En réalité Georgie n’aurait jamais pu décrire ainsi les Beats à Bill, car Bill était mort depuis longtemps quand les Beats (Ginsberg, Kerouac, etc.) se baladaient. Mais une anecdote, ça ne se balance pas comme ça sèchement, ça se prépare, ça s’entoure, ça vient bien bordé, c’est ce qui prépare le plus sûrement un concept (c’est ce que dit ce que dit Spicer), qui vient avec une époque, un parfum, une ambiance, le rhizome parallèlement aux hippies par exemple, bien que ce ne soit pas à proprement parler hippie, mais lentement se lève dans un moment de flexion l’idée rhizomatique cependant qu’à Frisco se couchent quelques dizaines de freaks dans un coucher de soleil, qui ne sera plus, de ce fait, un coucher de carte postale, un coucher de Saint-Trop’ ou de Fréjus, mais un soleil psyché, un soleil qui tire ses fils et ses lignes dans un ciel terrien, varié, changeant, traversé par des météorites et tout un tas de saletés dont l’une viendra un jour exploser notre planète, la Terre.
Un poète, moi, dira que l’attention involontaire est le propre de la poésie. Mais n’importe qui d’autre dira : pareil que moi ! Oui, n’importe qui pourra reprendre cette phrase exaspérante de cour de récréation, car à peu près tout le monde sait ce que c’est que d’écouter la radio : du fin fond de la brousse avec des piles au casque devant l’ordi, tandis qu’on tripote son chat ou qu’on pile du mil, c’est une expérience commune, et qui peut être vécue même sans la radio puisqu’il suffit d’entendre une voix tout en vaquant ; il ne faut pas être Jeanne d’Arc, qui stoppa d’un coup toute activité pour écouter Catherine, ou alors Jeanne, mais écoutant Catherine en continuant à surveiller ses moutons, les mener, les tondre, car écouter Catherine n’est ni plus ni moins cardinal que de tondre un mouton, il faut les deux pour faire un monde, et si l’on fait les deux en simultané, alors on saisit mieux les voix, on tond plus précisément, par ce léger relâchement qui permet de ne pas se crisper, de ne pas s’angoisser, de ne pas dramatiser exagérément la tonte, de la conserver à son ordinarité (que je préfère à banalité, un peu péjoratif) ; au même titre l’écoute, au même titre la tonte, ou bien de l’un à l’autre, l’écoute, la tonte, l’écoute, la tonte, ainsi souplement.
Je ne pense pas qu’il y ait, je ne crois pas, une progression de plus en plus réaliste de la dictation, une « descente des médiums », que je sois aujourd’hui plus experte en simultanéité qu’une Jeanne qui aurait continué de tondre tout en écoutant Catherine au XIVe siècle. Pizan, du même siècle, use de Pallas comme d’une figure et comme d’une incarnation, souplement, donc son poème n’est pas un ciel sur la terre mais manie un donné de manière à faire comprendre aux princes qu’il leur faudrait changer de politique.
Qu’on ne soit pas content de la politique, c’est comme ça que ça commence.