Le quai Pelletier, où mourut le nourrisson, est aujourd’hui le quai de Gesvres, près du Châtelet. C’était là le vieux Paris, celui qu’on n’a pas gardé. Des rues étroites y couraient partout ; là, sans doute, Cartouche fit des coups, avant de se faire prendre, et donner à la nouvelle police les noms de ses quatre-vingt-dix complices. La Préfecture d’un côté ; le théâtre de la Ville de l’autre. Heine raconte que les critiques de théâtre avaient été désespérés par la Révolution de 1848, en Allemagne, parce que plus personne ne s’intéressait au théâtre. En effet, quand le soleil de juillet nous éclaira, le théâtre, la critique et les contes prirent subitement fin, et les comédiens, les critiques et les conteurs tremblèrent et s’écrièrent que l’art touchait à sa ruine. Justin rapporte dans ses histoires que Cyrus, ayant apaisé la révolte des Lydiens, sut refréner l’esprit turbulent de ce peuple courageux en le forçant de s’occuper des beaux-arts et d’autres choses joyeuses. Depuis ce temps, il ne fut plus question des émeutes lydiennes.
Or donc, une partie du travail de Hugo a consisté à placer ce que nous logeons plutôt à l’intérieur à l’extérieur, et inversement, et il n’y avait pas de coupure pour lui entre les séances, l’achat de canons pour la Commune et, mettons, le fait de lire Goethe ou de prendre son repas sur une table qu’il avait décorée lui-même, à la mode chinoise de l’époque.
J’ai moi-même, l’an dernier, participé à une séance avec Nelly Maurel et Christelle Nicolas ; nous avons déposé les bouts de papier sur lesquels nous avions écrit les lettres de l’alphabet, ouija rudimentaire, le verre sur lequel il faudrait poser un doigt, sur la table de la cuisine où nous venions de manger une tartiflette. Intérieur et extérieur ne sont pas des coefficients dont l’expérience est estampillée dès l’origine (ce n’est pas moi qui le dis) mais plutôt les produits d’une classification ultérieure à laquelle nous nous livrons pour répondre à des besoins (j’aurais dit la même chose mais autrement), dit William James.
Qu’est-ce qu’une pensée qui resterait une pensée, au sens où on l’entend en général ? Mais si je caresse mon chat, que j’envoie une claque ou que je mets bordel dans une métaphore, on voit bien que je pense. Et si je m’acharne au Nensha, et que je nie avoir fraudé même si on me prouve le contraire, c’est bien que j’en ai assez, et qu’il faudrait en finir une bonne fois pour toutes avec les pensées intérieures, les pensées plutôt à l’intérieur qu’à l’extérieur – ou plutôt à l’extérieur qu’à l’intérieur, d’ailleurs –, les petites mains intérieures qui se frottent quand on est satisfait ou le doigt intérieur qu’on pointe à l’intérieur vers quelqu’un d’extérieur qui vous énerve.
Pour ce qui concerne la petite voix intérieure, cette radio, elle formule des phrases la plupart du temps aussi bien articulées qu’à l’extérieur. Changement-qui-se-produit est un contenu d’expérience unique, dit James, un de ces objets conjonctifs que l’empirisme radical cherche si sincèrement à réhabiliter et à préserver : changement-qui-se-produit serait, et je ne l’aurais pas dit autrement si j’avais pu le faire, un peu le nom de toutes choses, un pur mouvement de zigzag incessant (c’est un peu ça), une fuite d’idées débridées (enfin, ça dépend), une rhapsodie de perceptions (ou, pêle-mêle, de l’odeur, du tact, du spectacle, de l’abstraction) – changement-qui-se-produit changement-qui-se-produit changement-qui-se-produit.