Allis, c’est moi, mais l’histoire de ce livre n’est pas la mienne. C’est celle d’Alexandre, de Maria et de Yann – d’Élisabeth et de Manon aussi – telle qu’elle me fut racontée il y a des années, telle que je l’ai reconstruite. Ce n’est pas la mienne, sinon par rebonds. Pas la mienne, si ce n’est notre commune quête d’amour.
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
Dans le village où j’habite aujourd’hui, mes voisins m’apportent de la soupe quand ils me voient triste, et quand je tousse, ils viennent me faire de la tisane de romarin et de thym sauvage.
Je vis dans une maisonnette au milieu des oliviers avec Maya, ma grosse chienne noire qui fout la trouille à tout le monde. En réalité, c’est elle qui a peur. Maya pèse plus de soixante-dix kilos, c’est un cauchemar de la voir foncer, babines écumantes,
yeux exorbités, pour vous bouffer tout cru. Il suffit cependant que je dise « non » pour qu’elle freine, comme dans les bandes dessinées, dans un nuage de poussière. Elle me contemple alors d’un air perplexe, Laisse-moi le dévorer, celui-là, allez, quoi. Celui-là, c’est le nouveau facteur ou le ramoneur à sa première visite. Sa dernière aussi, probablement. Le facteur va désormais glisser le courrier sous le rideau de fer du garage, et ma cheminée fumera beaucoup l’hiver prochain.
Je ne sais pas pourquoi ça me plaît qu’elle soit comme ça. Peut-être parce que moi aussi j’ai peur. Et parce que moi aussi je peux être sauvage.
Mes journées ici sont tranquilles, semblables les unes aux autres. Le matin je pars courir dans les bois, l’après-midi j’écris, je fais du feu dans la cheminée et je lis quelques vieux bouquins, romans et essais. Dernièrement, je médite la phrase de saint Augustin, « Aime et fais ce que tu veux. » Pendant longtemps, je n’y ai rien compris. Puis, une nuit où je ne dormais pas, j’ai commencé à y voir plus clair. Qu’est-ce qu’on entend par amour ? Pour moi, ce n’est pas la passion des premiers mois, la brûlure des débuts. J’ai toujours eu hâte de ce qui vient après, poursuivant cette joie fragile et responsable, cette continuité. Amour de douceur et douceur d’amour, où l’on renonce à s’affirmer pour aller vers la compassion humaine, la charité. Comme l’écrivait le philosophe allemand Adorno dans
Minima Moralia
, « Tu seras aimé lorsque
tu pourras montrer ta faiblesse sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. » « Aime et fais ce que tu veux », c’est aller dans le sens de la réalité de l’amour, là où il tient lieu de morale, là où il conduira vers la vertu. L’amour, c’est le droit chemin de l’existence.
Lavée des illusions – et Dieu sait que j’en ai eu –, il me semble que je marche à présent vers ma vérité. Quelle qu’elle soit. Comme Alexandre l’a fait, et Yann, et Maria.