Scène Première

ATALIDE, ZAIRE

ATALIDE

Zaire, il est donc vrai, sa grâce est prononcée ?

ZAIRE

Je vous l'ai dit, Madame : une esclave empressée,

Qui courait de Roxane accomplir le désir,

Aux portes du sérail a reçu le Vizir.

Ils ne m'ont point parlé ; mais mieux qu'aucun langage,

Le transport du Vizir marquait sur son visage

Qu'un heureux changement le rappelle au palais,

Et qu'il y vient signer une éternelle paix.

Roxane a pris sans doute une plus douce voie.

ATALIDE

Ainsi de toutes parts les plaisirs et la joie

M'abandonnent, Zaïre, et marchent sur leurs pas.

J'ai fait ce que j'ai dû, je ne m'en repens pas.

ZAIRE

Quoi, Madame ? Quelle est cette nouvelle alarme ?

ATALIDE

Et ne t'a-t-on point dit, Zaïre, par quel charme,

Ou, pour mieux dire enfin, par quel engagement

Bajazet a pu faire un si prompt changement ?

Roxane en sa fureur paraissait inflexible.

A-t-elle de son cœur quelque gage infaillible ?

Parle. L'épouse-t-il ?

ZAIRE

Parle. L'épouse-t-il ?Je n'en ai rien appris.

Mais enfin s'il n'a pu se sauver qu'à ce prix,

S'il fait ce que vous-même avez su lui prescrire,

S'il l'épouse, en un mot…

ATALIDE

S'il l'épouse, en un mot…S'il l'épouse, Zaïre !

ZAIRE

Quoi ! vous repentez-vous des généreux discours

Que vous dictait le soin de conserver ses jours ?

ATALIDE

Non, non ; il ne fera que ce qu'il a dû faire.

Sentiments trop jaloux, c'est à vous de vous taire ;

Si Bajazet l'épouse, il suit mes volontés ;

Respectez ma vertu qui vous a surmontés ;

A ces nobles conseils48 ne mêlez point le vôtre,

Et loin de me le peindre entre les bras d'une autre,

Laissez-moi sans regret me le représenter

Au trône où mon amour l'a forcé de monter.

Oui, je me reconnais, je suis toujours la même.

Je voulais qu'il m'aimât, chère Zaïre : il m'aime ;

Et du moins cet espoir me console aujourd'hui

Que je vais mourir digne et contente de lui.

ZAIRE

Mourir ! Quoi ? vous auriez un dessein si funeste ?

ATALIDE

J'ai cédé mon amant : tu t'étonnes du reste ?

Peux-tu compter, Zaïre, au nombre des malheurs

Une mort qui prévient et finit tant de pleurs ?

Qu'il vive, c'est assez. Je l'ai voulu sans doute,

Et je le veux toujours, quelque prix qu'il m'en coûte.

Je n'examine point ma joie ou mon ennui :

J'aime assez mon amant pour renoncer à lui.

Mais, hélas ! il peut bien penser avec justice

Que si j'ai pu lui faire un si grand sacrifice,

Ce cœur, qui de ses jours prend ce funeste soin,

L'aime trop pour vouloir en être le témoin.

Allons, je veux savoir…

ZAIRE

Allons, je veux savoir…Modérez-vous, de grâce.

On vient vous informer de tout ce qui se passe.

C'est le Vizir.