J'admets que l'intuition raisonne et dicte des ordres dès l'instant que, porteuse de clefs, elle n'oublie pas de faire vibrer le trousseau des formes embryonnaires de la poésie en traversant les hautes cages où dorment les échos, les avant-prodiges élus qui, au passage, les trempent et les fécondent.

 

Il advient au poète d'échouer au cours de ses recherches sur un rivage où il n'était attendu que beaucoup plus tard, après son anéantissement. Insensible à l'hostilité de son entourage arriéré le poète s'organise, abat sa vigueur, morcelle le terme, agrafe les sommets des ailes.

 

Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans son ordre.

 

Le poème est ascension furieuse ; la poésie, le jeu des berges arides.

 

Le poète conservateur des infinis visages du vivant.

 

Le poète, susceptible d'exagération, évalue correctement dans le supplice.

 

Il n'est pas digne du poète de mystifier l'agneau, d'investir sa laine.

 

La poésie est de toutes les eaux claires celle qui s'attarde le moins au reflet de ses ponts.

Poésie, la vie future à l'intérieur de l'homme requalifié.

 

Terre mouvante, horrible, exquise et condition humaine hétérogène se saisissent et se qualifient mutuellement. La poésie se tire de la somme exaltée de leur moire.

 

Le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir.

 

Certains réclament pour elle le sursis de l'armure ; leur blessure a le spleen d'une éternité de tenailles. Mais la poésie qui va nue sur ses pieds de roseau, sur ses pieds de caillou, ne se laisse réduire nulle part. Femme nous baisons le temps fou sur sa bouche ; ou côte à côte avec le grillon zénithal, elle chante la nuit de l'hiver dans la pauvre boulangerie, sous la mie d'un pain de lumière.

 

Le poète ne s'irrite pas de l'extinction hideuse de la mort, mais confiant en son toucher particulier, transforme toute chose en laines prolongées.

 

Au seuil de la pesanteur, le poète comme l'araignée construit sa route dans le ciel. En partie caché à lui-même, il apparaît aux autres, dans les rayons de sa ruse inouïe, mortellement visible.

 

Le logement du poète est des plus vagues ; le gouffre d'un feu triste soumissionne sa table de bois blanc. La vitalité du poète n'est pas une vitalité de l'au-delà mais un point diamanté actuel de présences transcendantes et d'orages pèlerins.

 

Être poète, c'est avoir de l'appétit pour un malaise dont la consommation, parmi les tourbillons de la totalité des choses existantes et pressenties, provoque, au moment de se clore, la félicité.

 

Le poème donne et reçoit de sa multitude l'entière démarche du poète s'expatriant de son huis clos. Derrière cette persienne de sang brûle le cri d'une force qui se détruira elle seule parce qu'elle a horreur de la force, sa sœur subjective et stérile.

 

Le poète tourmente à l'aide d'injaugeables secrets la forme et la voix de ses fontaines.

 

Le poète recommande : « Penchez-vous, penchez-vous davantage. » Il ne sort pas toujours indemne de sa page, mais comme le pauvre il sait tirer parti de l'éternité d'une olive.

 

À chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d'avenir.

 

Après la remise de ses trésors (tournoyant entre deux ponts) et l'abandon de ses sueurs, le poète, la moitié du corps, le sommet du souffle dans l'inconnu, le poète n'est plus le reflet d'un fait accompli. Plus rien ne le mesure, ne le lie. La ville sereine, la ville imperforée est devant lui.

 

Debout, croissant dans la durée, le poème, mystère qui intronise. À l'écart, suivant l'allée de la vigne commune, le poète, grand Commenceur, le poète intransitif, quelconque en ses splendeurs intraveineuses, le poète tirant le malheur de son propre abîme, avec la Femme à son côté s'informant du raisin rare.

 

Magicien de l'insécurité, le poète n'a que des satisfactions adoptives. Cendre toujours inachevée.

 

Je suis le poète, meneur de puits tari que tes lointains, ô mon amour, approvisionnent.

 

L'expérience que la vie dément, celle que le poète préfère.

 

Au centre de la poésie, un contradicteur t'attend. C'est ton souverain. Lutte loyalement contre lui.

 

En poésie, devenir c'est réconcilier. Le poète ne dit pas la vérité, il la vit ; et la vivant, il devient mensonger. Paradoxe des Muses : justesse du poème.

 

Dans le tissu du poème doit se retrouver un nombre égal de tunnels dérobés, de chambres d'harmonie, en même temps que d'éléments futurs, de havres au soleil, de pistes captieuses et d'existants s'entr'appelant. Le poète est le passeur de tout cela qui forme un ordre. Et un ordre insurgé.

 

Poètes, enfants du tocsin.

 

La poésie me volera ma mort.

 

On ne peut pas commencer un poème sans une parcelle d'erreur sur soi et sur le monde, sans une paille d'innocence aux premiers mots.

 

La poésie est ce fruit que nous serrons, mûri, avec liesse, dans notre main, au même moment qu'il nous apparaît, d'avenir incertain, sur la tige givrée, dans le calice de la fleur.

 

Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverains en nous impersonnalisant, nous touchons, grâce au poème, à la plénitude de ce qui n'était qu'esquissé ou déformé par les vantardises de l'individu.

Les poèmes sont des bouts d'existence incorruptibles que nous lançons à la gueule répugnante de la mort, mais assez haut pour que, ricochant sur elle, ils tombent dans le monde nominateur de l'unité.

 

Dans le poème, chaque mot ou presque doit être employé dans son sens originel. Certains, se détachant, deviennent plurivalents. Il en est d'amnésiques. La constellation du Solitaire est tendue.

 

Mon métier est un métier de pointe.

 

Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.

 

La réalité sans l'énergie disloquante de la poésie, qu'est-ce ?

 

Faire un poème, c'est prendre possession d'un au-delà nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très-rattaché à elle, et cependant à proximité des urnes de la mort.

 

Poésie, unique montée des hommes, que le soleil des morts ne peut assombrir dans l'infini parfait et burlesque.

 

La poésie est à la fois parole et provocation silencieuse, désespérée de notre être-exigeant pour la venue d'une réalité qui sera sans concurrente. Imputrescible celle-là. Impérissable, non, car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle est la Beauté, la Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps de notre cœur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumineusement averti.

 

La seule signature au bas de la vie blanche, c'est la poésie qui la dessine. Et toujours entre notre cœur éclaté et la cascade apparue.

 

La poésie vit d'insomnie perpétuelle.

 

Sur la poésie la nuit accourt, l'éveil se brise, quand on s'exalte à l'exprimer. Quelle que soit la longueur de sa longe, la poésie se blesse à nous, et nous à ses fuyants.

 

Le poète est la partie de l'homme réfractaire aux projets calculés. Il peut être appelé à payer n'importe quel prix ce privilège ou ce boulet. Il doit savoir que le mal vient toujours de plus loin qu'on ne croit, et ne meurt pas forcément sur la barricade qu'on lui a choisie.

 

La poésie a un arrière-pays dont seule la clôture est sombre.

Nul pavillon ne flotte longtemps sur cette banquise qui, au gré de son caprice, se donne à nous et se reprend. Mais elle indique à nos yeux l'éclair et ses ressources vierges.

 

En poésie, on n'habite que le lieu que l'on quitte, on ne crée que l'œuvre dont on se détache, on n'obtient la durée qu'en détruisant le temps.

 

Le devoir d'un Prince est, durant la trêve des saisons et la sieste des heureux, de produire un Art à l'aide des nuages, un Art qui soit issu de la douleur et conduise à la douleur.

 

L'acte poignant et si grave d'écrire quand l'angoisse se soulève sur un coude pour observer et que notre bonheur s'engage nu dans le vent du chemin.

 

Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu'il n'écrit pas. Il a toutes les rues de la vie oublieuse pour distribuer ses moyennes aumônes et cracher le petit sang dont il ne meurt pas.

 

La poésie sera toujours au premier chef une évasion, la geôle forcée et l'assurance que cette évasion aux longues et meurtrières foulées a réussi.

 

En amour, en poésie, la neige n'est pas la louve de janvier mais la perdrix du renouveau.

 

Nous voici de nouveau seuls en tête à tête, ô Poésie. Ton retour signifie que je dois encore une fois me mesurer avec toi, avec ta juvénile hostilité, avec ta tranquille soif d'espace, et tenir tout prêt pour ta joie cet inconnu équilibrant dont je dispose.