SÉCRÉTIONS VAGINALES, RÈGLES ET AUTRES GLAIRES

 

Comme les autres orifices du corps, le vagin est une porte de sortie, et non pas seulement un endroit dans lequel on peut fourrer quelque chose. Il en sort des bébés qui crient, mais aussi du sang, du mucus et des glaires. Le vagin offre d’énormes joies et plaisirs, mais aussi des situations embarrassantes et il permet de constater que quelque chose cloche à l’entrejambe. Sans parler des hormones, à savoir les messagers chimiques qui orchestrent le tout. Bref, il est temps de parler des aspects un peu moins évidents du sexe féminin.

DOUCHEBAGS ET MINETTES DE DISCOTHÈQUE

On rencontre avant tout les sécrétions ou les pertes vaginales (leucorrhées) sous forme de taches luisantes jaunâtres ou laiteuses dans notre culotte. Elles s’y installent durablement à partir de la puberté. Avant toute autre chose, c’est ce qui rend la culotte “sale”. Pas étonnant que les pertes blanches ne soient pas notre sujet de conversation de prédilection. Les sécrétions vaginales paraissent un peu dégoûtantes et impures. En même temps, l’idée d’un sexe humide est quelque chose qui fait briller les yeux des hommes. Alors c’est quoi, ces pertes ? Y a-t-il des différences entre les divers types d’humidité du sexe ? Et pourquoi devrions-nous nous préoccuper de ces sécrétions ?

Constatons-le tout de suite : les filles en bonne santé qui ont atteint la puberté ont des pertes dans leur culotte. Tous les jours. Les pertes sont un liquide qui s’écoule en continu du vagin à partir du jour où, au début de la puberté, notre bas-ventre commence à subir l’influence des hormones que sont les œstrogènes (ou estrogènes). Une partie des sécrétions émane des glandes du col utérin. Le vagin lui-même n’abrite aucune glande, mais une grande quantité de liquide “percole” à travers ses parois et se mélange à la glaire cervicale et les sécrétions des glandes de l’orifice vaginal, notamment aux glandes de Bartholin.

En temps normal, il s’écoule entre une demie et une cuillère à café de sécrétions vaginales par jour. Le volume varie au cours du cycle mais aussi d’une femme à l’autre38. Les femmes enceintes en particulier et un certain nombre de femmes sous contraception hormonale connaissent une augmentation du volume de leurs pertes vaginales. La consistance des pertes varie aussi, d’un liquide fluide à une glaire filamenteuse juste avant l’ovulation.

Les pertes ne sont pas seulement normales, elles sont indispensables – grâce à elles, le vagin est un véritable cylindre autonettoyant. Elles maintiennent le vagin propre et chassent les indésirables de la surface de la muqueuse, comme les champignons et les bactéries, mais aussi les cellules mortes. Qui plus est, les sécrétions regorgent en temps normal de bonnes bactéries, dites lactobacilles, qui produisent, oui, vous avez bien deviné, de l’acide lactique. Ce sont elles qui donnent un goût et une odeur légèrement aigres aux sécrétions.

Plus important encore, l’acide lactique donne un pH bas au vagin, ce qui est nécessaire pour son bien-être. La plupart des bactéries pathogènes ne supportent pas un milieu acide. La présence de lactobacilles les empêche en outre de trouver des conditions favorables à leur développement, car bonnes et mauvaises bactéries se battent pour le même espace et la même nourriture. Bref, les pertes vaginales maintiennent le sexe en bonne santé et œuvrent contre les infections.

En même temps, elles lubrifient les muqueuses. Une muqueuse sèche se lacère facilement et les problèmes ne tardent pas à survenir. Songez seulement à une bouche sans salive. Sans sécrétions, la muqueuse du vagin craquelle et parfois de petites plaies se forment. Les relations sexuelles deviennent cauchemardesques et le risque d’attraper une infection sexuellement transmissible augmente car la barrière externe du vagin est endommagée. Autrement dit, les pertes ne sont pas quelque chose de sale qu’il faudrait laver du vagin, mais un précieux allié.

 

Le problème, c’est qu’on trouve les pertes dégoûtantes, comme si elles étaient un signe d’impureté ou de négligence hygiénique. Très rares sont les filles qui laissent traîner leur culotte usagée dans la salle de bains. Dans certains milieux, on en est arrivé au point où l’on pense que le vagin doit être lavé de ses sécrétions. Vous connaissez peut-être l’insulte américaine douchebag ? Nina n’avait jamais réfléchi à son origine avant de vivre aux États-Unis. Elle avait acheté un flacon de savon intime au supermarché et l’avait laissé dans la douche commune de son logement universitaire. Au bout d’un certain temps, une autre étudiante est venue lui dire en pouffant de rire qu’elle devrait l’enlever, car des rumeurs circulaient déjà sur la fille norvégienne et son douchebag.

“Douchebag ?” a demandé Nina, quelque peu perplexe. Elle a ensuite reçu une explication : tout le monde pensait qu’elle s’introduisait de l’eau savonneuse parfumée dans le vagin, la douche vaginale étant apparemment une pratique répandue chez les travailleuses sexuelles mais aussi chez d’autres femmes. Nina a essayé d’expliquer que ce n’était qu’un savon intime à usage externe tout à fait ordinaire, pH 3,5 et tout le tremblement, mais elle a vite renoncé à convaincre sa colocataire. Une jolie fille ne doit surtout pas attirer l’attention sur les besoins de son sexe externe d’être lavé de temps à autre. Comme si ce geste pouvait révéler le grand secret des pertes vaginales. Nina a laissé son flacon de savon dans la salle de bains.

Le sexe préfère l’eau chaude ou les savons intimes doux. Il ne faut jamais utiliser de savon ordinaire car les muqueuses sensibles s’assèchent et s’irritent alors facilement. Souvent les démangeaisons et les brûlures de l’entrejambe découlent de l’utilisation de produits trop agressifs ou, tout simplement, de lavages trop fréquents. Quoi qu’il advienne, il ne faut jamais se laver le vagin. C’est une pratique qui peut accroître les risques d’infection.

Pour quelle raison certaines femmes éprouvent-elles le besoin de nettoyer leur vagin ? Pour beaucoup d’entre elles, c’est sans doute une question d’odeur. Plusieurs femmes avec qui nous avons parlé s’inquiétaient de savoir si leur odeur était “normale”. Elles décrivaient leur crainte que des collègues puissent sentir l’odeur de leur sexe pendant les réunions. Et elles refusaient le cunnilingus par peur que leur odeur soit jugée repoussante.

Les sexes en bonne santé ont une odeur. C’est comme ça. Les sécrétions vaginales fraîches ont une petite odeur et un goût aigres à cause de l’acide lactique qu’elles contiennent. Et puis à l’aine et sur la vulve, ce ne sont pas les glandes sudoripares qui manquent. Pantalons serrés, culottes synthétiques et jambes croisées, et voilà qu’il fait bien chaud entre les jambes. Il est donc naturel qu’au cours d’une longue journée on transpire là aussi. La combinaison de toute une journée de sécrétions vaginales et de transpiration mélangées à un soupçon d’urine donne une odeur. Avec nos copines, nous parlons de “minette de discothèque”. Cette expression décrit l’odeur caractéristique du sexe après une nuit sur la piste de danse, ou une séance au club de gym. Ça ne sent pas réellement mauvais, mais l’odeur est intense !

L’odeur et le volume de sécrétions peuvent varier au cours du cycle menstruel. Les hormones sexuelles semblent agir sur la capacité du corps à se débarrasser d’une substance malodorante appelée triméthylamine. C’est cette substance qui peut donner la fameuse odeur de poisson pourri. Chez les femmes en bonne santé, il a été constaté que leur corps éliminait 60 à 75 % moins bien cette substance juste avant et pendant les règles39. Cela pourrait expliquer que même des filles en bonne santé puissent exhaler une légère odeur de poisson autour de leurs règles.

L’odeur du sexe compte parmi ce que nous avons de plus intime. Comme vous l’avez compris, il est tout à fait normal de sentir un peu, surtout au terme d’une longue journée, mais en règle générale, le sexe ne doit pas être malodorant, une mauvaise odeur peut être le signe d’une infection et constitue une bonne raison d’aller consulter un médecin. Si vous avez fait vérifier qu’aucune infection n’était la cause de ces problèmes, il peut être conseillé de porter un pantalon moins serré ou une jupe, de changer de culotte en cours de journée et de veiller à une hygiène normale (pas exagérée !).

Pour résumer, si les pertes vaginales sont étroitement liées au bien-être gynécologique, un peu de sens de l’observation peut nous renseigner sur comment ça se passe en bas. Les sécrétions peuvent être altérées par des infections ou un déséquilibre de la flore vaginale, mais il y a aussi d’importantes variations qui sont normales au cours du cycle menstruel.

CONNAÎTRE SES SÉCRÉTIONS VAGINALES

 

Sécrétions à faire examiner par un médecin :

• Abondantes sécrétions grisâtres, de consistance liquide, avec odeur de poisson. Elles peuvent être le signe d’une vaginose bactérienne, un déséquilibre de la flore vaginale.

• Sécrétions blanches épaisses, grumeleuses, ayant une odeur normale. Elles peuvent être le signe d’une mycose.

• Sécrétions dont le volume augmente, souvent d’un blanc jaunâtre. Elles peuvent être le signe d’une chlamydiose, d’une infection à mycoplasmes ou d’une blennorragie. La blennorragie occasionne souvent des pertes d’une couleur plus jaune verdâtre qu’une chlamydiose ou une infection à mycoplasmes.

• Abondantes sécrétions de consistance liquide, mousseuse, jaune verdâtre, malodorantes. Elles peuvent être le signe d’une trichomonase. À l’échelle mondiale, c’est l’une des infections sexuellement transmissibles les plus répandues. Chez certaines femmes, elle provoque d’intenses démangeaisons de la vulve et du vagin, des pertes malodorantes et une brûlure lors de la miction, tandis que d’autres ne s’aperçoivent de rien. Cette infection n’est pas dangereuse et se soigne avec des antibiotiques.

• Abondantes sécrétions blanchâtres, éventuellement granuleuses, d’odeur normale. Elles peuvent être le signe d’une surproduction de lactobacilles, surtout si vous avez en outre des démangeaisons et des douleurs au bas-ventre.

• Sécrétions mêlées de sang en dehors des règles, de la petite tache marron aux sécrétions mêlées de sang rose, foncé ou frais. Elles peuvent être dues à une infection sexuellement transmissible ou à une modification des cellules du col de l’utérus. Les saignements inexpliqués devraient toujours faire l’objet d’un examen médical.

Sécrétions qui ne doivent pas causer d’inquiétude :

• Glaire visqueuse qui peut s’étirer entre les doigts. L’ovulation est au coin de la rue.

• Augmentation des sécrétions avec la même odeur, la même couleur et la même consistance que d’habitude. La contraception hormonale ou une grossesse peuvent en être la cause.

Autrement dit, il importe de se familiariser avec l’odeur, la couleur et la consistance, habituelles de ses pertes vaginales. Certaines ont des pertes chiches, d’autres des pertes plus importantes qui les obligent à changer de culotte en cours de journée. L’un ou l’autre peut être normal. Le principal est que vous sachiez ce qui l’est pour vous. Afin d’être en mesure de vous apercevoir que quelque chose ne va pas et qu’il est temps d’aller voir un médecin, mais aussi afin de vous orienter dans votre cycle menstruel. Pour vous aider un peu, nous avons rédigé le guide des pertes vaginales.

LES RÈGLES OU COMMENT SAIGNER SANS MOURIR

Elles viennent à peu près une fois par mois. Parfois, elles sont douloureuses, parfois elles arrivent par surprise et sont source d’embarras, mais la plupart du temps, c’est sans histoires. Même si nous nous serions bien passées de saigner du vagin tous les mois, les règles peuvent dans certaines situations être un grand soulagement : ouf, vous n’êtes pas enceinte.

Les règles constituent une grande partie de notre vie. Si vos menstruations durent cinq jours par mois, vous saignez pendant pas moins de soixante jours par an et ce pendant quarante ans. En tout, cela fait deux mille quatre cents jours, soit six ans et demi de règles pendant la vie ! Vous l’avez compris, nous devrions parler davantage de ce saignement, en particulier parce qu’il peut causer quelques soucis comme le SPM (le syndrome prémenstruel, nous y reviendrons), des situations embarrassantes et des douleurs violentes.

Ces désagréments peuvent être assez ennuyeux, même si les femmes d’aujourd’hui ont beaucoup moins de problèmes que nos sœurs du passé, avant l’invention des comprimés antidouleur et des tampons, serviettes hygiéniques et autres coupes menstruelles. Autrefois, les Norvégiennes tricotaient ou crochetaient des serviettes en coton, qu’elles devaient faire bouillir et sécher entre deux utilisations. À l’échelle mondiale, les menstruations restent un défi de taille. Quand on sait que, dans certaines régions du monde, des filles doivent arrêter l’école en raison de leur saignement mensuel, ou utiliser des chiffons sales facteurs d’infections parce qu’elles n’ont pas accès à des produits jetables propres, notre syndrome prémenstruel semble bien banal. Ailleurs, les règles empêchent une réelle égalité entre les sexes, un fait souvent occulté. Songez-y un instant la prochaine fois que vous achèterez des tampons au supermarché.

Mais concentrons-nous sur le saignement lui-même. La plupart des gens savent que ce sang est lié à la fertilité. Les menstruations vous rappellent que vous avez un cycle et que votre corps peut porter un enfant, mais qu’est-ce qui saigne, au juste, et où se trouve la plaie ? Pourquoi les règles passent-elles du marron au rouge, et pourquoi y a-t-il des caillots ?

Le saignement provient de l’utérus. L’ovule fécondé qu’il attendait n’est pas venu. Il s’était préparé à une grossesse en épaississant la partie superficielle de ses parois, dite muqueuse utérine ou endomètre. L’ovule aurait pu se fixer sur la muqueuse utérine et c’est elle qui aurait nourri l’embryon en l’approvisionnant en sang maternel. Mais la nidation de l’ovule n’a pas eu lieu, le corps n’a donc plus besoin de l’épaisse muqueuse et voilà qu’elle va être expulsée du corps avec le sang. C’est elle qui donne une consistance visqueuse aux règles. Certains des caillots sont tout simplement des fragments de la muqueuse évacuée. Rien à voir avec le sang pur qui sort d’une plaie ouverte.

De nombreuses femmes s’inquiètent quand elles s’aperçoivent que la couleur ou la consistance de leurs règles ne sont pas toujours pareilles, mais ni le sang rouge et frais ni le sang marron et grumeleux ne sont anormaux. Couleur et consistance des règles peuvent varier d’un cycle à l’autre et d’un jour à l’autre au cours des menstruations, car le sang s’oxyde. Le sang change une fois sorti de nos veines. Tout frais, il est rouge et fluide. Quand les règles sont rouge vif et fluides, cela signifie que le sang s’écoule rapidement de l’utérus, sans avoir le temps de s’oxyder. Si vos saignements sont importants, le sang est souvent plus frais, car l’utérus l’expulse plus rapidement. S’ils sont modérés, le sang peut rester dans l’utérus et, d’une certaine façon, il coagule un peu, mais le corps se débarrassera de ce sang oxydé aussi, tout naturellement et tout seul. N’ayez pas peur, le sang ne s’accumule pas en vous.

Les règles ne sont ni sales ni dangereuses. Elles sont composées de sang et de glaire, et la façon de voir la chose ne dépend que de vous. Si vous voulez faire l’amour pendant que vous saignez, ce n’est pas un problème, mais n’oubliez pas la contraception. Avoir ses règles ne signifie pas qu’on ne peut pas tomber enceinte et cela ne protège pas non plus des infections sexuellement transmissibles.

Maintenant que vous savez ce que sont les règles, vous comprenez pourquoi, en général, nous ne saignons pas quand nous sommes enceintes. Dans ce cas, nous souhaitons bien entendu retenir la muqueuse en train de se transformer en nouveau domicile de l’ovule. Il ne faut surtout pas qu’elle saigne et emporte l’embryon ! Une hormone appelée progestérone, dont nous allons bientôt parler, nous aide à maintenir l’endomètre en place.

 

Mais attendez un peu. Même si on comprend ce que sont les règles, on peut se poser la question de savoir si elles sont indispensables. Comme vous l’avez peut-être constaté, la plupart des animaux femelles ne saignent pas tous les mois. On croit souvent que les chiennes en chaleur ont leurs règles, mais ce saignement-là est tout autre chose. Les chiennes saignent du vagin au moment de l’ovulation, au moment où elles peuvent devenir grosses. Elles ne saignent jamais de l’utérus comme nous. La vérité est que les règles sont un phénomène très rare dans la nature et nous ne le partageons qu’avec deux singes hominidés et quelques autres créatures isolées, telles qu’une espèce de chauve-souris par exemple. Autrement dit, les règles en soi ne sont pas une nécessité pour procréer.

Ça, c’est franchement bête. Pourquoi cela tombe-t-il sur nous de devoir dépenser toute cette énergie à fabriquer un nouvel endomètre mois après mois, encore et encore, uniquement pour le voir saigner et disparaître dans le néant ? Que se passe-t-il, Darwin ?

Vous avez sans doute entendu parler des notions d’évolution et de sélection naturelle des espèces. Ce sont essentiellement les individus dont les traits héréditaires se révèlent constituer un avantage pour la survie et la reproduction qui réussissent à transmettre leurs gènes avec succès. Par conséquent, ces traits dominent chez les générations suivantes. Les humains et les animaux ont évolué ainsi à travers les millénaires. Et contrairement à la plupart des mammifères, nous les humains, nous nous retrouvons avec les menstruations. Cela signifie-t-il donc que les règles sont un avantage pour nous ? Non, considère la biologiste Deena Emera. Son hypothèse est qu’elles ne sont pas un avantage héréditaire, mais un “effet secondaire” héréditaire40.

Les règles, estime Emera, sont l’effet secondaire accompagnant un avantage héréditaire qui passe inaperçu au quotidien. Il s’agit de ce qu’on pourrait appeler l’épaississement spontané de l’endomètreI. L’endomètre se développe, comme vous le savez maintenant, pour donner à l’ovule fécondé un logement et de la nourriture. Chez les animaux sans menstruation, l’endomètre ne s’épaissit qu’une fois que l’ovule fécondé se présente. Autrement dit, le corps maternel répond à l’œuf qui appelle à l’aide en développant un endomètre dans lequel il pourra s’implanter. Chez les humains, en revanche, les choses sont différentes. Chez nous, l’endomètre se développe spontanément tous les mois, sans la présence d’un œuf, et c’est cela l’avantage pour nous.

Quand il ne reçoit pas d’œuf, l’endomètre de l’humain et d’autres espèces menstruées est expulsé, parce qu’il en coûte de conserver des tissus excédentaires dont on n’a nullement besoin. Voilà pourquoi nous avons nos règles, justement décrites comme un effet secondaire de l’épaississement spontané de la muqueuse utérine. Ne connaissant pas d’épaississement spontané de la muqueuse utérine, les animaux n’ont donc pas besoin de se débarrasser tous les mois de tissus superflus par des règles. Ils fabriquent l’endomètre seulement quand ils en ont besoin.

Quel est alors l’avantage de cet épaississement spontané de l’endomètre pour nous ? Les hypothèses que présente Emera partent de l’idée que mère et embryon n’ont pas que des intérêts communs. On peut imaginer que tout au long de l’évolution, mère et fœtus se sont longtemps livrés à une course à l’armement, et que le fœtus a développé des traits lui donnant accès à davantage de ressources maternelles. La mère, de son côté, a développé des traits lui permettant de retenir les ressources dont elle avait elle-même besoin pour survivre.

Avec cette idée en toile de fond, Emera présente deux hypothèses expliquant pourquoi l’épaississement spontané de l’endomètre est un avantage pour l’être humain.

La première hypothèse est que l’épaississement de l’endomètre dans l’utérus protégerait la mère d’un fœtus agressif et envahissant, et, vous devinez juste, comparés aux fœtus des espèces non menstruées, les fœtus d’espèces menstruées sont particulièrement agressifs. Ils n’ont aucun scrupule. Ils mettent le paquet et pénètrent dans le corps de la mère comme des parasites, faisant tout pour trouver de l’énergie et de la nourriture. La couche de muqueuse produite par la mère la protège contre l’embryon envahisseur. Une sorte de bouclier que la mère aurait préparé afin d’avoir une meilleure maîtrise des ressources auxquelles le fœtus aura accès et de celles qu’elle gardera pour elle.

Une seconde hypothèse est que la mère pourrait évaluer la qualité de l’embryon au moment où l’ovule s’implante dans la muqueuse utérine déjà finie. Comme expliqué plus loin dans ce livre, les ovules fécondés ne deviennent pas tous des bébés. De nombreux embryons font l’objet d’avortements spontanés à un stade très précoce parce que quelque chose ne va pas chez eux d’un point de vue génétique. Ce serait bête que la mère dépense son énergie à porter jusqu’à son terme un fœtus qui de toute façon ne serait pas viable. Si elle peut s’en rendre compte grâce à l’endomètre, elle peut économiser de précieuses forces.

Le trait héréditaire avantageux n’est donc pas le saignement, mais l’épaississement spontané de l’endomètre, dont les menstruations sont l’effet secondaire. L’épaississement de l’endomètre n’est pas une chose dont nous avons besoin tous les mois, mais seulement au début d’une grossesse. On part souvent du principe qu’il est important d’avoir un saignement, que c’est sain d’avoir ses règles, mais ce n’est pas le cas. Si nous supprimons l’épaississement mensuel de l’endomètre, avoir ses règles n’a plus d’intérêt. Les règles sont un effet secondaire, le saignement en soi ne présente pas de bénéfices de santé. Il implique juste une perte de sang.

Dans un article sur les travaux d’Emera, la journaliste norvégienne Lone Frank souligne que l’être humain moderne est très différent de celui qui a développé les menstruations il y a des centaines de milliers d’années41. Alors que les femmes modernes traversent près de 500 cycles au cours d’une vie, la femme préhistorique n’en connaissait qu’une centaine. Pourquoi ? Eh bien, parce que, en l’absence de contraception fiable, elle passait une bonne partie de sa vie enceinte ou allaitante.

Renoncer aux règles à l’aide de la contraception n’est pas moins naturel que de limiter les grossesses. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de choisir si nous voulons avoir des enfants ou non, et si nous souhaitons en avoir nous pouvons choisir combien. Se sentir moins femme sans les menstruations n’est pas justifié. Les menstruations en soi n’ont aucune valeur biologique pour les femmes modernes.

 

On dit n’importe quoi à propos des règles, notamment qu’elles nous empêchent de vivre, mais que signifient réellement les règles pour vous dans votre quotidien ? Sont-elles une chose à éviter ? Votre prof de yoga a-t-il par exemple raison de vous déconseiller les postures sur la tête quand vos saignements sont au plus fort ?

Nous avons demandé à un prof de yoga pourquoi les postures sur la tête étaient déconseillées pendant les règles. “Ce n’est pas bon que le sang remonte dans l’estomac”, nous a-t-il répondu. Dans un sens, il a raison. Quand on a ses règles, il n’est apparemment pas inhabituel que de petites quantités de sang menstruel remontent par les tubes utérins et se retrouvent dans l’estomac. Plus d’un chirurgien a connu le stress d’en découvrir chez des femmes qui avaient leurs règles au moment de l’opération. Mais avoir du sang menstruel dans le ventre n’est pas dangereux. Le corps ne tarde pas à y mettre bon ordre.

On croit souvent aussi que certaines activités, se tenir sur la tête, par exemple, peuvent entraîner des saignements plus abondants, mais ce n’est pas vrai. Vous n’avez ni plus ni moins d’endomètre quand vous vous tenez sur la tête, quand vous avez un rapport sexuel ou quand vous courez, et l’abondance des règles correspond à l’épaisseur de votre endomètre qui peut varier d’un mois à l’autre, et à rien d’autre.

Sauf si vous êtes gênées par des douleurs, vous pouvez faire ce que bon vous semble quand vous avez vos règles. N’hésitez pas à vous tenir sur la tête, à courir un marathon, à vous baigner ou à avoir des relations sexuelles, c’est à vous de voir. Parfois, l’activité physique peut même apaiser les douleurs menstruelles.

Mais est-il vrai qu’on ne saigne pas plus quand on fait l’amour ? Lors de la rédaction de ce chapitre dans un café d’Oslo, nous nous sommes rendu compte que nous avions toutes les deux des copines qui nous avaient raconté des histoires de saignements spectaculaires, et traumatisants. Dans les bras d’une nouvelle connaissance masculine, elles avaient vécu le plus gros saignement menstruel qu’elles aient jamais connu. Dans un cas, la fille avait été réveillée dans une mare de sang par un amant terrifié qui ne savait pas si elle était morte ou vivante. “Eh ! Eh oh !? Tu veux que j’appelle une ambulance ?” L’incident s’était produit chez lui, et ses draps étaient blancs. Dans l’autre cas, le saignement inattendu avait commencé en plein acte, ce qui avait donné lieu à une scène qui aurait pu se dérouler plutôt dans un abattoir ou dans un film gore de 1972. Que diable s’était-il passé ? Nous voulions savoir.

Il s’avère qu’il n’existe pas de réponse définitive sur la cause de ces méga-saignements, mais plusieurs hypothèses peuvent paraître sensées quand on connaît un peu le fonctionnement du corps.

La première, nous l’appelons hypothèse des spasmes. Comme on le sait, ce sont des contractions de l’utérus qui expulsent le sang menstruel, mais il n’y a pas que les règles qui puissent déclencher des spasmes. Parfois les spasmes de l’utérus ne sont pas désagréables du tout. Nous faisons ici référence à l’orgasme, la jouissance sexuelle, quand tout le bas-ventre, y compris l’utérus, se contracte en formidables vagues. Un orgasme pourrait peut-être donner le coup d’envoi d’un saignement menstruel imminent.

La deuxième hypothèse est celle des hormones. Quand nous avons un rapport sexuel, notre corps sécrète une hormone appelée ocytocine. On l’appelle souvent hormone du plaisir ou hormone du bonheur. L’ocytocine joue un rôle important dans plusieurs processus physiques. Elle participe entre autres au déclenchement de l’accouchement chez la femme. L’ocytocine stimule les contractions, c’est donc un truc relativement costaud. Il peut donc arriver que les contractions de l’utérus provoquées par l’ocytocine entraînent aussi, en plus de l’orgasme, l’expulsion du sang.

Une troisième explication possible : un peu de sang menstruel est susceptible de s’accumuler dans le vagin et de ne sortir que quand “l’écluse” s’ouvre lors du rapport sexuel. Vous vous en souvenez peut-être, le vagin est très plissé, et du sang peut s’accumuler dans ses festons. Qui plus est, le vagin n’est pas un tube ouvert ; ses parois antérieure et postérieure sont collées l’une à l’autre.

Depuis le début des années 1970, un mythe sympathique fait florès, selon lequel les règles des femmes vivant sous le même toit se synchroniseraient. Nos corps seraient doués d’une espèce de faculté de télépathie, qui nous réunirait dans la douleur et l’envie de chocolat. C’est un psychologue de Harvard qui pensait l’avoir démontré après avoir étudié le cycle menstruel de femmes vivant dans la même résidence étudiante aux États-Unis42. Les chercheurs de l’évolution ont ensuite jeté leur dévolu sur cette hypothèse, estimant qu’il était judicieux pour les femmes d’avoir leurs règles et leur ovulation simultanément, afin que les hommes ne soient pas tentés de papillonner d’une femme à l’autre, mais forment plutôt des relations de couple stables43. Pas moins de 80 % des femmes croient apparemment à ce mythe des règles synchrones44.

Aussi sympa que cela puisse paraître, des travaux récents portent à croire que nous nous sommes fait avoir. Des études de couples lesbiens45, de copines de fac chinoises46 et de femmes d’Afrique occidentale entassées dans des huttes de menstruation n’ont montré aucune synchronisation47. Ce sont plutôt les grandes variations individuelles de longueur du cycle qui nous induisent en erreur. Si votre meilleure amie et vous avez vos règles en même temps, ce n’est probablement qu’une coïncidence et malheureusement pas le signe que vous avez un lien particulier.

SERVIETTES HYGIÉNIQUES, TAMPONS ET AUTRES COUPES MENSTRUELLES

Dans les pays industrialisés, et c’est loin d’être une évidence partout dans le monde, avoir ses règles n’oblige plus à abandonner quelque activité que ce soit. Les désagréments liés aux règles restent pénibles, mais le saignement lui-même n’est plus problématique. Et cela, nous le devons au développement des produits d’hygiène féminine. Les plus répandus sont à usage unique, il s’agit des tampons et des serviettes. Ces dernières années, la coupe menstruelle a, elle aussi, acquis les faveurs d’un certain nombre de femmes. Finances, souci environnemental, confort, les raisons sont multiples. Le choix vous appartient. C’est une question de goût et de situation personnelle.

 

Depuis les débuts de la civilisation, les femmes utilisent diverses formes de serviettes. Une description très ancienne (et drôle) de serviette hygiénique nous vient d’une histoire concernant la première mathématicienne connue. Hypatie d’Alexandrie, qui vivait aux alentours de 400 après Jésus-Christ, aurait voulu décourager un admirateur trop insistant en lui jetant son chiffon sanglant à la figure48. L’histoire ne dit pas si la démarche a eu l’effet escompté.

Les serviettes hygiéniques modernes se fixent sur les sous-vêtements grâce à une bande autocollante et absorbent le liquide menstruel à mesure qu’il s’écoule du vagin. Elles sont disponibles dans de nombreuses tailles, du minuscule protège-slip conçu pour les strings à l’épaisse serviette de nuit. L’avantage des serviettes par rapport aux tampons, c’est qu’on ne risque pas de prolifération bactérienne dans le vagin. Voilà pourquoi nous recommandons les serviettes dans des situations où les bactéries peuvent coloniser plus facilement le vagin puisqu’il est plus ouvert, par exemple juste après la pose d’un stérilet, après un avortement ou un accouchement.

 

Le tampon hygiénique est petit, il a la forme d’une cartouche et il est fait d’une matière très absorbante. On l’enfonce dans le vagin quand on a ses règles. Ce type de protection périodique placée à l’intérieur du vagin présente l’avantage de faciliter la pratique d’un sport, en particulier la natation. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, le tampon n’enferme pas le sang dans le vagin en bouchant ce dernier, mais l’absorbe. S’il n’a pas toujours été soigneusement présenté dans son emballage individuel en cellophane, le tampon n’est pas d’invention récente. Dans l’Égypte antique déjà, les femmes se mettaient du papyrus souple dans le vagin.

Aujourd’hui, on trouve des tampons avec et sans applicateur, et dans différentes tailles. Choisissez la taille selon l’abondance du saignement. Pas la peine d’utiliser le plus gros tampon pour ne pas avoir à en changer aussi souvent. Il faut en changer souvent. La recommandation habituelle étant de ne pas garder un tampon dans le vagin pendant plus de trois à huit heures. Pour éviter les proliférations bactériennes, il importe aussi de bien se laver les mains avant de changer de tampon.

Au fil des ans, nous avons entendu des anecdotes de tampons à la pelle. Par exemple celle, classique, du deuxième tampon mis en place alors qu’on n’avait pas enlevé le premier ou celle du tampon “perdu” dans le vagin. “Au secours, se dit-on alors, le tampon va disparaître dans mon corps !” Mais, tout comme l’histoire des verres de contact qui pourraient glisser de l’œil au cerveau, le tampon risquant de remonter dans l’estomac est une légende. Vous le savez maintenant, le vagin est un tube presque fermé. Le tout petit canal qui part du col utérin pour entrer dans l’utérus est si étroit qu’un tampon, même de la plus petite taille, ne pourrait jamais y passer. Mais curieusement, des objets peuvent malgré tout se cacher dans les recoins les plus reculés du vagin. Heureusement, les tampons sont munis d’une ficelle, afin qu’on puisse les ressortir.

Si vous suspectez qu’un tampon a disparu dans votre vagin, vous pouvez essayer de l’expulser. Accroupissez-vous et augmentez la pression sur l’abdomen comme pour déféquer. Servez-vous de vos doigts pour voir si vous sentez le tampon. Le vagin ne mesurant guère plus de sept centimètres de long, il devrait être possible de repêcher le tampon vous-même. Si vous n’y arrivez pas, il faut aller voir votre gynécologue, et le plus vite possible. Tout ce qui entre dans le vagin doit en ressortir. Et n’allez surtout pas croire que vous serez la première femme à consulter un médecin avec ce problème.

 

La coupe menstruelle est un produit d’hygiène féminine qui n’absorbe pas le sang, mais l’accumule. Il s’agit d’un récipient en silicone souple que l’on introduit dans le vagin en le pliant. La coupe s’y déploie avec l’ouverture orientée contre le col de l’utérus de façon à pouvoir recueillir le sang. Le bord adhère à la paroi vaginale, qui maintient la coupe en place. La coupe menstruelle n’étant pas un produit jetable, l’hygiène est particulièrement importante. Il faut la vider, la rincer, voire la laver avec un savon intime doux au moins toutes les douze heures. Entre deux menstruations, il est conseillé de la faire bouillir pour tuer toutes les bactéries.

L’avantage de la coupe menstruelle est d’abord de pouvoir la garder plus longtemps qu’un tampon dans le vagin. Elle permet de faire du sport, d’aller à la piscine. Et c’est une solution bon marché et écologique. Dotée d’une longue durée de vie, jusqu’à dix ans, une coupe menstruelle peut remplacer des milliers de tampons et de serviettes qui seraient allés droit dans les déchets non recyclables.

 

On vous a probablement mise en garde contre l’utilisation de tampons. Dans chaque paquet de tampons hygiéniques, un petit dépliant alerte sur un risque effrayant : le syndrome du choc toxique (SCT), appelé aussi maladie du tampon dans le langage courant. Peut-on vraiment tomber très malade en utilisant des tampons ?

Le syndrome du choc toxique est une forme d’infection bactérienne qui attaque le corps entier. L’utilisation de tampons est un facteur de risque, parce que les bactéries apprécient l’environnement chaud et gorgé de sang qu’il offre. Si l’on a négligé quelque peu l’hygiène au moment de mettre son tampon et qu’on le laisse bien trop longtemps dans le vagin, on peut se retrouver dans une situation fâcheuse. C’est la raison pour laquelle il est préférable de ne pas garder un tampon plus de huit heures dans le vagin. L’utilisation normale de tampons est sans danger.

Si un SCT se déclenchait, vous vous rendriez compte que quelque chose ne va pas. Les symptômes peuvent être les suivants : forte fièvre, éruption cutanée, mal de gorge, vomissements, diarrhée et confusion. Vous vous sentiriez franchement mal. Il vous faut du reste toujours être attentive aux symptômes violents et inattendus. Si vous pensez souffrir d’un SCT, vous devez rapidement consulter un médecin, car l’infection ne fait qu’empirer avec le temps, et l’aggravation peut être rapide. Dans le pire des cas, l’infection peut être mortelle.

Mais que le SCT soit associé à l’utilisation de tampons hygiéniques ne signifie pas qu’il est dangereux d’utiliser des tampons. Le SCT est une maladie grave, mais c’est aussi une maladie très rare. Le pourcentage des cas de SCT dus à l’utilisation de tampons a fortement diminué depuis que les tampons très absorbants ont été retirés du marché. Aujourd’hui, seule la moitié des cas de SCT environ sont associés aux menstruations. On peut aussi développer un SCT quand on a des plaies gravement infectées ou après une opération chirurgicale. Autrement dit, on est susceptible d’avoir un SCT sans utiliser de tampons, d’ailleurs les hommes sont parfois aussi concernés. On peut se demander si la dénomination “maladie du tampon” est tout à fait appropriée49 ?

On ne sait pas vraiment ce qu’il en est du syndrome du choc toxique dans le cadre de l’utilisation d’une coupe menstruelle. L’utilisation de la coupe menstruelle étant un phénomène récent, les recherches sur le sujet sont encore insuffisantes. Pour l’instant, on a rapporté à l’échelle mondiale au moins un cas50. Nous ne savons donc pas si la coupe menstruelle favorise plus ou moins cette maladie que les tampons. Quoi qu’il en soit, il est sage d’être pointilleux sur l’hygiène !

SOUFFRANCES ET ENVIES DE MEURTRE : LE SYNDROME PRÉMENSTRUEL

La question “T’as tes règles ou quoi ?” est une technique de domination souvent utilisée. Il est tellement plus facile d’écarter les femmes en les traitant de grincheuses et d’incompétentes à cause des hormones que de les prendre au sérieux. Non seulement cette “technique” est une façon sexiste de dénigrer les femmes, mais en plus, elle est employée à mauvais escient d’un point de vue strictement physiologique. Au nom de l’édification populaire, nous avons le devoir de corriger les erreurs de ce genre. Si l’on veut recourir à des techniques de domination de bas étage, que ce soit au moins fait avec exactitude. Vous l’aurez peut-être remarqué, ce n’est pas pendant les jours de saignement que le cycle menstruel vous affecte le plus. Les problèmes commencent avant l’écoulement de sang. Nous parlons ici bien sûr du célèbre syndrome prémenstruel, une dénomination franchement très vague.

Il a beau être une belle saloperie, le SPM reste en général vivable. Et s’il peut causer quelques problèmes, on ne peut pas, en son nom, qualifier les femmes de quelque cliché négatif que ce soit. Les femmes ne sont pas grincheuses ou incompétentes parce qu’elles ont un cycle menstruel. On peut évidemment être infâme et manquer de sérieux quel que soit le sexe avec lequel on s’identifie. Ce n’est pas nous qui dirons le contraire, mais c’est là un tout autre sujet.

Le SPM est une dénomination fourre-tout qui regroupe tous les symptômes possibles survenant dans les jours précédant les règles. Il peut s’agir de désagréments et de souffrances physiques et psychologiques, par exemple de douleurs, d’irritabilité, d’épisodes dépressifs, de gonflements, de sautes d’humeur, de larmes, d’anxiété ou de boutons… La liste est longue. On peut aussi noter une aggravation des affections dont on souffrait déjà, comme les migraines, l’épilepsie et l’asthme. Les symptômes se manifestent pendant la phase du cycle menstruel se situant entre l’ovulation et les règles, ce que nous appelons la phase prémenstruelle ou phase lutéale. Quand les règles arrivent enfin, la pression s’allège un peu et les symptômes disparaissent au cours des premiers jours de saignement.

Aucun examen spécifique ne permet de diagnostiquer le SPM, le médecin ne peut pas voir que vous en souffrez lors d’un examen gynécologique, par exemple. Cela rend le diagnostic un peu délicat. C’est votre perception qui compte, mais quelques tracas avant les règles ne suffisent pas en soi à obtenir le diagnostic. Pas moins de 80 à 95 % des femmes ont de petits symptômes ressemblant au SPM dans les jours précédant leurs règles51, mais avoir un corps de femme implique certains désagréments et il n’est peut-être pas nécessaire de les transformer en un syndrome.

Pour valoir un diagnostic, les symptômes doivent être si violents qu’ils vous handicapent physiquement ou psychologiquement au quotidien. D’une personne à l’autre, la limite du supportable change. Quelques désagréments passent encore, mais trop c’est trop. Certaines femmes sont totalement invalidées et ce n’est pas normal. En plus d’une certaine violence, les symptômes doivent être fréquents, ce qui veut dire qu’il faut qu’ils apparaissent quasiment tous les mois : début des souffrances dans la phase prémenstruelle et fin au moment des règles, conformément à la définition du SPM. Environ 20 à 30 % des femmes ont des symptômes pouvant être qualifiés de SPM léger à modéré52.

Les femmes qui connaissent les symptômes les plus sévères reçoivent souvent un autre diagnostic, établi selon des critères plus stricts que ceux du SPM, même s’il s’agit en fait des mêmes symptômes. On parle de TDPM, trouble dysphorique prémenstruel, et les symptômes n’ont alors plus rien de vivable mais sont qualifiés d’insoutenables. Le TDPM concerne entre 3 et 8 % des femmes53. Il existe aussi un diagnostic appelé dépression menstruelle. Certaines femmes présentent des signes de dépression grave, par exemple des pensées suicidaires lors de chaque cycle, ce qui évidemment peut être dangereux. Les frontières entre ces trois diagnostics restent un peu floues.

Si on a ses règles de la puberté à la ménopause, le SPM ne les accompagne cependant pas tout le temps. Le plus fréquent est de ne connaître des symptômes de SPM qu’à partir d’une vingtaine d’années. Dans la plupart des cas, plusieurs années passent sans symptômes de SPM, puis les problèmes apparaissent peu à peu. Souvent, ils s’intensifient avec le temps. C’est la raison pour laquelle, la plupart du temps, les femmes attendent la trentaine ou la quarantaine pour consulter54.

Nous ne savons pas ce qui est à l’origine du SPM. Diverses hypothèses mettent en avant la sensibilité exacerbée de la femme aux variations hormonales, d’autres des causes neurologiques, voire culturelles55. Les femmes connaissent toutes des variations hormonales pendant le cycle, pourquoi alors certaines ont-elles un SPM ou un TDPM et pas les autres ? Peut-être en découvrirons-nous la cause à l’avenir.

La grande majorité des femmes souffrant d’un SPM n’ont besoin d’aucun traitement médicamenteux. Il est très important de ne pas pathologiser des symptômes légers probablement dus à des variations hormonales naturelles. En règle générale, le SPM est vivable et, pour celles qui ont des symptômes insoutenables, il existe des solutions.

Pour les femmes sévèrement affectées, le traitement est personnalisé car les symptômes varient beaucoup d’une personne à l’autre. Si vous êtes déprimée ou que vous avez des problèmes d’anxiété, vous n’aurez pas le même traitement que si vous avez de fortes douleurs. Chez certaines, la contraception hormonale aux estrogènes peut avoir une certaine efficacité car elle permet de supprimer temporairement les règles. Chez d’autres, dont les souffrances sont essentiellement psychologiques, un traitement d’antidépresseurs peut se révéler bénéfique. Et aux femmes qui ont des douleurs, on prescrit des antidouleurs.

Revenons aux gens qui ont recours à des techniques de domination sexistes quand ils s’adressent aux femmes. Les femmes souffrant de SPM ne perdent pas leur discernement, elles restent capables de réagir rationnellement dans les jours qui précèdent leurs règles. Et si vous êtes de ces types tenant absolument à retourner le cycle d’une femme contre elle, sachez qu’il ne faut pas dire “T’as tes règles ou quoi ?” mais “Tu vas avoir tes règles dans quelques jours ou quoi ?” Cela sonne moins bien, mais c’est important d’être au point sur la physiologie quand on veut offenser quelqu’un.

LE MOUVEMENT PERPÉTUEL DU CYCLE MENSTRUEL

Tous les mois, la plupart des femmes en âge d’avoir des enfants traversent un cycle intérieur piloté par les hormones. Il s’agit du cycle menstruel. La plupart des gens connaissent un peu ce cycle : à un moment ou un autre, un ovocyte arrive. On peut alors tomber enceinte si on a un rapport sexuel au bon (ou mauvais) moment et les règles signifient que nous ne le sommes pas.

Avons-nous en fait besoin d’en savoir plus ? Nombre d’étudiants en médecine referment bruyamment le manuel d’études en arrivant au chapitre sur le cycle menstruel, alors pourquoi vous donneriez-vous la peine de lire quelque chose sur ce sujet ? Eh bien pour trois raisons : d’abord, parce que cela vous sera utile, ensuite parce que c’est assez passionnant et, enfin, parce que nous vous promettons de rendre les choses bien plus compréhensibles que n’importe quel manuel.

Si nous en savions toutes un peu plus sur la façon dont ces minuscules substances appelées hormones nous guident à travers le cycle menstruel, nous comprendrions bien des questions auxquelles nous sommes confrontées au quotidien. Sur notre blog, on nous pose un tas de questions à ce sujet : comment marche la contraception hormonale ? Qu’est-ce qu’une fenêtre de fertilité et quand est-ce ? Qu’est-ce qui provoque les menstruations et quels sont les mécanismes des différentes maladies gynécologiques ?

Les hormones, ces chefs d’orchestre

Nous avons conclu le chapitre sur les organes sexuels internes en parlant des ovaires et des hormones qui y sont produites : les estrogènes et la progestérone, les hormones sexuelles de la femme. Le temps est venu d’entrer un peu plus dans les détails.

Dernièrement, les estrogènes ont eu mauvaise presse et c’est injustifié. On ne parle plus que de risques de maladies thromboemboliques, de sautes d’humeur, de cancer du sein et autres joyeusetés, mais à l’origine ce sont des hormones formidables. Ils sont responsables de ce qu’on associe traditionnellement à la féminité : les seins, les fesses et les hanches, ce sont eux qui les forment. Les estrogènes maintiennent aussi le vagin bien épais et humide pour que les rapports sexuels soient agréables. Ils tiennent à l’écart barbe et acné et rendent l’utérus capable de porter un enfant. Les traitements aux estrogènes peuvent permettre aux femmes trans de modifier la distribution de la masse adipeuse dans leur corps et d’obtenir des formes féminines. Ouste la panse ! Bienvenue aux seins et aux hanches. Ce que ces petites hormones arrivent à faire est assez extraordinaire.

Vous arriverez sans doute à deviner la fonction de la progestérone en décomposant le mot. Elle agit “pour la gestation”, et nous en avons besoin de grandes quantités quand notre corps se prépare à recevoir un ovule fécondé, ce qui se produit tous les mois. La progestérone empêche l’utérus de se contracter et d’expulser l’ovule fécondé. En plus, elle fait de l’endomètre un endroit franchement génial où se loger, avec plein de sang et de glaire sécrétée par les glandes pour nourrir notre future progéniture.

Pour orchestrer notre cycle menstruel, nous avons besoin de deux autres hormones. Elles proviennent d’une glande située dans notre cerveau qui a la taille d’un pois, la forme de bourses et s’appelle l’hypophyse. Et quand nous parlons de bourses, c’est au “scrotum” que nous pensons, et pas au “joli petit porte-monnaie”. Après tout, nous sommes des blogueuses sexo.

Les deux hormones sexuelles produites par le cerveau s’appellent hormone folliculo-stimulante (FSH) et hormone lutéinisante (LH). En bref, cette hormone s’occupe de la maturation de l’ovocyte, qui se passe dans une boule de cellules qu’on appelle un follicule, d’où l’adjectif folliculo-stimulante. L’hormone lutéinisante, elle, est surtout connue pour déclencher l’ovulation. Le cerveau de l’homme produit exactement les mêmes hormones, mais une fois n’est pas coutume, elles ont été nommées d’après leur fonction dans le corps féminin. C’est plutôt rare dans l’univers médical, et nous trouvons ça particulièrement cool.

Jusqu’ici, tout va bien. Maintenant que vous connaissez les hormones, qui sont tout de même les stars de ce spectacle, il est temps de découvrir le cycle lui-même.

Le cycle menstruel, 28 jours ou l’éternel remake !

Pour comprendre le cycle menstruel, il peut être utile de tracer une ligne temporelle en forme de cercle. La longueur du cycle peut varier d’une femme à l’autre, y compris chez une seule et même femme, mais pour simplifier, nous allons prendre ici le modèle du cycle de 28 jours, car 28 se laisse si bien diviser en quatre semaines. La longueur normale d’un cycle peut toutefois varier largement de 23 à 35 jours.

Sur le dessin, le sommet du cercle marque en même temps le début d’un nouveau cycle et la fin du précédent. Ce point est donc marqué à la fois d’un 0, pour symboliser le départ, et d’un 28, pour signaler la fin du 28e jour et du cycle précédent. Votre cycle menstruel est comme ces ingénieuses machines à mouvement perpétuel !

On a souvent du mal à le saisir. Comment la fin et le début peuvent-ils être au même moment ? La chose se comprend mieux si on compare le cycle menstruel avec cet objet familier qu’est l’horloge. Il se passe en effet exactement la même chose quand nous passons d’un jour à l’autre.

À l’instant où sonnent les douze coups de minuit, l’heure indiquée sur une montre digitale est à la fois 24 : 00 pour marquer la dernière heure du jour que l’on quitte et 00 : 00 pour un nouveau début. L’horloge glisse d’un jour à l’autre et, sur le coup de minuit, on est dans les deux jours à la fois. Il n’y a pas d’intervalle entre deux jours, et il en va de même pour le cycle menstruel.

Le début d’un nouveau cycle se remarque aisément car c’est le jour où vous commencez à saigner. Les règles peuvent durer jusqu’à une semaine, à savoir la première du cycle.

Pour des questions de clarté, on divise souvent le cycle menstruel en deux phases. Au début d’un nouveau cycle menstruel, vous êtes dans la phase dite folliculaire. C’est le moment où un follicule contenant un ovocyte mûrit et se prépare à l’ovulation. Autour du 14e jour, indiqué au bas du cercle, vient l’ovulation, ce qui marque le passage à la phase II, que nous appellerons phase lutéale. La première moitié du cycle est maintenant derrière vous. Les deux semaines suivantes, jusqu’au 28e jour, se déroulent sans événements notables. Au bout de 28 jours, retour à zéro. Un nouveau cycle commence.

Compliquons un petit peu les choses et envisageons cette fois un cycle de 30 jours. L’ovulation se produirait autour du 16e jour. Mais pourquoi pas le 15e jour ? vous demandez-vous peut-être. Après tout, 30 divisé par 2, ça fait 15. La réponse est qu’il s’écoule quasiment toujours 14 jours entre l’ovulation et le premier jour de la menstruation suivante. C’est le temps qu’il faut au corps pour comprendre s’il y a grossesse ou non. Un cycle plus long ou plus court modifie essentiellement la durée de la période précédant l’ovulation. Si vous avez un cycle très court, vous pouvez même ovuler pendant vos règles, mais l’ovulation ne se produit jamais le premier jour où vous saignez. Si vous avez un cycle irrégulier, le premier jour des règles est le seul jour où vous puissiez être sûre que vous n’êtes pas en ovulation.

 

Après cet aperçu global, penchons-nous sur les choses vraiment intéressantes, à savoir le concert des hormones au fil du cycle. Commençons par le sommet du cercle. Nos règles sont arrivées, et nous sommes au premier jour de la phase I, appelée donc phase folliculaire. L’utérus n’est pas le seul en scène, il se passe aussi des choses dans les ovaires et dans le scrotum du cerveau, plus connu sous le nom d’hypophyse. Pendant que l’utérus expulse l’endomètre, chassant ainsi tout espoir d’un ovule fécondé, l’hypophyse produit déjà l’hormone folliculo-stimulante (FSH). Dans le cerveau, voyez-vous, on ne renonce jamais et, déjà pendant les règles, un nouvel ovocyte et la prochaine chance d’une grossesse se préparent. Les follicules qui hébergent tous les ovocytes des ovaires se mettent à grossir au contact de la FSH – c’est la raison pour laquelle on nomme “folliculaire” la première phase du cycle.

Les follicules mûrissent grâce à la FSH tout en produisant des estrogènes. À présent la quantité d’estrogènes dans le sang augmente beaucoup. Plus les follicules sont gros, plus il y a d’estrogènes. Ces estrogènes exercent à leur tour un effet sur la muqueuse utérine, qu’ils font épaissir. Dès que l’utérus a fini de saigner, la reconstruction est engagée. Pas de temps pour faire le deuil. L’utérus est un véritable acharné qui se prépare à accueillir un œuf, même si c’est pour être déçu presque tous les mois.

Pendant que le follicule et l’endomètre grandissent, nous approchons du 14e jour, jour de l’ovulation et du passage à la phase II. Le follicule change de forme et devient un ballon gonflé et gorgé de liquide. Un ballon d’eau sur le point d’éclater. Le follicule sécrète maintenant tant d’estrogènes que leur niveau dans le corps atteint des sommets, signe qu’attend l’hypophyse dans le cerveau.

En réponse, l’hypophyse se met à produire l’hormone lutéinisante (LH), à savoir l’hormone d’ovulation. Nous ne parlons pas ici de petites doses, mais de doses de LH soudain astronomiques. Si vous avez tenté de concevoir, il est possible que vous sachiez de quoi il s’agit. Les tests d’ovulation détectent en effet l’augmentation de LH dans vos urines. Quand ce test est positif, vous savez que l’augmentation de LH est lancée et que l’ovulation est imminente. L’afflux massif de LH rejoint le follicule, qui réagit en explosant, si bien que l’ovocyte est tiré de son cocon et sort de l’ovaire. Pendant un petit moment, il flotte librement devant l’ovaire, avant d’être capté par de petites franges, appelées fimbriae, puis envoyé à travers le tube utérin vers d’éventuels spermatozoïdes en attente. Nous sommes à la moitié du cycle menstruel et l’ovulation est un fait avéré.

 

Il convient ici de faire une courte pause pour commenter deux choses que nous n’avons pas apprises en cours de SVT au collège. Il s’agit de l’ovocyte. Vous avez sûrement en tête la lutte héroïque, ou plutôt le sprint à la nage auquel se livrent ces intrépides spermatozoïdes pour être le premier à féconder un ovocyte qui, lui, les attend passivement. Tout faux. Premièrement : l’ovocyte n’est pas immobile. Il n’est pas du genre à traîner au comptoir et se ronger les sangs en attendant les spermatozoïdes. L’ovocyte est une diva, et comme toute diva qui se respecte, il arrive en retard à la réception. Vous allez pouvoir en lire davantage sur le sujet dans le chapitre sur la grossesse, mais le meilleur moment pour faire l’amour quand on aimerait tomber enceinte, ce sont les jours avant l’ovulation. L’ovocyte n’est pas passif du tout. Il est largement aussi actif que les spermatozoïdes. Ce ne sont pas les spermatozoïdes qui nagent jusqu’à l’ovocyte, mais plutôt l’ovocyte qui arrive en dansant vers les spermatozoïdes qui l’attendent. Et qui l’attendent souvent depuis des jours…

Deuxièmement : les ovocytes se livrent à une lutte tout aussi héroïque que celle des spermatozoïdes, mais, pour une raison x ou y, on n’en parle pas à l’école. L’hormone folliculo-stimulante n’agit pas uniquement sur un seul follicule ovarien par mois. Comme vous le savez maintenant, environ un millier de follicules se mettent à grandir et à mûrir tous les mois, mais seul l’un des plus grands a la joie d’éclater et de libérer son ovocyte. Les autres flétrissent et meurent sans jamais avoir eu la possibilité de rencontrer un spermatozoïde. Maintenant, vous vous dites peut-être qu’entre mille follicules, la compétition ne semble pas être aussi rude que celle à laquelle sont soumis les spermatozoïdes, qui affrontent des millions de concurrents ! Mais souvenez-vous que les hommes produisent des millions de spermatozoïdes tous les jours, alors que les femmes naissent avec un nombre définitif d’ovocytes dont la quantité diminue inlassablement.

On pourra tout de même se demander pourquoi les ovocytes (des femmes) sont présentés comme passifs et les spermatozoïdes (des hommes) comme actifs alors que c’est inexact. Curieux, non ?

 

Revenons-en à notre cycle menstruel. Nous sommes en phase II ou phase lutéale, donc entre le 15e et le 28e jour. L’ovocyte vient de se libérer et l’endomètre s’est fait bien épais grâce à tous les estrogènes des follicules. En phase II, l’hormone star est la progestérone, alors qu’en phase I, c’étaient les estrogènes, qui faisaient s’épaissir l’endomètre. La progestérone est produite par les restes du follicule explosé dans lequel vivait l’ovocyte avant de se détacher. Les reliquats du follicule changent de forme et de couleur pour devenir une petite boule appelée le corps jaune. Ce qui correspond à sa couleur. Parfois, c’est aussi simple que ça. En latin, corps jaune se dit corpus luteum.

Comme on l’a vu, progestérone, signifie “pour la grossesse”. Le corps franchit maintenant les dernières étapes pour se préparer à accueillir la fusion entre ovocyte et spermatozoïde. La progestérone empêche l’utérus de se contracter et d’expulser l’endomètre, tout en faisant de cette muqueuse un nid particulièrement plaisant.

En même temps, l’hypophyse est empêchée de produire la FSH ou la LH, c’est-à-dire les hormones qui font mûrir de nouveaux ovocytes. Plus besoin de nouveaux ovocytes quand, avec un peu de chance, un ovule fécondé est peut-être en route ! C’est la progestérone du corps jaune qui bloque ainsi l’hypophyse.

Mais nous allons voir que malheureusement la phase II du cycle menstruel se termine presque toujours en une mission suicide pour le corps jaune qui a besoin de FSH et de LH pour survivre. Le corps jaune bloque la fabrication de sa propre bouée de sauvetage, il ne sera sauvé qu’en cas de fécondation. La plupart du temps, le corps jaune est donc victime de son combat altruiste pour maintenir en vie l’éventuel ovule fécondé. En l’absence de fécondation, le corps jaune disparaît et meurt, et avec lui la progestérone.

Une fois le corps jaune dégagé de la scène, c’en est fini de la progestérone. Plus rien n’empêche l’hypophyse de faire ce qu’elle sait le mieux faire : produire des hormones. Le niveau de FSH et de LH remonte dans le sang et les follicules ovariens recommencent à s’agiter, prêts pour une nouvelle occasion de mûrir, d’éclater et de voir un ovocyte fusionner avec un spermatozoïde de son choix. Sans la progestérone du corps jaune, plus rien, non, plus rien ne retient l’endomètre ni n’empêche l’utérus de se contracter. Le résultat est bien connu : ce sont les règles. C’est le premier jour de saignement. Nous voilà de retour au sommet du cercle. Le cycle est terminé, mais un autre commence déjà.

MAIS QUAND PEUT-ON TOMBER ENCEINTE, AU JUSTE ?

Une chose est sûre : pour tomber enceinte de façon naturelle il faut faire l’amour, mais pour le reste, la confusion générale semble régner. Après que deux participants de la série de téléréalité Paradise Hotel avaient eu des relations sexuelles non protégées, le débat faisait rage autour de la table du petit-déjeuner sur le thème : “Et si elle tombait enceinte ?” Certains affirmaient obstinément que non, parce que la fille en question venait d’avoir ses règles. D’autres soutenaient que c’était justement après les règles que les femmes étaient le plus fertiles. La confusion était totale et la solution fut la prise de la pilule du lendemain, aux frais de la chaîne.

La grossesse est une ligne de partage dans la vie des femmes. Parfois, nous la redoutons et consacrons une partie de notre temps à réfléchir à la meilleure façon de l’éviter, et soudain, nous la souhaitons, elle ne saurait arriver trop vite. Selon sa situation, c’est la pire ou la meilleure des choses qui puisse arriver. Écrire un chapitre sur la grossesse qui s’adresse aux femmes dans l’un ou l’autre des cas peut donc paraître étrange, mais c’est en fait très simple. Savoir comment on tombe enceinte est le bon moyen à la fois pour prévenir la grossesse et pour la provoquer.

Quelles conditions doivent donc être réunies pour tomber enceinte ?

Commençons par les évidences. Vous ne pouvez pas tomber enceinte par l’anus, ni par la bouche, ni en vous asseyant sur une lunette de toilettes portant des traces de sperme (beurk). Vous devez avoir un rapport sexuel vaginal. Ensuite, c’est un peu plus compliqué.

Quand l’homme atteint l’orgasme, des millions de spermatozoïdes se répandent dans le vagin de la femme. La majorité d’entre eux meurent en peu de temps : la plupart s’écoulent après le rapport sexuel, d’autres se perdent dans un recoin sombre du vagin. Très peu de spermatozoïdes parviennent à atteindre le col de l’utérus et, même s’ils y arrivent, tout est une question de timing.

Pendant la majeure partie du mois, le col utérin est en effet fermé par un épais bouchon de glaire visqueuse que le corps fabrique en réponse à un taux naturellement élevé de progestérone. Ce n’est que pendant une certaine période autour de l’ovulation que le bouchon muqueux se dissout pour ouvrir le passage vers l’utérus. Pendant les jours précédant l’ovulation, vous pouvez vous-même constater ce phénomène car vos pertes se modifient et contiennent des fils élastiques muqueux ! Si ça vous chante, vous pouvez prendre cette glaire ressemblant à du blanc d’œuf entre vos doigts et l’étirer sur des longueurs incroyables.

Quand l’ovulation approche, le niveau de progestérone chute et le corps produit davantage d’estrogènes. Ces hormones permettent de remplacer la glaire visqueuse par un liquide fluide et aqueux qui laisse les spermatozoïdes traverser l’orifice du col utérin. Vous observez des pertes plus fluides et laiteuses. Vous êtes alors en ovulation, c’est-à-dire au moment du mois le plus propice pour tomber enceinte.

 

Imaginons que vous ayez des rapports sexuels non protégés pendant ces jours autour de l’ovulation, quand le col de l’utérus est ouvert et qu’un petit gang d’environ deux cents spermatozoïdes réussit à entrer dans l’utérus. Leur course pour remonter dans l’un des tubes utérins va durer entre deux et sept heures. En chemin, ils sont aidés par de petits mouvements rythmiques de l’utérus et des tubes utérins, des vagues leur permettant de surfer. Quel tube choisir ? Décision importante car l’ovocyte vient presque toujours d’un seul ovaire à la fois. Après être arrivés dans le tube utérin, les spermatozoïdes se reposent et attendent que l’ovocyte fasse son apparition ou pas, car, comme vous le savez maintenant, l’ovocyte est sans conteste la diva de la fête, qui sait se faire attendre. En règle générale, la durée de vie des spermatozoïdes dans notre bas-ventre est de quarante-huit heures, mais on en a même trouvé vivants pas moins de cinq à sept jours après le rapport sexuel. Ils ont beaucoup de patience, ces petits gars !

Après l’ovulation, l’ovocyte oscille dans les tubes utérins et rejoint les spermatozoïdes. Il y a fécondation quand un spermatozoïde fusionne avec un ovocyte dans le tube utérin. Ensemble, ils forment le premier stade d’un embryon, qu’on appelle un zygote. Parfois, deux ovocytes sont libérés lors de l’ovulation, et si les deux sont fécondés, nous voilà enceintes de jumeaux dizygotes. Plus la femme est âgée, plus c’est fréquent, mais l’hérédité aussi joue un rôle, si bien que certaines familles se retrouvent avec plusieurs paires de jumeaux. Dans des cas plus rares naissent des jumeaux monozygotes. Cela se produit quand le zygote se divise en deux, juste après avoir été fécondé par un seul spermatozoïde.

Vingt-quatre heures après la fécondation, l’ovule flotte toujours dans le tube utérin, mais les cellules ont maintenant commencé à se diviser. Il ne faut pas pour autant vous imaginer que vous êtes enceinte à coup sûr. L’agrégat de cellules qui grossit doit encore parvenir à descendre dans l’utérus et à se fixer au bon moment sur la muqueuse de la paroi. Si cela réussit, l’utérus va le signaler. Ce signal est transmis par la gonadotrophine chorionique ou HGC, l’hormone que les tests de grossesse mesurent dans les urines. C’est cette hormone qui fait en sorte que le corps jaune, dont nous parlions plus haut, survive et continue de produire de la progestérone. Faute de quoi l’ovule fécondé sera évacué lors des prochaines menstruations sans que vous ne vous soyez aperçue de rien.

Il s’écoule environ sept à dix jours de la fécondation à l’instant où l’agrégat de cellules se fixe à la paroi utérine. C’est seulement alors que vous êtes réellement enceinte. Les neuf mois qui suivent sont une aventure si complexe que nous choisissons de ne pas en parler ici. Ce ne sont pas les livres sur la grossesse qui manquent.

 

Revenons à notre couple de Paradise Hotel. Cette femme aurait-elle pu tomber enceinte alors qu’elle venait d’avoir ses règles ? Dans une étude sur des couples qui essayaient d’avoir un enfant, seuls ceux qui avaient fait l’amour au cours d’une fenêtre de six jours autour de l’ovulation avaient réussi, à savoir les cinq jours précédents et le jour même de l’ovulation56. Ceux qui avaient eu des rapports sexuels la veille ou le jour de l’ovulation avaient 30 % de chance de réussir. Cinq jours avant l’ovulation, le taux était de 10 %.

Ils étaient donc nombreux à devenir parents après avoir eu des rapports sexuels longtemps avant l’ovulation. Nous le disions, les spermatozoïdes peuvent théoriquement survivre jusqu’à une semaine dans le corps de la femme avant de mourir, d’après ce calcul, une femme est donc féconde dans une fenêtre qui va de sept jours avant l’ovulation au lendemain de l’ovulation, soit pendant un total de huit jours. En d’autres termes, nous avons une fenêtre de fécondité de huit jours. La plupart d’entre nous ne nous promenons pas en sachant quand nous ovulons, la clef pour savoir si la participante de Paradise Hotel était dans la zone à risque ou non est donc de déterminer la longueur de son cycle.

Comme nous l’avons décrit dans le chapitre sur le cycle menstruel, l’ovulation se produit la plupart du temps 14 jours avant la menstruation suivante. Si vous avez un cycle parfaitement stable de 28 jours, l’ovulation se produira toujours au milieu du cycle, le 14e jour, c’est-à-dire deux semaines après le début de vos dernières règles. En tenant compte de la fenêtre de 8 jours, cela signifie que vous pouvez tomber enceinte entre le 8e et le 15e jour du cycle.

Admettons que la participante de Paradise Hotel ait un cycle stable de 28 jours et qu’elle ait ses règles pendant sept jours, à savoir du 1er au 7e jour du cycle. Cela signifiera qu’un seul jour après ses règles elle peut déjà tomber enceinte ! Dans son cas, les cinq jours suivant ses règles représentent ceux où elle a le plus de chances de faire un bébé.

Avec un tel cycle, avoir des relations sexuelles non protégées quand on vient d’avoir ses règles n’est donc pas recommandé si on ne veut pas tomber enceinte. C’est pendant la semaine où on attend ses règles suivantes, du 21e jour au 28e jour, que c’est le plus sûr si on veut éviter une grossesse. Qu’il n’y ait pas eu de bébé Paradise, nous le devons donc à un coup de chance – ou plutôt à la contraception d’urgence.

On pourrait croire qu’il est assez facile d’identifier les périodes sûres, puisqu’on ne peut tomber enceinte que pendant huit jours par cycle. Mais les femmes ayant un cycle de 28 jours parfaitement stable ne sont pas nombreuses. Vous l’avez sûrement remarqué vous-même. Vu qu’on ignore si on va ovuler plus tôt ou plus tard ce mois-ci que d’habitude, on est obligée de prendre en compte une fenêtre un peu plus large. Si l’ovulation intervient ne serait-ce que deux jours plus tôt ou plus tard, la zone d’incertitude s’étend à douze jours. De nombreuses femmes connaissent des variations cycliques plus importantes que cela. Et si vous n’aimez pas faire l’amour pendant vos règles, il ne vous reste plus qu’une poignée de jours où vous pouvez avoir des rapports non protégés en étant sûre de ne pas tomber enceinte. Autrement dit, la contraception, c’est toujours malin.


I Il s’agit là d’une simplification. La notion de décidualisation spontanée qu’Emera emploie dans son article implique en réalité davantage que l’épaississement de l’endomètre.