Scène 4

ROXANE,  seule.

Ma rivale à mes yeux s'est enfin déclarée.

Voilà sur quelle foi je m'étais assurée.

Depuis six mois entiers j'ai cru que nuit et jour

Ardente elle veillait au soin de mon amour,

Et c'est moi qui du sien ministre70 trop fidèle

Semble depuis six mois ne veiller que pour elle,

Qui me suis appliquée à chercher les moyens

De lui faciliter tant d'heureux entretiens,

Et qui même souvent prévenant son envie

Ai hâté les moments les plus doux de sa vie.

Ce n'est pas tout : il faut maintenant m'éclaircir

Si dans sa perfidie elle a su réussir ;

Il faut… Mais que pourrais-je apprendre davantage ?

Mon malheur n'est-il pas écrit sur son visage ?

Vois-je pas, au travers de son saisissement,

Un cœur dans ses douleurs content de son amant ?

Exempte des soupçons dont je suis tourmentée,

Ce n'est que pour ses jours qu'elle est épouvantée.

N'importe. Poursuivons. Elle peut comme moi

Sur des gages trompeurs s'assurer de sa foi.

Pour le faire expliquer, tendons-lui quelque piège.

Mais quel indigne emploi moi-même m'imposé-je ?

Quoi donc ? à me gêner71 appliquant mes esprits,

J'irai faire à mes yeux éclater ses mépris ?

Lui-même il peut prévoir et tromper mon adresse.

D'ailleurs, l'ordre, l'esclave, et le Vizir me presse.

Il faut prendre parti, l'on m'attend. Faisons mieux :

Sur tout ce que j'ai vu fermons plutôt les yeux,

Laissons de leur amour la recherche importune,

Poussons à bout l'ingrat, et tentons la fortune ;

Voyons si par mes soins sur le trône élevé

Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé,

Et si de mes bienfaits lâchement libérale72

Sa main en osera couronner ma rivale.

Je saurai bien toujours retrouver le moment

De punir, s'il le faut, la rivale et l'amant.

Dans ma juste fureur observant le perfide

Je saurai le surprendre avec son Atalide,

Et d'un même poignard les unissant tous deux,

Les percer l'un et l'autre, et moi-même après eux.

Voilà, n'en doutons point, le parti qu'il faut prendre.

Je veux tout ignorer.