Un de mes ancêtres qui s'était lui-même prénommé Sabin, vivait en ermite depuis de longues années sur le grand roc de Cavaillon, la colline Saint-Jacques. Les habitants de la ville l'avaient accepté comme ermite, à charge pour lui de signaler la présence des loups que le rude hiver de 1811 avait multipliés au point qu'ils descendaient en plaine, s'avançant jusqu'aux abords des villages et s'attaquant aux troupeaux. Sabin sur son rocher fut muni d'une lorgnette marine et d'une trompe de chasse ; il devait donner l'alerte, en temps utile, lorsqu'il croyait entrevoir une bande, du côté du Luberon.
Pour prix de cette vraie occupation venant en sus de ses prières, les habitants veillaient à sa nourriture, déposant tous les deux jours une haute marmite de fonte au bas de l'escalier, taillé dans le roc, qui menait à son ermitage. Sabin descendait, serrant sa cuiller de bois dans la main, manger sa soupe épaisse au pied du rocher. Je savais que cet homme avait été le moins serein des hommes malgré son allant et sa situation comique : il n'était pas l'ennemi des loups.
Un siècle plus tard, j'avais dix-neuf ans lorsque durant un temps mort avant mon service militaire à Nîmes, je travaillais chez un expéditeur de Cavaillon, M. Séraphin Bouffard. Je prenais plaisir à monter les quatre-vingts marches jusqu'à l'ermitage et ses environs alors déserts, et j'étalais là le casse-croûte de midi. C'est en songeant à mon parent, l'ermite, que j'écrivis le poème suivant :