20

« Je croyais vous avoir seulement demandé de les suivre ! s’écria Orso avec épouvante.

– Eh bien, c’est ce qu’on a fait, croassa Sancia avant de cracher un autre glaviot de sang dans un seau. Vous ne nous avez pas dit de ne pas faire autre chose.

– Entrer par effraction dans une fonderie ? s’égosilla-t-il. Et… et faire s’effondrer son conduit d’évacuation métallurgique ? J’aurais cru que ces choses se trouvaient assez clairement au-delà du bon sens – ou est-ce moi qui ai perdu la tête, Berenice ? »

Il foudroya cette dernière du regard. La jeune femme était assise dans un coin de son bureau et triait les notes que Sancia avait dérobées. Gregor, penché par-dessus son épaule, les regardait distraitement, les mains croisées dans le dos.

« Je voulais simplement confirmer les soupçons que vous aviez formulés, monsieur, répondit-elle.

– Lesquels ? »

Elle leva la tête.

« Que Tomas Ziani était bel et bien derrière tout cela. C’est pour ça que vous avez discuté avec Estelle après la réunion d’hier, non, monsieur ? »

Gregor cligna des yeux et se redressa.

« Estelle Ziani ? Attendez… La fille de Tribuno Candiano ? Orso lui a parlé ?

– Réfléchissez avant de l’ouvrir ! gronda Orso à l’intention de Berenice.

– Pourquoi soupçonnez-vous Ziani, Orso ? » demanda Gregor.

L’hypatus lança une dernière grimace à son assistante puis réfléchit avant de répondre.

« Lorsque j’étais à la réunion, alors que tout le monde discutait de la coupure, aucun des chefs des maisons n’agissait curieusement hormis, peut-être, Ziani. Il m’a regardé, a lorgné mon cou, puis il m’a interpellé de manière assez brusque au sujet des hiérophantes. Il y avait quelque chose dans tout ça qui m’a… perturbé. Juste une intuition.

– Une intuition juste, dit Sancia avant de se moucher dans un chiffon. Je l’ai bien vu… et même un peu trop bien. C’est lui qui est derrière tout ça. Tout. Il essaye de fabriquer des dizaines, sinon des centaines, d’imperiats. »

Il y eut un silence ; chacun considéra les implications de la nouvelle.

« Ce qui signifie, dit doucement Gregor, que si Tomas Ziani réussit à percer à jour le processus, il tiendra le monde civilisé en otage, en gros.

– Je… je n’arrive toujours pas à croire qu’il s’agit de Ziani, reprit Orso. J’ai demandé à Estelle si elle me préviendrait, au cas où ce dernier s’en prendrait à moi, et elle m’a répondu que oui.

– Vous comptiez sur une femme pour qu’elle trahisse son mari ? s’étonna Gregor.

– Eh bien, oui ! Mais on dirait que Tomas Ziani la confine dans la Montagne, tout comme son père. Alors, même si elle a une bonne raison de le trahir, j’ignore ce qu’elle pouvait savoir de ses projets.

– Bah, je ne connais pas cette Estelle, intervint Sancia, mais je pars du principe que c’est quelqu’un qu’Orso écure ? »

Tous la regardèrent, scandalisés.

« D’accord, se reprit Sancia. Quelqu’un qu’il a écuré par le passé, alors ? »

Une série de tics balaya le visage d’Orso, qui essayait vainement de déterminer l’ampleur de l’offense.

« Je… je la fréquentais, à une époque. Quand je travaillais pour Tribuno Candiano.

– Vous écuriez la fille de votre patron ? fit Sancia, impressionnée. Ouah. C’est couillu.

– Si intéressante que soit la vie privée d’Orso, coupa Gregor d’une voix ferme, revenons-en au problème en cours. Comment empêcher Tomas Ziani de se constituer tout un arsenal d’armes hiérophantiques ?

– Et comment est-ce qu’il prévoit seulement de les fabriquer ? marmonna Berenice en feuilletant les notes de Tribuno. On dirait bien qu’il a du mal…

– S’il vous plaît, Sancia, demanda Orso, revenez sur ce qu’a dit Ziani, mot pour mot. »

Sancia s’exécuta, rapportant la moindre bribe de la conversation qu’elle avait surprise.

« Alors, dit Orso une fois qu’elle eut terminé, il les qualifie d’“enveloppes”. Et il a évoqué une sorte de… d’échange raté ?

– Ouais, répondit Sancia. Et il a mentionné un rituel. Je ne sais pas pourquoi il appelle ça des enveloppes, en revanche. Une enveloppe contient quelque chose, en temps normal.

– De plus, il estimait que le problème venait de l’enveloppe elle-même, ajouta Berenice. Les imperiats qu’il a fabriqués ne sont pas exactement similaires à l’original.

– Ouais, apparemment c’était ça, le hic. »

Il y eut une pause. Berenice et Orso échangèrent un regard horrifié.

« L’alphabet occidental, dit Berenice. La lingai divina.

– Oui, souffla Orso.

– Il… il lui en manque une partie. Un sceau ou plusieurs. C’est forcément ça !

– Oui. » L’hypatus poussa un profond soupir. « C’est pour cela qu’il vole des artefacts occidentaux. C’est pour ça qu’il a volé la curain de clé ! Évidemment ! Il veut compléter l’alphabet. Ou du moins, en connaître une assez grande partie pour fabriquer un imperiat fonctionnel.

– Je ne vous suis pas, dit Gregor. Un alphabet ?

– Nous ne connaissons que des bribes de l’alphabet de sceaux qu’utilisaient les Occidentaux, expliqua Berenice. Une poignée par-ci, une poignée par-là. C’est le plus gros obstacle auquel se heurtent les recherches occidentales. Cela revient à essayer de résoudre une énigme posée dans une langue étrangère dont on n’aurait que les voyelles.

– Je vois. Mais si quelqu’un vole assez d’échantillons – des morceaux, des pièces et des fragments frappés des bons sceaux…

– … il peut reconstituer l’alphabet, compléta Orso. Il peut enfin parler la langue qui dotera ses outils de capacités hiérophantiques. En théorie. Mais on dirait que ce sale gommeux de Ziani éprouve quelques difficultés.

– Néanmoins, il se fait aider, dit Berenice. C’est bien Tribuno Candiano qui a écrit les cordes de sceaux qui font fonctionner les plaques gravifiques et l’appareil d’écoute. Sauf qu’il l’a fait dans son état de démence, sans réflexion, sans conscience.

– Il n’empêche que, de mon point de vue, ça ne se tient toujours pas, reprit Orso. Le Tribuno que je connaissais n’avait que faire des conneries gravifiques pour lesquelles tant d’enlumineurs ont gâché leur vie. Ses centres d’intérêt étaient plus… importants. » Il fit la grimace, comme si le souvenir le perturbait. « J’ai l’impression que ça ne peut pas être lui.

– Le Tribuno que vous connaissiez était sain d’esprit, précisa Gregor.

– Certes, admit Orso. Dans tous les cas, on dirait que Ziani a mis la main sur sa collection occidentale. Ce serait ça, la cache qu’il a fait sortir de la Montagne, non ?

– Ouais, répondit Sancia. Il a aussi mentionné d’autres artefacts qu’il a planqués quelque part, essentiellement pour vous les dissimuler, Orso. »

Ce dernier ricana.

« Ah, au moins, on a fait peur à cet écuré. Je soupçonne qu’il a dérobé des artefacts occidentaux à toutes sortes de gens. Il doit en avoir une sacrée réserve. Et… il y a aussi le dernier passage. Celui qui me laisse le plus perplexe. Ils ont dû se débarrasser d’un corps ?

– Ouais, répondit Sancia. Il donnait même l’impression que ce n’était pas le premier. Et il semblait se moquer de savoir qui était le cadavre. J’ai l’impression que ça avait un rapport avec le rituel, mais je ne comprends pas tout ça. »

Gregor leva les mains.

« On s’éloigne du sujet. Des alphabets, des hiérophantes, des corps… Oui, tout cela est troublant. Mais le problème principal reste que Tomas Ziani compte fabriquer des appareils capables d’annihiler les enluminures à grande échelle. Autant de cordes à son espringale, qui n’en manque déjà pas. Mais toute sa stratégie repose sur un unique objet : l’imperiat originel. C’est la clé de toutes ses ambitions. » Il regarda ses comparses. « Alors, si jamais il devait le perdre…

– Ce serait un coup dur pour lui, dit Berenice.

– Oui, reprit Gregor. Faute d’original, il n’aurait plus de modèle à dupliquer.

– Et si Sancia ne s’est pas trompée, Tomas nous a révélé où il le gardait », lâcha pensivement Orso.

Il pivota sur sa chaise pour regarder par la fenêtre. Sancia suivit son regard. Au loin, au milieu des tours de Tevanne, se dressait un vaste dôme, pareil à une tumeur noire et lisse au centre de la cité : la Montagne des Candiano.

« Ah, zut », soupira-t-elle.

 

« C’est dingue, dit Sancia en faisant les cent pas. L’idée est totalement folle !

– Pénétrer par effraction dans une fonderie sur un coup de tête me paraissait entrer fermement dans cette catégorie, maugréa Orso, mais ça n’a pas eu l’air de vous rebuter !

– On les a surpris culotte baissée, dit Sancia, dans une fonderie abandonnée au milieu de nulle part. Ce n’est pas la même chose que d’essayer d’entrer dans la curain de Montagne, qui est peut-être l’endroit le mieux gardé de toute cette foutue cité, sinon du monde entier ! Ça m’étonnerait que Berenice ait dans ses poches un bibelot qui pourra nous y aider.

– C’est fou, oui, dit Gregor. Mais c’est, hélas, notre unique option. Je doute qu’on puisse persuader Ziani de quitter la Montagne avec l’imperiat dans sa poche. Alors, nous devons y aller.

– Je dois y aller, se plaignit Sancia. C’est pas vos têtes d’abrutis qui vont se retrouver sur le billot.

– N’allons pas trop vite en affaire, dit Gregor. Mais j’admets que je ne sais pas du tout comment pénétrer dans un endroit pareil. Orso, vous avez vécu là-bas ?

– Autrefois, oui, répondit Orso. Quand on venait de la construire. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’était il y a foutrement longtemps.

– Vraiment ? s’étonna Sancia. Alors, les rumeurs sont vraies ? Elle est… hantée ? »

Elle s’attendait à moitié à ce qu’Orso éclate de rire, mais il n’en fut rien. Il s’adossa à sa chaise et dit :

« Vous savez, je ne suis sûr de rien. C’est… difficile à décrire. L’endroit est immense, pour commencer. La simple taille de la Montagne est déjà un exploit en soi. L’intérieur est comme une ville. Mais ce n’est pas ça, le plus étrange. Le plus bizarre, concernant la Montagne, c’est qu’elle se souvenait.

– Se souvenait de quoi ? demanda Sancia.

– De ce que vous faisiez. De ce que vous aviez fait. De qui vous étiez. Si vous vous rendiez dans la même salle de bains tous les jours, un bain à la bonne température vous y attendait. Ou alors, vous preniez tel couloir pour atteindre votre ascenseur à l’heure habituelle et il était là. Les changements étaient subtils, lents, très progressifs – mais, peu à peu, les gens s’habituaient à ce que la Montagne sache ce qu’ils faisaient et s’adapte à eux. Ils s’étaient faits à l’idée que cet… cet endroit prédisait leurs actions.

– Elle apprenait, alors ? fit Gregor. Une structure enluminée apprenait, comme si elle avait un cerveau ?

– Ça, je n’en sais rien. C’est l’impression qu’elle donnait, oui. Tribuno l’avait conçue sur ses vieux jours, quand il commençait à devenir bizarre, et il ne m’a jamais révélé les méthodes employées. À l’époque, il était devenu excessivement secret.

– Comment pouvait-elle savoir où se trouvaient ses occupants, monsieur ? » demanda Berenice.

Orso adopta un air coupable.

« Bon, d’accord, je ne suis pas étranger à ça… Vous connaissez l’astuce, avec la porte de mon atelier ?

– Elle est enluminée pour sentir votre sang… Attendez. C’est comme ça que la Montagne suit ses résidents ? Elle sent leur sang à tous ?

– En gros. Chaque nouvel occupant doit déposer une goutte de sang au cœur de la Montagne, sans quoi elle ne l’autorisera pas se rendre là où il doit aller. Son sang fait office de laissez-passer ; les simples visiteurs sont cantonnés aux zones autorisées ou doivent se munir d’un sachet particulier.

– C’est pour cela que la Montagne est si sûre, dit doucement Sancia. Elle sait qui a le droit de la parcourir et qui est un intrus.

– Comment ? s’étonna Gregor. Comment un appareil peut-il être aussi puissant ?

– Mince, je n’en sais rien, admit Orso. Mais j’ai vu passer une liste de matériel destiné au cœur de la Montagne, qui incluait les nacelles de six lexiques à capacité maximale. »

Berenice fixa son maître.

« Six lexiques ? Pour un seul bâtiment ?

– Pourquoi consentir tous ces efforts ? demanda Gregor. Pourquoi faire tout cela en secret sans capitaliser dessus, sans jamais le partager ?

– Tribuno nourrissait d’immenses ambitions, dit Orso. Je ne pense pas qu’il souhaitait imiter les hiérophantes, il voulait en devenir un. Il était obsédé par un certain mythe occidental. Peut-être le plus connu, concernant le plus célèbre des hiérophantes. » Il se rassit sur sa chaise. « Outre sa baguette magique, qu’est-ce que tout le monde sait à propos de Crasedes le Grand ?

– Il avait un ange dans une boîte, dit Berenice.

– Ou un génie dans une bouteille, ajouta Gregor.

– Il avait construit son propre dieu, glissa Sancia.

– Tout cela revient au même, non ? reprit Orso. Une… entité artificielle dotée de pouvoirs insolites. Une entité artificielle munie d’un esprit artificiel.

– Alors, dit lentement Gregor, vous pensez que, lorsqu’il a créé la Montagne…

– Je pense que c’était un essai, admit Orso. Une expérience. Est-ce que Tribuno arriverait à transformer l’ancestrale demeure des Candiano en une entité artificielle ? Était-ce le brouillon préparatoire d’un dieu fabriqué ? Il m’avait déjà parlé de cette théorie. Il pensait que les hiérophantes avaient été des hommes, des êtres humains ordinaires, qui s’étaient simplement altérés de manière inédite.

– Des humains ? dit Gregor. Comme nous ? »

Pour la plupart des Tevanniens, l’idée était absurde. Dire que les hiérophantes avaient été des hommes ordinaires revenait à dire que le soleil avait été une bête orange issue d’un arbre.

« Autrefois, dit Orso. Il y a longtemps. Regardez autour de vous. Voyez comme les enluminures ont changé le monde en une poignée de décennies. Maintenant, imaginez qu’elles puissent également changer un être. Imaginez comment ce dernier évoluerait au fil du temps. Tribuno soupçonnait, je pense, que leur élévation était le fruit de cette entité artificielle qu’ils avaient créé. Des hommes avaient construit un dieu, et ce dieu les avait aidés à devenir des hiérophantes. Tribuno croyait pouvoir marcher dans leurs pas.

– Ça fiche les jetons, dit Sancia. Et rien de tout ça ne m’encourage à aller là-bas. Même si c’est faisable. »

Orso fit claquer ses lèvres.

« Ça paraît insurmontable, mais… Il y a toujours un moyen. Une création complexe implique davantage de règles, qui impliquent à leur tour davantage de failles. Nous avons un problème bien plus immédiat, toutefois. Berenice, quelle est votre vitesse, ces jours-ci ?

– Ma vitesse ? Je réalise en moyenne trente-quatre cordes par minute, monsieur.

– Efficacement articulées ?

– Naturellement.

– Des cordes complètes ou partielles ?

– Complètes. Inclusives jusqu’au quatrième niveau en ce qui concerne les éléments du langage Dandolo.

– Euh, fit Gregor. De quoi est-ce que vous parlez ?

– Si nous devons entrer dans la Montagne, même Berenice ne pourra pas se charger de tout le travail. Et puis, elle n’est pas une agente des canaux. On aura besoin de plus d’enlumineurs. Ou de voleurs. Ou d’enlumineurs doublés de voleurs. » Orso soupira. « Et on ne peut pas le faire ici. Non seulement la mère de Gregor finira par remarquer que nous préparons un acte de haute trahison dans ses curains d’ateliers, mais cet endroit n’est pas à l’abri des assassins. Il nous faudrait une équipe complète, et un endroit où travailler. Sans ça, le projet reste une chimère. »

Sancia secoua la tête. Je vais sûrement le regretter.

« Orso… je dois vous poser une question. Vous êtes riche à quel point ?

– À quel point ? Vous voulez des chiffres, ou quoi ?

– Est-ce que vous avez personnellement accès à des sommes de liquide importantes dont vous pouvez disposer sans éveiller de soupçons ?

– Ah. Oh. Certainement.

– Bien. Très bien. » Elle se releva. « Alors, venez, on va faire une promenade.

– Où ? demanda Gregor.

– Dans les Communes. Mais on va devoir rester sur nos gardes.

– À cause des tueurs à gages qui veulent notre mort ? proposa Berenice.

– Oui, mais aussi parce qu’on va emporter tout un tas de pognon. »

 

Quatre lanternes – trois bleues, une rouge – pendaient au-dessus de la porte de l’entrepôt.

Sancia s’y rendit en courant, regarda autour d’elle, et frappa.

Un judas s’ouvrit, révélant une paire d’yeux qui se baissèrent vers elle et s’écarquillèrent.

« Oh, bon Dieu ! Encore toi ? Je croyais que tu étais morte.

– Hélas pour vous, non, dit Sancia. J’ai une affaire à vous proposer.

– Quoi ? Tu n’es pas ici pour demander un service ? répondit Claudia depuis l’autre côté de la porte.

– Bon, une affaire, et un service.

– J’aurais dû m’en douter », soupira Claudia en ouvrant. Elle portait son tablier en cuir et ses lunettes grossissantes habituelles. « Tu n’as pas les moyens de nous proposer une affaire.

– Ce ne sont pas les miens, de moyens. »

Sancia lui tendit une sacoche en cuir. Claudia la regarda avec méfiance, puis la prit et examina son contenu. Ses yeux s’écarquillèrent de plus belle.

« Des… des duvots-papier ?

– Ouais.

– Il y en a… au moins un millier !

– Ouais.

– Pour quoi faire ?

– Ceux-là, c’est juste pour que tu te détendes et m’écoutes. J’ai un boulot pour vous. Un gros. Et tu dois m’entendre jusqu’au bout.

– Quoi, tu te prends pour Sark, maintenant ?

– Sark n’a jamais rien demandé d’aussi important. J’ai besoin de votre aide, à toi et Gio, pour cette tâche spécifique, à temps plein et pendant quelques jours. Et il nous faudra aussi un lieu de travail sûr et toutes sortes de matériaux d’enluminure. Si tu peux me trouver ça, il y a encore une chiée d’argent qui t’attend.

– C’est effectivement une tâche importante. » Claudia fit tourner la sacoche dans ses mains. « Ça, c’est donc la partie offre de ta visite ?

– En effet.

– Et la partie service ?

– La partie service, dit Sancia en la regardant droit dans les yeux, c’est que tu oublies tout ce que tu sais à propos de Clef. Tout. Et tout de suite. Dès cet instant. Tu n’en as jamais entendu parler. Je ne suis qu’une voleuse qui vient te voir de temps à autre pour se procurer des outils et des autorisations afin d’entrer dans les campos, et rien de plus. Fais ça, et tu auras l’argent.

– Pourquoi ? demanda Claudia.

– Peu importe. Efface tout ça de ton cerveau, demande à Gio d’en faire autant, et vous serez tous les deux riches.

– Ça ne me plaît pas trop, San…

– Je vais faire signe aux autres, à présent. Quand tu les verras arriver, ne te mets pas à crier.

– Crier ? Mais pourquoi est-ce que… »

Elle s’interrompit lorsque Sancia leva la main. Berenice, Gregor et Orso émergèrent de l’ombre pour les rejoindre sur le pas de la porte. Claudia les regarda, horrifiée, surtout Orso, qui jurait après avoir marché dans une flaque.

« Purée de… Bon Dieu… », souffla-t-elle.

Orso leva les yeux pour jauger Claudia, l’entrepôt, et plissa le nez.

« Grands dieux, fit-il. Ils travaillent là-dedans ?

– Tu ferais bien de nous laisser entrer », ajouta Sancia.

 

Orso parcourait l’atelier des Ferrailleurs tel un fermier venu acheter des poules au marché le plus merdique du monde. Il examinait les blocs d’enluminure, les cordes de sceaux sur les murs, les chaudrons pleins de bronze ou de plomb en fusion, les éventails attachés à des roues de carrioles. Claudia avait fait sortir les autres membres de son équipe avant de le laisser entrer, mais à présent, elle et Giovanni le regardaient écumer leurs quartiers avec un air terrifié, comme si une panthère s’était introduite chez eux durant leur sommeil.

L’hypatus traversa la pièce pour étudier des sceaux griffonnés sur un tableau noir.

« Vous… mettez au point une méthode pour contrôler les carrioles à distance », dit-il lentement.

Ce n’était pas une question.

« Euh, fit Giovanni. Oui… »

Orso hocha la tête.

« Mais tout ne s’exprime pas correctement. N’est-ce pas, Berenice ? »

La jeune femme se leva pour le rejoindre.

« L’orientation est mauvaise.

– Oui, dit Orso.

– Les calibrages sont beaucoup trop complexes.

– Oui.

– L’appareil est sûrement confus ; il n’est pas sûr de la direction dans laquelle il doit se tourner. Alors, il est probable qu’il s’éteigne après avoir parcouru quelques mètres.

– Oui. » Orso se tourna vers Giovanni. « N’est-ce pas le cas ? »

Gio regarda Claudia, qui haussa les épaules.

« Hum. Oui. Pour l’instant. Plus ou moins. »

Orso opina encore.

« Mais ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas… que c’est mauvais. »

Claudia et Gio clignèrent des yeux, se regardèrent, et finirent par comprendre qu’Orso Ignacio, le légendaire hypatus du Cartel Dandolo, venait de les complimenter.

« Je… je travaille dessus depuis longtemps, dit Gio.

– Oui », fit Orso en balayant la pièce et ses occupants du regard. « Avec des outils primitifs, des informations de deuxième main, des fragments de plans… Vous avez improvisé des solutions à des problèmes qu’aucun enlumineur des campos ne rencontre jamais. Vous avez dû réinventer la roue tous les jours. » Il se tourna vers Sancia. « Vous aviez raison.

– Je vous l’avais dit, répondit cette dernière.

– À propos de quoi ? demanda Claudia.

– Vous êtes doués, dit Orso. Et vous pourriez bien l’être suffisamment pour notre affaire. Peut-être. Qu’est-ce que Sancia vous en a dit ? »

Claudia jeta un bref regard à cette dernière, qui crut lire dans ses yeux un soupçon de colère qu’elle ne pouvait guère lui reprocher.

« Elle nous a dit que vous aviez besoin de nous, et de notre atelier. Et de matériel.

– Bien. Restons simples.

– Ça ne peut pas être simple. Vous perturbez tout ce qu’on fait ici. On doit en savoir plus pour décider si on en est ou pas !

– D’accord, dit Orso. Nous voulons entrer dans la Montagne. »

Ils le dévisagèrent, incrédules.

« La Montagne ? répéta Giovanni en se tournant vers Sancia. San, tu as perdu la boule ?

– Oui, lui répondit Orso. C’est pour ça que nous sommes ici.

– Mais… mais pourquoi ? demanda Claudia.

– Peu importe. Sachez seulement que quelqu’un veut notre mort à tous – oui, la mienne aussi. La seule manière de l’arrêter est d’entrer dans la Montagne. Aidez-nous et vous en serez récompensés.

– Quel serait notre salaire ?

– Eh bien, cela dépend. À l’origine, je comptais vous verser une immense somme d’argent… mais maintenant que j’ai vu ce que vous faisiez ici, une autre option me semble envisageable. Vous travaillez avec des connaissances fragmentées, de deuxième main. Alors… peut-être que des cordes de sceaux de troisième et quatrième niveaux, issues du Cartel Dandolo et de la Compagnie Candiano vous seraient plus utiles. »

Sancia ne comprenait pas de quoi il parlait, mais Claudia et Gio écarquillèrent les yeux. Ils s’immobilisèrent et semblèrent se livrer à de rapides calculs.

« On voudrait du cinquième niveau, aussi, dit Claudia.

– C’est hors de question, répondit Orso.

– La moitié des fondamentaux de quatrième niveau de Dandolo sont conçus pour fonctionner avec des cordes de cinquième niveau, expliqua Giovanni. Sans cela, ils sont inutiles. »

Orso éclata de rire.

« Qu’est-ce que vous voulez faire, construire un pont sur la Durazzo ? Une échelle vers la lune ? Ces combinaisons sont réservées aux conceptions les plus importantes !

– Pas toutes, répondit Gio, vexé.

– Je vous donnerai des cordes de cinquième niveau des Candiano, mais pas des Dandolo.

– Toute corde Candiano que vous pouvez nous fournir sera dépassée, dit Claudia. Vous ne travaillez plus pour eux depuis une décennie.

– Peut-être, mais c’est tout ce que vous aurez. Quelques cordes de cinquième niveau de chez Candiano, et les cinquante cordes de troisième et quatrième niveaux les plus utilisées chez Dandolo et Candiano. Sans compter les connaissances propriétaires que vous pourrez glaner durant la planification, ainsi qu’une somme sur laquelle nous nous mettrons d’accord ultérieurement. »

Claudia et Giovanni échangèrent un regard.

« D’accord », répondirent-ils à l’unisson.

Orso sourit, un spectacle que Sancia trouva profondément déplaisant.

« Parfait. Maintenant, où est-ce qu’on va bien pouvoir loger ? »

 

La plupart des canaux de Tevanne étaient en permanence pleins ou presque pleins. Mais pas tous. Tous les quatre ans, la mousson s’abattait sur la Durazzo ; ses eaux chaudes engendraient des tempêtes colossales, et même si Tevanne ne disposait d’aucune autorité centrale, l’eau se souciait peu de quel campo elle inondait. Alors, les maisons marchandes avaient fini par décider d’y remédier.

Leur solution avait pris la forme du « Golfe », un immense réservoir tapissé de pierres, au nord de la cité, qui collectait le trop-plein des inondations et l’évacuait si besoin dans les canaux inférieurs. Le Golfe restait vide la plupart du temps et consistait en un gros désert artificiel de près de deux kilomètres de rayon, fait de pierres grises humides et percé de drains. Sancia savait qu’il abritait des bidonvilles, des clochards et des chiens errants, mais personne n’était assez désespéré ou stupide pour occuper certaines parties du Golfe.

À sa grande inquiétude, Claudia et Giovanni les conduisaient précisément vers un de ces secteurs.

< On s’est baladés dans des endroits assez pourris, petite >, dit soudainement Clef. < Mais je crois que c’est le pire. >

Sancia en fut si surprise qu’elle faillit faire un bond.

< Clef ! Bon Dieu ! Tu n’as plus parlé depuis… depuis le truc, dans la fonderie ! >

< Ouais, je… Désolé pour ça, petite. Je crois que j’ai failli te casser. >

< Ouais, qu’est-ce que c’était ? La chose habillée en noir ? C’était… la personne qui t’a fabriqué ? >

Un silence.

< Je crois que… Peut-être. Être proche de ce lexique alors qu’il atteignait un pic… Je me suis juste rappelé que ça faisait la même chose quand j’étais… près de lui. >

< Et qui est-ce ? >

< Je ne sais pas. C’était juste un flash. Une image de lui sur les dunes, et rien de plus. C’est tout ce que j’ai. >

La peau de Sancia se hérissa de chair de poule.

< On raconte qu’on ressent la même chose près d’un lexique – la nausée, les migraines – et d’un hiérophante. >

< Ah oui >, murmura Clef. < Après avoir entendu ce qu’Orso a dit… Peut-être que quelqu’un m’a fabriqué, puis s’est tellement altéré qu’il… est devenu cette chose. Je ne sais pas. >

Sancia essaya de dissimuler sa frayeur.

< Seigneur… >

< Ouais. Ce n’est pas rassurant d’imaginer Tomas Ziani essayant de suivre les pas d’un être pareil. >

« Là ! » s’écria Giovanni, qui trottait sur le flanc ouest des parois inclinées.

Il tendit le doigt devant lui et, malgré la nuit, les autres virent qu’il désignait un vaste tunnel détrempé, fermé par d’épais barreaux de fer.

« C’est un drain, dit Gregor.

– En effet, répondit Gio. Vous avez de bons yeux, capitaine.

– Corrigez-moi si je me trompe, mais le problème des drains est que, en cas de tempête, ils ont tendance à se remplir d’eau – une substance que, personnellement, je n’arrive pas à respirer.

– Ai-je dit que nous allions travailler dans ce drain ? »

Gio leur fit emprunter un sentier dallé de pierres moisies jusqu’à la grille et produisit une petite bande de fer enluminée. Il examina les barreaux, en tapota une section avec la bande de fer, puis tira. La partie inférieure de la grille s’ouvrit comme le portail d’un jardin.

« Habile, commenta Orso en examinant les charnières. La porte est faible, sa serrure aussi, mais ça n’a aucune importance si personne n’est au courant de son existence.

– Exactement. » Gio s’inclina et tendit le bras. « Après vous, mon bon monsieur. Attention aux détritus. »

Ils entrèrent dans l’immense conduit.

« Je dois admettre que je commence à en avoir putain de marre des tunnels, dit Sancia.

– Idem, renchérit Berenice.

– On n’y restera pas longtemps », les rassura Claudia.

Giovanni et elle sortirent une poignée de lampes enluminées qui projetèrent des lueurs roses sur les parois irrégulières. Ils parcoururent environ cent mètres, puis les deux Ferrailleurs commencèrent à regarder autour d’eux.

« Oh, seigneur, dit Claudia. Je ne suis plus venue ici depuis une éternité. Où est-ce ? »

Giovanni se frappa subitement le front.

« Mince, quel idiot ! J’ai oublié. Une seconde. » Il sortit de sa poche une petite perle en métal enluminée et parut la tordre, comme si ses hémisphères pivotaient indépendamment. Puis il la brandit et la lâcha. La perle fila vers l’un des murs, comme entraînée par une ficelle.

« Ici !

– Ah oui, fit Claudia. J’avais oublié que tu avais installé une borne. »

Elle se dirigea vers la perle – qui était restée collée au mur – et leva sa lampe. Juste au-dessous se trouvait une minuscule encoche pratiquement invisible si vous ne saviez pas qu’elle était là. Gio reprit la bande de fer qu’il avait utilisée pour ouvrir la grille et l’inséra dans l’encoche. Un grincement de pierre retentit. Gio pesa sur le mur avec son épaule, et soudain un gros pan de cloison pivota vers l’intérieur, telle une porte de pierre circulaire.

« Nous y voilà ! »

Sancia et les autres regardèrent l’ouverture. Au-delà s’étendait un long, haut et étroit passage, aux murs historiés apparemment percés de niches. La plupart étaient vides, mais pas toutes. Dans certaines, Sancia reconnut des urnes et…

« Des crânes, dit-elle à haute voix. C’est, euh… une crypte ?

– Exactement, dit Giovanni.

– Qu’est-ce que fout une crypte dans le Golfe ? s’étonna Orso.

– Apparemment, il y avait ici quelques propriétés mineures avant que les maisons marchandes ne construisent le Golfe, dit Claudia en entrant. Les maisons se sont contentées de les démolir et de les paver. Personne ne s’est intéressé à ce qui se trouvait en dessous, jusqu’à ce qu’on commence à creuser les tunnels. La plupart des cryptes et des caves avaient été balayées par les crues, mais celle-ci est plutôt en bon état. »

Sancia lui emboîta le pas. La crypte était vaste ; en son centre, plusieurs petites ailes étroites rayonnaient autour d’une grosse pièce ronde.

« Comment vous l’avez trouvée ?

– Quelqu’un nous a donné des bijoux en échange d’appareils, expliqua Claudia. De vieux bijoux, marqués d’un blason familial. L’un de nous a compris qu’ils devaient provenir d’un caveau. On a cherché, et on a trouvé ça.

– On ne se retranche ici que lorsqu’on a vraiment énervé une maison marchande, ajouta Gio. Et apparemment, c’est aussi votre cas. Alors… ça devrait faire l’affaire.

– Donc, dit Berenice en regardant autour d’elle, on va enluminer… et travailler… et, pendant un temps, vivre… dans une crypte. Avec… des os.

– Bah, si vous comptez vraiment pénétrer dans la Montagne, vous allez sûrement finir dans cet état. Autant vous y habituer. »

Orso avait repéré un trou dans la voûte du plafond.

« Ça donne sur la surface ?

– Ouais, répondit Claudia. Ça permet d’évacuer la chaleur lors d’opérations mineures de forge ou de fonte.

– Excellent. Ça devrait parfaitement convenir ! »

Gregor était penché sur un gros sarcophage de pierre au couvercle enfoncé et examinait les restes qu’il contenait.

« Vraiment ? dit-il d’un ton plat.

– Oui, répéta Orso en se frottant les mains. Au travail ! »

< Je déteste cet endroit >, dit Clef.

< Pourquoi ? Aucun des habitants ne risque de me poignarder, ce qui me le rend plutôt sympathique. >

< Parce que ça me rappelle l’obscurité dans laquelle je suis resté pendant si longtemps. >

< Ce n’est pas la même chose. >

< Bien sûr que si. Cet endroit est vieux et plein de fantômes emprisonnés, petite. Crois-moi : j’en ai été un. Peut-être que je le suis toujours. >

 

Une fois qu’ils eurent visité leurs nouveaux locaux, Orso retourna dans le tunnel et contempla les bidonvilles au loin. Des feux de camp graisseux parsemaient la surface du Golfe. Leur épaisse fumée noire constellait de taches ternes le ciel étoilé.

Berenice émergea du tunnel et vint le rejoindre.

« Je vais m’occuper du nécessaire, monsieur, dit-elle. Nous devrions pouvoir nous installer et commencer demain soir. »

Orso ne répondit pas. Il se contenait de regarder le Golfe et les Communes.

« Quelque chose ne va pas, monsieur ?

– Je ne pensais pas que ça se passerait comme ça, vous savez… dit-il. Il y a vingt, trente ans, lorsque j’ai commencé à travailler pour Tribuno… Nous croyions tous que nous allions améliorer le monde. Mettre fin à la pauvreté. À l’esclavage. Que nous allions pouvoir nous élever au-dessus des horreurs humaines qui nous freinaient, et… et… Eh bien. Me voilà, debout dans un égout, à payer une bande d’escrocs et de renégats pour entrer par effraction là où je vivais.

– Puis-je vous poser une question, monsieur ? Si vous pouviez changer quoi que ce soit, qu’est-ce que ce serait ?

– Merde, je ne sais pas. Je suppose que si je pensais en être capable, je lancerais ma propre maison marchande.

– Vraiment, monsieur ?

– Bien sûr. Ce n’est pas comme si une loi l’interdisait. Il suffirait de remplir la paperasse auprès du conseil de Tevanne. Sauf que plus personne ne s’y risque. Tout le monde sait que les quatre maisons principales tueraient dans l’œuf la moindre tentative de les concurrencer. Quand j’étais jeune, il y avait des dizaines de maisons… et maintenant, quatre et quatre seulement, et ce pour toujours, on dirait bien. » Il soupira. « Je reviendrai demain soir, Berenice. Si je suis encore en vie, s’entend. Bonne nuit. »

Elle le regarda descendre le tunnel et se faufiler sous la grille de fer. Son salut résonna doucement après lui :

« Bonne nuit, monsieur. »

 

« C’est de la folie, chuchota Claudia dans le noir. C’est dingue. C’est de la démence, Sancia !

– C’est lucratif, répondit Sancia. Et parle un peu moins fort, d’accord ? »

Claudia scruta les passages de la crypte pour s’assurer qu’elles étaient seules.

« Tu l’as sur toi, c’est ça ? Pas vrai ?

– Je t’ai dit de tout oublier à son sujet. »

Claudia se frotta le visage d’un air malheureux.

« Même si tu n’avais pas Clef, ce serait au-delà de la démence ! Comment peux-tu faire confiance à ces gens ?

– Je ne leur fais pas confiance, répondit Sancia. Pas à Orso, en tout cas. Berenice est… normale, mais elle travaille pour Orso. Et Gregor… Bon, Gregor semble… » Elle chercha le mot juste. Elle n’avait pas l’habitude de dire du bien des hommes de loi. « Correct.

– Correct ? Correct ? Tu ne sais pas qui il est ? Et je ne parle pas du fait qu’il est le fils d’Ofelia !

– Alors quoi ? »

Claudia soupira.

« Il y avait une cité fortifiée dans les États daulos, appelée Dantua. Il y a cinq ans, une armée de mercenaires de la maison Dandolo l’a prise – c’était une grosse victoire pour toute la région. Mais il y a eu un problème ; tous leurs appareils enluminés ont cessé de fonctionner. Ils se sont retrouvés impuissants, piégés dans la forteresse, qui a été assiégée. À partir de là, c’est allé de mal en pis – famine, épidémie, feu. Lorsque les navires des Morsini sont arrivés à la rescousse, ils n’ont trouvé qu’un seul survivant. Un seul. Gregor Dandolo. »

Sancia la regardait fixement durant son récit.

« Je… je ne te crois pas.

– C’est vrai. Je jure devant Dieu que c’est vrai.

– Comment ? Comment a-t-il survécu ?

– Personne ne le sait, mais le fait est là. Certains l’appellent le Revenant de Dantua. Voilà qui est ton type “correct”. Tu t’es entourée de timbrés, Sancia. J’espère que tu sais ce que tu fais. Surtout maintenant que tu nous as entraînés là-dedans. »