Avec ou sans barbe ?
Voilà, j’avais fini d’exploiter les contacts glanés lors de mon premier séjour sur Meetic – je vous fais grâce de multiples conversations stériles et de quelques rendez-vous manqués ou sans intérêt.
Avide de nouvelles rencontres, je me suis réabonné au grand Meeticus Circus en avril 2006, soit trois mois après mon premier retrait. Mais j’ai décidé de modifier mon fonctionnement. Tout d’abord, j’ai créé un nouveau profil. Fatigué de Chatmile, je suis devenu Wouazo. Un wouazo de nuit, un wouazo migrateur, un wouazo de mauvais augure, ou pourquoi pas un wouazo rare ? Au gré des interprétations. Je voulais sans doute signifier que j’étais libre mais pas forcément sauvage ni inapprivoisable ; que j’étais en train de réapprendre à voler, donc pas forcément à l’abri d’une chute. Je voulais aussi rendre hommage à l’album Grand Wazoo de Frank Zappa – un de mes artistes musiciens préférés.
Dans la foulée, j’ai changé mon annonce, je m’en étais lassé. Il fallait bien sûr rester dans le second degré et continuer à utiliser l’humour et l’autodérision comme ingrédients de base. Après plusieurs tentatives, je me suis décidé pour celle-ci :
« Médicament de la famille des âmesœuroïdes.
Pas d’effet secondaire (type nausée, somnolence, migraine…) connu à ce jour.
Posologie selon diagnostic (compatible avec un bon verre).
Attention : le risque d’accoutumance est réel. »
Et puis j’ai soumis une photo en noir et blanc. Tant qu’à faire, autant jouer le jeu à fond et apparaître dans le grand catalogue virtuel, je n’avais aucune envie de retourner sur le banc de touche et de regarder les autres s’amuser – pour qui l’ignorerait, les profils sans photo ne défilent pas de manière aléatoire sur la page d’accueil du site, d’où des chances d’être « visité » infiniment plus faibles.
Texte et image ont été validés et les retombées sans aucune comparaison avec ce que j’avais connu lors de mon précédent séjour sur le site. Avec une photo, j’existais enfin pleinement, on visitait ma page à un rythme inédit pour moi, on prenait la peine de lire mon annonce. Je recevais des flashes (sortes de coups de cœur bruts de commentaires), des femmes me sollicitaient pour chatter…
Cette nouvelle annonce a également fait l’objet de nombreux mails, dans l’ensemble très sympathiques. En voici quelques-uns :
« Je ne sais pas si ce médicament me conviendrait, mais il me donne envie de me le faire prescrire ! Véronique. »
« Bonsoir, docteur ! Si vous assurez que le médicament “wouazo” ne provoque pas d’effet secondaire, que la posologie est en fonction du diagnostic, peut-être pourriez-vous faire la connaissance d’une nouvelle patiente ? Encore que le phénomène d’accoutumance m’inquiète un peu… Au plaisir de vous lire. Bonne soirée, Amélie. »
« Bonsoir, On pourrait peut-être essayer d’écouter nos ramages par téléphone, ça ne mange pas de miettes ! »
« Je trouve votre annonce franchement originale, humoristique et sympathique ! Mais cette “drogue” est-elle véritablement dangereuse parce qu’elle induit une accoutumance à laquelle nulle ne saurait résister ? :-) À vous lire encore…
Ça y est, l’effet se fait sentir ! Bélinda. »
« Bonjour, J’apprécierais que tu nous livres en kit la notice de ton manuel d’instruction à l’usage des utilisatrices novices de Mister Bird : composition du produit, posologie requise, mode et voie d’administration, précautions d’emploi, contre-indications, effets secondaires indésirables, mises en garde, degré de saturation, interactions à éviter… La seule chose qu’il y a à comprendre dans mon humble déballage fouillis, c’est : fragile, handle with care. J’ai bien aimé ton annonce, tu l’auras remarqué, et je pourrais continuer à émulsionner avec tes mots. Cris le colibri. »
« Bonsoir, Que préconisez-vous comme examen et première prise ? Dial, e-mail, contact visuel ? À très bientôt, patiente Nadège. »
« Tout est question de dosage… Êtes-vous pour le dosage homéopathique ou pour les cures intenses de courte durée ? Une amie. »
« Bonjour, Je ne sais pas s’il y aura une suite, mais je trouve votre annonce assez drôle et pleine de charme ! Véro. »
« Wouazo rare ? Bonjour, je sais que je n’entre pas dans le “créneau” mais j’ai trouvé votre ordonnance originale. Donc prendre un cachet d’âme-sœur, à tout moment de la journée, avec un grand verre d’humour, laisser agir et l’accoutumance pourra devenir nécessité si absorption régulière… Bien merci, docteur Folamour ! »
« Cher Doc ! Après avoir consulté quelques charlatans de bas étage, il était grand temps que je trouve ce docteur rarissime, si j’en crois votre spécialité… »
« Bravo ! Un petit clin d’œil à votre annonce, très drôle, que j’ai beaucoup appréciée, j’ai même cru que vous étiez médecin. Merci de votre humour qui nous donne le sourire en vous lisant. Bonne journée. Cathy. »
Curieusement, certaines femmes ne comprenaient pas l’annonce – ou feignaient de ne pas la comprendre. Même mon pseudo leur paraissait parfois incompréhensible.
« Bonsoir, Seriez-vous médecin par hasard ? Sinon, que cherchez-vous réellement ? À bientôt, j’espère une réponse. Dom. »
« Bonjour et une question : faut-il un traducteur pour votre annonce ? Quand vous aurez un moment, et si vous le souhaitez, répondez-moi. À bientôt peut-être, Jane. »
« J’ai fiévreusement consulté les quelques dictionnaires de la maison… D’âmesœuroïdes, point ! Donc, de toute évidence, vous êtes un écrivain de bouquins médicaux. Ça existe, comme profession ? »
« Âmesœuroïdes : j’ai cherché dans tous les dictionnaires ! Rien de rien ! Et puis j’ai réfléchi… mais oui, absolument ! Et je crois avoir trouvé l’amas de molécules dont il s’agit. J’ai même trouvé l’antidote ! Il se nomme âmefrèroïde, il ne reste plus qu’à le faire breveter ! À vous lire, j’espère, pour comparer nos recherches, bien sûr ! »
« Question : S’il vous plaît, que veut dire votre pseudo ? Amitiés, Clary. »
D’autres se focalisaient sur mon métier. Fabrice avait raison, beaucoup de femmes sont fascinées par cette activité. Certaines s’intéressaient à ce que j’écrivais. Beaucoup m’ont traité de mythomane lorsque je refusais de donner mon nom ou un titre de livre (il suffisait ensuite de googler pour tout savoir de mon identité). D’autres au contraire me reprochaient d’utiliser Meetic pour faire ma pub lorsque j’acceptais de jouer la transparence… À n’y rien comprendre.
« Écrire à un écrivain, voilà qui est audacieux de ma part ! Allons, courage ! N’ayant jamais présenté d’allergie aux âmesœuroïdes, le risque est minime et, qui sait, l’auteur me racontera peut-être une belle histoire ! Mais, dites-moi, écrivain, c’est un vrai métier, ça ? »
« Lorsque j’ai lu “écrivain”, je me suis esclaffée dans ma boutique Internet. En effet, vous êtes le premier homme avec un profil artistique que je vois sur Meetic… »
« Bonjour M. l’écrivain, Aimez-vous la musique classique ? Le jazz ? Les balades dans la nature ? Qu’avez-vous écrit ? J’ai hâte de vous lire. Jbby. »
« Bonsoir ! Vous êtes écrivain ? Voilà une sacrée vocation… Vous arrivez à en vivre ? Il faut que vous sachiez que vous faites partie des gens qui me fascinent. J’ai toujours adoré l’écriture et espère bien m’y consacrer – ou en tout cas y consacrer plus de temps – dans ma seconde vie (enfin, la dernière !). Qu’est-ce que vous écrivez ? Racontez-moi… Une future lectrice… »
Beaucoup de femmes se posaient et m’ont posé la question contenue dans le mail suivant :
« Salut l’écrivain ! T’es venu ici pour pêcher des idées pour ton inspiration ou quoi ? À plus, Dom. »
Et elles étaient souvent nettement moins courtoises. Certaines d’entre elles étaient persuadées que j’étais là pour écrire un livre sur les sites de rencontres, ce qui, je le rappelle au risque de me répéter, ne m’effleurait même pas à l’époque – si ça avait été le cas, je l’aurais rédigé en temps réel, à chaud, dans le feu de l’action.
Et puis il y avait celles qui écrivaient elles-mêmes – de loin les plus redoutables. J’en ai croisé un nombre respectable. Elles m’invitaient à chatter et au bout de quelques minutes m’avouaient qu’elles écrivaient et recherchaient un éditeur. Comment le trouver ? Comment le contacter ? Et est-ce que je voulais bien lire leur prose ?…. Il me fallait déployer beaucoup de diplomatie afin de m’en défaire sans trop les heurter. D’autres synthétisaient ces questions dans un courriel malhabile. Un exemple parmi tant d’autres :
« Bonjour, Mon message est un peu à part des recherches de Meetic, je m’explique. J’écris, donc l’étape suivante est l’édition. Aimeriez-vous parler avec moi de vos écrits et de la manière dont vous faites connaître et éditer vos livres ? Écrire et éditer, même si ce n’est pas une mince affaire, c’est en fait assez facile (ou presque), mais le mettre dans des catalogues et le faire savoir, voilà qui corse la difficulté. Alors que dire pour en faire la publicité ? Voilà, c’est une petite demande un peu spéciale mais qui m’arrangerait bien et je vous remercie d’avance si vous pouviez me donner un coup de main.
Cordialement et bonne chance pour vos recherches.
PS : j’ai déjà édité, mais mon public était connu, donc la vente relativement facile, mais pour atteindre le Grand public… C’est une autre histoire. »
Pff ! Que répondre, que faire ? Je ne suis ni éditeur ni agent littéraire et je n’étais pas sur ce site pour donner un coup de main à toutes celles qui caressaient le fantasme d’être un jour publiées. Mais je répondais quand même, toujours, par correction. J’essayais d’être bref et de couper court à l’échange. Pour ce qui concernait celle qui m’envoyait le mail cité en exemple, ses quelques phrases maladroites ne donnaient aucunement envie de se farcir tout un manuscrit. Il était évident qu’elle n’allait nulle part…
Un soir sur la messagerie instantanée de Meetic – il était très tard –, une femme a pris la mouche et s’est offusquée que je rechigne à poursuivre une discussion autour de la littérature qui m’ennuyait fortement. J’ai eu droit à quelques jolis noms d’wouazos. Mais ce n’est quand même pas parce qu’on en a fait son métier qu’on ne rêve de dialoguer qu’à propos de ça. Je suppose que ces personnes-là ne parlent que de leurs finances lorsqu’elles s’adressent à un banquier sur le site… Mais, au fait, de quoi parlent-elles à un gynécologue ?
Dans le même ordre d’idées, j’ai un jour envoyé un mail à une infirmière en prenant soin, si j’ose dire, de ne pas tomber dans toutes les facilités que pouvait susciter sa profession : « Joli pseudo, jolie frimousse, annonce bien troussée… Aucun bobo à soigner, juste envie de faire votre connaissance. Si le cœur vous en dit. À bientôt, Wouazo. » Voici sa réponse : « Merci pour votre mail, c’est très gentil ! Enfin quelqu’un qui n’essaie pas de me faire faire des heures supplémentaires ! À bientôt peut-être, amicalement, Cathy. »
Et puis, ma modestie dût-elle en pâtir et mes joues en rosir, j’ai reçu des mails assez directs, voire explicites, provenant de personnes avec lesquelles je n’avais jamais échangé. Ces mails-là faisaient directement référence à mon physique, ou plus exactement à la photo qui me représentait – sans doute fort avantageusement…
« Waouuuuuuuuuu ! Beau – très beau ! »
« Bonsoir, Charmant, vous devez être très sollicité ! »
« Good evening. Was just thinking, what lovely eyes you have. And what’s more, you’re a writer… Qu’écrivez-vous ? Dany. »
« Êtes-vous toujours en location, cher monsieur ? »
« Bonjour, vous me plaisez bien. J’aimerais savoir quel genre de femme vous intéresse. »
« Bonjour, tu me fais rire avec ton annonce parce que j’ai employé la même méthode au cours d’une formation sur l’humour dans le travail social. À part ça, t’as une bonne tête, j’aime bien… Alexandra. »
« Vous connaître… Cher Wouazo, bonjour, je suis sans aucun effet secondaire mais vous ne me consommerez pas tout de suite… Après, peut-être… et sans modération ! »
« Tout simplement : Wahoooo ! Ou wouahh ! au choix… (sourire). En tout cas, si faire connaissance vous tentait, surtout, n’hésitez pas. Bonne fin de soirée. Amina. »
Il n’est jamais désagréable de lire ce genre de flatteries, mais je m’interrogeais sur leurs expéditrices. Curieuse façon d’aborder quelqu’un. De fait, je n’ai rencontré aucune de celles-ci.
Il existe une pratique assez couramment utilisée sur le site (surtout par les hommes, probablement). Vous rédigez un long mail où vous vous présentez de manière plus approfondie ou plus originale que dans votre annonce et vous ajoutez quelques banalités passe-partout du genre : « Votre profil me séduit beaucoup », « Je vous trouve beaucoup de charme », « Vous correspondez exactement à mes attentes »… Ensuite, vous faites une sélection de profils et vous leur adressez votre missive en copier-coller. C’est un peu le principe du spam, vous en envoyez cent et vous réjouissez d’obtenir une réponse. Ces mails sont faciles à repérer, ils ne font aucune allusion précise à votre profil, à votre recherche, à votre annonce, ou à votre photo… Ils sont purement impersonnels. J’en ai reçu quelques-uns, mais comme ils puaient le copier-coller, je les détruisais aussitôt. Dommage, certains valaient le détour. En revanche, j’en ai conservé un qu’une femme avec qui je papotais régulièrement en toute camaraderie – ça existe aussi sur le chat de Meetic – m’a fait suivre. Elle venait de le recevoir d’un inconnu qui ne manquait pas d’air : « Bonjour, je m’appelle Christophe, je suis français mais je vis en Russie, à Moscou. Je suis ingénieur en bâtiment. J’ai remarqué votre photo ; je dois avouer que vous êtes ravissante. C’est pour cela que je vous écris. Je suis originaire de Reims et j’y serai pour les fêtes ; mes parents y résident. Je vous propose de vous rencontrer. Bien sûr, cette rencontre sera sans lendemain puisque je vis très loin de Reims. On appelle cela une aventure, je crois. J’imagine que vous trouverez cela très cavalier mais je pense que vous comprendrez, vous n’avez plus quinze ans… Dans l’attente de votre réponse… Bisous. Christophe. » La copine en question était sidérée, le goujat n’avait même pas pris la peine de cibler géographiquement son spamming : elle habitait à deux cents kilomètres de Reims ! En envoyant son billet d’un romantisme contestable à un millier de jolies filles, il avait peut-être une infime chance de passer les fêtes en galante compagnie…
Enfin, pour terminer ce petit tour d’horizon des mails reçus, voici un de mes préférés :
« Objet : Barbe ?
Êtes-vous avec ou sans barbe en ce moment ? Je vous aime bien… mais sans ! »
Je précise qu’il est possible de mettre plusieurs photos en ligne sur un site de rencontres et, au moment de la réception de ce mail, je devais apparaître avec et sans barbe. Sur le coup, j’ai eu envie de répondre à cette estimable personne qu’il était plus facile de se raser la barbe que de se faire greffer quelques neurones supplémentaires. Je me suis abstenu. Aujourd’hui, j’en ris.