Sancia se recroquevilla sur le siège du passager, dissimulant de sa main le poignet contre lequel elle avait caché Clef. Elle ne parlait pas. Sa tête lui faisait horriblement mal, et elle n’avait aucune idée de ce qui se passait. Si ça se trouve, cette fille pouvait être la reine de Tevanne et la faire décapiter sur un simple mot.
Elle tira sur le lien qui entravait sa cheville ; il ne céda pas, naturellement. Elle avait envisagé d’utiliser Clef pour s’en débarrasser durant le combat, mais cela aurait révélé au capitaine qu’elle possédait quelque chose capable d’ouvrir les verrous enluminés, alors elle s’était abstenue. Ce qu’elle regrettait amèrement à l’heure actuelle.
Gregor, assis dans le poste de pilotage avec la fille, bandait son bras blessé tout en surveillant les toits alentour.
« Vous les avez vus ? demanda-t-il. Les hommes volants ?
– Je les ai vus, répondit la fille d’une voix étrangement calme.
– Ils ont des espions partout, continua Dandolo. Des yeux partout. » Il se redressa. « Est-ce que vous avez inspecté cette carriole ? Ils ont mis quelque chose sur la mienne, un bouton enluminé, pour pouvoir me suivre ! Vous devriez vous arrêter afin qu’on…
– Ça ne sera pas nécessaire, capitaine, coupa la fille.
– Je ne plaisante pas, mademoiselle Berenice ! Nous devrions nous arrêter et inspecter le moindre centimètre de ce véhicule !
– Ce n’est pas nécessaire, répéta-t-elle. Essayez de vous détendre, je vous prie. »
Gregor se tourna lentement vers elle.
« Pourquoi ? »
Elle ne répondit pas.
« Comment êtes-vous… tombée sur nous, au fait ? » demanda-t-il avec méfiance.
Silence.
« Ce n’étaient pas eux qui avaient mis le bouton sur mon véhicule n’est-ce pas ? C’était vous. Vous l’avez mis là. »
Tandis qu’ils franchissaient la porte sud du campo Dandolo, elle lui jeta un bref regard et, à contrecœur, admit :
« Oui.
– Orso vous a demandé de me suivre alors que j’allais chercher la voleuse », comprit-il.
La fille prit une longue inspiration et souffla.
« La soirée a été très mouvementée », dit-elle avec un soupçon de fatigue.
Sancia tendait l’oreille ; elle ne comprenait toujours pas de quoi ils parlaient, mais apparemment ça la concernait. Ce n’était pas bon signe.
Elle pesa ses options.
< Bon Dieu, Clef, réveille-toi ! > dit-elle.
Mais Clef garda le silence. S’il avait été éveillé, elle aurait pu se débarrasser de son entrave et sauter de la carriole à la première occasion. Elle pensait être capable de prendre Dandolo de vitesse, et la fille aussi, pour lui dérober la clé du lien. Mais elle s’était déjà retrouvée dans une carriole incontrôlable aujourd’hui, et n’avait aucune envie de réitérer l’expérience. Et toutes ces hypothèses l’auraient laissée abandonnée en plein campo Dandolo – sans Clef, sa vie n’aurait pas valu un duvot de cuivre.
Alors, elle garda le silence et attendit. Une occasion allait bien finir par se présenter. Du moment qu’ils restaient tous en vie.
« La boîte appartenait donc bel et bien à Orso, dit Dandolo d’un ton triomphal. N’est-ce pas ? J’avais raison ! Il vous a demandé de la faire expédier sur le front de mer, sous votre nom, c’est bien ça ? Et il… » Il s’interrompit. « Attendez. Si c’est bien vous qui avez mis le bouton enluminé sur ma carriole et non nos attaquants… comment ceux-ci nous ont-ils retrouvés ?
– C’est simple, dit la fille. Ils vous ont trouvés parce qu’ils me suivaient. »
Il la dévisagea.
« Vous, mademoiselle Berenice ? Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? »
Elle tendit le doigt vers le ciel. Gregor et Sancia levèrent lentement la tête pour regarder le plafond.
« Ah », fit doucement le capitaine.
Le toit de la carriole était percé de trois gros trous irréguliers, et une pointe de carreau y était encore fichée.
« Je suppose que vous vous demandez pourquoi deux d’entre eux ont abandonné leurs camarades, dit Berenice. Il se trouve qu’ils m’ont poursuivie sur un ou deux pâtés de maisons, mais ils ont renoncé quand ils ont entendu les cris. » Elle jeta un bref regard vers Sancia. « Beaucoup de cris, apparemment.
– Qu’est-ce qui vous rend si sûre du fait qu’ils vous suivaient ? insista Gregor.
– En tout cas, ils savaient sur quelle carriole tirer, répondit Berenice.
– Je vois. Mais comment s’y sont-ils pris, pour commencer ? En tout cas, ils n’ont pas pu vous pister depuis le cœur des enclaves Dandolo.
– Je n’en suis pas encore sûre, mais tout semblait arrangé. Ils comptaient nous tuer tous d’un seul coup, je pense. Tous les gens ayant un lien avec… » Elle ne termina pas sa phrase.
« Un lien avec moi, compléta doucement Sancia. Avec la boîte.
– Oui.
– Tous…, répéta Gregor. Orso est retourné au campo ?
– Oui, répondit la fille. Il devrait y être en sûreté. »
Gregor regarda par la fenêtre.
« Sauf que si l’on passe par-dessus le mur d’un campo, à une altitude suffisante, dit-il, on ne déclenche pas les enluminures d’alarme, n’est-ce pas ? »
Elle haussa les épaules.
« En gros, oui. »
Il se tourna vers elle.
« Ainsi, si quelqu’un dispose d’un appareil lui permettant de voler, il peut franchir le rempart d’un campo sans que personne n’en sache rien.
– Mince », souffla Berenice. Elle abaissa un peu plus le levier d’accélération et la carriole prit de la vitesse. Elle s’éclaircit la gorge. « Vous, derrière, lança-t-elle.
– Moi ? fit Sancia.
– Oui. Il y a un sac à vos pieds. Dedans, vous trouverez une bande de métal avec des attaches aux extrémités. Dites-moi quand vous l’avez. »
Sancia fouilla dans la sacoche posée sur le siège du passager. Elle trouva rapidement la bande de métal et reconnut certains des sceaux inscrits à son revers.
« Je l’ai. Elle est jumelée, c’est ça ? demanda-t-elle.
– Oui.
– Comment le savez-vous ? s’étonna Gregor.
– Je… euh… J’ai utilisé une enluminure de ce genre pour faire sauter votre front de mer », dit Sancia.
Gregor grimaça et secoua la tête.
« Arrachez les deux attaches, continua la fille. Ensuite, gravez un mot derrière… Pas du côté des enluminures, ça casserait l’appareil. »
Sancia arracha les attaches.
« Graver ? Avec un couteau, vous voulez dire ?
– Oui », dit Berenice.
Gregor rendit à Sancia son stylet.
« Qu’est-ce que j’écris ? demanda Sancia.
– “Fuyez”. »
Seul dans son atelier, Orso Ignacio passait en revue la page du registre qu’il avait cachée parmi son matériel d’enluminure.
Il estimait l’avoir astucieusement dissimulée. À l’instar de sa porte, il l’avait enluminée de sorte qu’elle détecte son sang, si bien que lui seul (ou quelqu’un possédant une grande quantité de son sang) pouvait la lire. Dès qu’il posait la main sur le registre, une fente s’ouvrait dans le dos de sa couverture, dont il pouvait tirer la page cachée.
Une page couverte de chiffres. De très mauvais chiffres, songeait-il à présent en les examinant. Des sommes qu’il avait détournées dans tel ou tel département, des tâches fictives pour lesquelles il avait reçu salaire… La découverte de certains de ces chiffres pouvait conduire à de graves accusations, mais pris tous ensemble…
J’ai été stupide, pensa-t-il en soupirant. L’idée de cette clé était trop tentante. Et maintenant…
Un ping métallique résonna sur son bureau.
Il se releva et chercha la plaque jumelée au milieu de la paperasse.
L’une des attaches avait été cassée. Il la fixa. Ça veut dire que Dandolo a trouvé le voleur.
Il examina la plaque de plus près. À sa grande détresse, la deuxième attache se détacha avec le même bruit.
« Oh, merde, gémit-il. Oh, bon Dieu. »
Cela signifiait que Dandolo détenait le voleur – et que le voleur détenait la clé.
Il allait donc devoir faire jouer des faveurs. Des faveurs qu’il aurait désespérément aimé ne pas avoir à faire jouer.
Mais avant qu’il n’ait pu réagir, il se produisit quelque chose de bizarre.
La plaque remua. Orso la retourna et vit que son revers changeait…
Quelqu’un gravait profondément des lettres dans le métal, et ce n’était pas l’écriture nette, parfaite, de Berenice. Les lettres étaient grossières, mal tracées, et formaient un seul mot :
FUYEZ
« Fuir ? » dit Orso, perplexe.
Il se gratta la tête. Pourquoi Berenice lui demandait-elle de fuir ?
Il balaya son atelier du regard et ne vit rien qui mérite de paniquer. Ses grimoires de définitions, ses blocs d’enluminure, son lexique de test, et la fenêtre ouverte, sur le mur d’en face…
Il se figea.
Il ne se rappelait pas l’avoir ouverte.
Un grincement retentit. Le genre de grincement que rend le plancher quand on traverse une pièce. Sauf qu’il ne provenait pas du plancher, mais du plafond.
Orso leva lentement la tête.
Un homme était accroupi sur le plafond au mépris de la gravité. Il était vêtu de noir et portait un masque de tissu de la même couleur.
Orso ouvrit lentement la bouche.
« Qu’est-ce que… »
L’homme lui tomba dessus et le jeta au sol.
Jurant, Orso s’efforça de se redresser. Pendant ce temps, l’assaillant se dirigea calmement vers son bureau, s’empara de la page de comptes secrets, revint vers l’hypatus et lui asséna un violent coup de pied dans le ventre.
Orso retomba en toussant. Son agresseur passa un lacet par-dessus sa tête et le serra autour son cou. L’hypatus commença à suffoquer et des larmes brouillèrent sa vue. L’homme le releva, écrasant sa trachée, et lui chuchota dans l’oreille :
« Allons, allons, pépé. Lutte pas trop, d’accord ? » Il tira d’un coup sec sur la corde et Orso faillit s’évanouir. « Tu vas me suivre, compris ? »
Il le poussa vers la fenêtre, puis tira encore sur la corde, fort, entraînant Orso comme un chien en laisse. Ce dernier essayait d’arracher le lacet en grognant, mais il était trop serré, trop solide. L’homme jeta un bref regard par la fenêtre.
« C’est pas assez haut, hein ? songea-t-il à voix haute. Il faut qu’on soit bien sûrs. Allez, pépé, viens ! »
Alors, incroyablement, il se glissa par la fenêtre et se retrouva debout sur le flanc du bâtiment, comme s’il avait été au sol. Il toucha quelque chose sur son ventre, hocha la tête et tira brusquement Orso à l’extérieur.
Tandis que la carriole franchissait les portes, l’une après l’autre, Sancia se rendit compte avec inquiétude qu’ils fonçaient vers les enclaves les plus exclusives du campo Dandolo, là où ne vivaient que les gens les plus riches et les plus puissants. Elle n’avait même jamais rêvé de se retrouver ici un jour, et surtout pas dans ces circonstances.
« Là, dit Berenice. Le bâtiment de l’hypatus est juste devant. »
Ils regardèrent par la vitre avant de la carriole. Une structure à deux étages, vaste et sophistiquée, baignée par la lueur rosâtre des rues. Elle n’était pas éclairée et semblait paisible, comme la plupart des bâtiments au milieu de la nuit.
« Tout a l’air… calme », dit lentement Gregor.
Mais quelque chose remua à la fenêtre du dernier étage et ils virent avec horreur un homme en noir en sortir, se dresser sur le mur et entraîner une silhouette humaine qui se débattait au bout d’une sorte de corde passée autour de son cou.
« Oooh, mince », siffla Gregor.
Berenice appuya encore sur le levier d’accélération, mais c’était trop tard. L’homme en noir remonta le mur en courant, entraînant son captif avec lui.
« Non ! cria Berenice. Non !
– Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda Gregor.
– La seule façon d’accéder au toit est de passer par la tour sud ! Ça va nous prendre une éternité ! »
Sancia réfléchit en scrutant le flanc du bâtiment. C’était peut-être l’occasion qu’elle guettait ; elle était à présent tout à fait consciente d’avoir affaire à des gens très puissants, et de se trouver à leur merci. Ce qui ne lui plaisait pas du tout. Mais se les rendre redevables pouvait s’avérer intéressant.
« C’est votre homme, non ? demanda-t-elle. Le dénommé Orso ?
– Oui ! répondit Berenice.
– Le gars dont j’ai volé la boîte ?
– Oui ! confirma Gregor.
– Et… vous voulez qu’il vive ?
– Oui ! » s’écrièrent les deux à l’unisson.
Sancia glissa le stylet de Gregor dans sa ceinture et ôta ses deux gants.
« Rapprochez-vous du coin du bâtiment, là.
– Qu’est-ce que vous allez faire ? » s’enquit Gregor.
Grimaçant, Sancia se frotta la tempe avec deux doigts. Ce serait excessif, elle le savait.
« Quelque chose de vraiment idiot, soupira-t-elle. J’espère que ce trou du cul est riche, au moins. »
« Allez, hop hop hop, on monte ! » dit l’homme en noir.
Il tira Orso par-dessus le bord du toit tout en ajustant l’appareil sur son ventre. Puis il le traîna vers le côté est du bâtiment, qui surplombait le parc.
Il finit par lâcher Orso et se retourna.
« Bon, maintenant, ne t’énerve pas, pépé ! » dit-il avant de lui donner un nouveau coup de pied dans le ventre. Orso se recroquevilla sur lui-même en gémissant et remarqua à peine que son kidnappeur ôtait le lacet de son cou. « Pas question de laisser des preuves, chéri. Tu dois être immaculé. Tout bonnement rayonnant. » Il le contourna et un nouveau coup l’envoya rouler vers le bord du toit. « Ça va être bien pratique, reprit-il en glissant la page de comptes dans sa poche. Tout cet argent volé, et juste pour une clé. Une fois que ça se saura, personne ne soupçonnera rien. »
Il asséna un nouveau coup de pied brutal à Orso pour le pousser un peu plus vers le bord du toit.
Non, pensa Orso. Non ! Il essaya de résister, de s’accrocher au toit, de repousser son attaquant, mais les coups pleuvaient sur ses épaules, ses doigts, son estomac. À travers ses larmes, l’hypatus voyait le vide se rapprocher peu à peu.
« Un vieil escroc amer, dit l’homme en noir avec une joie féroce. Endetté jusqu’au cou. » Un autre coup de pied. « Jusqu’aux oreilles. » Un autre. « Un pauvre con qui a fait l’erreur de chier là où il mangeait. » Il s’interrompit avant le dernier coup. « Ça ne surprendra personne que tu aies finalement décidé d’en f… »
Une forme trapue et noire déboula du flanc du bâtiment et tacla l’assassin.
Hoquetant, Orso leva les yeux et vit les deux silhouettes sombres se battre. Il n’avait aucune idée de l’identité du nouveau venu – apparemment une petite jeune femme, ensanglantée et d’aspect quelque peu crasseux – mais elle se jetait sur son agresseur avec une belle férocité et le lardait de coups de stylet.
Cependant, ce dernier semblait plus doué pour le corps à corps. Il se releva rapidement, esquiva toutes ses attaques et réussit à asséner à la fille un terrible coup au menton, qui l’envoya s’étaler sur le flanc. Toussant, elle cria :
« Dandolo ! Vous arrivez ou non ? »
L’homme en noir se jeta sur elle avec assez de force pour que tous deux roulent l’un sur l’autre, droit vers…
« Oh, non », chuchota Orso.
La mêlée furieuse acheva de le pousser dans le vide. Son corps bascula ; il se sentit lent, engourdi, idiot. Il battit frénétiquement les mains, à la recherche d’une prise, et ses doigts finirent par se refermer sur quelque chose.
Pendu au bord de son propre bâtiment, Orso laissa échapper un cri assez peu digne. L’homme et la jeune femme étaient juste au-dessus de lui, presque sur ses mains, et continuaient à batailler comme des animaux. L’assassin finit cependant par prendre le dessus et se jucha sur la fille, les doigts autour de son cou, visiblement décidé à l’étrangler, ou à la jeter dans le vide, voire les deux.
« Sale petite pute, chuchota-t-il en se penchant tout près de sa gorge. Encore un peu… Encore un peu… »
La jeune femme, suffoquant, envoya les mains sur l’appareil logé sur l’estomac de l’homme en noir, l’agrippa et le fit tourner.
Quelque chose cliqueta.
Il se figea, horrifié, la lâcha et baissa les yeux.
Et alors, tout simplement, il… entra en éruption.
De surprise, Orso faillit lâcher prise lorsqu’une pluie de sang chaud s’abattit sur lui. L’averse cramoisie lui piqua les yeux, lui emplit la bouche d’un goût salé et cuivré. S’il n’avait pas été terrifié, il aurait été indiciblement écœuré.
« Ah, merde ! » fit la jeune femme en hoquetant et en crachant. Elle se débarrassa des rares vestiges de l’assassin – deux plaques retenues par du tissu, apparemment. « Encore ? !
– À… à l’aide ? bégaya Orso. À l’aide. À l’aide !
– Ouais, ouais, tenez bon ! »
Elle roula sur elle-même, s’essuya les mains sur le toit – ses vêtements étaient aussi poissés de sang que ses paumes – et l’attrapa par les poignets. Avec une force surprenante, elle le hissa puis le lâcha sur le toit.
Orso resta couché, grognant de douleur, d’horreur et de confusion tout en fixant le ciel nocturne.
« Que… que… qu’est-ce que… »
La jeune femme s’assit près de lui, à bout de souffle. Elle semblait terriblement mal en point.
« Le capitaine Dandolo arrive. Ce crétin en est sûrement à chercher les escaliers. Vous êtes Orso, c’est ça ? »
Il la dévisagea, encore sous le choc.
« Quoi… qui… »
Elle hocha la tête.
« Je m’appelle Sancia », haleta-t-elle. Son visage devint subitement inexpressif et elle vomit sans prévenir à côté d’elle. Reprenant son souffle, elle s’essuya la bouche. « C’est moi qui ai volé votre truc. »
Sancia tourna la tête et vomit encore. Elle avait l’impression que son cerveau brûlait. Elle avait dépassé ses limites et son corps l’abandonnait.
Elle releva l’homme et boitilla avec lui sur le toit. Il tremblait, couvert de sang, et ne cessait de tousser en raison du lacet qui lui avait écrasé la gorge. Mais il avait meilleure mine qu’elle. Le crâne de Sancia était en feu, ses os en plomb. Il lui faudrait beaucoup de chance pour rester consciente plus longtemps.
Tandis qu’ils franchissaient le faîte, elle sentit qu’elle faiblissait. La porte de la tour sud s’ouvrit, et de la lumière se déversa sur les tuiles rouges du toit. La lueur se réduisait à une tache dorée, onctueuse dans le noir, et Sancia cilla sans réussir à accommoder.
Sa vue se troublait comme celle d’un ivrogne. L’homme – Orso – lui parlait, apparemment, mais elle n’entendait rien.
La panique monta en elle. Elle savait qu’elle allait mal, mais pas à ce point.
« Je suis désolée, dit-elle. Ma tête… Ça… Ma tête est vraiment… »
Elle se sentit fléchir et comprit qu’elle devait éloigner Orso du faîte… parce qu’elle allait bientôt s’écrouler. Elle le conduisit jusqu’à une portion du toit raisonnablement horizontale, puis le lâcha et tomba à genoux. Elle n’en avait plus pour longtemps.
Elle chercha Clef à tâtons, le tira de sa manche et le cacha dans sa botte.
Peut-être qu’ils oublieraient de regarder là. Peut-être.
Puis elle s’affaissa, son front se posa sur les tuiles et tout devint noir.