Épilogue

Le quartier de l’Enclave était paisible, et l’allée menant chez Sam et Mix déserte et silencieuse. Fric la remonta à pas lents, perdu dans ses pensées. Il avait du mal à croire que tout était fini.

Et pourtant, c’était bien le cas. Les Tazus étaient partis, la vie allait pouvoir recommencer comme avant.

Presque comme avant. Car rien ne pourrait effacer de la mémoire collective de l’humanité cette année insensée qui avait vu la sorcellerie se révéler au grand jour. Paris et Londres avaient perdu à jamais leur monument emblématique, le château de Schönbrunn continuerait à fondre un peu plus à chaque pluie, le souvenir des ravages causés par les golems de métal et par Godzilla demeurerait imprimé dans les souvenirs des habitants de Pékin et de Yokohama…

Et, bien sûr, l’image de la Sorcière sur son balai guidant les avions tazus vers l’océan hanterait pendant très longtemps les nuits de milliards d’hommes et de femmes.

Il y avait de la lumière et du monde dans la première maison. Fric poussa la grille, et entra sans frapper. Il boitait un peu, car sa cuisse était encore douloureuse, mais sa blessure était guérie ; la Sorcière y avait veillé avant de le laisser devant l’allée, quelques instants plus tôt.

Une exclamation collective salua son arrivée. Il y avait là Sam et Mix, bien entendu, ainsi que ‘Tite Miss, Vater Traüm et Lord, mais aussi le soldat noir qui avait sauvé la vie à Fric dans l’orphelinat. Il n’était donc pas reparti avec les autres ?

« Putain, mec, on te croyait mort ! » s’écria Vater Traüm.

Fric se laissa tomber sur un tabouret avec un soupir à fendre l’âme, et désigna du menton le Tazu :

« Sans lui, j’y passais. (Il tendit la main au colosse, qui la serra.) Merci. Tank you. »

Le G.I. effectua une petite courbette.

« Je vous avais bien dit qu’il était coule ! fit Vater Traüm, s’adressant plus particulièrement à leurs hôtes. Heureusement que je l’ai pas buté quand on était sur le toit, hein ?

— Tu l’aurais fait si je t’en avais pas empêché », rappela Lord.

Vater Traüm émit un grognement.

« De toute manière, c’est du passé. Il est avec nous, maintenant… (Il se gratta la tête d’un air inspiré.) Vous vous rendez compte que ça doit être le dernier soldat tazu qui reste en France ? Bordel, comment elle les a niqués, la Sorcière ! T’as vu ça, Fric ?

— J’étais aux premières loges.

— Comment ça ? » interrogea Mix.

Après avoir demandé des nouvelles de Tête de Maure, qui dormait dans la pièce voisine, « très amoché mais pas trop », Fric résuma les événements qui avaient suivi le départ de ses compagnons. Il prit un malin plaisir à observer l’ahurissement qui se peignait sur les visages de Lord et de Vater Traüm. Seuls les gens de l’Enclave ne parurent pas surpris par son récit.

« Quand on a été au-dessus de l’Atlantique, la Sorcière a fait faire demi-tour à son balai et elle m’a ramené ici. Les Tazus, eux, ont continué tout droit. Vers les U$A. Je me demande comment ils vont être accueillis là-bas…

— Oh, ils vont sûrement se faire tirer les oreilles, ricana Mix. Le Pentagone ne va pas du tout apprécier. Mais ces messieurs de l’État-Major étazunien n’y peuvent plus rien, désormais.

— Ouaip, le monde entier est au courant de la mégaclaque qu’ils viennent de se prendre, renchérit Vater Traüm avec un rictus goguenard. Je te raconte pas la honte pour eux ! »

Fric se tourna vers le Tazu, les-sourcils froncés.

« Un truc que j’aimerais bien savoir, c’est pourquoi il a empêché l’autre enfoiré de me tirer dessus. »

Mix traduisit la question, puis la réponse du G.I. :

« Il dit qu’il a décidé de déserter au moment où son collègue a essayé de descendre la Sorcière. Ils avaient reçu l’ordre de l’abattre, le cas échéant, pour l’empêcher de passer à l’ennemi, mais il n’était pas d’accord… (Il cligna de l’œil.) Je crois aussi qu’elle l’a influencé sans qu’il s’en rende compte.

— Alors, ce serait elle qui m’a sauvé la vie ? interrogea Fric.

— C’est en effet fort probable, répondit ‘Tite Miss. Je suppose qu’elle a disparu après t’avoir déposé ici ? »

Fric se demanda ce qu’elle entendait par là.

« Elle m’a fait un signe de la main et elle s’est envolée, oui… »

Mix parut soudain préoccupé.

« Tu en es sûr ? Elle aurait dû cesser d’exister une fois sa tâche accomplie.

— Elle a filé vers le ciel sur son balai, c’est tout ce que je peux dire.

— Ce n’est pas normal, grogna Mix. La magie que nous avions stockée sur la toile est totalement épuisée, et nous avons coupé la connexion dès que possible pour éviter d’être repérés. Elle aurait dû… (Il s’interrompit, le front plissé.) Si elle est encore là, ça signifie… (Il se tut à nouveau, de plus en plus perplexe.) Aurait-elle acquis une existence autonome ?

— Difficile à dire, observa Sam. Peut-être va-t-elle tout simplement mettre un certain temps à s’effacer, à se diluer dans le champ magique…

— Peut-être, oui… Mais il y a tout de même un truc qui me chiffonne, reprit Mix. Elle n’était pas censée prendre d’initiative, et la musique qu’elle a employée pour subjuguer les Tazus n’était pas celle que nous avions choisie.

— Vous aviez choisi quoi ? interrogea Vater Traüm.

— Le Star Spangled Banner – l’hymne national étazunien. Ça nous paraissait de circonstance.

— Et le morceau qu’elle a utilisé ? »

Mix dodelina de la tête, songeur.

« Back in the USA, un vieux rock de Chuck Berry. En un sens, c’était encore plus approprié.

— Pourquoi ? » demanda Fric.

Ce fut Vater Traüm qui répondit, hilare :

« Parce que ça veut dire “de retour aux U$A”. »