation et, un pas de plus, délire. On le retrouve aussi dans le solipsisme philosophique et l’autisme psychiatrique. Il est encore à la base de systèmes philosophiques « idéalistes absolus » qui dénient toute réalité objective au monde. Les phénoménologues le nommeront intrasubjectivité.
C’est ainsi que la mentalité archaïque peuple l’univers proche d’esprits, de démons, de nymphes, d’elfes, de déesses et de dieux, d’abord zoomorphes (à forme animale), ensuite zoo-anthropomorphes (monstres hybrides animaux et humains), enfin anthropomorphes (à forme strictement humaine mais généralement hyperbolique). Telle est signifiée l’évolution de l’imaginaire humain. L’on parlera alors d’un imaginaire de la pulsion orale et d’un imaginaire de la pulsion anale, propres à ces phases de la période prégénitale (ou préœdipienne), au cours de laquelle l’enfant subit l’éducation de ce que l’on nomme oralité, c’est-à-dire de sa relation au monde sur le mode dévorant-dévoré (cannibalique)  ; et de ce que l’on nomme analité, c’est-à-dire de sa relation au monde sur le mode saleté-propreté , souillure-pureté , accompagnée d’une volonté d’emprise sur autrui (la mère en premier lieu) qui nous fera désigner cette phase de l’épithète esclavagiste. L’on parlera aussi de sado-masochisme oral ou/et anal, étant entendu néanmoins que, pour qu’il y ait sadisme ou/et masochisme à proprement parler, il y faudra un Sujet qui en assume la responsabilité. Ce Sujet, justement, se forgera un Moi qui en sera son épreuve existentielle privilégiée et qui se développera peu à peu à partir de l’adaptation (accommodation) progressive de l’enfant à ses objets. Lorsque l’enfant commencera à distinguer un sein (objet partiel mère) différent de sa bouche (pulsion partielle du sujet), puis un visage (objet partiel mère) différent de son visage (pulsion partielle du sujet), enfin une mère totale (objet total), différente de son corps propre qu’il reconnaîtra comme sien dans sa totalité (pulsion totale), Sujet et Moi se différencieront concurremment.
Cette reconnaissance d’objets partiels (non-Moi) correspondant aux pulsions partielles (Moi) 13 , puis d’objets totaux (non-Moi) correspondant à la réunion des pulsions partielles (Moi) (du senti, du moteur, du toucher-être-touché, du sentir-être-senti, du goûter-être-goûté, de l’entendre-être-entendu, du voir-être-vu, etc.), s’opère justement par l’objectivation (médiatisation) progressive de ces objets par rapport à la source pulsionnelle et à l’objet interne (O) de celle-ci. Les esprits, nymphes, démons, déesses, dieux, etc., qui peuplaient les bois, forêts, torrents, rivières, lacs, grottes et autres lieux sacrés vont peu à peu refluer et confluer en des lieux spécifiques privilégiés. Lieux sacrés terrestres (sanctuaires, les grottes du Paléolithique par exemple), lieux sacrés souterrains (chtoniens , enfers), lieux sacrés célestes (ouraniens , astraux). L’univers, d’animiste, se mythologise. Ainsi en est-il de l’enfant qui y acquiert, comme l’homme archaïque, une terre, un territoire profanes, en lesquels sa liberté d’être pourra s’exercer par rapport au sacré archaïque contraignant et aliénant (son champ d’investissement achétypo-pulsionnel archaïque) qui continuera, certes, à le gouverner, mais de plus-loin. Il lui suffira d’accomplir certains rites propitiatoires (rendant propice) — sacrificiels, car le sacré archaïque est d’abord, on le verra, ubris (démesure, orgueil, insolence, emprise,violence, sadisme, cannibalisme, esclavagisme, possession).
Le « dressage » oral et anal de l’enfant récapitule en quelques mois — ou années — les ritualisations, cultualisations et culturalisations cannibalique et esclavagiste des trois millions d’années passées 14 . L’on dira que l’onto-psychogénèse (psychogénèse individuelle) récapitule en trois ans, la phylo-psycho-génèse (psychogénèse collective) de trois millions d’années d’hominisation (de l’Homo habilis à l’Homo sapiens-sapiens) et d’humanisation (de l’Homo sapiens-sapiens du Paléolithique supérieur à nous, soit environ trente mille ans) 15 .
Nous pouvons déjà, en première approximation, assimiler la phylo-psycho-génèse aux contenus archétypiques de l’inconscient collectif de Jung et l’onto-psycho-génèse des trois premières années de la vie de l’enfant prendra place en ce que nous définirons comme une paléopsyché, c’est-à-dire une inscription archétypique (archétypo-pulsionnelle, objets O) en un individu 16 .
Nous voyons déjà que l’inscription de la réalité physique objective (objets O’) en les cellules nerveuses de l’enfant (empreinte des éthologistes), pour y constituer un système de réalité objective s’opposant au système de réalité subjective (projective), procède de deux courants : — l’un allant de l’intérieur vers l’extérieur (projection, animisme, interprétation, externalisation 17 ) ; — l’autre de l’extérieur vers l’intérieur (introjection , empreinte , assimilation, internalisation 18 ). Du résultat — ou plutôt de la résultante — de ces deux courants (énergétiques, libidinaux) surgit la représentation dite objective, mais qui ne l’est, en fait, que par rapport à un système de réalité objective donné. En effet, « vérité en deçà, erreur au-delà ». Ces systèmes de réalité objective sont définis par un système symbolique, c’est-à-dire un système de règles régissant une culture — ou une société — donnée : règles de parenté, de mariage, d’échanges, d’économie, de religion, d’art, de technique, de science (Lévi-Strauss). Notre système de réalité objective n’est pas le même que celui du pays voisin et, en tout cas, diffère assez radicalement de celui de la tribu indienne Cuna de Panama. Le symbolique, s’opposant à l’imaginaire antérieurement défini (subjectif fusionnel) est donc le résultat — la résultante — de deux forces de sens opposé et éventuellement contradictoires, émanant, l’une de la réalité psychique objective (archétypes-pulsions de l’inconscient collectif), l’autre de la réalité physique objective. La réalité psychique objective se définit en effet comme un non-Moi (un non-Sujet) parce qu’elle émane de ce fonds anthropologique collectif (phylo-psycho-génèse) qui induit une évolution anthropologique individuelle (onto-psycho-génèse). La réalité physique objective est ce qui, de l’objet concret extérieur, résiste à mon ubris, à mon besoin, à mon désir. Ce n’est pas seulement l’objet concret mondain (banal) qui me démontre qu’il va résister à ma frêle denture de lait mais c’est aussi l’objet concret de chair et d’esprit — maternel en l’occurrence — qui m’impose la Loi du groupe en lequel je baigne, c’est-à-dire son système symbolique. L’on voit que cette résultante en laquelle le Sujet  — et le Moi —  advient se situe à mi-chemin des deux réalités objectives fondamentales, la réalité psychique et la réalité physique. Néanmoins, l’avènement du Sujet s’opère à mon sens dans cette inscription en les cellules nerveuses (neurones) du système symbolique représentant une culture et transmis par la mère — et le père. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit là, en fait, de deux inscriptions neuroniques : celle de la réalité psychique objective (objets O) et celle de la réalité physique objective (objets O’).
Nous nommerons donc image-objet (interne) O, l’inscription (ancrage, engrammation) en nos cellules nerveuses de la réalité psychique objective (courant énergétique de l’intérieur vers l’extérieur), image-objet issu de l’archétype-pulsion intérieur.
Nous nommerons image-objet (externe) O’ , l’inscription de la réalité physique objective en nos cellules nerveuses (courant énergétique de l’extérieur vers l’intérieur), image-objet issu de l’objet concret extérieur, en première approximation, mais nous verrons que la réalité extérieure de l’alter ego est, par définition, également archétypo-pulsionnelle. Ce qui nous contraindra à distinguer entre une altérité et une intersubjectivité 19 .
Nous appellerons symbolisation la résultante de ces deux inscriptions, leur conjonction plus exactement, et plus précisément ici, leur conjonction horizontale  : O-O’.
L’image-objet O considéré seul est l’assise de l’imaginaire (dans l’acception à peu près lacanienne).
L’image-objet O’ considéré seul est l’assise du symbolique (dans l’acception à peu près lacanienne).
Est-ce à dire que tous les objets O s’épuisent à conjoindre avec leurs corrélatifs spécifiques O’ (système bouche-sein par exemple) ? Certainement pas. Ce serait faire peu de cas de la surabondance de la réalité psychique objective qui, depuis l’aube de la vie (biogénèse) impose son évolution à la matière biologique — et pas seulement, à notre sens, selon la voie des essais et des erreurs du hasard et de la nécessité... Cette surabondance de la réalité psychique dans les « choses », qui fait de nous des êtres inadaptés, inasouvis, insatisfaits, anxieux... va engendrer un quatrième registre psychogénétique. Si bien que au concret, à l’imaginaire , au symbolique, va s’adjoindre l’imaginal (H. Corbin) 20 . L’imaginal en somme est un imaginaire qui ne trouve pas à s’investir en un objet concret là-maintenant. Il hallucine, diront les matérialistes convaincus. Il anticipe un avenir dans une dimension de l’ « au-delà » diront les spiritualistes non moins convaincus. Il anticipe un Devenir de l’humaine condition là-maintenant, diront ceux qui savent bien que matérialisme et spiritualisme ne sont que les deux faces d’un unique phénomène, celui de la Vie (comme entropie et néguentropie ).
L’imaginal est un « intermonde » 21 peuplé d’images-objets archétypo-pulsionnels éprouvés comme autant de présences personnalisées mais différentes des objets concrets, comme des alter ego et de moi-même. La fusion-confusion de l’imaginaire plus haut signalée à propos de l’investissement pulsionnel des objets concrets (bois, forêts, rivières, grottes, etc.) n’existe plus. L’imaginal est le fondement de l’intuition visionnaire et de la vision théophanique. par les « yeux de l’âme », prophétique ou poétique. Ce que nous définirons comme apocalypse (au sens visionnaire) et époptie. Ce registre, comme le croient les matérialistes mécanicistes, ne construit pas du déréel ou de l’irréel , de l’hallucination ou du délire 22 , mais bien au contraire, il dévoile le Réel caché, il l’épiphanise , le manifeste à la conscience.
Nous le verrons surgir dans les symbolisations verticales spirituelles (s’opposant complémentairement aux symbolisations horizontales pulsionnelles plus haut définies) et nous serons alors tenu de poser à côté des conjonctions horizontales pulsionnelles O-O’, des conjonctions verticales spirituelles que nous nommerons O-P’ et O’-P 23 . Ces épiphanies verticales (objets P) constitueront le registre spirituel (imaginal) s’opposant complémentairement au registre pulsionnel (imaginaire). Nous y verrons apparaître les dimensions de l’Eros, conjoignant avec le génital (éros génital possessif), de la Caritas, conjoignant avec l’anal (éros anal esclavagiste), de l’Agapé enfin, conjoignant avec l’oral (éros oral cannibalique). Ces trois nouveaux registres spirituels étant le résultat de la métamorphose — que nous définirons comme chiasmatique  — des trois registres pulsionnels fondamentaux. Les images-objets P et P’ sont à l’imaginal et au spirituel ce que les images-objets O et O’ sont à l’imaginaire et au pulsionnel. Ils sont donc, en le Sujet, l’inscription (engrammation, ancrage) médiatisante (défusionnelle) de la réalité psychique objective jusque-là vécue imaginairement (projectivement) en l’objet concret qui était alors en plus ou moins grande partie un simple reflet spéculaire (en miroir) de nous-mêmes. La symbolisation (conjonction) horizontale inaugure, on l’a vu, l’assomption du Sujet en l’objet jusque-là investi imaginairement (spéculairement) par la pulsion. La symbolisation (conjonction) verticale en P’-P, inaugure quant à elle l’assomption du Réel caché (la surabondance de la réalité psychique objective dans les « choses ») dans le système horizontal antérieur (O-O’). D’une dyade horizontale (relation duelle fusionnelle), une tétrade verticale (quaternio, quaternité) se forme. Des schémas nous aideront à visualiser ce phénomène majeur de la métamorphose duelle (dyade) en quaternio (tétrade) en passant justement par la triangulation (triade, trinité) de l’assomption du Sujet en O-O’. Nous verrons comment les Toltèques — avant les Aztèques — avaient déjà formulé une telle psychogénèse avec leurs deux serpents imaginaux — et non pas imaginaires — Quetzalcoatl et Tezcatlipoca. Il nous suffira de reprendre leur schéma 24 .
Nous verrons que l’axe-plan de symbolisation (conjonctions) horizontales est un axe-plan synchronique, définissant une structure (forme, gestalt) à un temps t. Tandis que l’axe-plan de symbolisations (conjonctions) verticales est un axe-plan diachronique, définissant une structure en évolution dynamique et cinématique dans le temps T. Ainsi seront définis les deux grands axes-plans de la psyché : — le synchronique étudié indépendamment du temps linéaire mais dans un temps circulaire d’éternel retour (compulsion répétitive)  ; — le diachronique, étudié dans ses transformations successives tout le long du temps linéaire  — de la psychogénèse, de l’histoire. L’axe-plan synchronique définira, au niveau collectif, un système symbolique fermé sur lui-même, propre à une culture, et au plan individuel, la pérennité d’une structure psychique, les complexes Moi. L’axe-plan diachronique définira un système évolutif ouvert à son devenir collectif (culturel) et individuel, vers une totalité cosmo-bio-psychospirituelle, à savoir, le Soi 25 . Soi primaire et « grandiose » d’abord, incluant dans sa subjectivité quasi radicale et absolue (intrasubjectivité) l’univers dans son ensemble et y noyant le Sujet, c’est ce qui définira le narcissisme primaire. Soi secondaire et universel ensuite, différenciant dans son objectivation un Sujet — et un Moi — conscient à la fois de son appartenance (participation, religieux) et de sa différence (autonomie, individualisation, personnalisation, individuation). C’est ce qui définira un narcissisme secondaire.
Les symbolisations verticales (O-P’, O’-P) s’inscrivant le long de l’axe-plan du Soi (diachronique) décriront une individualisation qui deviendra peu à peu, notamment dans la deuxième partie de la vie (au-delà de l’axe-plan synchronique chiasmatique des 35 ans), une individuation (Jung) c’est-à-dire une personnalisation non plus seulement par rapport au système de réalité objective symbolique inhérent à une culture, mais par rapport au Réel caché imaginal, porteur du Devenir de la culture considérée, c’est-à-dire en dernière analyse, de l’espèce et de la Vie, inclus dans le Cosmos  : un microcosme dans le macrocosme. C’est en ce champ imaginal d’individuation que s’inscriront les réalités spirituelles déjà évoquées de l’Eros, de la Caritas et de l’Agapé.
2. Par là, nous avons largement anticipé la deuxième période caractéristique de la psychogénèse de l’enfant décrite par le freudisme et le néo-freudisme ; à savoir la période génitale ou œdipienne. C’est la phase — de 3 à 6 ans — du fameux complexe d’Œdipe , pendant laquelle le garçon est tenu de tuer — symboliquement — son père et d’épouser — symboliquement — sa mère, pendant que la fille doit tuer — symboliquement — sa mère et épouser — symboliquement — son père. Cette phase se termine par le sacrifice  — ou castration symbolique  — de cette relation triangulaire (papa, maman et moi) incestueuse et le retour au parent du même sexe pour qu’y advienne une évolution paradigmatique dans une identification structurante  — et non plus fusionnelle-confusionnelle (imaginaire) —, tandis que le parent du sexe opposé reste le paradigme symbolique de la relation érotique, jusqu’au moment où celle-ci se transférera à un nouvel objet érotisé lors du premier amour pubère, plus ou moins stigmatisé de son interdit (prohibition de l’inceste) et de son châtiment, la castration.
Ce schéma de développement tire sa thématique — son nom l’indique — du mythe et de la tragédie d’Œdipe, mais en fait, — et c’est là que nous divergeons particulièrement — d’une part, il laisse dans l’ombre le développement féminin — il n’y a pas de véritable mythe œdipien féminin correspondant —, d’autre part, il nous sera facile de montrer qu’Œdipe n’est pas œdipien au sens freudien du terme. En effet, le père d’Œdipe, Laïos, est un paranoïaque pervers, assassin de son fils — miraculeusement sauvé par le berger de Corinthe —, qui renvoie, on le verra, au principe mâle (et non pas au père), Apsou, de la Grande-Mère babylonienne primitive, Tiamat ; c’est-à-dire à un système symbolique préœdipien-prégénital. L’Œdipe grec — et non pas freudien, qui renvoie, lui, bien plus à l’Œdipe hébreux (jahvéen) 26  — est encore une mise en scène de la fusion-confusion des deux principes sexués mâle et femelle dans une relation paranoïde perverse, c’est-à-dire dévorant-dévoré (cannibalique orale) et maître-esclave (esclavagiste anale). Le génital (œdipien) de cette relation plonge encore énormément dans le prégénital (préœdipien) oral et anal. Apsou et Tiamat, à Babylone, sont, on le verra, indissolublement fusionnés et confondus sans que l’on puisse encore distinguer entre le cannibalo-esclavagisme de l’un ou de l’autre des deux principes sexués. C’est pourquoi, à ce stade, nous parlerons de syzygie primitive (fusionnelle et confusionnelle).
Cette syzygie originelle (pré-cosmo-anthropogonique, prégénitale) fonde mythologiquement (phylo-psycho-génétiquement) ce que Freud a défini ailleurs comme scène primitive (ou originaire) et Mélanie Klein comme parents combinés. La scène primitive est chez l’enfant le phantasme (originaire, c’est-à-dire « hérité ») du rapport sexuel entre les parents, interprété comme un acte de violence du père sur la mère. Les parents combinés constituent chez l’enfant un phantasme — ou une théorie sexuelle infantile — représentant les parents unis indissolublement en un coït ininterrompu, sado-masochiste (ou plutôt sadique), le père effractant, violant et morcelant explosivement le corps de la mère, à travers son ventre génito-digestif, et la mère retenant, castrant et dévorant en son « vagin denté » le corps du père, à travers son pénis inclus. Aucun des deux auteurs, à ma connaissance, n’a jamais relié ces phantasmes originaires (archétypiques) individuels aux phantasmes collectifs (mythologiques) des sociétés paléo-néolithiques 27 . Nous le verrons, la phylo-psycho-génèse (collective) fonde, une fois de plus, l’onto-psychogénèse (individuelle). Les syzygies originaires babyloniennes Apsou-Tiamat puis Kingu-Tiamat nous racontent, à la lettre, les phantasmes individuels découverts par ces deux auteurs. C’est ce que nous révélera le poème babylonien de la Création (cosmo-anthropogonie), l’Enuma elish.
Certes, il s’agit bien là de principes mâle et femelle procréateurs (cosmo-anthropogoniques) et donc de quelque chose tendant vers ce que nous nommons père et mère, mais il ne conviendra pas de les confondre. Il ne conviendra pas, surtout, de confondre cette syzygie pré-cosmo-anthropogonique avec papa et maman. Non, la pathologie éventuelle (schizo-paranoïde, dira M. Klein) généralement attribuée de nos jours à papa-maman — surtout maman — dépendra tout autant de l’épiphanie pathologique en l’enfant de cette syzygie (scène primitive, parents combinés). Par là, nous relativisons — à nouveau — la faute que la psychologie psychanalytique contemporaine fait inexorablement supporter aux parents, notamment à la mère, dans la genèse (pathogénèse) de la maladie mentale grave (schizophrénie, paranoïa, psychoses en général). A notre sens, seule la névrose (d’angoisse, hystérique, phobique, obsessionnelle) relève d’une pathogénèse acquise, intra-familiale — ou intra-sociale. La psychose relève, en outre et au premier chef, d’une pathogénèse, sinon héréditaire, en tout cas, congénitale, où l’A.D.N. (acide désoxy-ribonucléique, cf. plus haut et infra) des cellules nerveuses de l’enfant (contenant en chaque cellule toute l’information  — et la néguentropie  — de son organisme, mais aussi de l’espèce et de la Vie), joue un rôle majeur, en corrélation avec le même système d’A.D.N. de la mère, in utero. Qu’on se rende compte d’ores et déjà, mais nous y reviendrons, que le système génique (A.D.N.) des cellules nerveuses (du Soma ) n’est pas celui des cellules sexuelles (du Germen), c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas ici d’hérédité mais de congénitalité 28 . Pour nous, l’inconscient collectif spécifique (de l’espèce) a son siège en ce système cybernétique chromosomique. Nous disons « son siège » et non son origine absolue. C’est pourquoi nous ferons une large place à ce système et nous y verrons qu’aux relations de causalité (une même cause engendrant le même effet dans le temps linéaire) définissant exhaustivement pour le biophysicien d’aujourd’hui encore, les conditions d’évolution des systèmes vivants, il nous faudra adjoindre (je dis bien « adjoindre ») des relations de synchronicité (Jung) inscrites notamment dans le temps circulaire en corrélation avec le temps linéaire et déterminant des effets de sens (sémantique) en relation avec une apparente a-causalité. Dans les relations de synchronicité, en effet, c’est le Sens identique ou analogue, qui engendrera l’effet produit et tiendra lieu de cause. C’est ainsi par exemple qu’opère la magie imitative ou opérative. C’est là le mécanisme même de la pensée irrationnelle — mais non pas illogique ou délirante, simplement, elle fonctionne selon une autre logique que la nôtre — qui fonde, que nous le voulions ou non, la pensée rationnelle, discursive, réflexive. C’est pourquoi nous la nommerons pensée pré-réflexive (Merleau-Ponty), fondamentale dans les deux acceptions du terme. Cette pensée fut celle — probablement — de l’Homo sapiens de Néanderthal (notre cousin aîné) comme elle est celle de l’Homo sapiens-sapiens (que nous sommes) à ses débuts, collectifs passés et individuels contemporains, sa paléopsyché. Elle subsistera comme source et matrice de la pensée réflexive du sapiens-sapiens évolué, sa néopsyché.
C’est justement cette mutation d’hominisation (passage du sapiens type néanderthalien au sapiens-sapiens, dans la phylo-psycho-génèse) qui est reprise (dans l’onto-psycho-génèse) au niveau du seuil du prégénital au génital. Nous verrons que ces vocables désignent mal ces deux périodes, puisque le génital, collectivement (dans la phylo-psycho-génèse), fonctionne déjà dans le prégénital. Simplement, il fonctionne sur le mode cannibalique et esclavagiste. Nous serons alors tenu de définir, phylogéniquement, une génitalité orale (inceste cannibalique), une génitalité anale (inceste esclavagiste) et une génitalité génitale (inceste possessif). D’où, tout le long du paléo-néolithique, trois stades génitaux (I, II, III) correspondant à ces formes de génitalité que l’enfant va brièvement récapituler en six ans auprès de ses parents qui incarneront successivement pour lui :
— une syzygie orale (Génital I)
: Paléolithique, Méso-néolithique, Apsou-Tiamat (Babylone) ;
— une syzygie anale (Génital II)
: Seth-Hathor (Egypte) ;
— une syzygie génitale (Génital III)
: Agditis-Cybèle (Phrygie).
Nous décrirons donc trois systèmes symboliques mythologiques en lesquels la Grande-Déesse-Mère (matriarcat ou en tout cas gynécocratie ) tient le premier rôle d’un bout à l’autre du schème de développement psychosomatique des cultures qui les a sécrétés — et les sécrète encore, ne serait-ce qu’au niveau de la paléopsyché de l’homme d’aujourd’hui.
En effet, nous le verrons, la néopsyché sapiens-sapiens contemporaine, bien que fondée sur un système symbolique du Dieu-Père (patriarcat ou androcratie ) n’est fonctionnellement « mise en service » par le Père que si « Déesse le veut », justement parce que cette néopsyché plonge encore « jusqu’au cou » dans le système syzygique antérieur de la Grande-Déesse-Mère. Le masculin — ou plutôt le mâle —, l’homme, le père (de découverte relativement récente et encore ignoré en maintes peuplades ethnologiques), n’est souvent et au mieux, que le principe masculin — mâle — de cette syzygie primitive. C’est ce principe mâle — et masculin — en la femme que nous définirons avec Jung comme son Animus  — que les freudiens et néo-freudiens trouvent dans leurs phantasmes de « femme au pénis » ou « femme phallique ». Autrement dit, nous ignorons encore ce qu’est le masculin (psychologique) différencié, autonome, individué. Tout comme nous ignorons d’ailleurs ce qu’est le féminin (psychologique) différencié, autonome, individué. Ce que nous nommerons avec Jung, masculin en la femme, son Animus et féminin en l’homme, son Anima 29 , se trouvent encore, collectivement, en un état fusionnel-confusionnel syzygique archaïque, c’est-à-dire à l’état de principes 30 mâle et femelle enchâssés dans le pulsionnel imaginaire à peu près pur. Leur différenciation, individualisation et enfin individuation est encore à faire à peu près entièrement. C’est dire que de sapiens-sapiens 31 nous n’avons encore que la potentialité. Nous ne faisons qu’entrevoir, à travers certains « phares » de l’évolution (humanisation) — dont nous présenterons quelques exemplaires —, ce que devrait être cette individualisation suivie d’individuation. Le couple humain contemporain, dans le phénomène majeur qu’il nomme amour, ne fait encore et au mieux, que vivre une relation à l’autre partenaire sur le mode pulsionnel imaginaire possesseur-possédé. C’est ce que l’on nomme justement, à ce niveau, le génital, se fondant sur la relation primordiale du fils à sa mère et de la fille à l’Animus de sa mère d’abord (systèmes de Grande-Déesse-Mère) puis à son père (dans un système de Dieu-Père). L’inceste de cette relation est patent, soit génital (possessif), soit anal (esclavagiste), soit oral (cannibalique). Nous assisterons à quelques métamorphoses de cette relation syzygique archaïque qui, de la fusion-confusion (inceste) originelle évoluera vers la conjonction (hiéros-gamos), à la faveur de la séparation (clivage, manichéisme, Chute, castration, sacrifice).
Nous y verrons à l’œuvre ce que nous définirons comme chiasma (décussation, crossing-over, échange, chevauchement) pulsionnel (mâle et femelle) et spirituel (masculin et féminin). A l’occasion de l’étude du mythe fondamental égyptien d’Isis et Osiris, nous assisterons à cet échange « métamorphique » de masculinité archaïque (animale) perdue par l’homme et acquise mais métamorphosée (gain d’Animus spirituel) par la femme ; tandis que dans le même temps, la femme y perdra de sa « fémellité » (animale) pour que l’homme la gagne (gain d’Anima spirituelle) mais métamorphosée en féminité. C’est là, nous le verrons, l’œuvre de la transfiguration amoureuse dans l’érotique et l’érotico-mystique que nous étudierons, outre les mythes, à travers Socrate et Platon et aussi en des personnages tels Jean de la Croix et Thérèse d’Avila.
Nous verrons comment ce supplément d’âme (féminine pour l’homme : Anima ; masculine pour la femme : Animus) naît de la métamorphose — et non pas simple sublimation — pulsionnelle fusionnelle. Nous verrons en effet le pénis perdu d’Osiris (sa castration) au cours de sa passion et de son diasparagmos (morcellement imposé par son frère jumeau ennemi, son Double infernal, Seth), se métamorphoser en Phallus divin (osirien) entre les mains — mais oui ! — d’Isis qui le pétrit, le sculpte, le dessine, s’en coiffe et l’impose à l’adoration des foules de toutes les Egyptes. Nous verrons, complémentairement, l’utérus dévorant (vampirique, omophagique) d’Hathor (doublet archaïque d’Isis) se métamorphoser en Utérus de renaissance au terme de la passion d’Osiris qui crée alors les enfers de résurrection (l’Amenti) dont il devient le dieu suprême, s’opposant aux enfers d’éternelle damnation (la Duat), dont Seth restera le démon suprême.
Pénis perdu d’Osiris-Seth et utérus perdu d’Isis-Hathor (leur nécessaire castration-sacrifice, passion) sont les organes mêmes de la pulsion génito-cannibalique incestueuse originelle.
Phallus acquis d’Isis et Utérus de renaissance acquis d’Osiris, constituent les organes spirituels (imaginaux) de la même pulsion, métamorphosés par le sacrifice en organes de vision théophanique (par les « yeux de l’âme », l’époptie).
Le Phallus acquis par Isis, son Animus différencié et individué (son Complémentaire ) constitue concurremment le Double différencié et individué d’Osiris (Seth démoniaque métamorphosé) auquel il s’identifie, non plus fusionnellement (narcissiquement, spéculairement) mais paradigmatiquement 32 .
L’Utérus de renaissance acquis par Osiris, son Anima différenciée et individuée (son Complémentaire ), constitue concurremment le Double différencié et individué d’Isis (Hathor démoniaque métamorphosée) auquel elle s’identifie, non plus fusionnellement (spéculairement) mais paradigmatiquement.
Nous verrons en effet qu’il est impossible de séparer, en cette métamorphose, Doubles et Complémentaires. C’est justement ce qui, d’une relation duelle (dyade) imaginaire et fusionnelle, la transformera en une relation quaternaire (quaternio) imaginale et individuée, par le crossing-over (décussation, chiasma et échange) de ce que nous définirons comme hermaphrodite centro-chiasmatique (du Phèdre de Platon).
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L’on voit que nous sommes ici bien loin du processus freudien — dit œdipien — de métamorphose psychogénétique. Le Père n’a pratiquement rien à y faire. C’est le frère (Double infernal) qui tient ce rôle et c’est la mère et la sœur (Complémentaire chtonien et célestiel) qui assume le deuxième rôle. Et si l’on me rétorque que c’est la même chose, je répondrai que, par définition, une telle métamorphose conduit à l’insertion dans un système symbolique gynécocratique — et non pas androcratique.
Ce processus chiasmatique de différenciation, individuation des Doubles et Complémentaires, il faut l’ajouter, n’intervient pleinement qu’à partir de la deuxième moitié de la vie (axe-plan synchronique des 35 ans). Avant cette époque, ne peut guère se vivre que la relation pulsionnelle imaginaire et confusionnelle (cannibalique, esclavagiste ou au mieux possessive) dont le prototype est la relation syzygique enfant-parents. Cette relation syzygique originelle, quoi qu’on fasse pour l’aménager, restera toujours archaïque, par définition ; et là encore, il ne faudrait pas croire, avec les freudiens et néo-freudiens, à l’omnipotence, l’omniscience et l’ubiquité du Père monothéiste (œdipien freudien) pour la faire évoluer.
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En étudiant le système symbolique — mythologique —. babylonien, nous verrons comment le Fils Marduk de la syzygie primitive orale (Apsou-Kingu-Tiamat), devra se déchaîner contre celle-ci. Nous le verrons se dresser contre la gueule géante et béante de la Grande-Mère dévorante Tiamat. Nous le suivrons dans son titanesque — et dantesque — combat, jusqu’au moment où, des morceaux de la Grande-Mère vaincue et dépecée (premier diasparagmos connu de l’histoire), il va créer le Cosmos et les Hommes (cosmo-anthropogonie). Nous verrons ensuite comment ce Fils solaire (diaïrétique, spectaculaire, ascensionnel) de la Grande-Mère — que nous définirons plus tard comme Fils-Amant, version Animus  — va devenir un Fils lunaire, acceptant de mourir au « Nom de la Mère » — et non du Père —, de descendre aux enfers (engloutissement et passion), pour renaître en l’âme-sœur Zarpanitou, première Anima connue de l’histoire qui, telle Isis (et à l’inverse du mythe d’Orphée), viendra le chercher en enfer pour le faire accéder à sa deuxième naissance.
A travers la double thématique (solaire et lunaire) de ce dieu Fils-amant de la Grande-Mère babylonienne, nous assisterons à ce que Mélanie Klein subsume sous les concepts de position schizo-paranoïde (phase solaire de Marduk) d’une part, et de position dépressive (phase lunaire, infernale de Marduk) d’autre part 33 .
Cette première distinction entre Fils solaires et Fils lunaires de la Grande-Mère nous amènera à une longue digression sur un Fils-amant héroïque bien connu de notre pays, Jean Mermoz. Nous y verrons comment on meurt en Fils de la Mère en quête d’héroïsme. Ensuite nous assisterons à la quête de l’Amour avec Tristan et Iseut, et nous verrons comment on meurt d’Amour terrestre. Enfin la quête de la sainteté nous retiendra avec ce typique Fils de la Mère que fut Jean de la Croix, et nous verrons comment on meurt d’Amour céleste.
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De là, sans transition — et nous verrons que ça se soutient —, nous passerons à la prostitution sacrée dans les temples de la Grande-Déesse, qui nous amènera tout naturellement à une théorie du mariage mystique, le hieros-gamos, la Communion des Saints de l’époque, vécue à travers le « passage à l’acte » de l’union sexuelle avec la représentante terrestre de la Grande-Déesse, la hiérodule, la prostituée sacrée.
Le mythe alchimique du Rosarium, sur lequel Jung a bâti sa théorie du transfert et du contre-transfert 34 , nous montre un hieros-gamos qui, ici, précède la descente aux enfers et l’induit même 35 . En revanche, nous y voyons la renaissance se faire en un hermaphrodite (Fils des Philosophes, Pierre philosophale, Panacée, Rebis, etc.) que nous avons signalé plus haut comme « centro chiasmatique », c’est-à-dire en cours de métamorphose pulsionnelle-spirituelle. Nous le rapprocherons de l’hermaphrodite du Banquet et du Phèdre (Platon) et de celui du mythe de Cybèle (Agditis). Nous terminerons ce chapitre en évoquant quelques figures gnostiques, significatives elles aussi du culte de la Grande-Déesse.
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Ce sera l’Egypte, nous l’avons déjà noté, qui, en son mythe d’Isis et Osiris, nous permettra d’y voir plus clair en cet hermaphrodite (monstrueux) du Rosarium. Nous y suivrons son évolution « chiasmatique » et sa métamorphose en quaternio spirituelle des Doubles et Complémentaires.
L’Isis hellénistique décrite par Apulée dans l’Ane d’Or nous permettra d’ajouter au mythe égyptien le mythe grec d’Eros et Psyché. Il nous montrera la descente aux enfers — la passion — de la Puella  — de la jeune fille —, avant même la Koré 36 du mythe de Déméter.
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Viendra ensuite l’admirable Cybèle phrygienne avec sa double castration. Celle de l’hermaphrodite sauvage, « ubrique  » et lubrique, Agditis ; puis celle d’Attis, le jeune et merveilleux berger, fils de la partie mâle d’Agditis (séparée) et de Nana, la jeune vierge, fille du dieu du fleuve. Qui n’a pas pénétré — et ne s’est laissé pénétrer par — ce mythe ne peut rien comprendre — mais absolument rien — à la castration. A la castration comme un moindre mal par rapport au diasparagmos (morcellement et dévoration de la chair encore vivante) dont elle protège, efficacement. Et c’est pourquoi ce chapitre sera introduit par l’Herakles et les Bacchantes d’Euripide ; c’est-à-dire par une tragédie (Heraklès) sur la possession par l’Anima pulsionnelle non différenciée et non individuée (Lyssa) et une deuxième tragédie (Les Bacchantes) sur la possession par l’Animus pulsionnel non différencié et non individué (Dionysos).
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Déméter, enfin, nous ouvrira la voie à une psychogénèse de la Koré (la jeune fille nubile), ravie par Hadès, le dieu des enfers, son oncle, pour la métamorphoser en femme, Perséphone. Nous aurons déjà assisté à une descente aux enfers féminine, celle de Psyché, et aurons remarqué que celle-ci était imposée par sa belle-mère (marâtre) Vénus, mère d’Eros, son amant. Ici, c’est l’oncle chtonien (infernal), Hadès, qui va l’imposer, contre la Mère. Mais nous verrons que ce n’est pas un si mauvais diable qu’on pourrait le croire. On n’a que les diables qu’on mérite. Dans la célébration des mystères d’Eleusis, nous verrons encore poindre néanmoins la terreur du diasparagmos, derrière l’enfant-divin (le Puer aeternus ) Iacchos (Bacchos, Dionysos enfant, Zagreus, Zeus enfant...).
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Nous suivrons la « solarisation » de ces Fils-Amants de la Grande-Déesse, d’abord avec leur mère-amante, puis sans elle, qu’ils chasseront même peu à peu de leur orbite solaire — ou garderont comme simples épouses (parèdres) plus ou moins soumises, plus ou moins acariâtres, plus ou moins amazones vengeresses... Ainsi en sera-t-il de Jahvé qui chassera purement et simplement sa Sophia. Ainsi en sera-t-il d’Ouranos, Kronos, Zeus qui conserveront comme épouses respectives, Gaïa, Rhéa, Héra. Ces fils solarisés (Filii ante patrem) seront définis comme Fils-amants, version Animus 37 de la Grande-Mère qui engendreront les Dieux-Pères de nos différents panthéons androcratiques. Justement ceux que la psychanalyse freudienne et néo-freudienne décrit comme Fils œdipiens ou, plus exactement, comme les Pères des Fils oedipiens ; à partir du moment où, la Grande-Déesse éliminée, le problème de la succession au Pouvoir s’opérera du père au fils. Mais derrière cette succession, toujours orageuse — à la faucille (harpé) pour Kronos ou au bâton pour Œdipe —, se profilera celle, bien plus terrible, de la Grande-Déesse au Fils-Animus 38  — le Filius ante patrem, le Fils qui précède et engendre le Père. Quant aux Fils-Amants, version Anima 39 , les doux en apparence, les plus ou moins efféminés, ceux que n’intéressera pas le Pouvoir et la Puissance, mais la Gloire et l’Importance, ceux-là, continueront à régner auprès de leur Mère-Amante. Ils souffriront avec elle la répression imposée par leurs frères ennemis, les Fils-Animus(i). Alors, de temps en temps, l’on verra un Dionysos parcourir la campagne avec sa troupe de bacchantes délirantes afin de tenter de se faire reconnaître par son frère ennemi, Penthée (dans les Bacchantes d’Euripide), le « logicien » apollinien, qui sera dépecé et dévoré par sa propre mère Agavé (diasparagmos), à la tête de ses bacchantes en furie (mania) 40 . D’autres Fils-Anima se contenteront d’être prêtres, prophètes, mystiques, poètes, bref, chantres de l’irrationnel.
A la puissance centrifuge que les Fils-Animus imposeront, à coups de trique, ou de canon éventuellement, les Fils-Anima opposeront l’importance centripète et clameront — ou chantonneront — l’existence d’un Royaume (le leur) qui n’est pas de ce monde. Plus calmes, plus doux... certes oui... mais leur colère n’en sera que plus surprenante, sidérante et même... terrifiante. Ne vous y fiez pas, une Bacchante (Lyssa) sommeille en eux et, en crise, elle ne reconnaît ni mère, ni père, ni fille, ni fils. Elle dévore la chair encore vivante (diasparagmos) et se repaît du sang encore fumant (omophagie) de son propre fils (Penthée) qu’elle (Agavé) « halluciné » sous la forme d’un lion furieux. Telle est l’Anima archaïque fusionnelle pulsionnelle, imaginaire, dans sa perversion cannibalique. Et c’est bien cette ubris que le Fils-Anima purgera (catharsis) par sa mort, sa descente en enfer, son combat perpétuellement renouvelé contre la monstrueuse gueule dentée de Tiamat. Alors seulement surviendra la jeune et éternellement vierge Zarpanitou, qui le soutiendra et le ressuscitera. En combattant — à mort — son Anima démoniaque, il gagnera son Anima célestielle, dans l’Eros.
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A l’aide de quatre cas cliniques que nous nommerons respectivement Ulysse, le Fils-Anima ; Hercule, le Fils-Animus ; Omphale, la Fille-Animus ; Psyché — et Sirène —, la Fille-Anima, nous verrons se combiner les principales modalités d’évolution de ces structures vers l’Eros.
Nous verrons qu’il convient de cesser d’assimiler le Logos au masculin pour ne laisser au féminin que l’Eros et le « générateur ». Nous verrons que si la plupart des femmes ont à être fécondées par le Phallus d’Osiris et la plupart des hommes par l’Utérus (de deuxième naissance) d’Isis, il est, à l’inverse, des femmes (« phalliques ») qui ont à être fécondées par l’Utérus d’Isis, porté par Osiris (Fils-Anima), et des hommes (féminoïdes) qui ont à être fécondés par le Phallus d’Osiris, porté par Isis (Fille-Animus). Nous nommerons ces organes hiérogamiques, Logos spermaticos pour le masculin — Double de l’homme et Complémentaire de la femme — et Logos hystericos pour le féminin — Double de la femme et Complémentaire de l’homme. Le résultat final de ces hiérogamies étant l’Hermaphrodite de deuxième naissance — et non plus l’hermaphrodite alchimique ou phrygien ou même du Banquet ou du Phèdre  — formant la Syzygie eschatologique 41 Sophia-Khristos 42 , s’opposant à la Syzygie cosmo-anthropogonique Tiamat-Apsou.
Au commencement était le Verbe, mais il était masculin et féminin.