HERMÈS ENSEIGNANT
Exposé des motifs
Pour les personnes privées comme pour les collectivités, les solutions à bien des drames actuels dépendent, en partie, du développement scientifique et de la formation. L’innovation pilote l’économie et la pédagogie, même culturelle, précède l’innovation.
Tous les pays du monde, y compris les plus riches, voient donc la demande en formation croître chaque année d’un dixième, alors que leur budget correspondant, central ou local, public ou privé, se trouve saturé. Nous vivons au carrefour où se rencontrent des besoins qui augmentent et des moyens qui plafonnent : cette intersection définit une crise.
Or, tous les pays du monde, y compris les plus pauvres, vivent dans l’ère des communications. Or tous les pays du monde, y compris les plus riches, ne consacrent presque aucun canal, aucun réseau de communication à l’enseignement ni à la formation.
Puisque des solutions légères contribueraient à résoudre nos problèmes les plus lourds, pourquoi ne pas les appliquer ?
Changements de support
Pour la conservation et le transport des messages, l’Occident changea plusieurs fois de support : il parla, puis écrivit, ensuite imprima, il stocke aujourd’hui sur de multiples réseaux et communique par eux. Témoin du premier passage, le platonisme associe un philosophe qui, sans jamais parler lui-même, écrit les discours et les dialogues dits par un maître, Socrate, qui ne les écrivait pas. La Renaissance donne à l’Europe, puis au monde, de nouveaux paysages géographiques, religieux, scientifiques et culturels, grâce en partie au second. Quels changements notables apporte, aujourd’hui, le troisième ?
Jamais un support nouveau ne détruisit le précédent : pour travailler devant des écrans et des consoles, nous ne cessons de parler ni d’écrire ni d’imprimer. Mieux, croissent plutôt ces trois usages. Mais la nature des messages échangés dépend, pour une grande part, des supports qu’ils utilisent : le livre imprimé détermine le savoir moderne à rompre avec les sciences grecques ou médiévales et l’ordinateur détache, peu à peu, le savoir contemporain de celui qui le précède. S’il se mesurait à partir de lectures sur écrans et non pas sur pages ou livres, à quel pourcentage tomberait le chiffre des jeunes illettrés ?
D’où l’évolution de l’enseignement : sans nous en apercevoir, nous vivons, en matière de partage des connaissances, des temps si nouveaux que mieux vaut réfléchir aux tuyaux qu’aux programmes et aux contenus. Les manières déterminent les matières.
Distances
Jadis et naguère, le savoir s’accumulait ou se distribuait en des centres : collèges, universités, académies, bibliothèques, laboratoires… et ceux qui désiraient s’instruire ou que l’on disait réussir devaient franchir, avant de parvenir à ces sources, diverses distances mesurables en kilomètres et classe sociale, en examens et concours, en argent et langue, en crainte et inadaptation… D’où l’inégalité quasi fatale en matière de formation, aggravée par la célébration du mérite de ceux qui avaient su franchir les obstacles de la course. D’autre part, l’installation des centres eux-mêmes coûtait des sommes si considérables que seuls de grands mécènes ou l’État pouvaient les acquitter.
Or il suffit d’un équipement peu cher pour trouver chez soi, sans trop d’obstacle, l’ensemble de ces sources : la distance raccourcit donc aujourd’hui jusqu’à s’annuler, au moins pour ce qui concerne l’espace et le temps. Nous pouvons espérer, de ce fait, une nouvelle égalité des chances et une meilleure démocratisation du savoir.
Réseaux gratuits
Ayant moins besoin des concentrations impliquées par les villes et les bibliothèques, la formation à distance utilise l’ensemble des réseaux de communication et leurs techniques associées. La reçoivent donc l’agriculteur attaché à la grange et au champ, l’ouvrier, l’employé ou le petit patron liés à leur entreprise, la mère dans sa famille, l’élève ajourné, le chômeur sans argent pour se déplacer… bref ceux qui ont le plus besoin de qualification et le moins de moyens pour l’obtenir.
À l’heure où la pédagogie devient un marché de « produits » dont la mondialisation accélère l’inégalité des chances et l’unification des cultures, et où croît le risque d’appropriation des sciences par l’argent et le secret, tout gouvernement vraiment démocratique se doit d’organiser la gratuité publique de ce type de formation
Habillés en Hermès, reviennent les hussards noirs de la République.
Mars 1997