18

Hubert, avec les hommes rencontrés sur la route, était arrivé enfin au bord de l'Allier. C'était le lundi 17 juin à midi. En chemin, des volontaires s'étaient joints aux soldats – des gardes mobiles, des Sénégalais, des militaires dont les compagnies défaites tentaient en vain de se reconstituer et s'accrochaient à chaque flot de résistance avec un courage désespéré, des gamins comme Hubert Péricand séparés de leur famille en fuite ou partis pendant la nuit de chez eux « pour rejoindre la troupe ». Ces mots magiques avaient couru de village en village, de ferme en ferme. « On va rejoindre la troupe, échapper aux Allemands, se reformer derrière la Loire », répétaient des bouches de seize ans. Ces enfants portaient un balluchon sur le dos (les restes du goûter de la veille roulés à la hâte dans un chandail et une chemise par une mère en larmes) ; ils avaient des figures roses et rondes, des doigts tachés d'encre, des voix qui muaient. Trois d'entre eux étaient accompagnés par leurs pères, combattants de 14, que leur âge, d'anciennes blessures et leur situation de famille avaient gardés loin du feu depuis septembre. Le PC du chef de bataillon fut installé sous un pont de pierre près du passage à niveau. Hubert compta près de deux cents hommes dans le chemin et sur le rivage. Dans son inexpérience il crut qu'une puissante armée faisait face maintenant à l'ennemi. Il vit disposer sur le pont de pierre des tonnes de mélinite ; il ignorait seulement qu'on n'avait pu trouver de cordon Pickford pour l'allumage. Les soldats travaillaient sans prononcer une parole ou dormaient couchés sur la terre. Ils n'avaient pas mangé depuis la veille. Vers le soir des bouteilles de bière furent distribuées. Hubert n'avait pas faim mais cette bière blonde avec son goût amer et sa mousse vieillissante lui donna une sensation de bonheur. Il lui fallait cela pour se donner du courage. Personne en effet ne semblait avoir besoin de lui. Il allait de l'un à l'autre, offrant timidement ses services ; on ne lui répondait pas, on ne le regardait même pas. Il vit que deux soldats traînaient de la paille et des fagots vers le pont, un autre poussait devant lui un tonneau de goudron. Hubert saisit un énorme fagot mais si maladroitement que les épines déchirèrent ses mains et il poussa un petit cri de douleur. Un instant plus tard, pensant que personne ne l'avait entendu, il crut mourir de honte lorsque, son fardeau enfin jeté devant le pont, un des hommes lui cria :

– Qu'est-ce que tu fous là ? Tu vois pas que tu gênes ? Non ?

Blessé au cœur, Hubert s'éloigna. Debout, immobile sur la route de Saint-Pourçain, face à l'Allier, il vit s'accomplir un travail qui lui semblait incompréhensible : la paille et les fagots arrosés de goudron étaient placés sur le pont auprès d'un bidon d'essence de cinquante litres ; on comptait sur ce barrage pour arrêter les forces ennemies tandis qu'un canon de 75 devait faire détoner la mélinite.

Le reste de la journée passa ainsi, puis la nuit et toute la matinée suivante : heures vides, étranges, incohérentes comme la fièvre. Toujours rien à manger, rien à boire. Les jeunes paysans eux-mêmes perdaient leurs fraîches couleurs et, pâlis par la faim, noirs de poussière, les cheveux en désordre, les yeux brûlants, ils semblaient tout à coup plus vieux, plus grands, avec un air têtu, douloureux et dur.

Il était deux heures quand sur la rive opposée apparurent les premiers Allemands. C'était la colonne motorisée qui avait traversé Paray-le-Monial le matin même. Hubert, la bouche ouverte, les regardait foncer sur le pont, à une vitesse inouïe, comme un éclair sauvage et guerrier qui fulgurait à travers la paisible campagne. Cela ne dura qu'un instant : un coup de canon fit sauter les tonneaux de mélinite qui formaient barrage. Des débris du pont, des engins, des hommes qui les montaient tombèrent dans l'Allier. Hubert vit courir les soldats devant lui.

« Ça y est ! on monte à l'assaut », pensa-t-il, et sa peau devint froide, sa gorge sèche comme lorsqu'il était enfant et qu'il entendait les premiers accords de la musique militaire dans la rue. Il se jeta en avant et vint buter contre la paille et les fagots qu'on allumait. La fumée noire du goudron lui entra dans la bouche et les narines. Derrière ce rideau protecteur, les mitrailleuses arrêtaient les tanks allemands. Suffoquant, toussant, éternuant, Hubert rampa de quelques pas en arrière. Il était désespéré. Il n'avait pas d'arme. Il ne faisait rien. On se battait et il demeurait les bras croisés, inerte, inutile. Il se consola un peu en pensant qu'autour de lui on se contentait de subir le feu ennemi sans répondre. Il attribua à cela de hautes raisons tactiques jusqu'au moment où il comprit que les hommes n'avaient presque pas de munitions. Cependant, se dit-il, puisqu'on nous fait rester là, c'est que nous sommes nécessaires, que nous sommes utiles, que nous protégeons, qui sait, le gros de l'armée française. Il s'attendait chaque instant à voir apparaître des troupes fraîches chargeant vers eux sur le chemin de Saint-Pourçain en criant : « Nous voilà, les enfants, vous en faites pas ! on les aura ! » ou d'autres paroles guerrières. Mais personne n'arrivait. Auprès de lui il vit un homme, la tête en sang, qui titubait comme pris de vin et qui finit par tomber dans un fourré et rester assis entre les branches dans une position bizarre et incommode, le menton sur la poitrine et les genoux repliés sous lui. Il entendit un officier s'exclamer avec colère :

– Pas de médecin, pas d'infirmier, pas d'ambulancier ! Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ?

Quelqu'un lui répondit :

– Il y en a un d'amoché dans le jardin de l'octroi.

– Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse, mon Dieu ? répéta l'officier. Laissez-le.

Des obus avaient mis le feu à une partie de la ville. Dans la splendide lumière de juin, les flammes avaient une couleur transparente et rose et une longue colonne de fumée montait en panache dans le ciel, traversée d'or par les rayons du soleil, avec des reflets de soufre et de cendres.

– S'en vont les gars, dit un soldat à Hubert, lui montrant les mitrailleurs qui abandonnaient le pont métallique.

– Pourquoi, cria Hubert consterné, ils ne vont donc plus se battre ?

– Avec quoi ?

« C'est un désastre, soupira Hubert. C'est la défaite ! J'assiste à une grande défaite, pire que Waterloo. Nous sommes tous perdus, je ne reverrai plus ni maman ni aucun des miens. Je vais mourir. » Il se sentait perdu, indifférent à tout, dans un état affreux de fatigue et de désespoir. Il n'entendit pas que l'on donnait l'ordre de la retraite. Il vit les hommes courir sous les balles de mitrailleuses, il s'élança, escalada la barrière d'un jardin où traînait encore une voiture d'enfant. La bataille n'avait pas cessé cependant. On défendait encore, sans tanks, sans artillerie, sans munitions, quelques mètres carrés de sol, une tête de pont alors que de toutes parts les Allemands vainqueurs déferlaient sur la France. Hubert fut saisi tout à coup d'une crise de courage désespéré, semblable à de la folie. Il pensa qu'il fuyait, que son devoir était de repartir vers le feu, vers ces fusils-mitrailleurs qu'il entendait encore répondre obstinément aux pistolets-mitrailleurs allemands, et de mourir avec eux. De nouveau, risquant la mort à chaque seconde, il traversa le jardinet, écrasant sous son pied des jouets épars. Où étaient les habitants de la petite maison ? Avaient-ils fui ? Il grimpa sur la clôture métallique sous une rafale de balles et, intact, retomba sur la route et recommença à ramper, les mains, les genoux en sang, vers le fleuve. Jamais il ne put y arriver. Il était à mi-chemin quand tout se tut. Il s'aperçut alors qu'il faisait nuit et il comprit qu'il avait dû s'évanouir de fatigue. C'était ce silence inouï, soudain, qui l'avait fait revenir à lui. Il s'assit. Sa tête vide sonnait comme une cloche. Un clair de lune splendide éclairait la route mais il était à l'abri dans une bande d'ombre qui tombait d'un arbre. Le quartier Villars brûlait toujours, toutes les armes s'étaient tues.

Abandonnant la route où il craignait de rencontrer des Allemands, Hubert traversa un petit bois. Par moments il s'arrêtait et se demandait où il allait. Les colonnes motorisées qui avaient envahi en cinq jours la moitié de la France seraient sans nul doute demain aux frontières d'Italie, de Suisse, d'Espagne. Il ne leur échapperait pas. Il avait oublié qu'il ne portait pas d'uniforme, que rien ne prouvait qu'il venait de se battre. Il était sûr d'être fait prisonnier. Il fuyait avec le même instinct qui l'avait porté aux lieux de combat et qui l'entraînait maintenant loin de cet incendie, de ces ponts détruits, de ces rêves où pour la première fois de sa vie il avait vu, face à face, des morts. Il supputait fiévreusement le chemin que les Allemands pourraient faire jusqu'au matin. Il imaginait ces villes tombées les unes après les autres, ces soldats vaincus, ces armes jetées, ces camions laissés sur la route faute d'essence, ces tanks, ces canons antichars dont il avait admiré les reproductions, et tout ce butin tombé aux mains des ennemis ! Il tremblait, il pleurait en avançant sur les genoux et les mains dans ce champ éclairé par la lune, et cependant il ne croyait pas encore à la défaite. Ainsi un être jeune et en pleine santé repousse l'idée de la mort. Les soldats se retrouveraient un peu plus loin, se regrouperaient, recommenceraient à se battre, et lui avec eux. Et lui... avec eux... « Mais qu'est-ce que j'ai fait ? pensa-t-il tout à coup. Je n'ai même pas tiré un coup de fusil ! » Il eut tellement honte de lui-même que des larmes de nouveau coulèrent, cuisantes et douloureuses. « Ce n'est pas ma faute, je n'avais pas d'arme, je n'avais que mes mains. » Il se revit tout à coup essayant en vain de traîner ce fagot vers le fleuve. Oui, il avait même été incapable de ça, lui qui aurait voulu s'élancer vers le pont, entraîner les soldats derrière lui, se jeter sur les tanks ennemis, mourir en criant : « Vive la France ! » Il était ivre de fatigue et de désespoir. Parfois des pensées d'une maturité étrange traversaient son esprit : il songeait au désastre, à ses causes profondes, à l'avenir, à la mort. Puis il s'interrogeait sur lui-même, sur ce qu'il allait devenir, et petit à petit la conscience de la réalité lui revenait : « Qu'est-ce que maman va me passer, nom d'un petit bonhomme ! » murmurait-il, et son visage pâle, crispé, qui semblait avoir vieilli et maigri en deux jours, s'éclairait une seconde de son bon sourire d'enfant, naïf et large.

Entre deux champs, il trouva une petite venelle qui s'enfonçait dans la campagne. Ici rien ne parlait de la guerre. Des sources coulaient, un rossignol chantait, une cloche sonnait les heures, il y avait des fleurs sur toutes les haies, des feuilles fraîches et vertes aux arbres. Depuis qu'il avait trempé ses mains et sa bouche dans un ruisseau et bu dans ses deux mains serrées en forme de coupe, il se sentait mieux. Il cherchait désespérément des fruits aux branches. Il savait bien que ce n'était pas la saison mais il était à l'âge où l'on croit aux miracles. Au bout de la venelle, c'était de nouveau la route. Il lut sur une borne : Cressange, vingt-deux kilomètres, et il s'arrêta perplexe, puis il vit une ferme et enfin, après avoir longuement hésité, frappa au volet. Il entendit des pas à l'intérieur de la maison. On lui demanda qui il était. Sur sa réponse qu'il s'était égaré et avait faim, on le fit entrer. Il trouva là trois soldats français endormis. Il les reconnut. Ils avaient défendu le pont de Moulins. Maintenant ils ronflaient couchés sur des bancs, ils avaient des figures hâves et crasseuses rejetées en arrière comme celles des morts. Une femme les veillait en tricotant, son peloton de laine courait sur le sol poursuivi par le chat. C'était si familier à la fois et si étrange après tout ce qu'Hubert avait vu depuis huit jours qu'il s'assit, les jambes coupées. Sur la table, il vit les casques des soldats, ils les avaient couronnés de feuillage pour amortir leur reflet au clair de lune.

Un des hommes se réveilla, s'appuya sur un coude.

– T'en as vu, petit gars ? demanda-t-il d'une voix sourde et rauque.

Hubert comprit qu'il parlait des Allemands.

– Non, non, se hâta-t-il de dire. Pas un depuis Moulins.

– Paraît, dit le soldat, qu'ils ne prennent même plus de prisonniers. Y en a trop. Ils les désarment puis les envoient se faire foutre.

– Paraît, dit la femme.

Un silence tomba entre eux. Hubert mangea : on avait mis devant lui une assiette de soupe et du fromage. Quand il eut fini, il demanda au soldat :

– Qu'est-ce que vous faites maintenant ?

Son compagnon avait ouvert les yeux. Ils discutèrent. L'un voulait gagner Cressange, l'autre répondait :

– Pourquoi ? y sont partout, y sont partout... d'un air accablé en jetant autour de lui des regards douloureux et effrayés d'oiseau fasciné.

Il lui semblait vraiment les voir autour de lui, ces Allemands prêts à le saisir. De temps en temps lui échappait une sorte de rire saccadé et amer.

– Bon Dieu ! avoir fait 14 et voir ça...

La femme tricotait placidement. Elle était très vieille. Elle portait un bonnet blanc tuyauté.

– Moi j'ai vu 70. Alors..., marmotta-t-elle.

Hubert les écoutait, il les contemplait avec effarement. Ils lui semblaient à peine réels, pareils à des fantômes, à des ombres gémissantes surgies des pages de son Histoire de France. Mon Dieu ! Le présent et ses désastres valaient mieux que ces gloires mortes et cette odeur de sang qui montait du passé. Hubert but une tasse de café très noir et très chaud, un peu de marc, remercia la femme, prit congé des soldats et se mit en route, bien résolu à atteindre Cressange dans la matinée. De là il pourrait peut-être communiquer avec les siens et les rassurer sur son sort. Il marcha jusqu'à huit heures et se trouva à quelques kilomètres de Cressange, dans un petit village, devant un hôtel d'où s'échappait une odeur délicieuse de café et de pain frais. Là Hubert sentit qu'il ne pourrait pas aller plus loin, que ses pieds ne le portaient plus. Il entra dans une salle d'auberge pleine de réfugiés. Il demanda s'il trouverait une chambre. Personne ne pouvait le renseigner. On lui dit que la patronne était sortie chercher à manger pour toute cette horde d'affamés, qu'elle allait bientôt revenir. Il sortit dans la rue et, à une fenêtre du premier étage, il vit une femme qui se fardait. Le crayon de rouge qu'elle tenait à la main lui échappa et tomba aux pieds d'Hubert ; il se précipita pour le ramasser. La femme se pencha, l'aperçut, lui sourit.

– Comment faire pour l'avoir maintenant ? demanda-t-elle.

Et elle laissa pendre hors de la fenêtre son bras nu, sa main pâle. Ses ongles peints étincelèrent au soleil, des petits éclairs fulgurèrent aux yeux d'Hubert. Cette chair laiteuse, ces cheveux roux le blessèrent comme une lumière trop vive.

Il baissa les yeux avec précipitation et balbutia :

– Je... je peux vous le rapporter, madame.

– Oui, s'il vous plaît, dit-elle.

Et elle sourit de nouveau. Il pénétra dans la maison, traversa une salle de café, monta un petit escalier noir et vit ouverte la porte d'une chambre toute rose. Le soleil passait en effet à travers un pauvre rideau d'andrinople rouge et la pièce était emplie d'une ombre chaude, vivante, cramoisie comme un buisson de roses. La femme le fit entrer, elle polissait ses ongles. Elle prit le bâton de rouge, le regarda : « Mais, il va s'évanouir ! » Hubert sentit qu'elle lui saisissait la main, qu'elle l'aidait à franchir les deux pas qui le séparaient d'un fauteuil, qu'elle lui glissait un oreiller sous la tête. Il n'avait pas perdu conscience cependant, son cœur battait très fort. Tout dansait autour de lui comme dans le mal de mer, et de grandes vagues glacées et brûlantes le parcouraient alternativement.

Il était intimidé mais assez fier de lui-même. Quand elle lui demanda : « Fatigué ? Faim ? Qu'est-ce que c'est mon pauvre enfant ? », il exagéra encore le tremblement de sa voix pour répondre :

– Ce n'est rien, mais... j'ai marché depuis Moulins où nous avons défendu le pont.

Elle le regarda, surprise.

– Mais quel âge avez-vous ?

– Dix-huit ans.

– Vous n'êtes pas soldat ?

– Non, je voyageais avec ma famille. Je les ai quittés. J'ai rejoint la troupe.

– Mais c'est très bien, dit-elle.

Elle avait beau parler du ton d'admiration qu'il attendait, il ne sut pourquoi, il rougit sous son regard. De près, elle ne semblait pas jeune. On voyait de petites rides sur son visage délicatement fardé. Elle était très svelte, très élégante, et elle avait des jambes admirables.

– Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle.

– Hubert Péricand.

– N'y a-t-il pas un Péricand conservateur du musée des Beaux-Arts ?

– C'est mon père, madame.

Tout en parlant, elle s'était levée et lui servait du café. Elle venait de déjeuner, et le plateau avec la cafetière à demi pleine, le bol de crème et les rôties était encore sur la table.

– Il n'est pas très chaud, fit-elle, mais buvez tout de même, il vous fera du bien.

Il obéit.

– C'est un tel affolement en bas avec tous ces réfugiés que j'appellerais jusqu'à demain, ils ne viendraient pas ! Vous venez de Paris naturellement ?

– Oui, vous aussi, madame ?

– Oui. J'ai passé par Tours où j'ai été bombardée. Maintenant je pense rejoindre Bordeaux. Je suppose que l'Opéra a été évacué à Bordeaux.

– Vous êtes actrice, madame ? interrogea Hubert avec respect.

– Danseuse. Arlette Corail.

Hubert n'avait jamais vu de danseuse que sur la scène du Châtelet. Instinctivement ses regards se portèrent avec curiosité et convoitise sur les longues chevilles et les mollets musclés, serrés dans des bas brillants. Il était extrêmement troublé. Une mèche blonde lui tomba dans les yeux. La femme la souleva doucement de la main.

– Et où allez-vous maintenant ?

– Je ne sais pas, avoua Hubert. Ma famille s'est arrêtée dans un petit patelin à une trentaine de kilomètres d'ici. J'irais bien la rejoindre mais les Allemands doivent y être.

– On les attend ici d'un moment à l'autre.

– Ici ?

Il fit un mouvement d'effroi et se souleva pour fuir. Elle le retint en riant.

– Mais que voulez-vous qu'ils vous fassent ? Un gosse comme vous...

– Tout de même, je me suis battu, protesta-t-il, blessé.

– Oui, bien sûr, mais personne n'ira leur dire, n'est-ce pas ?

Elle réfléchissait, fronçait légèrement les sourcils.

– Écoutez. Voilà ce que vous allez faire. Je vais descendre et demander pour vous une chambre. Ils me connaissent ici. C'est un tout petit hôtel, mais une cuisine merveilleuse et j'y ai passé quelques week-ends. Ils vous donneront la chambre de leur fils mobilisé. Vous vous reposerez un ou deux jours et vous pourrez prévenir vos parents.

– Je ne sais comment vous remercier, murmura-t-il.

Elle le laissa. Quand elle revint quelques instants après, il dormait. Elle voulut lui soulever la tête et entoura de ses bras ses épaules larges, sa poitrine qui se soulevait doucement. Elle le regarda avec attention, remit de nouveau en place ses cheveux dorés qui tombaient en désordre sur son front, le considéra de nouveau d'un air rêveur et gourmand comme une chatte contemple un petit oiseau et soupira :

– Il n'est pas mal, ce petit...