Le roman connaît au XVIIIe siècle une situation paradoxale. Si son essor est sans précédent, il apparaît en même temps comme un genre constamment méprisé et décrié, parfois par ceux-là mêmes qui en écrivent, et reste sous le coup d'une double accusation esthétique et morale. « Par un roman, on a entendu* jusqu'à ce jour un tissu d'événements chimériques et frivoles, dont la lecture était dangereuse pour le goût et pour les mœurs », écrit ainsi Diderot en tête de son Éloge de Richardson1. L'attitude la plus frappante, et sans doute la plus éclairante, demeure celle de Jean-Jacques Rousseau. Dans sa préface à La Nouvelle Héloïse, considérée par les contemporains comme le plus grand roman du siècle dès sa parution, l'auteur déclare en effet : « Il faut des spectacles dans les grandes villes, et des romans aux peuples corrompus. J'ai vu les mœurs de mon temps, et j'ai publié ces lettres2. Que n'ai-je vécu dans un siècle où je dusse les jeter au feu3 ! » Le roman, radicalement condamné dans l'absolu, apparaît simultanément comme le mal nécessaire du siècle.
Avec Jacques le Fataliste, Diderot a composé un roman qui se veut en même temps une réflexion théorique et critique sur le genre romanesque, dont les procédés sont démontés et exhibés. La critique du roman y devient matière romanesque par excellence, prétexte à une vertigineuse exploration des possibilités ludiques qu'offre le genre. Or, cette dimension réflexive du roman, qui ne cesse de commenter son propre fonctionnement, de montrer du doigt sa propre illusion, n'est pas dissociable du roman moderne, dont on peut faire remonter symboliquement la naissance au Don Quichotte de la Manche (1605-1615) de Miguel Cervantès.
Le maître et le valet de Diderot sont les héritiers de don Quichotte et de son fidèle écuyer Sancho Pança, dont ils perpétuent l'errance picaresque4 dans un univers où les catégories du réel et de l'imaginaire se voient délibérément brouillées. Une différence notable distingue Jacques du modèle espagnol : ce ne sont plus les héros mais les lecteurs de romans qui se trouvent constamment déstabilisés par la « folie romanesque » et confrontés aux pièges de l'illusion. Pour avoir lu trop de romans de chevalerie, un gentilhomme espagnol se trouve peu à peu atteint d'une curieuse manie ; se prenant pour un chevalier errant du Moyen Âge, il part sur les routes à la recherche des créatures imaginaires qui peuplaient ses lectures :
« L'âge de notre gentilhomme frisait la cinquantaine ; il était de complexion robuste, maigre de corps, sec de visage, fort matineux et grand ami de la chasse. On a dit qu'il avait le surnom de Quixada ou Quesada, car il y a sur ce point quelque divergence entre les auteurs qui en ont écrit, bien que les conjectures les plus vraisemblables fassent entendre* qu'il s'appelait Quijana. Mais cela importe peu à notre histoire ; il suffit que, dans le récit des faits, on ne s'écarte pas d'un atome de la vérité.
Or il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, c'est-à-dire à peu près toute l'année, s'adonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir qu'il en oublia presque entièrement l'exercice de la chasse et l'administration de son bien. Sa curiosité et son extravagance arrivèrent à ce point qu'il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à blé pour acheter des livres de chevalerie à lire. [...]
Enfin, notre hidalgo s'acharna tellement à sa lecture que ses nuits se passaient en lisant du soir au matin, et ses jours, du matin au soir. Si bien qu'à force de dormir peu et de lire beaucoup, il se dessécha le cerveau, de manière qu'il vint à perdre l'esprit. Son imagination se remplit de tout ce qu'il avait lu dans les livres, enchantements, querelles, défis, batailles, blessures, galanteries*, amours, tempêtes et extravagances impossibles ; et il se fourra si bien dans la tête que tout ce magasin d'inventions rêvées était la vérité pure qu'il n'y eut pour lui nulle autre histoire plus certaine dans le monde. [...]
Finalement, ayant perdu l'esprit sans ressource, il vint à donner dans la plus étrange pensée dont jamais fou se fût avisé dans le monde. Il lui parut convenable et nécessaire, aussi bien pour l'éclat de sa gloire que pour le service de son pays, de se faire chevalier errant, de s'en aller par le monde, avec son cheval et ses armes, chercher les aventures, et de pratiquer tout ce qu'il avait lu que pratiquaient les chevaliers errants, redressant toutes sortes de torts, et s'exposant à tant de rencontres, à tant de périls qu'il acquît, en les surmontant, une éternelle renommée5. »
L'un des points essentiels de la réflexion sur le roman menée dans Jacques le Fataliste concerne la place accordée à la tradition, c'est-à-dire à l'intertextualité6 à l'œuvre dans toute production littéraire. De l'allusion à la citation directe, de la parodie au plagiat7 toutes ses modalités sont essayées dans l'œuvre de Diderot.
En empruntant l'argument de son roman à Tristram Shandy (1760), Diderot n'a pas manqué de déjouer à l'avance d'inévitables accusations de plagiat, en parodiant lui-même les commentaires auxquels elles donneraient lieu : « Voici le second paragraphe, copié de la vie de Tristram Shandy, à moins que l'entretien de Jacques le Fataliste et de son maître ne soit antérieur à cet ouvrage, et que le ministre Sterne ne soit le plagiaire, ce que je ne crois pas, mais par une estime toute particulière de M. Sterne, que je distingue de la plupart des littérateurs de sa nation, dont l'usage assez fréquent est de nous voler et de nous dire des injures8. »
Dans les chapitres XIX à XXII du livre VIII du roman de Laurence Sterne, l'auteur-narrateur laisse la parole à son oncle Toby, un ancien officier, et au serviteur de ce dernier, le caporal Trim, qui s'efforce, malgré les interruptions incessantes de son interlocuteur, de mener à bien le récit de « l'histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux » :
Chapitre XIX
« [...] Le caporal s'étant incliné avec la plus sincère des convictions poursuivit :
– Le roi de Bohême, donc, la reine et leur cour, un beau soir d'été, sortirent par hasard pour une promenade.
– Fort bien, s'écria mon oncle Toby, l'expression « par hasard » est juste ici car le roi de Bohême et la reine pouvaient partir en promenade ou y renoncer ; ce sont là choses contingentes qui arrivent ou non selon la chance.
– N'en déplaise à Votre Honneur, dit Trim, le roi William9 pensait que tout est prédestiné dans notre existence, il disait même souvent à ses soldats que « chaque balle a son billet ».
– Un grand homme ! dit mon oncle Toby.
– Je suis convaincu, pour ma part, poursuivit Trim, qu'à la bataille de Landen la balle qui me brisa le genou me fut adressée tout exprès pour m'ôter du service de Sa Majesté et me placer à celui de Votre Honneur afin que j'y sois mieux soigné dans mes vieux jours.
– Rien ne démentira cette explication, Trim, dit mon oncle.
Maître et soldat avaient un cœur également sensible à des flots soudains d'émotion ; un bref silence s'établit.
– D'ailleurs, sans cette simple balle, reprit le caporal sur un ton plus joyeux, n'en déplaise à Votre Honneur, je n'eusse jamais été amoureux –
– Tu l'as donc été une fois, Trim ? demanda mon oncle souriant.
– J'ai fait le plongeon, dit Trim, et, n'en déplaise à Votre Honneur, j'en avais par-dessus la tête.
– Dis-moi où, quand, dans quelles circonstances, je n'en ai jamais su un traître mot, dit mon oncle Toby.
– J'ose dire que pas un tambour, pas un enfant de troupe ne l'ignorait dans le régiment.
– Il est grand temps que j'en sois informé, dit mon oncle Toby.
– Votre Honneur ne se souvient pas sans chagrin, dit Trim, de la panique et de la confusion totale qui régnaient à Landen dans notre camp et dans notre armée ; chacun devait se tirer seul d'affaire et sans les régiments de Wyndham, Lumley et Galway qui couvrirent la retraite au pont de Neerspecken, le roi lui-même eût pu difficilement s'échapper, pressé qu'il était de toutes parts. [...]
Le nombre des blessés était prodigieux et nul n'avait le temps que de songer à son propre salut. – Talmash, dit mon oncle Toby, ramena pourtant son infanterie avec beaucoup de prudence.
– Je fus, moi, laissé sur le terrain, dit le caporal.
– Pauvre diable ! je le sais bien, dit mon oncle Toby. – Je dus ainsi, poursuivit Trim, attendre le lendemain midi pour être échangé puis transporté à l'hôpital sur une charrette avec treize ou quatorze autres. Il n'y a point de partie du corps, n'en déplaise à Votre Honneur, où une blessure soit plus douloureuse qu'au genou –
– L'aine exceptée, dit mon oncle Toby.
– N'en déplaise à Votre Honneur, je crois le genou plus douloureux, à cause de tous les tendons et les je-ne-sais-trop-quoi qui y arrivent.
– Voilà précisément, riposta mon oncle Toby, ce qui rend l'aîné plus sensible car outre les tendons et les je-ne-sais-trop-quoi-non-plus (leur nom m'est aussi inconnu qu'à toi) il y a *** –
Mrs. Wadman qui, durant toute cette conversation, n'avait pas quitté sa tonnelle retint à ce coup son souffle, dénoua le ruban de son béguin10 et demeura un pied en l'air. Entre mon oncle Toby et Trim l'amicale discussion se prolongea quelque temps encore sans rien perdre de sa force ; Trim, enfin, se souvenant que les douleurs de son maître lui avaient maintes fois arraché des larmes tandis qu'il endurait les siennes les yeux secs, fit mine d'abandonner la partie ; mon oncle Toby ne le lui permit pas – – Cela ne prouve rien, dit-il, que ta générosité naturelle.
Ainsi la question de savoir si la douleur d'une blessure au genou dépasse (cœteris paribus11) celle d'une blessure à l'aine ou, à l'inverse, si celle d'une blessure à l'aine n'est pas plus grande que celle d'une blessure au genou, demeure entièrement irrésolue. »
Dans le chapitre XX, Trim se voit recueilli par une famille de paysans, et soigné par une jeune nonne.
Chapitre XXI
– Ce n'est pas merveille, dit Trim voyant mon oncle Toby songeur, car l'amour, n'en déplaise à Votre Honneur, ressemble à la guerre en ceci qu'un soldat, sorti sain et sauf le samedi soir de trois semaines de bataille, peut être frappé en plein cœur le dimanshe matin ; c'est précisément ce qui m'advint ici, avec pourtant cette différence que je tombai, pour ma part, amoureux le dimanche après-midi. Cet amour éclata, n'en déplaise à Votre Honneur, comme une bombe, presque sans me donner le temps de me dire : « Dieu me bénisse ». – Je ne croyais pas, Trim, dit mon oncle Toby, qu'un homme pût tomber si soudainement amoureux.
– Si fait, répondit Trim, pourvu qu'il soit déjà en bon chemin.
– Dis-moi, demanda mon oncle Toby, comment cela t'arriva-t-il ?
– Je vous le conterai très volontiers, répondit Trim en s'inclinant.
Chapitre XXII
J'avais échappé jusque-là ; j'aurais continué jusqu'à la fin si les destins n'en avaient décidé autrement : on ne résiste pas à leurs décrets.
C'était, je l'ai déjà dit à Votre Honneur, un dimanche après-midi –
Le vieux paysan et sa femme étaient sortis –
Il régnait dans la maison la quiétude et le silence de minuit, pas un canard, pas un caneton dans la cour. La belle Béguine12 entra.
Ma blessure était alors en bonne voie de guérison : à l'inflammation, disparue depuis quelques jours, avait succédé au-dessus et au-dessous du genou une démangeaison si insupportable que je n'avais pu fermer l'œil de la nuit.
– Faites voir, me dit-elle, en s'agenouillant sur le sol parallèlement à ma jambe et en posant la main sous ma blessure ; il n'y faut qu'une petite friction. Couvrant ma jambe du drap, elle se mit à frictionner sous le genou d'un index que guidait la bande de flanelle qui maintenait mon pansement ; cinq ou six minutes plus tard, je perçus le frôlement du médius, qui bientôt se joignit à l'autre ; cette friction circulaire se poursuivit un bon moment ; l'idée me vint alors que je devais tomber amoureux. La blancheur de sa main me fit rougir ; de ma vie, n'en déplaise à Votre Honneur, je n'en verrai une aussi blanche.
– À cet endroit, intervint mon oncle Toby –
Quelque sincère que fût son désespoir, le caporal ne put s'empêcher de sourire.
– Devant le soulagement, poursuivit-il, que sa friction apportait à mon mal, la jeune Béguine passa de deux à trois doigts, puis abaissa le quatrième et finit par y employer toute la main. Je ne dirai plus rien des mains, n'en déplaise à Votre honneur, mais celle-ci était plus douce que le satin –
– Je te prie, Trim, dit mon oncle, fais-en tout l'éloge qui te plaira, j'écouterai, pour moi, ton histoire avec d'autant plus de plaisir. Le caporal remercia très vivement son maître mais n'ayant rien de plus à dire sur la main de la Béguine passa sans retard aux effets du traitement.
– La belle Béguine, dit-il, m'ayant ainsi longtemps frictionné à pleine main, je craignis pour elle une fatigue : « J'en ferai mille fois plus, s'écria-t-elle, pour l'amour du Christ ! » À ces mots, elle franchit la bande de flanelle et attaqua le dessus du genou où je lui avais dit souffrir d'une égale démangeaison.
Je perçus alors les approches de l'amour. Sous cette friction répétée, je le sentis se répandre et gagner tout mon corps ; plus elle frottait fort et plus loin le feu s'allumait dans mes veines, deux ou trois mouvements enfin d'une ampleur plus marquée élevèrent ma passion à son paroxysme, je lui saisis la main –
– Pour la presser, j'imagine, contre tes lèvres, dit mon oncle Toby, et faire ta déclaration.
Cette scène des amours de Trim s'acheva-t-elle exactement comme l'imaginait mon oncle Toby, rien ne le prouve. L'essence du romanesque amoureux tel que les hommes l'ont chanté depuis le commencement du monde ne s'y trouve pas moins incluse13. »
L'ESPRIT DE RABELAIS
Parmi les nombreux souvenirs littéraires que comporte Jacques le Fataliste, l'œuvre de Rabelais occupe une place prépondérante. À plusieurs siècles d'écart, les deux auteurs se rejoignent en effet sur l'affirmation de la dimension ludique14 du langage, sur la revendication de la littérature comme espace inaliénable de liberté – du blasphème à l'obscénité –, ou encore sur l'apologie épicurienne du plaisir. La parodie de dissertation érudite sur le nom « Bigre » et le cycle paillard des amours villageoises de Jacques, sont autant de passages de Jacques sur lesquels souffle l'esprit de Rabelais.
Plus directement encore, le passage de la prophétie de la gourde15 constitue un hommage direct au Cinquième Livre, à la fin duquel les voyageurs Panurge et Pantagruel, au terme de leur périple « initiatique », parviennent au temple de la dive Bouteille pour y entendre son oracle :
« Là fist Bacbuc16, la noble Pontife17, Panurge besser18 et baiser la marge de la fontaine, puis le fist lever, et autour danser trois Ithymbons19. Cela fait, luy commanda s'asseoir entre deux selles20, le cul à terre, là préparées. Puis desploya son livre ritual, et, luy soufflant en l'aureille gausche, le fist chanter une Epilemie21, comme s'ensuit :
O Bouteille
Pleine toute
De misteres,
D'une aureille
Je t'escoute :
Ne differes,
Et le mot proferes
Auquel pend22 mon cœur.
En la tant divine liqueur,
Baccus23, qui fut d'Inde vainqueur,
Tient toute vérité enclose.
Vin tant divin, loin de toy est forclose24
Toute mensonge et toute tromperie.
En joye soit l'aire de Noach25 close,
Lequel de toy nous fist la temperie26.
Sonne le beau mot, je t'en prie,
Qui me doibt oster de miseres.
Ainsi ne se perde une goutte.
De toy, soit blanche,
ou soit vermeille,
O Bouteille
Pleine toute
De misteres,
D'une aureille
Je t'escoute :
Ne differes.
Ceste chanson parachevée, Bacbuc jetta je ne sçay quoy dedans la fontaine, et soudain commença l'eau bouillir à force, comme fait la grande marmite de Bourgueil quand y est feste à bastons27. Panurge escoutoit d'une aureille en silence ; Bacbuc se tenoit près de luy agenouillée, quand de la sacrée Bouteille issit28 un bruit tel que font les abeilles naissantes de la chair d'un jeune taureau occis et accoustré29 selon l'art et l'invention d'Aristeus, ou tel que fait un guarot30 desbandant l'arbaleste, ou en esté une forte pluye soudainement tombant. Lors fut ouï ce mot : Trinch31.
« Elle est, s'escria Panurge, par la vertu Dieu ! rompue, ou feslée, que je ne mente : ainsi parlent les bouteilles cristalines32 de nos pays, quant elles près du feu esclatent. »
Lors Bacbuc se leva et print Panurge souz le bras doucettement, lui disant : « Amy, rendez graces ès cieux, la raison vous y oblige : vous avez promptement eu le mot de la dive Bouteille. Je dy le mot plus joyeux, plus divin, plus certain, qu'encores d'elle aye entendu depuis le temps qu'icy je ministre33 à son tressacré Oracle. Levez-vous, allons au chapitre en la glose duquel est le beau mot interprété34. – Allons, dist Panurge, de par Dieu. Je suis aussi sage que antan35. Esclairez : où est ce livre ? Tournez : où est ce chapitre ? Voyons ceste joyeuse glose36. »
Goethe ne s'y est pas trompé qui, en termes très rabelaisiens, file la métaphore du festin païen pour décrire le plaisir qu'il a éprouvé à la lecture du roman de Diderot : « Lu de six heures à onze heures et demie et d'une traite Jacques le Fataliste de Diderot ; me suis délecté comme le Baal37 de Babylone à un festin aussi énorme ; ai remercié Dieu que je sois capable d'engloutir une telle portion d'un seul coup avec le plus grand appétit et pourtant avec un plaisir indescriptible38. »
ÉRIC WALTER, JACQUES LE FATALISTE
La critique universitaire a longtemps négligé Jacques le Fataliste au profit d'autres œuvres de Diderot. Le désordre délibéré du roman s'est parfois vu assimilé à un défaut de composition. Il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que Jacques se voie enfin redécouvert et « réhabilité ». Mais, comme l'a souligné Éric Walter, l'intérêt fasciné des contemporains pour la « modernité » du roman, a trop souvent occulté tout ce par quoi il s'inscrit dans une certaine tradition :
« Or, Jacques n'est ni un roman balzacien ni un récit de Butor ou de Sollers. Replacé, comme il doit l'être, dans l'histoire du roman à l'âge classique (de Cervantès à Richardson), ce livre nous apparaît comme tributaire de tout un héritage qu'il assume et dépasse. Dans Don Quichotte, l'ironie réflexive se faisait juge et complice de la folie romanesque : dans Jacques s'enchevêtrent les paradoxes d'une déraison féconde et l'ébauche d'une nouvelle logique du récit qui, par-delà Richardson et Rousseau, ouvre la voie à une transformation du roman. Que Jacques procure un plaisir de modernité, tant mieux ! Mais n'y cherchons pas tout le roman moderne contenu à l'état de germe ! Si ce roman en rupture avec le romanesque nous fascine toujours, c'est surtout qu'il est traversé par des interrogations qui sont encore les nôtres : que peut le roman sur lui-même ? Que peut le roman sur le réel ? Pour qui écrit-on et comment est-on lu39 ? »
1 Diderot, Éloge de Richardson (1762), in Œuvres esthétiques, P. Vernière éd., Bordas, 1988, p. 29.
2 Il s'agit d'un roman épistolaire.
3 Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761), M. Launay éd., GF-Flammarion n° 148, 1967, p. 3.
4 De l'espagnol picaro qui désigne un aventurier pauvre. Sur le genre picaresque, se reporter à la présentation p. 31-32.
5 Cervantès, L'Ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche, L. Viardot trad., L. Urrutia éd., GF-Flammarion nos 196-197, 1969, p. 51-53.
6 L'intertextualité s'intéresse aux relations existant entre les différentes œuvres littéraires. Elle peut être explicite ou implicite. En l'occurrence ici, on remarque la présence avérée d'un texte (Tristram Shandy) dans un autre (Jacques le Fataliste).
7 Rappelons que la parodie imite en caricaturant, alors que le plagiat se contente de copier l'original.
8 Jacques le Fataliste, p. 301.
9 Guillaume d'Orange (1650-1702), devenu roi d'Angleterre en 1689 sous le nom de Guillaume III.
10 Coiffe s'attachant sous le menton.
11 Toutes choses égales par ailleurs.
12 Nonne.
13 Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy (1759-1767), Ch. Mauron trad., S. Soupel éd., GF-Flammarion n° 371, 1982, p. 512-519.
14 Du latin ludus : le jeu. Chez Diderot, ces jeux de langage portent plus sur les genres que sur les mots.
15 Jacques le Fataliste, p. 244.
16 En hébreu : bouteille.
17 Prêtresse.
18 Se baisser.
19 Danses bachiques.
20 Chaises.
21 Ode bachique.
22 Aspire.
23 Dieu romain du vin.
24 Retenue.
25 L'ère de Noé (ère de purification par le Déluge).
26 Mélange, composition.
27 Fête à processions.
28 Sortait.
29 Tué et préparé.
30 Trait, flèche.
31 Bois (trink, en allemand).
32 De verre.
33 J'exerce le ministère.
34 Allons au chapitre suivant dans lequel le mot est interprété.
35 Auparavant.
36 Rabelais, Le Cinquième Livre (1564), chapitre XLIV, F. Joukovsky éd., GF-Flammarion n° 872, 1995, p. 182-183.
37 Ancien dieu babylonien.
38 Goethe, Journal, références bibliographiques (3 avril 1780).
39 Éric Walter, Jacques le Fataliste, Hachette, 1975, p. 4-5.