Les hackers sont des explorateurs, des pionniers du monde digital. Il est dans leur nature de remettre en question les conventions et d’être attirés par les problèmes difficiles. Craquer un système complexe est un sport pour un hacker ; c’est pourquoi il éprouve un intérêt particulier pour les questions de sécurité. La société constitue un ensemble vaste et complexe, cible de choix pour le hacking. En conséquence, les hackers sont souvent représentés à tort comme des iconoclastes et des inadaptés sociaux, qui violent les normes de la société par simple défi. Quand j’ai hacké la Xbox, en 2002, alors que j’étais au MIT, je n’avais pas l’intention d’être un rebelle ou de nuire à qui que ce soit ; je suivais simplement une inclination naturelle, cette même inclination qui me poussait à réparer un iPod cassé ou à explorer les toits et les tunnels du MIT.
Malheureusement, le rejet des normes sociales combiné à certaines connaissances jugées inquiétantes, comme savoir lire la puce d’une carte de crédit ou crocheter une serrure, amène encore trop de gens à craindre les hackers. Leurs motivations ne sont pourtant pas différentes de celles d’un ingénieur qui vous dirait : « Je suis ingénieur parce que j’aime inventer des choses. » On me demande souvent : « Pourquoi avoir voulu hacker le système de sécurité de la Xbox ? » Ma réponse est simple : d’abord, je suis propriétaire des choses que j’achète. Personne ne peut venir me dire ce que j’ai le droit ou non de faire tourner dessus. Ensuite, ça représentait un défi. C’était un système suffisamment complexe pour me poser un vrai problème. Ça me changeait de mes soirées passées à bûcher pour mon doctorat.
J’ai eu de la chance. Le fait que je sois un étudiant diplômé du MIT quand j’ai hacké la Xbox a conféré une certaine légitimité à mon acte aux yeux des bonnes personnes. Toutefois, le droit de hacker ne devrait pas être limité aux étudiants. J’allais encore à l’école quand j’ai commencé, en démontant tous les appareils électroniques qui me tombaient sous la main, au désespoir de mes parents. Je lisais une multitude de livres sur les maquettes de fusée, l’artillerie, l’armement nucléaire et la fabrication d’explosifs – que j’empruntais à la bibliothèque de mon école (je crois que la guerre froide a beaucoup influencé la sélection de livres au sein des bibliothèques scolaires). J’ai aussi beaucoup joué avec des feux d’artifice et je traînais souvent sur les chantiers de construction de mon quartier. Ce n’était peut-être pas très prudent, mais ces expériences m’ont beaucoup appris et m’ont permis de devenir un libre-penseur, grâce à la tolérance sociale et à la confiance de ma communauté.
Les événements récents sont moins favorables aux aspirants hackers. Little Brother montre bien comment on passe de la situation actuelle à un monde dans lequel la tolérance à l’égard des idées neuves et alternatives disparaît complètement. Un fait divers banal m’a fait comprendre à quel point nous sommes près de basculer dans le monde de Little Brother. J’ai eu la chance de pouvoir lire le manuscrit avant parution, en novembre 2006. Deux mois plus tard, à la fin du mois de janvier 2007, la police de Boston a cru qu’elle avait découvert des engins explosifs et elle a bouclé la ville pendant une journée. Les engins en question se sont révélés de simples circuits imprimés bardés de LED clignotantes, destinés à promouvoir une émission sur Cartoon Network. Les artistes qui avaient installé ce graffiti urbain, soupçonnés d’être des terroristes, ont été arrêtés et traduits en justice ; les producteurs de l’émission ont dû débourser deux millions de dollars de dédommagement, et le directeur de Cartoon Network a remis sa démission.
Les terroristes ont-ils déjà gagné ? Avons-nous à ce point cédé à la panique pour que des artistes, des militants, des hackers, des iconoclastes ou même un groupe d’adolescents en train de jouer à Harajuku Fun Madness puissent se retrouver derrière les barreaux sur des présomptions aussi faibles ?
Il existe un nom pour ce genre de dysfonctionnement – on appelle ça « une maladie auto-immune », quand les défenses de l’organisme s’emballent et s’attaquent à ses propres cellules, qu’elles ne reconnaissent plus. Tôt ou tard, l’organisme finit par s’autodétruire. Pour l’instant, l’Amérique oscille au bord du choc anaphylactique en ce qui concerne nos libertés, et nous avons besoin de nous vacciner au plus vite. La technologie n’est pas une réponse à la paranoïa ; en fait, elle l’aggrave bien souvent : elle nous rend prisonniers de nos propres gadgets. On ne peut pas non plus obliger chaque jour des millions de personnes à se mettre en slip et à passer pieds nus dans un détecteur de métal. Ce genre de mesures ne sert qu’à rappeler à tout le monde la présence du danger, sans constituer un obstacle sérieux pour un adversaire résolu.
La vérité, c’est que nous ne pouvons pas compter sur quelqu’un d’autre, pour nous aider à nous sentir libres. Il n’y aura pas de M1k3y pour voler à notre secours le jour où nos libertés auront été enterrées par la paranoïa. M1k3y doit être en chacun de nous. Little Brother est là pour nous rappeler que, quel que soit l’avenir qu’on nous réserve, la liberté ne se gagne pas à grand renfort de systèmes de sécurité, de cryptographie, d’interrogatoires ou de fouilles au corps. Elle se gagne par le courage et la volonté de vivre notre vie librement et de nous comporter comme une société libre, quelles que soient les menaces qui se profilent à l’horizon.
Faites comme M1k3y : passez la porte, et osez être libres.