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Eh bien, la seule idée qui m’est venue après être passée devant la vieille sorcière, la femme-médium assise sur ses chiottes et tirant le cordon, qui me conduisait aux polaroïds de pensées, c’est d’écrire une biographie de Serios – ou tout comme. J’ai passé les cinq années qui ont suivi à lier en sauce dans une première version quelques infos disponibles, puis dans une deuxième version où je m’incluais mais sous un prénom provençal. Dans une troisième version, quelqu’un qui était moi mais qui n’était pas moi le rencontrait (c’était un scénario qui adaptait la deuxième version). Enfin, dans la vidéo tirée du scénario, un copain jouait Serios : il habitait Paris finalement et plus Chicago, il faisait du porte-à-porte alors qu’à l’origine il était garçon d’ascenseur, le guzmo n’était plus qu’un prétexte pour faire marcher la planchette, et, comme dans la vraie vie de Ted, il rencontrait un universitaire à l’objet d’étude irréprochable : c’était Jean-Pierre Cometti, un spécialiste de Wittgenstein, puis du pragmatisme, qui venait de publier chez Gallimard, en « Folio », Qu’est-ce que le pragmatisme ?

 

Cometti expliquait à une doctorante baba comment il allait procéder pour détourner des subventions, tout en dénigrant des collègues aux noms d’hôtels de luxe, dans le but unique de faire passer des tests à Ted afin de vérifier que les polas étaient bien des photos de ses pensées. Bref, l’universitaire se mettait au cognitivisme, un cognitivisme révolutionnaire – bientôt, les étudiants de psycho n’auraient plus à choisir entre behaviorisme et cognitivisme, ils hésiteraient entre le cognitivisme classique et le cognitivisme désormais révolutionnaire du professeur, et bien sûr ils opteraient pour lui, car les applications pratiques étaient infinies. On imagine que l’armée, intéressée, arrosait le laboratoire, qui avait pu remplacer tout son parc d’ordinateurs et de surcroît embaucher du personnel de maintenance, si bien que les ordinateurs fonctionnaient à plein régime, les virus étaient tués dans l’œuf, les chevaux de Troie démontés, les écrans tactiles astiqués tous les matins, et d’un plumet fin, on passait entre les touches de quatre-vingt-cinq claviers, on en ôtait les particules de poussière, comme on déloge d’entre les dents les particules de nourriture à l’aide d’une brossette, quand on est sensible des gencives.

 

Une idée : photographier les pensées.

 

Ce genre d’idée ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Elle vient quand on mène une vie de merde, et une vie de merde, c’est exactement celle que mène Ted à Chicago, en tant que garçon d’ascenseur, bourré du matin au soir, le nez à deux doigts du bouton de l’étage que le client a plus vite fait de pousser, écrivis-je.