JACQUES. – Oh ! mon maître, la cruelle mémoire que vous avez !
LE MAÎTRE. – Mon Jacques, mon petit Jacques...
JACQUES. – De quoi riez-vous ?
LE MAÎTRE. – De ce qui me fera rire plus d'une fois ; c'est de te voir dans ta jeunesse chez ton grand-père avec le bâillon.
JACQUES. – Ma grand-mère me l'ôtait lorsqu'il n'y avait plus personne ; et lorsque mon grand-père s'en apercevait, il n'en était pas plus content ; il lui disait : “Continuez, et cet enfant sera le plus effréné bavard qui ait encore existé.” Sa prédiction s'est accomplie.
LE MAÎTRE. – Allons, mon Jacques, mon petit Jacques, l'histoire du camarade de ton capitaine.
JACQUES. – Je ne m'y refuserai pas ; mais vous ne la croirez point.
LE MAÎTRE. – Elle est donc bien merveilleuse !
JACQUES. – Non, c'est qu'elle est déjà arrivée à un autre, à un militaire français, appelé, je crois, M. de Guerchy.
LE MAÎTRE. – Eh bien ! je dirai comme un poète français, qui avait fait une assez bonne épigramme1, disait à quelqu'un qui se l'attribuait en sa présence : “Pourquoi monsieur ne l'aurait-il pas faite ? je l'ai bien faite, moi...” Pourquoi l'histoire de Jacques ne serait-elle pas arrivée au camarade de son capitaine, puisqu'elle est bien arrivée au militaire français de Guerchy ? Mais, en me la racontant, tu feras d'une pierre deux coups, tu m'apprendras l'aventure de ces deux personnages, car je l'ignore.
JACQUES. – Tant mieux ! mais jurez-le-moi.
LE MAÎTRE. – Je te le jure. »
Lecteur, je serais bien tenté d'exiger de vous le même serment ; mais je vous ferai seulement remarquer dans le caractère de Jacques une bizarrerie qu'il tenait apparemment de son grand-père Jason, le brocanteur silencieux ; c'est que Jacques, au rebours2 des bavards, quoiqu'il aimât beaucoup à dire, avait en aversion les redites. Aussi disait-il quelquefois à son maître : « Monsieur me prépare le plus triste avenir ; que deviendrai-je quand je n'aurai plus rien à dire ?
– Tu recommenceras.
– Jacques, recommencer ! Le contraire est écrit là-haut ; et s'il m'arrivait de recommencer, je ne pourrais m'empêcher de m'écrier : “Ah ! si ton grand-père t'entendait !...” et je regretterais le bâillon.
LE MAÎTRE. – Tu veux dire celui qu'il te mettait.
JACQUES. – Dans le temps qu'on jouait aux jeux de hasard aux foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent3...
LE MAÎTRE. – Mais c'est à Paris, et le camarade de ton capitaine était commandant d'une place frontière.
JACQUES. – Pour Dieu, monsieur, laissez-moi dire... Plusieurs officiers entrèrent dans une boutique, et y trouvèrent un autre officier qui causait avec la maîtresse de la boutique. L'un d'eux proposa à celui-ci de jouer au passe-dix4 ; car il faut que vous sachiez qu'après la mort de mon capitaine, son camarade, devenu riche, était aussi devenu joueur. Lui donc, ou M. de Guerchy, accepte. Le sort met le cornet5 à la main de son adversaire qui passe, passe, passe, que cela ne finissait point. Le jeu s'était échauffé, et l'on avait joué le tout, le tout du tout, les petites moitiés, les grandes moitiés, le grand tout, le grand tout du tout6, lorsqu'un des assistants s'avisa de dire à M. de Guerchy, ou au camarade de mon capitaine, qu'il ferait bien de s'en tenir là et de cesser de jouer, parce qu'on en savait plus que lui. Sur ce propos, qui n'était qu'une plaisanterie, le camarade de mon capitaine, ou M. de Guerchy, crut qu'il avait affaire à un filou ; il mit subtilement la main à sa poche, en tira un couteau bien pointu, et lorsque son antagoniste porta la main sur les dés pour les placer dans le cornet, il lui plante le couteau dans la main, et la lui cloue sur la table, en lui disant : “Si les dés sont pipés, vous êtes un fripon ; s'ils sont bons, j'ai tort...” Les dés se trouvèrent bons. M. de Guerchy dit : “J'en suis très fâché, et j'offre telle réparation qu'on voudra...” Ce ne fut pas le propos du camarade de mon capitaine ; il dit : “J'ai perdu mon argent ; j'ai percé la main à un galant* homme : mais en revanche j'ai recouvré le plaisir de me battre tant qu'il me plaira...” L'officier cloué se retire et va se faire panser. Lorsqu'il est guéri, il vient trouver l'officier cloueur et lui demande raison ; celui-ci, ou M. de Guerchy, trouve la demande juste. L'autre, le camarade de mon capitaine, jette les bras à son cou, et lui dit : “Je vous attendais avec une impatience que je ne saurais vous exprimer...” Ils vont sur le pré ; le cloueur, M. de Guerchy, ou le camarade de mon capitaine, reçoit un bon coup d'épée à travers le corps ; le cloué le relève, le fait porter chez lui et lui dit : “Monsieur, nous nous reverrons...” M. de Guerchy ne répondit rien ; le camarade de mon capitaine lui répondit : “Monsieur, j'y compte bien.” Ils se battent une seconde, une troisième, jusqu'à huit ou dix fois, et toujours le cloueur reste sur place. C'étaient tous les deux des officiers de distinction, tous les deux gens de mérite ; leur aventure fit grand bruit ; le ministère s'en mêla. L'on retint l'un à Paris, et l'on fixa l'autre à son poste. M. de Guerchy se soumit aux ordres de la cour ; le camarade de mon capitaine en fut désolé ; et telle est la différence de deux hommes braves par caractère, mais dont l'un est sage, et l'autre a un grain de folie.
Jusqu'ici l'aventure de M. de Guerchy et du camarade de mon capitaine leur est commune : c'est la même ; et voilà la raison pour laquelle je les ai nommés tous deux, entendez*-vous, mon maître ? Ici je vais les séparer et je ne vous parlerai plus que du camarade de mon capitaine, parce que le reste n'appartient qu'à lui. Ah ! Monsieur, c'est ici que vous allez voir combien nous sommes peu maîtres de nos destinées, et combien il y a de choses bizarres écrites sur le grand rouleau !
Le camarade de mon capitaine, ou le cloueur, sollicite la permission de faire un tour dans sa province : il l'obtient. Sa route était par Paris. Il prend place dans une voiture publique. À trois heures du matin, cette voiture passe devant l'Opéra ; on sortait du bal. Trois ou quatre jeunes étourdis masqués projettent d'aller déjeuner* avec les voyageurs ; on arrive au point du jour à la déjeunée*. On se regarde. Qui fut bien étonné ! Ce fut le cloué de reconnaître son cloueur. Celui-ci présente la main, l'embrasse et lui témoigne combien il est enchanté d'une si heureuse rencontre ; à l'instant ils passent derrière une grange, mettent l'épée à la main, l'un en redingote, l'autre en domino7 ; le cloueur, ou le camarade de mon capitaine, est encore jeté sur le carreau. Son adversaire envoie à son secours, se met à table avec ses amis et le reste de la carrossée, boit et mange gaiement. » Les uns se disposaient à suivre leur route, et les autres à retourner dans la capitale, en masque et sur des chevaux de poste*, lorsque l'hôtesse reparut et mit fin au récit de Jacques.
La voilà remontée, et je vous préviens, lecteur, qu'il n'est plus en mon pouvoir de la renvoyer. – Pourquoi donc ? – C'est qu'elle se présente avec deux bouteilles de champagne, une dans chaque main, et qu'il est écrit là-haut que tout orateur qui s'adressera à Jacques avec cet exorde8 s'en fera nécessairement écouter.
Elle entre, pose ses deux bouteilles sur la table, et dit : « Allons, monsieur Jacques, faisons la paix... » L'hôtesse n'était pas de la première jeunesse ; c'était une femme grande et replète, ingambe, de bonne mine, pleine d'embonpoint*, la bouche un peu grande, mais de belles dents, des joues larges, des yeux à fleur de tête, le front carré, la plus belle peau, la physionomie ouverte, vive et gaie, une poitrine à s'y rouler pendant deux jours, des bras un peu forts, mais les mains superbes, des mains à peindre ou à modeler. Jacques la prit par le milieu du corps, et l'embrassa fortement ; sa rancune n'avait jamais tenu contre du bon vin et une belle femme ; cela était écrit là-haut de lui, de vous, lecteur, de moi et de beaucoup d'autres. « Monsieur, dit-elle au maître, est-ce que vous nous laisserez aller tout seuls ? Voyez, eussiez-vous encore cent lieues* à faire, vous n'en boirez pas de meilleur de toute la route. » En parlant ainsi elle avait placé une des deux bouteilles entre ses genoux, et elle en tirait le bouchon ; ce fut avec une adresse singulière qu'elle en couvrit le goulot avec le pouce, sans laisser échapper une goutte de vin. « Allons, dit-elle à Jacques ; vite, vite, votre verre. » Jacques approche son verre ; l'hôtesse, en écartant son pouce un peu de côté, donne vent à la bouteille, et voilà le visage de Jacques tout couvert de mousse. Jacques s'était prêté à cette espièglerie, et l'hôtesse de rire et Jacques et son maître de rire. On but quelques rasades les unes sur les autres pour s'assurer de la sagesse de la bouteille, puis l'hôtesse dit : « Dieu merci ! ils sont tous dans leurs lits, on ne m'interrompra plus, et je puis reprendre mon récit. » Jacques, en la regardant avec des yeux dont le vin de Champagne avait augmenté la vivacité naturelle, lui dit ou à son maître : « Notre hôtesse a été belle comme un ange ; qu'en pensez-vous, monsieur ?
LE MAÎTRE. – À été ! Pardieu, Jacques, c'est qu'elle l'est encore !
JACQUES. – Monsieur, vous avez raison ; c'est que je ne la compare pas à une autre femme, mais à elle-même quand elle était jeune.
L'HÔTESSE. – Je ne vaux pas grand-chose à présent ; c'est lorsqu'on m'aurait prise entre les deux premiers doigts de chaque main qu'il me fallait voir ! On se détournait de quatre lieues* pour séjourner ici. Mais laissons là les bonnes et les mauvaises têtes que j'ai tournées, et revenons à Mme de La Pommeraye.
JACQUES. – Si nous buvions d'abord un coup aux mauvaises têtes que vous avez tournées, ou à ma santé ?
L'HÔTESSE. -Très volontiers ; il y en avait qui en valaient la peine, en comptant ou sans compter la vôtre. Savez-vous que j'ai été pendant dix ans la ressource des militaires, en tout bien et tout honneur ? J'en ai obligé nombre qui auraient eu bien de la peine à faire leur campagne sans moi. Ce sont de braves gens, je n'ai à me plaindre d'aucun, ni eux de moi. Jamais de billets* ; ils m'ont fait quelquefois attendre ; au bout de deux, de trois, de quatre ans mon argent m'est revenu... »
Et puis la voilà qui se met à faire l'énumération des officiers qui lui avaient fait l'honneur de puiser dans sa bourse et M. un tel, colonel du régiment de***, et M. un tel, capitaine au régiment de***, et voilà Jacques qui se met à faire un cri : « Mon capitaine ! mon pauvre capitaine ! vous l'avez connu ?
L'HÔTESSE. – Si je l'ai connu ? un grand homme, bien fait, un peu sec, l'air noble et sévère, le jarret bien tendu, deux petits points rouges à la tempe droite. Vous avez donc servi ?
JACQUES. – Si j'ai servi !
L'HÔTESSE. – Je vous en aime davantage ; il doit vous rester de bonnes qualités de votre premier état*. Buvons à la santé de votre capitaine.
JACQUES. – S'il est encore vivant.
L'HÔTESSE. – Mort ou vivant, qu'est-ce que cela fait ? Est-ce qu'un militaire n'est pas fait pour être tué ? Est-ce qu'il ne doit pas être enragé, après dix sièges et cinq ou six batailles, de mourir au milieu de cette canaille de gens noirs9 !... Mais revenons à notre histoire, et buvons encore un coup.
LE MAÎTRE. – Ma foi, notre hôtesse, vous avez raison.
L'HÔTESSE. – Je suis bien aise que vous pensiez ainsi.
LE MAÎTRE. – Car votre vin est excellent.
L'HÔTESSE. – Ah ! c'est de mon vin que vous parliez ? Eh bien ! vous avez encore raison. Vous rappelez-vous où nous en étions ?
LE MAÎTRE. – Oui, à la conclusion de la plus perfide des confidences.
L'HÔTESSE. – M. le marquis des Arcis et Mme de La Pommeraye s'embrassèrent, enchantés l'un de l'autre, et se séparèrent. Plus la dame s'était contrainte en sa présence, plus sa douleur fut violente quand il fut parti. “Il n'est donc que trop vrai, s'écria-t-elle, il ne m'aime plus !...” Je ne vous ferai point le détail de toutes nos extravagances quand on nous délaisse, vous en seriez trop vains*. Je vous ai dit que cette femme avait de la fierté ; mais elle était bien autrement vindicative. Lorsque les premières fureurs furent calmées, et qu'elle jouit de toute la tranquillité de son indignation, elle songea à se venger, mais à se venger d'une manière cruelle, d'une manière à effrayer tous ceux qui seraient tentés à l'ave-nir de séduire et de tromper une honnête* femme. Elle s'est vengée, elle s'est cruellement vengée ; sa vengeance a éclaté et n'a corrigé personne ; nous n'en avons pas été depuis moins vilainement séduites et trompées.
JACQUES. – Bon pour les autres, mais vous !...
L'HÔTESSE. – Hélas ! moi toute la première ! Oh ! que nous sommes sottes ! Encore si ces vilains hommes gagnaient au change ! Mais laissons cela. Que fera-t-elle ? Elle n'en sait encore rien ; elle y rêvera* ; elle y rêve.
JACQUES. – Si tandis qu'elle y rêve...
L'HÔTESSE. – C'est bien dit. Mais nos deux bouteilles sont vides... (Jean. – Madame. – Deux bouteilles, de celles qui sont tout au fond, derrière les fagots. – J'entends*.) À force d'y rêver, voici ce qui lui vint en idée. Mme de La Pommeraye avait autrefois connu une femme de province qu'un procès avait appelée à Paris, avec sa fille, jeune, belle et bien élevée. Elle avait appris que cette femme, minée par la perte de son procès, en avait été réduite à tenir tripot10. On s'assemblait chez elle, on jouait, on soupait*, et communément un ou deux des convives restaient, passaient la nuit avec madame ou mademoiselle, à leur choix. Elle mit un de ses gens en quête de ces créatures. On les déterra, on les invita à faire visite à Mme de La Pommeraye, qu'elles se rappelaient à peine. Ces femmes, qui avaient pris le nom de Mme et de Mlle d'Aisnon, ne se firent pas attendre ; dès le lendemain, la mère se rendit chez Mme de La Pommeraye. Après les premiers compliments, Mme de La Pommeraye demanda à la d'Aisnon ce qu'elle avait fait, ce qu'elle faisait depuis la perte de son procès.
“Pour vous parler avec sincérité, lui répondit la d'Aisnon, je fais un métier périlleux, infâme, peu lucratif, et qui me déplaît, mais la nécessité contraint la loi11. J'étais presque résolue à mettre ma fille à l'Opéra12, mais elle n'a qu'une petite voix de chambre, et n'a jamais été qu'une danseuse médiocre. Je l'ai promenée, pendant et après mon procès, chez des magistrats, chez des grands, chez des prélats, chez des financiers*, qui s'en sont accommodés pour un terme et qui l'ont laissée là. Ce n'est pas qu'elle ne soit belle comme un ange, qu'elle n'ait de la finesse, de la grâce ; mais aucun esprit de libertinage*, rien de ces talents propres à réveiller la langueur d'hommes blasés. Je donne à jouer et à souper* ; et le soir, qui veut rester, reste. Mais ce qui nous a le plus nui, c'est qu'elle s'était entêtée d'un petit abbé de qualité13, impie, incrédule, dissolu, hypocrite, antiphilosophe14, que je ne vous nommerai pas ; mais c'est le dernier de ceux qui, pour arriver à l'épiscopat, ont pris la route qui est en même temps la plus sûre et qui demande le moins de talent. Je ne sais ce qu'il faisait entendre à ma fille, à qui il venait lire tous les matins les feuillets de son dîner*, de son souper*, de sa rhapsodie*. Sera-t-il évêque, ne le sera-t-il pas ? Heureusement ils se sont brouillés. Ma fille lui ayant demandé un jour s'il connaissait ceux contre lesquels il écrivait, et l'abbé lui ayant répondu que non ; s'il avait d'autres sentiments que ceux qu'il ridiculisait, et l'abbé lui ayant répondu que non, elle se laissa emporter à sa vivacité et lui représenta* que son rôle était celui du plus méchant et du plus faux des hommes.”
Mme de La Pommeraye lui demanda si elles étaient fort connues.
“Beaucoup trop, malheureusement.
– À ce que je vois, vous ne tenez point à votre état* ?
– Aucunement, et ma fille me proteste* tous les jours que la condition la plus malheureuse lui paraît préférable à la sienne ; elle en est d'une mélancolie* qui achève d'éloigner d'elle...
– Si je me mettais en tête de vous faire à l'une et à l'autre le sort le plus brillant, vous y consentiriez donc ?
– À bien moins.
– Mais il s'agit de savoir si vous pouvez me promettre de vous conformer à la rigueur des conseils que je vous donnerai.
– Quels qu'ils soient vous pouvez y compter.
– Et vous serez à mes ordres quand il me plaira ?
– Nous les attendrons avec impatience.
– Cela me suffit ; retournez-vous-en ; vous ne tarderez pas à les recevoir. En attendant, défaites-vous de vos meubles, vendez tout, ne réservez pas même vos robes, si vous en avez des voyantes : cela ne cadrerait point à mes vues.” »
Jacques, qui commençait à s'intéresser, dit à l'hôtesse : « Et si nous buvions à la santé de Mme de La Pommeraye ?
L'HÔTESSE. – Volontiers.
JACQUES. – Et à celle de Mme d'Aisnon.
L'HÔTESSE. – Tope.
JACQUES. – Et vous ne refuserez pas celle de Mlle d'Aisnon, qui a une jolie voix de chambre, peu de talent pour la danse, et une mélancolie* qui la réduit à la triste nécessité d'accepter un nouvel amant tous les soirs.
L'HÔTESSE. – Ne riez pas, c'est la plus cruelle chose. Si vous saviez le supplice quand on n'aime pas !...
JACQUES. – À Mlle d'Aisnon, à cause de son supplice.
L'HÔTESSE. – Allons.
JACQUES. – Notre hôtesse, aimez-vous votre mari ?
L'HÔTESSE. – Pas autrement.
JACQUES. – Vous êtes donc bien à plaindre ; car il me semble d'une belle santé.
L'HÔTESSE. – Tout ce qui reluit n'est pas or.
JACQUES. – À la belle santé de notre hôte.
L'HÔTESSE. – Buvez tout seul.
LE MAÎTRE. – Jacques, Jacques, mon ami, tu te presses beaucoup.
L'HÔTESSE. – Ne craignez rien, monsieur, il est loyal15 ; et demain il n'y paraîtra pas.
JACQUES. – Puisqu'il n'y paraîtra pas demain, et que je ne fais pas ce soir grand cas de ma raison, mon maître, ma belle hôtesse, encore une santé, une santé qui me tient fort à cœur, c'est celle de l'abbé de Mlle d'Aisnon.
L'HÔTESSE. – Fi donc, monsieur Jacques ; un hypocrite, un ambitieux, un ignorant, un calomniateur, un intolérant ; car c'est comme cela qu'on appelle, je crois, ceux qui égorgeraient volontiers quiconque ne pense pas comme eux.
LE MAÎTRE. – C'est que vous ne savez pas, notre hôtesse, que Jacques que voilà est une espèce de philosophe*, et qu'il fait un cas infini de ces petits imbéciles qui se déshonorent eux-mêmes et la cause qu'ils défendent si mal. Il dit que son capitaine les appelait le contrepoison des Huet, des Nicole, des Bossuet16. Il n'entendait* rien à cela, ni vous non plus... Votre mari est-il couché ?
L'HÔTESSE. – Il y a belle heure !
LE MAÎTRE. – Et il vous laisse causer comme cela ?
L'HÔTESSE. – NOS maris sont aguerris... Mme de La Pommeraye monte dans son carrosse, court les faubourgs les plus éloignés du quartier de la d'Aisnon, loue un petit appartement en maison honnête*, dans le voisinage de la paroisse, le fait meubler le plus succinctement qu'il est possible, invite la d'Aisnon et sa fille à dîner*, et les installe, ou le jour même, ou quelques jours après, leur laissant un précis17 de la conduite qu'elles ont à tenir.
JACQUES. – Notre hôtesse, nous avons oublié la santé de Mme de La Pommeraye, celle du marquis des Arcis ; ah ! cela n'est pas honnête*.
L'HÔTESSE. – Allez, allez, monsieur Jacques, la cave n'est pas vide... Voici ce précis, ou ce que j'en ai retenu :
“Vous ne fréquenterez point les promenades publiques, car il ne faut pas qu'on vous découvre.
“Vous ne recevrez personne, pas même vos voisins et vos voisines, parce qu'il faut que vous affectiez la plus profonde retraite.
“Vous prendrez, dès demain, l'habit de dévotes*, parce qu'il faut qu'on vous croie telles.
“Vous n'aurez chez vous que des livres de dévotion, parce qu'il ne faut rien autour de vous qui puisse vous trahir.
“Vous serez de la plus grande assiduité aux offices de la paroisse, jours de fêtes et jours ouvrables.
“Vous vous intriguerez pour avoir entrée au parloir de quelque couvent ; le bavardage de ces recluses ne nous sera pas inutile.
“Vous ferez connaissance étroite avec le curé et les prêtres de la paroisse, parce que je puis avoir besoin de leur témoignage.
“Vous n'en recevrez d'habitude aucun.
“Vous irez à confesse et vous approcherez des sacrements au moins deux fois le mois.
“Vous reprendrez votre nom de famille, parce qu'il est honnête*, et qu'on fera tôt ou tard des informations dans votre province.
“Vous ferez de temps en temps quelques petites aumônes, et vous n'en recevrez point, sous quelque prétexte que ce puisse être. Il faut qu'on ne vous croie ni pauvres ni riches.
“Vous filerez, vous coudrez, vous tricoterez, vous broderez, et vous donnerez aux dames de charité votre ouvrage à vendre.
“Vous vivrez de la plus grande sobriété ; deux petites portions d'auberge ; et puis c'est tout.
“Votre fille ne sortira jamais sans vous, ni vous sans elle. De tous les moyens d'édifier à peu de frais, vous n'en négligerez aucun.
“Surtout jamais chez vous, je vous le répète, ni prêtres, ni moines, ni dévotes*.
“Vous irez dans les rues les yeux baissés ; à l'église, vous ne verrez que Dieu.
“J'en conviens, cette vie est austère, mais elle ne durera pas, et je vous en promets la plus signalée récompense. Voyez, consultez-vous : si cette contrainte vous paraît au-dessus de vos forces, avouez-le-moi ; je n'en serai ni offensée, ni surprise. J'oubliais de vous dire qu'il serait à propos que vous vous fissiez un verbiage de la mysticité, et que l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament vous devînt familière, afin qu'on vous prenne pour des dévotes* d'ancienne date. Faites-vous jansénistes ou molinistes18, comme il vous plaira ; mais le mieux sera d'avoir l'opinion de votre curé. Ne manquez pas, à tort et à travers, dans toute occasion de vous déchaîner contre les philosophes* ; criez que Voltaire est l'Antéchrist19, sachez par cœur l'ouvrage de votre petit abbé, et colportez-le, s'il le faut...”
Mme de La Pommeraye ajouta : “Je ne vous verrai point chez vous ; je ne suis pas digne du commerce d'aussi saintes femmes ; mais n'en ayez aucune inquiétude : vous viendrez ici clandestinement quelquefois, et nous nous dédommagerons, en petit comité, de votre régime pénitent. Mais, tout en jouant la dévotion, n'allez pas vous en empêtrer. Quant aux dépenses de votre petit ménage, c'est mon affaire. Si mon projet réussit, vous n'aurez plus besoin de moi ; s'il manque sans qu'il y ait de votre faute, je suis assez riche pour vous assurer un sort honnête* et meilleur que l'état* que vous m'aurez sacrifié. Mais surtout soumission, soumission absolue, illimitée à mes volontés, sans quoi je ne réponds de rien pour le présent, et ne m'engage à rien pour l'avenir.” »
LE MAÎTRE, en frappant sur sa tabatière et regardant à sa montre l'heure qu'il est. – Voilà une terrible tête de femme ! Dieu me garde d'en rencontrer une pareille.
L'HÔTESSE. – Patience, patience, vous ne la connaissez pas encore.
JACQUES. – En attendant, ma belle, notre charmante hôtesse, si nous disions un mot à la bouteille ?
L'HÔTESSE. – Monsieur Jacques, mon vin de Champagne m'embellit à vos yeux.
LE MAÎTRE. – Je suis pressé depuis si longtemps de vous faire une question, peut-être indiscrète*, que je n'y saurais plus tenir.
L'HÔTESSE. – Faites votre question.
LE MAÎTRE. – Je suis sûr que vous n'êtes pas née dans une hôtellerie.
L'HÔTESSE. – Il est vrai.
LE MAÎTRE. – Que vous y avez été conduite d'un état* plus élevé par des circonstances extraordinaires.
L'HÔTESSE. – J'en conviens.
LE MAÎTRE. – Et si nous suspendions un moment l'histoire de Mme de La Pommeraye...
L'HÔTESSE. – Cela ne se peut. Je raconte volontiers les aventures des autres, mais non pas les miennes. Sachez seulement que j'ai été élevée à Saint-Cyr20, où j'ai peu lu l'Évangile et beaucoup de romans. De l'abbaye royale à l'auberge que je tiens il y a loin.
LE MAÎTRE. – Il suffit ; prenez que je ne vous aie rien dit.
L'HÔTESSE. – Tandis que nos deux dévotes* édifiaient, et que la bonne odeur de leur piété et de la sainteté de leurs mœurs se répandait à la ronde, Mme de La Pommeraye observait avec le marquis les démonstrations extérieures de l'estime, de l'amitié, de la confiance la plus parfaite. Toujours bien venu, jamais ni grondé, ni boudé, même après de longues absences : il lui racontait toutes ses petites bonnes fortunes21, et elle paraissait s'en amuser franchement. Elle lui donnait ses conseils dans les occasions d'un succès difficile ; elle lui jetait quelquefois des mots de mariage, mais c'était d'un ton si désintéressé, qu'on ne pouvait la soupçonner de parler pour elle. Si le marquis lui adressait quelques-uns de ces propos tendres ou galants* dont on ne peut guère se dispenser avec une femme qu'on a connue, ou elle en souriait, ou elle les laissait tomber. À l'en croire, son cœur était paisible ; et, ce qu'elle n'aurait jamais imaginé, elle éprouvait qu'un ami tel que lui suffisait au bonheur de la vie ; et puis elle n'était plus de la première jeunesse, et ses goûts étaient bien émoussés.
« Quoi ! vous n'avez rien à me confier ?
– Non.
– Mais le petit comte, mon amie, qui vous pressait si vivement de mon règne ?
– Je lui ai fermé ma porte, et je ne le vois plus.
– C'est d'une bizarrerie ! Et pourquoi l'avoir éloigné ?
– C'est qu'il ne me plaît pas.
– Ah ! madame, je crois vous deviner : vous m'aimez encore.
– Cela se peut.
– Vous comptez sur un retour.
– Pourquoi non ?
– Et vous vous ménagez tous les avantages d'une conduite sans reproche.
– Je le crois.
– Et si j'avais le bonheur ou le malheur de reprendre, vous vous feriez au moins un mérite du silence que vous garderiez sur mes torts.
– Vous me croyez bien délicate et bien généreuse.
– Mon amie, après ce que vous avez fait, il n'est aucune sorte d'héroïsme dont vous ne soyez capable.
– Je ne suis pas trop fâchée que vous le pensiez.
– Ma foi, je cours le plus grand danger avec vous, j'en suis sûr. »
JACQUES. – Et moi aussi.
L'HÔTESSE. – Il y avait environ trois mois qu'ils en étaient au même point, lorsque Mme de La Pommeraye crut qu'il était temps de mettre en jeu ses grands ressorts. Un jour d'été qu'il faisait beau et qu'elle attendait le marquis à dîner*, elle fit dire à la d'Aisnon et à sa fille de se rendre au Jardin du Roi22. Le marquis vint ; on servit de bonne heure ; on dîna : on dîna gaiement. Après dîner, Mme de La Pommeraye propose une promenade au marquis, s'il n'avait rien de plus agréable à faire. Il n'y avait ce jour-là ni Opéra, ni comédie23 ; ce fut le marquis qui en fit la remarque ; et pour se dédommager d'un spectacle amusant par un spectacle utile, le hasard voulut que ce fut lui-même qui invita la marquise à aller voir le Cabinet du Roi24. Il ne fut pas refusé, comme vous pensez bien. Voilà les chevaux mis ; les voilà partis ; les voilà arrivés au Jardin du Roi ; et les voilà mêlés dans la foule, regardant tout, et ne voyant rien, comme les autres.
Lecteur, j'avais oublié de vous peindre le site25 des trois personnages dont il s'agit ici : Jacques, son maître et l'hôtesse ; faute de cette attention, vous les avez entendus parler, mais vous ne les avez point vus ; il vaut mieux tard que jamais. Le maître, à gauche, en bonnet de nuit, en robe de chambre, était étalé nonchalamment dans un grand fauteuil de tapisserie, son mouchoir jeté sur le bras du fauteuil, et sa tabatière à la main. L'hôtesse sur le fond, en face de la porte, proche la table, son verre devant elle. Jacques, sans chapeau, à sa droite, les deux coudes appuyés sur la table, et la tête penchée entre deux bouteilles : deux autres étaient à terre à côté de lui.
« Au sortir du Cabinet, le marquis et sa bonne amie se promenèrent dans le jardin. Ils suivaient la première allée qui est à droite en entrant, proche l'école des arbres, lorsque Mme de La Pommeraye fit un cri de surprise, en disant : “Je ne me trompe pas, je crois que ce sont elles ; oui, ce sont elles-mêmes.”
Aussitôt on quitte le marquis, et l'on s'avance à la rencontre de nos deux dévotes*. La d'Aisnon fille était à ravir sous ce vêtement simple, qui, n'attirant point le regard, fixe l'attention tout entière sur la personne.
“Ah ! c'est vous, madame ?
– Oui, c'est moi.
– Et comment vous portez-vous, et qu'êtes-vous devenue depuis une éternité ?
– Vous savez nos malheurs ; il a fallu s'y résigner, et vivre retirées comme il convenait à notre petite fortune ; sortir du monde*, quand on ne peut plus s'y montrer décemment.
– Mais, moi, me délaisser, moi qui ne suis pas du monde, et qui ai toujours de bon esprit de le trouver aussi maussade qu'il l'est !
– Un des inconvénients de l'infortune, c'est la méfiance qu'elle inspire : les indigents craignent d'être importuns.
– Vous, importunes pour moi ! ce soupçon est une bonne injure*.
– Madame, j'en suis tout à fait innocente, je vous ai rappelée dix fois à maman, mais elle me disait : Mme de La Pommeraye... personne, ma fille, ne pense plus à nous.
– Quelle injustice ! Asseyons-nous, nous causerons. Voilà M. le marquis des Arcis ; c'est mon ami ; et sa présence ne nous gênera pas. Comme mademoiselle est grandie ! comme elle est embellie depuis que nous ne nous sommes vues !
– Notre position a cela d'avantageux qu'elle nous prive de tout ce qui nuit à la santé : voyez son visage, voyez ses bras ; voilà ce qu'on doit à la vie frugale et réglée, au sommeil, au travail, à la bonne conscience ; et c'est quelque chose...”
On s'assit, on s'entretint d'amitié26. La d'Aisnon mère parla bien, la d'Aisnon fille parla peu. Le ton de la dévotion fut celui de l'une et de l'autre, mais avec aisance et sans pruderie. Longtemps avant la chute du jour nos deux dévotes* se levèrent. On leur représenta* qu'il était encore de bonne heure ; la d'Aisnon mère dit assez haut, à l'oreille de Mme de La Pommeraye, qu'elles avaient encore un exercice de piété à remplir, et qu'il leur était impossible de rester plus longtemps. Elles étaient déjà à quelque distance, lorsque Mme de La Pommeraye se reprocha de ne leur avoir pas demandé leur demeure, et de ne leur avoir pas appris la sienne : “C'est une faute, ajouta-t-elle, que je n'aurais pas commise autrefois.” Le marquis courut pour la réparer ; elles acceptèrent l'adresse de Mme de La Pommeraye, mais, quelles que furent les instances du marquis, il ne put obtenir la leur. Il n'osa pas leur offrir sa voiture, en avouant à Mme de La Pommeraye qu'il en avait été tenté.
Le marquis ne manqua pas de demander à Mme de La Pommeraye ce que c'étaient que ces deux femmes.
“Ce sont deux créatures plus heureuses que nous. Voyez la belle santé dont elles jouissent ! la sérénité qui règne sur leur visage ! l'innocence, la décence qui dictent leurs propos ! On ne voit point cela, on n'entend point cela dans nos cercles. Nous plaignons les dévots ; les dévots nous plaignent27 : et à tout prendre, je penche à croire qu'ils ont raison.
– Mais, marquise, est-ce que vous seriez tentée de devenir dévote ?
– Pourquoi pas ?
– Prenez-y garde, je ne voudrais pas que notre rupture, si c'en est une, vous menât jusque-là.
– Et vous aimeriez mieux que je rouvrisse ma porte au petit comte ?
– Beaucoup mieux.
– Et vous me le conseilleriez ?
– Sans balancer*...”
Mme de La Pommeraye dit au marquis ce qu'elle savait du nom, de la province, du premier état* et du procès des deux dévotes, y mettant tout l'intérêt et tout le pathétique possible, puis elle ajouta : “Ce sont deux femmes d'un mérite rare, la fille surtout. Vous concevez qu'avec une figure comme la sienne on ne manque de rien ici quand on veut en faire ressource ; mais elles ont préféré une honnête* modicité à une aisance honteuse ; ce qui leur reste est si mince, qu'en vérité je ne sais comment elles font pour subsister. Cela travaille nuit et jour. Supporter l'indigence quand on y est né, c'est ce qu'une multitude d'hommes savent faire ; mais passer de l'opulence au plus étroit nécessaire, s'en contenter, y trouver la félicité, c'est ce que je ne comprends pas. Voilà à quoi sert la religion. Nos philosophes* auront beau dire, la religion est une bonne chose.
– Surtout pour les malheureux.
– Et qui est-ce qui ne l'est pas plus ou moins ?
– Je veux mourir si vous ne devenez dévote.
– Le grand malheur ! Cette vie est si peu de chose quand on la compare à une éternité à venir !
– Mais vous parlez déjà comme un missionnaire.
– Je parle comme une femme persuadée. Là, marquis, répondez-moi vrai ; toutes nos richesses ne seraient-elles pas de bien pauvres guenilles à nos yeux, si nous étions plus pénétrés de l'attente des biens et de la crainte des peines d'une autre vie ? Corrompre une jeune fille ou une femme attachée à son mari, avec la croyance qu'on peut mourir entre ses bras, et tomber tout à coup dans des supplices sans fin, convenez que ce serait le plus incroyable délire.
– Cela se fait pourtant tous les jours.
– C'est qu'on n'a point de foi, c'est qu'on s'étourdit.
– C'est que nos opinions religieuses ont peu d'influence sur nos mœurs. Mais, mon amie, je vous jure que vous vous acheminez à toutes jambes au confessionnal.
– C'est bien ce que je pourrais faire de mieux.
– Allez, vous êtes folle ; vous avez encore une vingtaine d'années de jolis péchés à faire : n'y manquez pas ; ensuite vous vous en repentirez, et vous irez vous en vanter aux pieds du prêtre, si cela vous convient... Mais voilà une conversation d'un tour bien sérieux ; votre imagination se noircit furieusement*, et c'est l'effet de cette abominable solitude où vous vous êtes renfoncée. Croyez-moi, rappelez au plus tôt le petit comte, vous ne verrez plus ni diable, ni enfer, et vous serez charmante comme auparavant. Vous craignez que je vous le reproche si nous nous raccommodons jamais ; mais d'abord nous ne nous raccommoderons peut-être pas ; et par une appréhension bien ou mal fondée, vous vous privez du plaisir le plus doux ; et, en vérité, l'honneur de valoir mieux que moi ne vaut pas ce sacrifice.
– Vous dites bien vrai, aussi n'est-ce pas là ce qui me retient...”
Ils dirent encore beaucoup d'autres choses que je ne me rappelle pas.
JACQUES. – Notre hôtesse, buvons un coup : cela rafraîchit la mémoire.
L'HÔTESSE. – Buvons un coup... Après quelques tours d'allées, Mme de La Pommeraye et le marquis remontèrent en voiture. Mme de La Pommeraye dit : “Comme cela me vieillit ! Quand cela vint à Paris, cela n'était pas plus haut qu'un chou.
– Vous parlez de la fille de cette dame que nous avons trouvée à la promenade ?
– Oui. C'est comme dans un jardin où les roses fanées font place aux roses nouvelles. L'avez-vous regardée ?
– Je n'y ai pas manqué.
– Comment la trouvez-vous ?
– C'est la tête d'une vierge de Raphaël sur le corps de sa Galatée28 ; et puis une douceur dans la voix !
– Une modestie dans le regard !
– Une bienséance dans le maintien !
– Une décence dans le propos qui ne m'a frappée dans aucune fille comme dans celle-là. Voilà l'effet de l'éducation.
– Lorsqu'il est préparé par un beau naturel.”
Le marquis déposa Mme de La Pommeraye à sa porte ; et Mme de La Pommeraye n'eut rien de plus pressé que de témoigner à nos deux dévotes* combien elle était satisfaite de la manière dont elles avaient rempli leur rôle.
JACQUES. – Si elles continuent comme elles ont débuté, monsieur le marquis des Arcis, fussiez-vous le diable, vous ne vous en tirerez pas.
LE MAÎTRE. – Je voudrais bien savoir quel est leur projet.
JACQUES. – Moi, j'en serais bien fâché : cela gâterait tout.
L'HÔTESSE. – De ce jour, le marquis devint plus assidu chez Mme de La Pommeraye, qui s'en aperçut sans lui en demander la raison. Elle ne lui parlait jamais la première des deux dévotes* ; elle attendait qu'il entamât ce texte* : ce que le marquis faisait toujours d'impatience et avec une indifférence mal simulée.
LE MARQUIS. – Avez-vous vu vos amies ?
MME DE LA POMMERAYE. – Non.
LE MARQUIS. – Savez-vous que cela n'est pas trop bien ? Vous êtes riche : elles sont dans le malaise ; et vous ne les invitez pas même à manger quelquefois !
MME DE LA POMMERAYE. – Je me croyais un peu mieux connue de monsieur le marquis. L'amour autrefois me prêtait des vertus ; aujourd'hui l'amitié me prête des défauts. Je les ai invitées dix fois sans avoir pu les obtenir une. Elles refusent de venir chez moi, par des idées singulières ; et quand je les visite, il faut que je laisse mon carrosse à l'entrée de la rue et que j'aille en déshabillé, sans rouge29 et sans diamants. Il ne faut pas trop s'étonner de leur circonspection : un faux rapport suffirait pour aliéner l'esprit d'un certain nombre de personnes bienfaisantes et les priver de leurs secours. Marquis, le bien apparemment coûte beaucoup à faire.
LE MARQUIS. – Surtout aux dévots*.
MME DE LA POMMERAYE. – Puisque le plus léger prétexte suffit pour les en dispenser. Si l'on savait que j'y prends intérêt, bientôt on dirait : Mme de La Pommeraye les protège : elles n'ont besoin de rien... Et voilà les charités supprimées.
LE MARQUIS. – Les charités ?
MME DE LA POMMERAYE. – Oui, monsieur, les charités !
LE MARQUIS. – Vous les connaissez, et elles en sont aux charités ?
MME DE LA POMMERAYE. – Encore une fois, marquis, je vois bien que vous ne m'aimez plus, et qu'une partie de votre estime s'en est allée avec votre tendresse. Et qui est-ce qui vous a dit que, si ces femmes étaient dans le besoin des aumônes de la paroisse, c'était de ma faute ?
LE MARQUIS. – Pardon, madame, mille pardons, j'ai tort. Mais quelle raison de se refuser à la bienveillance d'une amie ?
MME DE LA POMMERAYE. – Ah ! marquis, nous sommes bien loin, nous autres gens du monde*, de connaître les délicatesses scrupuleuses des âmes timorées30. Elles ne croient pas pouvoir accepter les secours de toute personne indistinctement.
LE MARQUIS. – C'est nous ôter le meilleur moyen d'expier nos folles dissipations.
MME DE LA POMMERAYE. – Point du tout. Je suppose, par exemple, que monsieur le marquis des Arcis fût touché de compassion pour elles ; que ne fait-il passer ces secours par des mains plus dignes ?
LE MARQUIS. – Et moins sûres.
MME DE LA POMMERAYE. – Cela se peut.
LE MARQUIS. – Dites-moi, si je leur envoyais une vingtaine de louis*, croyez-vous qu'elles les refuseraient ?
MME DE LA POMMERAYE. – J'en suis sûre ; et ce refus vous semblerait déplacé dans une mère qui a un enfant charmant ?
LE MARQUIS. – Savez-vous que j'ai été tenté de les aller voir ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je le crois. Marquis, marquis, prenez garde à vous ; voilà un mouvement de compassion bien subit et bien suspect.
LE MARQUIS. – Quoi qu'il en soit, m'auraient-elles reçu ?
MME DE LA POMMERAYE. – Non certes ! Avec l'éclat de votre voiture, de vos habits, de vos gens et les charmes de la jeune personne, il n'en fallait pas davantage pour apprêter au caquet31 des voisins, des voisines et les perdre.
LE MARQUIS. – VOUS me chagrinez ; car, certes, ce n'était pas mon dessein. Il faut donc renoncer à les secourir et à les voir ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je le crois.
LE MARQUIS. – Mais si je leur faisais passer mes secours par votre moyen ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je ne crois pas ces secours-là assez purs pour m'en charger.
LE MARQUIS. – Voilà qui est cruel !
MME DE LA POMMERAYE. – Oui, cruel : c'est le mot.
LE MARQUIS. – Quelle vision ! marquise, vous vous moquez. Une jeune fille que je n'ai jamais vue qu'une fois...
MME DE LA POMMERAYE. – Mais du petit nombre de celles qu'on n'oublie pas quand on les a vues.
LE MARQUIS. – Il est vrai que ces figures-là vous suivent.
MME DE LA POMMERAYE. – Marquis, prenez garde à vous ; vous vous préparez des chagrins ; et j'aime mieux avoir à vous en garantir que d'avoir à vous en consoler. N'allez pas confondre celle-ci avec celles que vous avez connues : cela ne se ressemble pas ; on ne les tente pas, on ne les séduit pas, on n'en approche pas, elles n'écoutent pas, on n'en vient pas à bout.
Après cette conversation, le marquis se rappela tout à coup qu'il avait une affaire pressée ; il se leva brusquement et sortit soucieux.
Pendant un assez long intervalle de temps, le marquis ne passa presque pas un jour sans voir Mme de La Pommeraye ; mais il arrivait, il s'asseyait, il gardait le silence ; Mme de La Pommeraye parlait seule ; le marquis, au bout d'un quart d'heure, se levait et s'en allait.
Il fit ensuite une éclipse de près d'un mois, après laquelle il reparut ; mais triste, mais mélancolique*, mais défait. La marquise, en le voyant, lui dit : “Comme vous voilà fait ! d'où sortez-vous ? Est-ce que vous avez passé tout ce temps en petite maison32 ?
LE MARQUIS. – Ma foi, à peu près. De désespoir, je me suis précipité dans un libertinage* affreux.
MME DE LA POMMERAYE. – Comment ! de désespoir ?
LE MARQUIS. – Oui, de désespoir...”
Après ce mot, il se mit à se promener en long et en large sans mot dire ; il allait aux fenêtres, il regardait le ciel, il s'arrêtait devant Mme de La Pommeraye ; il allait à la porte, il appelait ses gens à qui il n'avait rien à dire ; il les renvoyait ; il rentrait ; il revenait à Mme de La Pommeraye, qui travaillait sans l'apercevoir ; il voulait parler, il n'osait ; enfin Mme de La Pommeraye en eut pitié, et lui dit : “Qu'avez-vous ? On est un mois sans vous voir ; vous reparaissez avec un visage de déterré et vous rôdez comme une âme en peine.
LE MARQUIS. – Je n'y puis plus tenir, il faut que je vous dise tout. J'ai été vivement frappé de la fille de votre amie ; j'ai tout, mais tout fait pour l'oublier ; et plus j'ai fait, plus je m'en suis souvenu. Cette créature angélique m'obsède ; rendez-moi un service important.
MME DE LA POMMERAYE. – Quel ?
LE MARQUIS. – Il faut absolument que je la revoie et que je vous en aie l'obligation. J'ai mis mes grisons33 en campagne. Toute leur venue, toute leur allée est de chez elles à l'église et de l'église chez elles. Dix fois je me suis présenté à pied sur leur chemin ; elles ne m'ont seulement pas aperçu ; je me suis planté sur leur porte inutilement. Elles m'ont d'abord rendu libertin* comme un sapajou34, puis dévot* comme un ange ; je n'ai pas manqué la messe une fois depuis quinze jours. Ah ! mon amie, quelle figure ! qu'elle est belle !...”
Mme de La Pommeraye savait tout cela. “C'est-à-dire, répondit-elle au marquis, qu'après avoir tout mis en œuvre pour guérir, vous n'avez rien omis pour devenir fou, et que c'est le dernier parti qui vous a réussi ?
LE MARQUIS. – Et réussi, je ne saurais vous exprimer à quel point. N'aurez-vous pas compassion de moi et ne vous devrai-je pas le bonheur de la revoir ?
MME DE LA POMMERAYE. – La chose est difficile, et je m'en occuperai, mais à une condition : c'est que vous laisserez ces infortunées en repos et que vous cesserez de les tourmenter. Je ne vous cèlerai point qu'elles m'ont écrit de votre persécution avec amertume, et voilà leur lettre...”
La lettre qu'on donnait à lire au marquis avait été concertée entre elles. C'était la d'Aisnon fille qui paraissait l'avoir écrite par ordre de sa mère : et l'on y avait mis, d'honnête*, de doux, de touchant, d'élégance et d'esprit, tout ce qui pouvait renverser la tête du marquis. Aussi en accompagnait-il chaque mot d'une exclamation ; pas une phrase qu'il ne relût ; il pleurait de joie ; il disait à Mme de La Pommeraye : “Convenez donc, madame, qu'on n'écrit pas mieux que cela.
MME DE LA POMMERAYE. – J'en conviens.
LE MARQUIS. – Et qu'à chaque ligne on se sent pénétré d'admiration et de respect pour des femmes de ce caractère !
MME DE LA POMMERAYE. – Cela devrait être.
LE MARQUIS. – Je vous tiendrai ma parole ; mais songez, je vous en supplie, à ne pas manquer à la vôtre.
MME DE LA POMMERAYE. – En vérité, marquis, je suis aussi folle que vous. Il faut que vous ayez conservé un terrible empire35 sur moi ; cela m'effraye.
LE MARQUIS. – Quand la verrai-je ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je n'en sais rien. Il faut s'occuper premièrement du moyen d'arranger la chose, et d'éviter tout soupçon. Elles ne peuvent ignorer vos vues ; voyez la couleur que ma complaisance aurait à leurs yeux, si elles s'imaginaient que j'agis de concert avec vous... Mais, marquis, entre nous, qu'ai-je besoin de cet embarras-là ? Que m'importe que vous aimiez, que vous n'aimiez pas ? que vous extravaguiez ? Démêlez votre fusée36 vous-même. Le rôle que vous me faites faire est aussi trop singulier.
LE MARQUIS. – Mon amie, si vous m'abandonnez, je suis perdu ! Je ne vous parlerai point de moi, puisque je vous offenserais ; mais je vous conjurerai par ces intéressantes et dignes créatures qui vous sont si chères ; vous me connaissez, épargnez-leur toutes les folies dont je suis capable. J'irai chez elles ; oui, j'irai, je vous en préviens ; je forcerai leur porte, j'entrerai malgré elles, je m'asseyerai, je ne sais ce que je dirai, ce que je ferai ; car que n'avez-vous point à craindre de l'état violent où je suis ?...”
Vous remarquerez, messieurs, dit l'hôtesse, que depuis le commencement de cette aventure jusqu'à ce moment, le marquis des Arcis n'avait pas dit un mot qui ne fût un coup de poignard dirigé au cœur de Mme de La Pommeraye. Elle étouffait d'indignation et de rage ; aussi répondit-elle au marquis, d'une voix tremblante et entrecoupée :
“Mais vous avez raison. Ah ! si j'avais été aimée comme cela, peut-être que... Passons là-dessus... Ce n'est pas pour vous que j'agirai, mais je me flatte du moins, monsieur le marquis, que vous me donnerez du temps.
LE MARQUIS. – Le moins, le moins que je pourrai.”
JACQUES. – Ah ! notre hôtesse, quel diable de femme ! Lucifer n'est pas pire. J'en tremble : et il faut que je boive un coup pour me rassurer... Est-ce que vous me laisserez boire tout seul ?
L'HÔTESSE. – Moi, je n'ai pas peur... Mme de La Pommeraye disait : “Je souffre, mais je ne souffre pas seule. Cruel homme ! j'ignore quelle sera la durée de mon tourment ; mais j'éterniserai le tien...” Elle tint le marquis près d'un mois dans l'attente de l'entrevue qu'elle avait promise, c'est-à-dire qu'elle lui laissa tout le temps de pâtir37, de se bien enivrer, et que sous prétexte d'adoucir la longueur du délai, elle lui permit de l'entretenir de sa passion.
LE MAÎTRE. – Et de la fortifier en en parlant.
JACQUES. – Quelle femme ! quel diable de femme ! Notre hôtesse, ma frayeur redouble.
L'HÔTESSE. – Le marquis venait donc tous les jours causer avec Mme de La Pommeraye, qui achevait de l'irriter, de l'endurcir et de le perdre par les discours les plus artificieux. Il s'informait de la patrie, de la naissance, de l'éducation, de la fortune et du désastre de ces femmes ; il y revenait sans cesse, et ne se croyait jamais assez instruit et touché. La marquise lui faisait remarquer le progrès de ses sentiments, et lui en familiarisait le terme, sous prétexte de lui en inspirer de l'effroi. “Marquis, lui disait-elle, prenez-y garde, cela vous mènera loin ; il pourrait arriver un jour que mon amitié, dont vous faites un étrange abus, ne m'excusât ni à mes yeux ni aux vôtres. Ce n'est pas que tous les jours on ne fasse de plus grandes folies. Marquis, je crains fort que vous n'obteniez cette fille qu'à des conditions qui, jusqu'à présent, n'ont pas été de votre goût.”
Lorsque Mme de La Pommeraye crut le marquis bien préparé pour le succès de son dessein, elle arrangea avec les deux femmes qu'elles viendraient dîner* chez elle ; et avec le marquis que, pour leur donner le change, il les surprendrait en habit de campagne : ce qui fut exécuté.
On en était au second service lorsqu'on annonça le marquis. Le marquis, Mme de La Pommeraye et les deux d'Aisnon, jouèrent supérieurement l'embarras. “Madame, dit-il à Mme de La Pommeraye, j'arrive de ma terre ; il est trop tard pour aller chez moi où l'on ne m'attend que ce soir, et je me suis flatté que vous ne me refuseriez pas à dîner...” Et tout en parlant, il avait pris une chaise, et s'était mis à table. On avait disposé le couvert de manière qu'il se trouvât à côté de la mère et en face de la fille. Il remercia d'un clin d'œil Mme de La Pommeraye de cette attention délicate. Après le trouble du premier instant, nos deux dévotes* se rassurèrent. On causa, on fut même gai. Le marquis fut de la plus grande attention pour la mère, et de la politesse la plus réservée pour la fille. C'était un amusement secret bien plaisant pour ces trois femmes, que le scrupule du marquis à ne rien dire, à ne se rien permettre qui pût les effaroucher. Elles eurent l'inhumanité de le faire parler dévotion pendant trois heures de suite, et Mme de La Pommeraye lui disait : “Vos discours font merveilleusement l'éloge de vos parents ; les premières leçons qu'on en reçoit ne s'effacent jamais. Vous entendez toutes les subtilités de l'amour divin, comme si vous n'aviez été qu'à saint François de Sales38 pour toute nourriture. N'auriez-vous pas été un peu quiétiste39 ?
– Je ne m'en souviens plus...”
Il est inutile de dire que nos dévotes* mirent dans la conversation tout ce qu'elles avaient de grâces, d'esprit, de séduction et de finesse. On toucha en passant le chapitre des passions, et Mlle Duquênoi (c'était son nom de famille) prétendit qu'il n'y en avait qu'une seule de dangereuse. Le marquis fut de son avis. Entre les six et sept heures, les deux femmes se retirèrent, sans qu'il fût possible de les arrêter ; Mme de La Pommeraye prétendant avec Mme Duquênoi qu'il fallait aller de préférence à son devoir, sans quoi il n'y aurait presque point de journée dont la douceur ne fût altérée par le remords. Les voilà parties au grand regret du marquis, et le marquis en tête à tête avec Mme de La Pommeraye.
MME DE LA POMMERAYE. – Eh bien ! marquis, ne faut-il pas que je sois bien bonne ? Trouvez-moi à Paris une autre femme qui en fasse autant.
LE MARQUIS, en se jetant à ses genoux. J'en conviens ; il n'y en a pas une qui vous ressemble. Votre bonté me confond : vous êtes la seule véritable amie qu'il y ait au monde.
MME DE LA POMMERAYE. – Êtes-vous bien sûr de sentir toujours également le prix de mon procédé ?
LE MARQUIS. – Je serais un monstre d'ingratitude, si j'en rabattais.
MME DE LA POMMERAYE. – Changeons de texte*. Quel est l'état de votre cœur ?
LE MARQUIS. – Faut-il vous l'avouer franchement ? Il faut que j'aie cette fille-là, ou que j'en périsse.
MME DE LA POMMERAYE. – VOUS l'aurez sans doute, mais il faut savoir comme quoi.
LE MARQUIS. – Nous verrons.
MME DE LA POMMERAYE. – Marquis, marquis, je vous connais, je les connais : tout est vu.
Le marquis fut environ deux mois sans se montrer chez Mme de La Pommeraye ; et voici ses démarches dans cet intervalle. Il fit connaissance avec le confesseur de la mère et de la fille. C'était un ami du petit abbé dont je vous ai parlé. Ce prêtre, après avoir mis toutes les difficultés hypocrites qu'on peut apporter à une intrigue malhonnête*, et vendu le plus chèrement qu'il fut possible la sainteté de son ministère, se prêta à tout ce que le marquis voulut.
La première scélératesse de l'homme de Dieu, ce fut d'aliéner la bienveillance du curé, et de lui persuader que ces deux protégées de Mme de La Pommeraye obtenaient de la paroisse une aumône dont elles privaient des indigents plus à plaindre qu'elles. Son but était de les amener à ses vues par la misère.
Ensuite il travailla au tribunal de la confession à jeter la division entre la mère et la fille. Lorsqu'il entendait la mère se plaindre de sa fille, il aggravait les torts de celle-ci, et irritait le ressentiment de l'autre. Si c'était la fille qui se plaignît de sa mère, il lui insinuait que la puissance des pères et mères sur leurs enfants était limitée, et que, si la persécution de sa mère était poussée jusqu'à un certain point, il ne serait peut-être pas impossible de la soustraire à une autorité tyrannique. Puis il lui donnait pour pénitence de revenir à confesse.
Une autre fois il lui parlait de ses charmes, mais lestement* : c'était un des plus dangereux présents que Dieu pût faire à une femme ; de l'impression qu'en avait éprouvée un honnête* homme qu'il ne nommait pas, mais qui n'était pas difficile à deviner. Il passait de là à la miséricorde infinie du ciel et à son indulgence pour des fautes que certaines circonstances nécessitaient ; à la faiblesse de la nature, dont chacun trouve l'excuse en soi-même ; à la violence et à la généralité de certains penchants, dont les hommes les plus saints n'étaient pas exempts. Il lui demandait ensuite si elle n'avait point de désirs, si le tempérament ne lui parlait pas en rêves, si la présence des hommes ne la troublait pas. Ensuite, il agitait la question si une femme devait céder ou résister à un homme passionné, et laisser mourir et damner celui pour qui le sang de Jésus-Christ a été versé : et il n'osait la décider. Puis il poussait de profonds soupirs ; il levait les yeux au ciel, il priait pour la tranquillité des âmes en peine... La jeune fille le laissait aller. Sa mère et Mme de La Pommeraye, à qui elle rendait fidèlement les propos du directeur*, lui suggéraient des confidences qui toutes tendaient à l'encourager.
JACQUES. – Votre Mme de La Pommeraye est une méchante femme.
LE MAÎTRE. – Jacques, c'est bientôt dit. Sa méchanceté, d'où lui vient-elle ? Du marquis des Arcis. Rends celui-ci tel qu'il avait juré et qu'il devait être, et trouve-moi quelque défaut dans Mme de La Pommeraye. Quand nous serons en route, tu l'accuseras, et je me chargerai de la défendre. Pour ce prêtre, vil et séducteur, je te l'abandonne.
JACQUES. – C'est un si méchant homme, que je crois que de cette affaire-ci je n'irai plus à confesse. Et vous, notre hôtesse ?
L'HÔTESSE. – Pour moi je continuerai mes visites à mon vieux curé, qui n'est pas curieux, et qui n'entend que ce qu'on lui dit.
JACQUES. – Si nous buvions à la santé de votre curé ?
L'HÔTESSE. – Pour cette fois-ci je vous ferai raison ; car c'est un bon homme* qui, les dimanches et jours de fêtes, laisse danser les filles et les garçons, et qui permet aux hommes et aux femmes de venir chez moi, pourvu qu'ils n'en sortent pas ivres. À mon curé !
JACQUES. – À votre curé.
L'HÔTESSE. – Nos femmes ne doutaient pas qu'incessamment l'homme de Dieu ne hasardât de remettre une lettre à sa pénitente : ce qui fut fait ; mais avec quel ménagement ! Il ne savait de qui elle était ; il ne doutait point que ce ne fût de quelque âme bienfaisante et charitable qui avait découvert leur misère, et qui leur proposait des secours ; il en remettait assez souvent de pareilles. “Au demeurant vous êtes sage, madame votre mère est prudente, et j'exige que vous ne l'ouvriez qu'en sa présence.” Mlle Duquênoi accepta la lettre et la remit à sa mère, qui la fit passer sur-le-champ à Mme de La Pommeraye. Celle-ci, munie de ce papier, fit venir le prêtre, l'accabla des reproches qu'il méritait, et le menaça de le déférer à ses supérieurs, si elle entendait encore parler de lui.
Dans cette lettre, le marquis s'épuisait en éloges de sa propre personne, en éloges de Mlle Duquênoi ; peignait sa passion aussi violente qu'elle l'était, et proposait des conditions fortes, même un enlèvement.
Après avoir fait la leçon au prêtre, Mme de La Pommeraye appela le marquis chez elle ; lui représenta* combien sa conduite était peu digne d'un galant* homme ; jusqu'où elle pouvait être compromise ; lui montra sa lettre, et protesta* que, malgré la tendre amitié qui les unissait, elle ne pouvait se dispenser de la produire au tribunal des lois, ou de la remettre à Mme Duquênoi, s'il arrivait quelque aventure éclatante à sa fille. “Ah ! marquis, lui dit-elle, l'amour vous corrompt ; vous êtes mal né, puisque le faiseur de grandes choses ne vous en inspire que d'avilissantes. Et que vous ont fait ces pauvres femmes, pour ajouter l'ignominie à la misère ? Faut-il que, parce que cette fille est belle, et veut rester vertueuse, vous en deveniez le persécuteur ? Est-ce à vous à lui faire détester un des plus beaux présents du ciel ? Par où ai-je mérité, moi, d'être votre complice ? Allons, marquis, jetez-vous à mes pieds, demandez-moi pardon, et faites serment de laisser mes tristes amies en repos.” Le marquis lui promit de ne plus rien entreprendre sans son aveu* ; mais qu'il fallait qu'il eût cette fille à quelque prix que ce fût.
Le marquis ne fut point du tout fidèle à sa parole. La mère était instruite ; il ne balança* pas à s'adresser à elle. Il avoua le crime de son projet ; il offrit une somme considérable, des espérances que le temps pourrait amener ; et sa lettre fut accompagnée d'un écrin de riches pierreries.
Les trois femmes tinrent conseil. La mère et la fille inclinaient à accepter ; mais ce n'était pas là le compte de Mme de La Pommeraye. Elle revint sur la parole qu'on lui avait donnée ; elle menaça de tout révéler ; et au grand regret de nos deux dévotes*, dont la jeune détacha de ses oreilles des girandoles40 qui lui allaient si bien, l'écrin et la lettre furent renvoyés avec une réponse pleine de fierté et d'indignation.
Mme de La Pommeraye se plaignit au marquis du peu de fond qu'il y avait à faire sur ses promesses. Le marquis s'excusa sur l'impossibilité de lui proposer une commission si indécente. “Marquis, marquis, lui dit Mme de La Pommeraye, je vous ai déjà prévenu, et je vous le répète : vous n'en êtes pas où vous voudriez ; mais il n'est plus temps de vous prêcher, ce seraient paroles perdues : il n'y a plus de ressources.”
Le marquis avoua qu'il le pensait comme elle, et lui demanda la permission de faire une dernière tentative ; c'était d'assurer des rentes considérables sur les deux têtes, de partager sa fortune avec les deux femmes, et de les rendre propriétaires à vie d'une de ses maisons à la ville, et d'une autre à la campagne. “Faites, lui dit la marquise ; je n'interdis que la violence ; mais croyez, mon ami, que l'honneur et la vertu, quand elle est vraie, n'ont point de prix aux yeux de ceux qui ont le bonheur de les posséder. Vos nouvelles offres ne réussiront pas mieux que les précédentes : je connais ces femmes et j'en ferais la gageure*.”
Les nouvelles propositions sont faites. Autre conciliabule des trois femmes. La mère et la fille attendaient en silence la décision de Mme de La Pommeraye. Celle-ci se promena un moment sans parler. “Non, non, dit-elle, cela ne suffit pas à mon cœur ulcéré.” Et aussitôt elle prononça le refus ; et aussitôt ces deux femmes fondirent en larmes, se jetèrent à ses pieds, et lui représentèrent* combien il était affreux pour elles de repousser une fortune immense, qu'elles pouvaient accepter sans aucune fâcheuse conséquence. Mme de La Pommeraye leur répondit sèchement : “Est-ce que vous imaginez que ce que je fais, je le fais pour vous ? Qui êtes-vous ? Que vous dois-je ? À quoi tient-il que je ne vous renvoie l'une et l'autre à votre tripot ? Si ce que l'on vous offre est trop pour vous, c'est trop peu pour moi. Écrivez, madame, la réponse que je vais vous dicter, et qu'elle parte sous mes yeux.” Ces femmes s'en retournèrent encore plus effrayées qu'affligées.
JACQUES. – Cette femme a le diable au corps, et que veut-elle donc ? Quoi ! un refroidissement d'amour n'est pas assez puni par le sacrifice de la moitié d'une grande fortune ?
LE MAÎTRE. – Jacques, vous n'avez jamais été femme, encore moins honnête* femme, et vous jugez d'après votre caractère qui n'est pas celui de Mme de La Pommeraye ! Veux-tu que je te dise ? J'ai bien peur que le mariage du marquis des Arcis et d'une catin ne soit écrit là-haut.
JACQUES. – S'il est écrit là-haut, il se fera.
L'HÔTESSE. – Le marquis ne tarda pas à reparaître chez Mme de La Pommeraye. “Eh bien, lui dit-elle, vos nouvelles offres ?
LE MARQUIS. – Faites et rejetées. J'en suis désespéré. Je voudrais arracher cette malheureuse passion de mon cœur ; je voudrais m'arracher le cœur, et je ne saurais. Marquise, regardez-moi ; ne trouvez-vous pas qu'il y a entre cette jeune fille et moi quelques traits de ressemblance ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je ne vous en avais rien dit ; mais je m'en étais aperçue. Il ne s'agit pas de cela : que résolvez-vous ?
LE MARQUIS. – Je ne puis me résoudre à rien. Il me prend des envies de me jeter dans une chaise de poste*, et de courir tant que terre me portera ; un moment après la force m'abandonne ; je suis comme anéanti, ma tête s'embarrasse : je deviens stupide, et ne sais que devenir.
MME DE LA POMMERAYE. – Je ne vous conseille pas de voyager ; ce n'est pas la peine d'aller jusqu'à Villejuif41 pour revenir.”
Le lendemain, le marquis écrivit à la marquise qu'il partait pour sa campagne42 ; qu'il y resterait tant qu'il pourrait, et qu'il la suppliait de le servir auprès de ses amies, si l'occasion s'en présentait ; son absence fut courte : il revint avec la résolution d'épouser.
JACQUES. – Ce pauvre marquis me fait pitié.
LE MAÎTRE. – Pas trop à moi.
L'HÔTESSE. – Il descendit à la porte de Mme de La Pommeraye. Elle était sortie. En rentrant elle trouva le marquis étendu dans un fauteuil, les yeux fermés, et absorbé dans la plus profonde rêverie. “Ah ! marquis, vous voilà ? la campagne n'a pas eu de longs charmes pour vous.
– Non, lui répondit-il, je ne suis bien nulle part, et j'arrive déterminé à la plus haute sottise qu'un homme de mon état*, de mon âge et de mon caractère puisse faire. Mais il vaut mieux épouser que de souffrir. J'épouse.
MME DE LA POMMERAYE. – Marquis, l'affaire est grave, et demande de la réflexion.
LE MARQUIS. – Je n'en ai fait qu'une, mais elle est solide : c'est que je ne puis jamais être plus malheureux que je le suis.
MME DE LA POMMERAYE. – Vous pourriez vous tromper.
JACQUES. – La traîtresse !
LE MARQUIS. – Voici donc enfin, mon amie, une négociation dont je puis, ce me semble, vous charger honnêtement*. Voyez la mère et la fille ; interrogez la mère, sondez le cœur de la fille, et dites-leur mon dessein.
MME DE LA POMMERAYE. – Tout doucement, marquis. J'ai cru les connaître assez pour ce que j'en avais à faire ; mais à présent qu'il s'agit du bonheur de mon ami, il me permettra d'y regarder de plus près. Je m'informerai dans leur province, et je vous promets de les suivre pas à pas pendant toute la durée de leur séjour à Paris.
LE MARQUIS. – Ces précautions me semblent assez superflues. Des femmes dans la misère, qui résistent aux appâts que je leur ai tendus, ne peuvent être que les créatures les plus rares. Avec mes offres, je serais venu à bout d'une duchesse. D'ailleurs, ne m'avez-vous pas dit vous-même...
MME DE LA POMMERAYE. – Oui, j'ai dit tout ce qu'il vous plaira ; mais avec tout cela, permettez que je me satisfasse.”
JACQUES. – La chienne ! la coquine ! l'enragée ! et pourquoi aussi s'attacher à une pareille femme ?
LE MAÎTRE. – Et pourquoi aussi la séduire et s'en détacher ?
L'HÔTESSE. – Pourquoi cesser de l'aimer sans rime ni raison ?
JACQUES, montrant le ciel du doigt. – Ah ! mon maître !
LE MARQUIS. – Pourquoi, marquise, ne vous mariez-vous pas aussi ?
MME DE LA POMMERAYE. – À qui, s'il vous plaît ?
LE MARQUIS. – Au petit comte ; il a de l'esprit, de la naissance, de la fortune.
MME DE LA POMMERAYE. – Et qui est-ce qui me répondra de sa fidélité ? C'est vous peut-être !
LE MARQUIS. – Non ; mais il me semble qu'on se passe aisément de la fidélité d'un mari.
MME DE LA POMMERAYE. – D'accord ; mais si le mien m'était infidèle, je serais peut-être assez bizarre pour m'en offenser ; et je suis vindicative.
LE MARQUIS. – Eh bien ! vous vous vengeriez, cela s'en va sans dire. C'est que nous prendrions un hôtel43 commun, et que nous formerions tous quatre la plus agréable société.
MME DE LA POMMERAYE. – Tout cela est fort beau ; mais je ne me marie pas. Le seul homme que j'aurais peut-être été tentée d'épouser...
LE MARQUIS. – C'est moi ?
MME DE LA POMMERAYE. – Je puis vous l'avouer à présent sans conséquence.
LE MARQUIS. – Et pourquoi ne me l'avoir pas dit ?
MME DE LA POMMERAYE. – Par l'événement, j'ai bien fait. Celle que vous allez avoir vous convient de tout point mieux que moi.
L'HÔTESSE. – Mme de La Pommeraye mit à ses informations toute l'exactitude et la célérité qu'elle voulut. Elle produisit au marquis les attestations les plus flatteuses ; il y en avait de Paris, il y en avait de la province. Elle exigea du marquis encore une quinzaine, afin qu'il s'examinât derechef*. Cette quinzaine lui parut éternelle ; enfin la marquise fut obligée de céder à son impatience et à ses prières. La première entrevue se fait chez ses amies ; on y convient de tout, les bans se publient ; le contrat se passe ; le marquis fait présent à Mme de La Pommeraye d'un superbe diamant, et le mariage est consommé.
JACQUES. – Quelle trame44 et quelle vengeance !
LE MAÎTRE. – Elle est incompréhensible.
JACQUES. – Délivrez-moi du souci de la première nuit des noces, et jusqu'à présent je n'y vois pas un grand mal.
LE MAÎTRE. – Tais-toi, nigaud.
L'HÔTESSE. – La nuit des noces se passa fort bien.
JACQUES. – Je croyais...
L'HÔTESSE. – Croyez à ce que votre maître vient de vous dire... » Et en parlant ainsi elle souriait, et en souriant, elle passait sa main sur le visage de Jacques, et lui serrait le nez... « Mais ce fut le lendemain...
JACQUES. – Le lendemain, ne fut-ce pas comme la veille ?
L'HÔTESSE. – Pas tout à fait. Le lendemain, Mme de La Pommeraye écrivit au marquis un billet qui l'invitait à se rendre chez elle au plus tôt, pour affaire importante. Le marquis ne se fit pas attendre.
On le reçut avec un visage où l'indignation se peignait dans toute sa force ; le discours45 qu'on lui tint ne fut pas long ; le voici : “Marquis, lui dit-elle, apprenez à me connaître. Si les autres femmes s'estimaient assez pour éprouver mon ressentiment, vos semblables seraient moins communs. Vous aviez acquis une honnête* femme que vous n'avez pas su conserver ; cette femme, c'est moi ; elle s'est vengée en vous en faisant épouser une digne de vous. Sortez de chez moi, et allez-vous-en rue Traversière, à l'hôtel de Hambourg, où l'on vous apprendra le sale métier que votre femme et votre belle-mère ont exercé pendant dix ans, sous le nom de d'Aisnon.”
La surprise et la consternation de ce pauvre marquis ne peuvent se rendre. Il ne savait qu'en penser ; mais son incertitude ne dura que le temps d'aller d'un bout de la ville à l'autre. Il ne rentra point chez lui de tout le jour ; il erra dans les rues. Sa belle-mère et sa femme eurent quelque soupçon de ce qui s'était passé. Au premier coup de marteau, la belle-mère se sauva dans son appartement, et s'y enferma à la clef ; sa femme l'attendit seule. À l'approche de son époux, elle lut sur son visage la fureur qui le possédait. Elle se jeta à ses pieds, la face collée contre le parquet, sans mot dire. “Retirez-vous, lui dit-il, infâme ! loin de moi...” Elle voulut se relever ; mais elle retomba sur son visage, les bras étendus à terre entre les pieds du marquis. “Monsieur, lui dit-elle, foulez-moi aux pieds, écrasez-moi, car je l'ai mérité ; faites de moi tout ce qu'il vous plaira ; mais épargnez ma mère...
– Retirez-vous, reprit le marquis ; retirez-vous ! c'est assez de l'infamie dont vous m'avez couvert ; épargnez-moi un crime.”
La pauvre créature resta dans l'attitude où elle était et ne lui répondit rien. Le marquis était assis dans un fauteuil, la tête enveloppée de ses bras, et le corps à demi penché sur les pieds de son lit, hurlant par intervalles, sans la regarder : “Retirez-vous !...” Le silence et l'immobilité de la malheureuse le surprirent ; il lui répéta d'une voix plus forte encore : “Qu'on se retire ; est-ce que vous ne m'entendez pas ?...” Ensuite il se baissa, la repoussa durement, et reconnaissant qu'elle était sans sentiment et presque sans vie, il la prit par le milieu du corps, l'étendit sur un canapé, attacha un moment sur elle des regards où se peignaient alternativement la commisération et le courroux. Il sonna : des valets entrèrent ; on appela ses femmes, à qui il dit : “Prenez votre maîtresse qui se trouve mal ; portez-la dans son appartement, et secourez-la...” Peu d'instants après il envoya secrètement savoir de ses nouvelles. On lui dit qu'elle était revenue de son premier évanouissement ; mais que, les défaillances se succédant rapidement, elles étaient si fréquentes et si longues qu'on ne pouvait lui répondre de rien. Une ou deux heures après il renvoya secrètement savoir son état. On lui dit qu'elle suffoquait, et qu'il lui était survenu une espèce de hoquet qui se faisait entendre jusque dans les cours. À la troisième fois, c'était sur le matin, on lui rapporta qu'elle avait beaucoup pleuré, que le hoquet s'était calmé, et qu'elle paraissait s'assoupir.
Le jour suivant, le marquis fit mettre ses chevaux à sa chaise, et disparut pendant quinze jours, sans qu'on sût ce qu'il était devenu. Cependant, avant de s'éloigner, il avait pourvu à tout ce qui était nécessaire à la mère et à la fille, avec ordre d'obéir à madame comme à lui-même.
Pendant cet intervalle, ces deux femmes restèrent l'une en présence de l'autre, sans presque se parler, la fille sanglotant, poussant quelquefois des cris, s'arrachant les cheveux, se tordant les bras, sans que sa mère osât s'approcher d'elle et la consoler. L'une montrait la figure du désespoir, l'autre la figure de l'endurcissement. La fille vingt fois dit à sa mère : “Maman, sortons d'ici ; sauvons-nous.” Autant de fois la mère s'y opposa, et lui répondit : “Non, ma fille, il faut rester ; il faut voir ce que cela deviendra : cet homme ne nous tuera pas...” “Eh ! plût à Dieu, lui répondait sa fille, qu'il l'eût déjà fait !...” Sa mère lui répliquait : “Vous feriez mieux de vous taire, que de parler comme une sotte.”
À son retour, le marquis s'enferma dans son cabinet, et écrivit deux lettres, l'une à sa femme, l'autre à sa belle-mère. Celle-ci partit dans la même journée, et se rendit au couvent des Carmélites de la ville prochaine, où elle est morte il y a quelques jours. Sa fille s'habilla, et se traîna dans l'appartement de son mari où il lui avait apparemment enjoint de venir. Dès la porte, elle se jeta à genoux. “Levez-vous”, lui dit le marquis...
Au lieu de se lever, elle s'avança vers lui sur ses genoux ; elle tremblait de tous ses membres : elle était échevelée ; elle avait le corps un peu penché, les bras portés de son côté, la tête relevée, le regard attaché sur ses yeux, et le visage inondé de pleurs. “Il me semble”, lui dit-elle, un sanglot séparant chacun de ses mots, “que votre cœur justement irrité s'est radouci, et que peut-être avec le temps j'obtiendrai miséricorde. Monsieur, de grâce, ne vous hâtez pas de me pardonner. Tant de filles honnêtes* sont devenues de malhonnêtes* femmes, que peut-être serai-je un exemple contraire. Je ne suis pas encore digne que vous vous rapprochiez de moi ; attendez, laissez-moi seulement l'espoir du pardon. Tenez-moi loin de vous ; vous verrez ma conduite ; vous la jugerez : trop heureuse mille fois, trop heureuse si vous daignez quelquefois m'appeler ! Marquez-moi le recoin obscur de votre maison où vous permettez que j'habite ; j'y resterai sans murmure. Ah ! si je pouvais m'arracher le nom et le titre qu'on m'a fait usurper, et mourir après, à l'instant vous seriez satisfait ! Je me suis laissé conduire par faiblesse, par séduction, par autorité, par menaces, à une action infâme ; mais ne croyez pas, monsieur, que je sois méchante : je ne le suis pas, puisque je n'ai pas balancé* à paraître devant vous quand vous m'avez appelée, et que j'ose à présent lever les yeux sur vous et vous parler. Ah ! si vous pouviez lire au fond de mon cœur, et voir combien mes fautes passées sont loin de moi ; combien les mœurs de mes pareilles me sont étrangères ! La corruption s'est posée sur moi ; mais elle ne s'y est point attachée. Je me connais, et une justice que je me rends, c'est que par mes goûts, par mes sentiments, par mon caractère, j'étais née digne de l'honneur de vous appartenir. Ah ! s'il m'eût été libre de vous voir, il n'y avait qu'un mot à dire, et je crois que j'en aurais eu le courage. Monsieur, disposez de moi comme il vous plaira ; faites entrer vos gens : qu'ils me dépouillent, qu'ils me jettent la nuit dans la rue : je souscris à tout. Quel que soit le sort que vous me préparez, je m'y soumets : le fond d'une campagne, l'obscurité d'un cloître peut me dérober pour jamais à vos yeux : parlez, et j'y vais. Votre bonheur n'est point perdu sans ressources, et vous pouvez m'oublier...
– Levez-vous, lui dit doucement le marquis ; je vous ai pardonné : au moment même de l'injure* j'ai respecté ma femme en vous ; il n'est pas sorti de ma bouche une parole qui l'ait humiliée, ou du moins je m'en repens, et je proteste* qu'elle n'en entendra plus aucune qui l'humilie, si elle se souvient qu'on ne peut rendre son époux malheureux sans le devenir. Soyez honnête*, soyez heureuse, et faites que je le sois. Levez-vous, je vous en prie, ma femme, levez-vous et embrassez-moi ; madame la marquise, levez-vous, vous n'êtes pas à votre place ; madame des Arcis, levez-vous...”
Pendant qu'il parlait ainsi, elle était restée le visage caché dans ses mains, et la tête appuyée sur les genoux du marquis ; mais au mot de ma femme, au mot de Mme des Arcis, elle se leva brusquement, et se précipita sur le marquis, elle le tenait embrassé, à moitié suffoquée par la douleur et par la joie ; puis elle se séparait de lui, se jetait à terre, et lui baisait les pieds.
“Ah ! lui disait le marquis, je vous ai pardonné ; je vous l'ai dit ; et je vois que vous n'en croyez rien.
– Il faut, lui répondait-elle, que cela soit, et que je ne le croie jamais.”
Le marquis ajoutait ; “En vérité, je crois que je ne me repens de rien ; et que cette Pommeraye, au lieu de se venger, m'aura rendu un grand service. Ma femme, allez vous habiller, tandis qu'on s'occupera à faire vos malles. Nous partons pour ma terre, où nous resterons jusqu'à ce que nous puissions reparaître ici sans conséquence pour vous et pour moi...”
Ils passèrent presque trois ans de suite absents de la capitale. »
JACQUES. – Et je gagerais* bien que ces trois ans s'écoulèrent comme un jour, et que le marquis des Arcis fut un des meilleurs maris et eut une des meilleures femmes qu'il y eût au monde.
LE MAÎTRE. – Je serais de moitié46 ; mais en vérité je ne sais pourquoi, car je n'ai point été satisfait de cette fille pendant tout le cours des menées de la dame de La Pommeraye et de sa mère. Pas un instant de crainte, pas le moindre signe d'incertitude, pas un remords ; je l'ai vue se prêter, sans aucune répugnance, à cette longue horreur. Tout ce qu'on a voulu d'elle, elle n'a jamais hésité à le faire ; elle va à confesse ; elle communie ; elle joue la religion et ses ministres. Elle m'a semblé aussi fausse, aussi méprisable, aussi méchante que les deux autres... Notre hôtesse, vous narrez assez bien ; mais vous n'êtes pas encore profonde dans l'art dramatique. Si vous vouliez que cette jeune fille intéressât*, il fallait lui donner de la franchise47, et nous la montrer victime innocente et forcée de sa mère et de La Pommeraye, il fallait que les traitements les plus cruels l'entraînassent, malgré qu'elle en eût, à concourir à une suite de forfaits continus pendant une année ; il fallait préparer ainsi le raccommodement de cette femme avec son mari. Quand on introduit un personnage sur la scène, il faut que son rôle soit un : or je vous demanderai, notre charmante hôtesse, si la fille qui complote avec deux scélérates est bien la femme suppliante que nous avons vue aux pieds de son mari ? Vous avez péché contre les règles d'Aristote, d'Horace, de Vida et de Le Bossu48.
L'HÔTESSE. – Je ne connais ni bossu ni droit : je vous ai dit la chose comme elle s'est passée, sans en rien omettre, sans y rien ajouter. Et qui sait ce qui se passait au fond du cœur de cette jeune fille, et si, dans les moments où elle nous paraissait agir le plus lestement*, elle n'était pas secrètement dévorée de chagrin ?
JACQUES. – Notre hôtesse, pour cette fois, il faut que je sois de l'avis de mon maître qui me le pardonnera, car cela m'arrive si rarement ; de son Bossu, que je ne connais point ; et de ces autres messieurs qu'il a cités, et que je ne connais pas davantage. Si Mlle Duquênoi, ci-devant* la d'Aisnon, avait été une jolie enfant, il y aurait paru.
L'HÔTESSE. – Jolie enfant ou non, tant y a que c'est une excellente femme ; que son mari est avec elle content comme un roi, et qu'il ne la troquerait pas contre une autre.
LE MAÎTRE. – Je l'en félicite : il a été plus heureux49 que sage.
L'HÔTESSE. – Et moi, je vous souhaite une bonne nuit. Il est tard, et il faut que je sois la dernière couchée et la première levée. Quel maudit métier ! Bonsoir, messieurs, bonsoir. Je vous avais promis, je ne sais plus à propos de quoi, l'histoire d'un mariage saugrenu : et je crois vous avoir tenu parole. Monsieur Jacques, je crois que vous n'aurez pas de peine à vous endormir ; car vos yeux sont plus qu'à demi fermés. Bonsoir, monsieur Jacques.
LE MAÎTRE. – Eh bien, notre hôtesse, il n'y a donc pas moyen de savoir vos aventures ?
L'HÔTESSE. – Non.
JACQUES. – Vous avez un furieux* goût pour les contes* !
LE MAÎTRE. – Il est vrai ; ils m'instruisent et m'amusent. Un bon conteur est un homme rare.
JACQUES. – Et voilà tout juste pourquoi je n'aime pas les contes, à moins que je ne les fasse.
LE MAÎTRE. – Tu aimes mieux parler mal que te taire.
JACQUES. – Il est vrai.
LE MAÎTRE. – Et moi, j'aime mieux entendre mal parler que de ne rien entendre.
JACQUES. – Cela nous met tous deux fort à notre aise.
Je ne sais où l'hôtesse, Jacques et son maître avaient mis leur esprit, pour n'avoir pas trouvé une seule fois des choses qu'il y avait à dire en faveur de Mlle Duquênoi. Est-ce que cette fille comprit rien aux artifices de la dame de La Pommeraye, avant le dénouement ? Est-ce qu'elle n'aurait pas mieux aimé accepter les offres que la main du marquis, et l'avoir pour amant que pour époux ? Est-ce qu'elle n'était pas continuellement sous les menaces et le despotisme de la marquise ? Peut-on la blâmer de son horrible aversion pour un état* infâme ? et si l'on prend le parti de l'en estimer davantage, peut-on exiger d'elle bien de la délicatesse, bien du scrupule dans le choix des moyens de s'en tirer ?
Et vous croyez, lecteur, que l'apologie de Mme de La Pommeraye est plus difficile à faire ? Il vous aurait été peut-être plus agréable d'entendre là-dessus Jacques et son maître ; mais ils avaient à parler de tant d'autres choses plus intéressantes, qu'ils auraient vraisemblablement négligé celle-ci. Permettez donc que je m'en occupe un moment.
Vous entrez en fureur au nom de Mme de La Pommeraye, et vous vous écriez : « Ah ! la femme horrible ! ah ! l'hypocrite ! ah ! la scélérate !... » Point d'exclamation, point de courroux, point de partialité : raisonnons. Il se fait tous les jours des actions plus noires, sans aucun génie. Vous pouvez haïr ; vous pouvez redouter Mme de La Pommeraye : mais vous ne la mépriserez pas. Sa vengeance est atroce ; mais elle n'est souillée d'aucun motif d'intérêt. On ne vous a pas dit qu'elle avait jeté au nez du marquis le beau diamant dont il lui avait fait présent ; mais elle le fit : je le sais par les voies les plus sûres. Il ne s'agit ni d'augmenter sa fortune, ni d'acquérir quelques titres d'honneur. Quoi ! si cette femme en avait fait autant, pour obtenir à un mari la récompense de ses services ; si elle s'était prostituée à un ministre ou même à un premier commis50 pour un cordon* ou pour une colonelle51 ; au dépositaire de la feuille des Bénéfices52, pour une riche abbaye, cela vous paraîtrait tout simple, l'usage* serait pour vous ; et lorsqu'elle se venge d'une perfidie, vous vous révoltez contre elle au lieu de voir que son ressentiment ne vous indigne que parce que vous êtes incapable d'en éprouver un aussi profond, ou que vous ne faites presque aucun cas de la vertu des femmes. Avez-vous un peu réfléchi sur les sacrifices que Mme de La Pommeraye avait faits au marquis ? Je ne vous dirai pas que sa bourse lui avait été ouverte en toute occasion, et que pendant plusieurs années il n'avait eu d'autre maison, d'autre table que la sienne : cela vous ferait hocher de la tête ; mais elle s'était assujettie à toutes ses fantaisies, à tous ses goûts ; pour lui plaire elle avait renversé le plan de sa vie. Elle jouissait de la plus haute considération dans le monde*, par la pureté de ses mœurs : et elle s'était rabaissée sur la ligne commune. On dit d'elle, lorsqu'elle eut agréé l'hommage du marquis des Arcis : « Enfin cette merveilleuse Mme de La Pommeraye s'est donc faite comme une d'entre nous... » Elle avait remarqué autour d'elle les souris* ironiques ; elle avait entendu les plaisanteries, et souvent elle en avait rougi et baissé les yeux ; elle avait avalé tout le calice de l'amertume préparé aux femmes dont la conduite réglée53 a fait trop longtemps la satire des mauvaises mœurs de celles qui les entourent ; elle avait supporté tout l'éclat scandaleux par lequel on se venge des imprudentes bégueules54 qui affichent de l'honnêteté*. Elle était vaine* ; et elle serait morte de douleur plutôt que de promener dans le monde, après la honte de la vertu abandonnée, le ridicule d'une délaissée. Elle touchait au moment où la perte d'un amant ne se répare plus. Tel était son caractère, que cet événement la condamnait à l'ennui et à la solitude. Un homme en poignarde un autre pour un geste, pour un démenti ; et il ne sera pas permis à une honnête* femme perdue, déshonorée, trahie, de jeter le traître entre les bras d'une courtisane ? Ah ! lecteur, vous êtes bien léger dans vos éloges, et bien sévère dans votre blâme. Mais, me direz-vous, c'est plus encore la manière que la chose que je reproche à la marquise. Je ne me fais pas à un ressentiment d'une si longue tenue ; à un tissu de fourberies, de mensonges, qui dure près d'un an. Ni moi non plus, ni Jacques, ni son maître, ni l'hôtesse. Mais vous pardonnez tout à un premier mouvement ; et je vous dirai que, si le premier mouvement des autres est court, celui de Mme de La Pommeraye et des femmes de son caractère est long. Leur âme reste quelquefois toute leur vie comme au premier moment de l'injure* ; et quel inconvénient, quelle injustice y a-t-il à cela ? Je n'y vois que des trahisons moins communes ; et j'approuverais fort une loi qui condamnerait aux courtisanes celui qui aurait séduit et abandonné une honnête* femme : l'homme commun aux femmes communes.
Tandis que je disserte, le maître de Jacques ronfle comme s'il m'avait écouté, et Jacques, à qui les muscles des jambes refusaient le service, rôde dans la chambre, en chemise et pieds nus, culbute tout ce qu'il rencontre et réveille son maître qui lui dit d'entre ses rideaux : « Jacques, tu es ivre.
– À quelle heure as-tu résolu de te coucher ?
– Tout à l'heure55, Monsieur, c'est qu'il y a... c'est qu'il y a...
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Dans cette bouteille un reste qui s'éventerait. J'ai en horreur les bouteilles en vidange ; cela me reviendrait en tête, quand je serais couché ; et il n'en faudrait pas davantage pour m'empêcher de fermer l'œil. Notre hôtesse est, par ma foi, une excellente femme, et son vin de Champagne un excellent vin ; ce serait dommage de le laisser éventer... Le voilà bientôt à couvert... et il ne s'éventera plus... »
Et tout en balbutiant, Jacques, en chemise et pieds nus, avait sablé56 deux ou trois rasades sans ponctuation, comme il s'exprimait, c'est-à-dire de la bouteille au verre, du verre à la bouche. Il y a deux versions sur ce qui suivit après qu'il eut éteint les lumières. Les uns prétendant qu'il se mit à tâtonner le long des murs sans pouvoir retrouver son lit, et qu'il disait : « Ma foi, il n'y est plus, ou, s'il y est, il est écrit là-haut que je ne le retrouverai pas ; dans l'un et l'autre cas, il faut s'en passer » ; et qu'il prit le parti de s'étendre sur des chaises. D'autres, qu'il était écrit là-haut qu'il s'embarrasserait les pieds dans les chaises, qu'il tomberait sur le carreau et qu'il y resterait. De ces deux versions, demain, après-demain, vous choisirez, à tête reposée, celle qui vous conviendra le mieux.
Nos deux voyageurs, qui s'étaient couchés tard et la tête un peu chaude de vin, dormirent la grasse matinée ; Jacques à terre ou sur des chaises, selon la version que vous aurez préférée ; son maître plus à son aise dans son lit. L'hôtesse monta, et leur annonça que la journée ne serait pas belle ; mais que, quand le temps leur permettrait de continuer leur route, ils risqueraient leur vie ou seraient arrêtés par le gonflement des eaux du ruisseau qu'ils auraient à traverser ; et que plusieurs hommes à cheval, qui n'avaient pas voulu l'en croire, avaient été forcés de rebrousser chemin. Le maître dit à Jacques : « Jacques, que ferons-nous ? » Jacques répondit : « Nous déjeunerons* d'abord avec notre hôtesse : ce qui nous avisera. » L'hôtesse jura que c'était sagement pensé. On servit à déjeuner*. L'hôtesse ne demandait pas mieux que d'être gaie ; le maître de Jacques s'y serait prêté ; mais Jacques commençait à souffrir ; il mangea de mauvaise grâce, il but peu, il se tut. Ce dernier symptôme était surtout fâcheux ; c'était la suite de la mauvaise nuit qu'il avait passée et du mauvais lit qu'il avait eu. Il se plaignait de douleurs dans les membres ; sa voix rauque annonçait un mal de gorge. Son maître lui conseilla de se coucher : il n'en voulut rien faire. L'hôtesse lui proposait une soupe à l'oignon. Il demanda qu'on fît du feu dans la chambre, car il ressentait du frisson ; qu'on lui préparât de la tisane et qu'on lui apportât une bouteille de vin blanc : ce qui fut exécuté sur-le-champ. Voilà l'hôtesse partie et Jacques en tête à tête avec son maître. Celui-ci allait à la fenêtre, disait : « Quel diable de temps ! » regardait à sa montre (car c'était la seule en qui il eût confiance) quelle heure il était, prenait sa prise de tabac, recommençait la même chose d'heure en heure, s'écriant à chaque fois : « Quel diable de temps ! » se tournant vers Jacques et ajoutant : « La belle occasion pour reprendre et achever l'histoire de tes amours ! mais on parle mal d'amour et d'autre chose quand on souffre. Vois, tâte-toi, si tu peux continuer, continue ; sinon, bois ta tisane et dors. »
Jacques prétendit que le silence lui était malsain ; qu'il était un animal jaseur ; et que le principal avantage de sa condition, celui qui le touchait le plus, c'était la liberté de se dédommager des douze années de bâillon qu'il avait passées chez son grand-père, à qui Dieu fasse miséricorde.
LE MAÎTRE. – Parle donc, puisque cela nous fait plaisir à tous deux. Tu en étais à je ne sais quelle proposition malhonnête* de la femme du chirurgien ; il s'agissait, je crois, d'expulser celui qui servait au château et d'y installer son mari.
JACQUES. – M'y voilà ; mais un moment, s'il vous plaît. Humectons.
Jacques remplit un grand gobelet de tisane, y versa un peu de vin blanc et l'avala. C'était une recette qu'il tenait de son capitaine et que M. Tissot57, qui la tenait de Jacques, recommande dans son traité des maladies populaires. Le vin blanc, disaient Jacques et M. Tissot, fait pisser, est diurétique, corrige la fadeur de la tisane et soutient le ton58 de l'estomac et des intestins. Son verre de tisane bu, Jacques continua :
« Me voilà sorti de la maison du chirurgien, monté dans la voiture, arrivé au château et entouré de tous ceux qui l'habitaient.
LE MAÎTRE. – Est-ce que tu y étais connu ?
JACQUES. – Assurément ! Vous rappelleriez-vous une certaine femme à la cruche d'huile ?
LE MAÎTRE. – Fort bien !
JACQUES. – Cette femme était la commissionnaire de l'intendant* et des domestiques. Jeanne avait prôné dans le château l'acte de commisération que j'avais exercé envers elle ; ma bonne œuvre était parvenue aux oreilles du maître : on ne lui avait pas laissé ignorer les coups de pied et de poing dont elle avait été récompensée la nuit sur le grand chemin. Il avait ordonné qu'on me découvrît et qu'on me transportât chez lui. M'y voilà. On me regarde ; on m'interroge, on m'admire. Jeanne m'embrassait et me remerciait. “Qu'on le loge commodément, disait le maître à ses gens, et qu'on ne le laisse manquer de rien” ; au chirurgien de la maison : “Vous le visiterez avec assiduité...” Tout fut exécuté de point en point. Eh bien ! mon maître, qui sait ce qui est écrit là-haut ? Qu'on dise à présent que c'est bien ou mal fait de donner son argent ; que c'est un malheur d'être assommé... Sans ces deux événements, M. Desglands n'aurait jamais entendu parler de Jacques.
LE MAÎTRE. – M. Desglands seigneur de Miremont ! C'est au château de Miremont que tu es ? chez mon vieil ami, le père de M. Desforges, l'intendant* de ma province ?
JACQUES. – Tout juste. Et la jeune brune à la taille légère, aux yeux noirs...
LE MAÎTRE. – Est Denise, la fille de Jeanne ?
JACQUES. – Elle-même.
LE MAÎTRE. – Tu as raison, c'est une des plus belles et des plus honnêtes* créatures qu'il y ait à vingt lieues* à la ronde. Moi et la plupart de ceux qui fréquentaient le château de Desglands avaient tout mis en œuvre inutilement pour la séduire ; et il n'y en avait pas un de nous qui n'eût fait de grandes sottises pour elle, à condition d'en faire une petite pour lui. »
Jacques cessant ici de parler, son maître lui dit : « À quoi penses-tu ? Que fais-tu ?
JACQUES. – Je fais ma prière.
LE MAÎTRE. – Est-ce que tu pries ?
JACQUES. – Quelquefois.
LE MAÎTRE. – Et que dis-tu ?
JACQUES. – Je dis : “Toi qui as fait le grand rouleau, quel que tu sois, et dont le doigt a tracé toute l'écriture qui est là-haut, tu as su de tous les temps ce qu'il me fallait ; que ta volonté soit faite. Amen.”
LE MAÎTRE. – Est-ce que tu ne ferais pas aussi bien de te taire ?
JACQUES. – Peut-être que oui, peut-être que non. Je prie à tout hasard ; et quoi qu'il m'advînt, je ne m'en réjouirais ni m'en plaindrais, si je me possédais ; mais c'est que je suis inconséquent et violent, que j'oublie mes principes ou les leçons de mon capitaine et que je ris et pleure comme un sot.
LE MAÎTRE. – Est-ce que ton capitaine ne pleurait point, ne riait jamais ?
JACQUES. – Rarement... Jeanne m'amena sa fille un matin ; et s'adressant d'abord à moi, elle me dit : “Monsieur, vous voilà dans un beau château, où vous serez un peu mieux que chez votre chirurgien. Dans les commencements surtout, oh ! vous serez soigné à ravir ; mais je connais les domestiques, il y a assez longtemps que je le suis ; peu à peu leur beau zèle se ralentira. Les maîtres ne penseront plus à vous ; et si votre maladie dure, vous serez oublié, mais si parfaitement oublié, que s'il vous prenait fantaisie de mourir de faim, cela vous réussirait...” Puis se tournant vers sa fille : “Écoute, Denise, lui dit-elle, je veux que tu visites cet honnête* homme-là quatre fois par jour : le matin, à l'heure du dîner*, sur les cinq heures et à l'heure du souper*. Je veux que tu lui obéisses comme à moi. Voilà qui est dit, et n'y manque pas.”
LE MAÎTRE. – Sais-tu ce qui lui est arrivé à ce pauvre Desglands ?
JACQUES. – Non, monsieur ; mais si les souhaits que j'ai faits pour sa prospérité n'ont pas été remplis, ce n'est pas faute d'avoir été sincères. C'est lui qui me donna59 au commandeur de La Boulaye, qui périt en passant à Malte ; c'est le commandeur de La Boulaye qui me donna à son frère aîné le capitaine, qui est peut-être mort à présent de la fistule60 ; c'est ce capitaine qui me donna à son frère le plus jeune, l'avocat général de Toulouse, qui devint fou, et que la famille fit enfermer. C'est M. Pascal, avocat général de Toulouse, qui me donna au comte de Tourville, qui aima mieux laisser croître sa barbe sous un habit de capucin61 que d'exposer sa vie ; c'est le comte de Tourville qui me donna à la marquise du Belloy, qui s'est sauvée à Londres avec un étranger ; c'est la marquise du Belloy qui me donna à un de ses cousins, qui s'est ruiné avec les femmes et qui a passé aux îles62 ; c'est ce cousin-là qui me recommanda à un M. Hérissant, usurier de profession, qui faisait valoir l'argent de M. de Rusai, docteur de Sorbonne, qui me fit entrer chez Mlle Isselin, que vous entreteniez, et qui me plaça chez vous, à qui je devrai un morceau de pain sur mes vieux jours, car vous me l'avez promis si je vous restais attaché : et il n'y a pas d'apparence que nous nous séparions. Jacques a été fait pour vous, et vous fûtes fait pour Jacques.
LE MAÎTRE. – Mais, Jacques, tu as parcouru bien des maisons en assez peu de temps.
JACQUES. – Il est vrai ; on m'a renvoyé quelquefois.
LE MAÎTRE. – Pourquoi ?
JACQUES. – C'est que je suis né bavard, et que tous ces gens-là voulaient qu'on se tût. Ce n'était pas comme vous, qui me remercieriez63 demain si je me taisais. J'avais tout juste le vice qui vous convenait. Mais qu'est-ce donc qui est arrivé à M. Desglands ? Dites-moi cela, tandis que je m'apprêterai un coup de tisane.
LE MAÎTRE. – Tu as demeuré dans son château et tu n'as jamais entendu parler de son emplâtre* ?
JACQUES. – Non.
LE MAÎTRE. – Cette aventure-là sera pour la route ; l'autre est courte. Il avait fait sa fortune au jeu. Il s'attacha à une femme que tu auras pu voir dans son château, femme d'esprit, mais sérieuse, taciturne, originale64 et dure. Cette femme lui dit un jour : “Ou vous m'aimez mieux que le jeu, et en ce cas donnez-moi votre parole d'honneur que vous ne jouerez jamais ; ou vous aimez mieux le jeu que moi, et en ce cas ne me parlez plus de votre passion, et jouez tant qu'il vous plaira...” Desglands donna sa parole d'honneur qu'il ne jouerait plus. – Ni gros ni petit jeu ? – Ni gros ni petit jeu. Il y avait environ dix ans qu'ils vivaient ensemble dans le château que tu connais, lorsque Desglands, appelé à la ville par une affaire d'intérêt, eut le malheur de rencontrer chez son notaire une de ses anciennes connaissances de brelan65, qui l'entraîna à dîner dans un tripot, où il perdit en une seule séance tout ce qu'il possédait. Sa maîtresse fut inflexible ; elle était riche ; elle fit à Desglands une pension modique et se sépara de lui pour toujours.
JACQUES. – J'en suis fâché, c'était un galant* homme.
LE MAÎTRE. – Comment va la gorge ?
JACQUES. – Mal.
LE MAÎTRE. – C'est que tu parles trop, et que tu ne bois pas assez.
JACQUES. – C'est que je n'aime pas la tisane, et que j'aime à parler.
LE MAÎTRE. – Eh bien ! Jacques, te voilà chez Desglands, près de Denise, et Denise autorisée par sa mère à te faire au moins quatre visites par jour. La coquine ! préférer un Jacques66 !
JACQUES. – Un Jacques ! un Jacques, Monsieur, est un homme comme un autre.
LE MAÎTRE. – Jacques, tu te trompes, un Jacques n'est point un homme comme un autre.
JACQUES. – C'est quelquefois mieux qu'un autre.
LE MAÎTRE. – Jacques, vous vous oubliez. Reprenez l'histoire de vos amours, et souvenez-vous que vous n'êtes et que vous ne serez jamais qu'un Jacques.
JACQUES. – Si, dans la chaumière où nous trouvâmes les coquins, Jacques n'avait pas valu un peu mieux que son maître...
LE MAÎTRE. – Jacques, vous êtes un insolent : vous abusez de ma bonté. Si j'ai fait la sottise de vous tirer de votre place, je saurai bien vous y remettre. Jacques, prenez votre bouteille et votre coquemar67, et descendez là-bas.
JACQUES. – Cela vous plaît à dire, Monsieur ; je me trouve bien ici, et je ne descendrai pas là-bas.
LE MAÎTRE. – Je te dis que tu descendras.
JACQUES. – Je suis sûr que vous ne dites pas vrai. Comment, Monsieur, après m'avoir accoutumé pendant dix ans à vivre de pair à compagnon68...
LE MAÎTRE. – Il me plaît que cela cesse.
JACQUES. – Après avoir souffert* toutes mes impertinences...
LE MAÎTRE. – Je n'en veux plus souffrir*.
JACQUES. – Après m'avoir fait asseoir à table à côté de vous, m'avoir appelé votre ami...
LE MAÎTRE. – Vous ne savez pas ce que c'est que le nom d'ami donné par un supérieur à son subalterne.
JACQUES. – Quand on sait que tous vos ordres ne sont que des clous à soufflet69, s'ils n'ont été ratifiés par Jacques ; après avoir si bien accolé votre nom au mien, que l'un ne va jamais sans l'autre, et que tout le monde dit Jacques et son maître ; tout à coup il vous plaira de les séparer ! Non, Monsieur, cela ne sera pas. Il est écrit là-haut que tant que Jacques vivra, que tant que son maître vivra, et même après qu'ils seront morts tous deux, on dira Jacques et son maître.
LE MAÎTRE. – Et je dis, Jacques, que vous descendrez, et que vous descendrez sur-le-champ, parce que je vous l'ordonne.
JACQUES. – Monsieur, commandez-moi tout autre chose, si vous voulez que je vous obéisse. »
Ici, le maître de Jacques se leva, le prit à la boutonnière et lui dit gravement :
« Descendez. »
Jacques lui répondit froidement :
« Je ne descends pas. »
Le maître le secoua fortement, lui dit :
« Descendez, maroufle* ! obéissez-moi. »
Jacques lui répliqua froidement encore :
« Maroufle, tant qu'il vous plaira ; mais le maroufle ne descendra pas. Tenez, monsieur, ce que j'ai à la tête, comme on dit, je ne l'ai pas au talon. Vous vous échauffez inutilement, Jacques restera où il est, et ne descendra pas. »
Et puis Jacques et son maître, après s'être modérés jusqu'à ce moment, s'échappent tous les deux à la fois, et se mettent à crier à tue-tête :
« Tu descendras.
– Je ne descendrai pas.
– Tu descendras.
– Je ne descendrai pas. »
À ce bruit, l'hôtesse monta, et s'informa de ce que c'était ; mais ce ne fut pas dans le premier instant qu'on lui répondit ; on continua à crier : « Tu descendras. – Je ne descendrai pas. » Ensuite le maître, le cœur gros, se promenant dans la chambre, disait en grommelant : « A-t-on jamais rien vu de pareil ? » L'hôtesse ébahie et debout : « Eh bien ! messieurs, de quoi s'agit-il ? »
Jacques, sans s'émouvoir, à l'hôtesse : « C'est mon maître à qui la tête tourne ; il est fou.
LE MAÎTRE. – C'est bête que tu veux dire.
JACQUES. – Tout comme il vous plaira.
LE MAÎTRE, à l'hôtesse. – L'avez-vous entendu ?
L'HÔTESSE. – Il a tort ; mais la paix, la paix ; parlez l'un ou l'autre, et que je sache ce dont il s'agit.
LE MAÎTRE, à Jacques. – Parle, maroufle*.
JACQUES, à son maître. – Parlez vous-même.
L'HÔTESSE, à Jacques. – Allons, monsieur Jacques, parlez, votre maître vous l'ordonne ; après tout, un maître est un maître... »
Jacques expliqua la chose à l'hôtesse. L'hôtesse, après avoir entendu, leur dit : « Messieurs, voulez-vous m'accepter pour arbitre ?
JACQUES ET SON MAÎTRE, tous les deux à la fois. – Très volontiers, très volontiers, notre hôtesse.
L'HÔTESSE. – Et vous vous engagez d'honneur70 à exécuter ma sentence ?
JACQUES ET SON MAÎTRE. – D'honneur, d'honneur... »
Alors l'hôtesse s'asseyant sur la table, et prenant le ton et le maintien d'un grave magistrat, dit :
« Ouï la déclaration de M. Jacques, et d'après des faits tendant à prouver que son maître est un bon, un très bon, un trop bon maître ; et que Jacques n'est point un mauvais serviteur, quoiqu'un peu sujet à confondre la possession absolue et inamovible avec la concession passagère et gratuite, j'annule l'égalité qui s'est établie entre eux par laps de temps, et la recrée sur-le-champ. Jacques descendra, et quand il aura descendu, il remontera : il rentrera dans toutes les prérogatives dont il a joui jusqu'à ce jour. Son maître lui tendra la main, et lui dira d'amitié : “Bonjour, Jacques, je suis bien aise de vous revoir...” Jacques lui répondra : “Et moi, monsieur, je suis enchanté de vous retrouver...” Et je défends qu'il soit question entre eux de cette affaire et que la prérogative de maître et de serviteur soit agitée à l'avenir. Voulons que l'un ordonne et que l'autre obéisse, chacun de son mieux ; et qu'il soit laissé, entre ce que l'un peut et ce que l'autre doit, la même obscurité que ci-devant*. »
1 Court poème satirique, mettant en valeur l'esprit et le sens de l'improvisation de son auteur.
2 À l'inverse.
3 Il s'agit des deux foires parisiennes les plus importantes de l'époque.
4 Jeu consistant à essayer d'obtenir plus de dix points avec trois dés.
5 Godet servant à agiter les dés.
6 Si un joueur perd deux parties consécutives, il peut tout regagner d'un coup : c'est le « tout », et ainsi de suite.
7 Costume de bal masqué, pourvu d'un capuchon.
8 En rhétorique, l'exorde est l'entrée en matière d'un discours. Son objet est de capter l'attention et la bienveillance de l'auditoire.
9 C'est-à-dire de prêtres.
10 Maison de jeu dont on accordait la direction aux femmes nobles ruinées, pour leur permettre de rétablir leur fortune.
11 Nécessité fait loi.
12 C'est-à-dire la prostituer. Les danseuses et chanteuses de l'Opéra constituaient en effet un vivier pour les hommes fortunés qui, en devenant leurs « protecteurs », leur permettaient de fréquenter la société la plus choisie, et pour certaines de faire fortune.
13 Abbé de condition noble.
14 Adversaire du parti des philosophes*.
15 « Se dit de la bonne qualité des choses » (Dictionnaire de Furetière, 1690). L'hôtesse parle ici du vin.
16 Il s'agit de trois ecclésiastiques du XVIIe siècle. La qualité de leurs écrits et de leur pensée contraste avec la médiocrité de ceux des pamphlétaires antiphilosophes du XVIIIe siècle, évoqués ici à travers la figure du « petit abbé », qui desservent leur propre cause, à savoir la défense de la religion contre la « philosophie ».
17 Un abrégé.
18 Par « molinistes » sont ici désignés les jésuites en général, et non les seuls partisans de la doctrine de Molina. Jansénistes et jésuites représentaient les deux principaux courants doctrinaux catholiques du temps, en lutte violente depuis le siècle précédent et que l'auteur renvoie ici ironiquement dos à dos. Les premiers, défenseurs d'une spiritualité austère et sans compromis, libérée de tout intérêt temporel, s'opposaient aux seconds, accusés de transiger hypocritement avec la morale chrétienne et de chercher avant tout à asseoir leur puissance économique et politique.
19 Voltaire, dont le mot d'ordre était « écrasons l'Infâme », c'est-à-dire le christianisme, caractérisé selon lui par l'intolérance fanatique et les préjugés obscurantistes, était en effet la bête noire des hommes d'Église de tous bords.
20 Pensionnat destiné aux jeunes filles de familles nobles mais pauvres, fondé par Mme de Maintenon – l'épouse morganatique de Louis XIV – en 1685.
21 Succès amoureux.
22 Voir note 3, p. 99.
23 C'est-à-dire la Comédie-Française.
24 Le Cabinet du Roi contenait les collections d'histoire naturelle du Jardin du Roi.
25 Situation (vocabulaire de la peinture).
26 Avec amitié.
27 Les « dévots » s'opposent ici aux « mondains » représentés par le marquis des Arcis et Mme de La Pommeraye.
28 Fresque du palais de la Farnésine à Rome.
29 En déshabillé : sans apprêt. Sans rouge : sans fard.
30 Ici, scrupuleuses.
31 Donner lieu aux commérages.
32 On appelait ainsi les maisons achetées ou édifiées dans les faubourgs de Paris par des membres de la haute société (nobles ou riches roturiers), destinées à abriter leurs plaisirs en toute discrétion.
33 Se dit par raillerie de domestiques employés à des missions secrètes et qui, à cet effet, ne portent pas de livrée de couleur, mais sont vêtus de gris afin de ne pas être remarqués.
34 Espèce de singe.
35 Pouvoir.
36 Littéralement, fil qui s'est dévidé autour d'un fuseau ; au sens figuré, affaires.
37 Souffrir.
38 Évêque et docteur de l'Église, auteur de l'Introduction à la vie dévote (1604).
39 Le quiétisme est une doctrine mystique à laquelle Fénelon notamment adhéra. Elle préconise, pour atteindre l'état de perfection chrétienne, l'union de l'âme avec Dieu grâce au renoncement à tout désir permettant de parvenir à un état de « quiétude » absolue.
40 Boucles d'oreille.
41 Village situé au sud de Paris.
42 C'est-à-dire sa demeure à la campagne.
43 L'hôtel est la demeure citadine d'un particulier.
44 Ici, intrigue, complot.
45 Sur ce discours, voir les extraits de Madame de La Carlière, au chapitre 5 du dossier.
46 Sous-entendu, je serais de moitié d'accord avec toi
47 Ici, droiture.
48 Il s'agit de quatre théoriciens des règles de la littérature.
49 Ici, chanceux.
50 Le fonctionnaire supérieur du Trésor royal.
51 C'est-à-dire compagnie colonelle, nom de la première compagnie d'un régiment d'infanterie.
52 Registre sur lequel sont inscrits les patrimoines et dignités ecclésiastiques (assurant un certain revenu) que le roi peut accorder.
53 Dont la vie est disciplinée et sage.
54 Terme dépréciatif pour désigner une femme prude.
55 Tout de suite.
56 Avait avalé d'un trait.
57 Simon-André Tissot (1728-1797), médecin de Lausanne, est l'auteur de l'Avis au peuple sur sa santé (1761), traité de vulgarisation médicale écrit en français, et non en latin comme c'était l'habitude, et par conséquent accessible à un grand nombre de lecteurs.
58 « Le ton de la fibre n'est autre chose que son état habituel » (Diderot, Eléments de physiologie).
59 C'est-à-dire me fit entrer au service de.
60 Ulcère d'où il coule du pus.
61 Ordre religieux mendiant.
62 Les Antilles.
63 Me congédieriez.
64 Sur ce mot, voir le chapitre 4 du dossier.
65 Jeu de cartes.
66 Employé comme nom commun, Jacques est un sobriquet pour « paysan ».
67 Bouilloire à anse.
68 D'égal à égal.
69 « On dit d'une chose qu'on estime peu qu'on n'en donnerait pas un clou à soufflet » (Dictionnaire de l'Académie, 1786).
70 Sur l'honneur.