Objectif 4

SENS CRITIQUE, JUGEMENT LINGUISTIQUE

La défense de la langue est une chose admirable, mais il faut éviter de trop s’acharner à guérir la maladie au risque de tuer la malade.

FRÈDELIN LEROUX FILS

OSERIEZ-VOUS écrire ce qui suit? «Des mesures drastiques s’imposaient, elle le savait. L’ignorer, c’était courir à sa perte. Sa seule alternative était d’agir au plus vite: s’enquérir du prix de la marchandise sur le marché domestique, finaliser le protocole d’entente bidon, le faxer, empocher l’argent. L’impact de son geste au plan de la sécurité? Difficile à prévoir…, mais il y aurait possiblement de la casse» (Racette, 1997: 21). Après avoir fait un examen comparatif dans sept répertoires lexicographiques de tous les mots «litigieux» en italique, Martine Racette conclut que les grands dictionnaires enregistrent un élargissement de leur champ sémantique, bien que les défenseurs de la pureté de la langue continuent à leur refuser droit de cité dans le bon usage.

La langue n’est pas une entité figée. Elle évolue, comme un organisme vivant, et cela n’est pas sans conséquence pour le traducteur, qui doit rester aux aguets et suivre de près cette évolution. Mais à partir de quel moment peut-on dire qu’un mot, naguère critiqué ou condamné, est entré dans l’usage et est désormais jugé acceptable par la frange des locuteurs d’une langue qui se soucie de correction linguistique? Quand peut-on dire qu’un mot a acquis ses titres de respectabilité? Que tel barbarisme, ennemi que l’on combattait jadis avec acharnement, est «intégré, assimilé, embourgeoisé» (Buisseret, 1975: 37)? On ne peut répondre à ces questions sans être d’abord bien renseigné et sans faire preuve d’un sens critique très développé. Tout est affaire de jugement linguistique.

Un ouvrage éclairant

Depuis 2009, nous disposons d’un ouvrage fort bien fait sur les «influences de l’anglais — vraies et prétendues — et usages en transition», Le VocabulAIDE. Son auteur, le linguiste Pierre Cardinal, y décrit des centaines d’usages critiqués au Canada, dont beaucoup sont courants en Europe également. Sa démarche est descriptive («voici un état des lieux/on peut dire aussi») plutôt que prescriptive («voici ce qu’il faut dire/ne dites pas, dites»). «L’approche descriptive présente, sans critiquer, ce qui s’écrit mais pourrait s’écrire autrement. L’approche prescriptive, quant à elle, critique souvent ce qui s’écrit et tend à dicter ce qui devrait s’écrire autrement» (Cardinal, 2009: X-XI).

Dans le premier cas, le lecteur est simplement informé et choisit lui-même librement ce qui lui convient. Dans le second, on cherche à orienter ses choix, voire à lui imposer d’autorité des solutions. Les centaines d’articles du VocabulAIDE sont donc autant de lanternes qui éclairent les décisions à prendre et c’est l’usager, en l’occurrence le traducteur, qui prend ces décisions en dernier ressort.

L’apport original de cet ouvrage, qui compte au total 1200 expressions influencées par l’anglais, 2000 attestations tirées de la presse et de magazines et 8000 équivalents en français général, est de débusquer des usages lexicaux considérés en français canadien comme des influences de l’anglais, sans en être forcément.

Dans son dictionnaire sélectif, l’auteur répertorie, en effet, pas moins de 350 mots ou locutions que l’on considère à tort comme des anglicismes en français du Canada. Il s’agit soit de faux anglicismes, tels qu’«à l’année longue, collecter, de seconde main, extension, privé, pâte et papier», soit, bien que d’origine anglaise, des mots ou locutions qui présentent des usages lexicaux en transition. Les premiers ont acquis leur citoyenneté canadienne-française, pour ainsi dire, les seconds ont franchi la frontière et sont, pour l’heure, des sans-papiers. Rien ne dit qu’ils ne régulariseront pas leur situation dans les années à venir.

Un certain nombre de ces 350 mots, en effet, sont intégrés à la langue courante et font désormais partie de l’usage contemporain du français. C’est le cas, par exemple, de «biaisé, croiser les doigts, encouru, patate chaude, timing». Les autres, en voie d’assimilation, forment la catégorie des néologismes, selon la terminologie de l’auteur. Appartiennent à cette seconde catégorie des expressions telles qu’«agenda caché, capitaliser sur, focusser sur (focaliser, axer, centrer), immature, momentum, plan B, sécure».

La liste complète de tous ces mots à propos desquels on hésite encore figure dans une annexe du VocabulAIDE intitulée «Répertoire alphabétique des faux anglicismes et des usages en transition».

Outre le fait que l’ouvrage de Pierre Cardinal a le mérite de faire prendre conscience de l’évolution de la langue, il contribue aussi à atténuer l’insécurité langagière, qui inhibe trop souvent les rédacteurs d’ici, en leur fournissant des points de repère utiles pour juger de l’acceptabilité de certains mots en fonction de divers contextes d’emploi. Par son approche descriptive et les nombreuses solutions de rechange que l’auteur propose pour chacune des expressions de son corpus, Le VocabulAIDE est véritablement un outil de réflexion et d’enrichissement lexical que tout futur traducteur consultera avec profit.

Quelle attitude adopter?

Confrontés à toutes ces locutions et tous ces mots qui circulent dans l’usage mais qui continuent d’être critiqués ou condamnés, souvent sans nuances et sans appel, par les tenants de l’application d’une norme stricte, le futur traducteur est en droit de s’interroger sur l’attitude à adopter lorsqu’il aura à livrer un texte à un client ou à remettre une traduction à son professeur.

Dans un contexte de travail, un réviseur plus âgé pourrait se montrer réticent à déroger à ses habitudes et à accueillir les faux anglicismes et les mots en transition. Dans la liste suivante, il serait intéressant de savoir lesquels il serait prêt à ne pas corriger à l’étape de la révision: baby-boomer, booster (des fruits/des bénévoles), pain brun, changer pour le mieux (s’améliorer), contracteur (entrepreneur), dealer, éléphant blanc, encourir (des dépenses), espace à bureau, king-size (lit), lobby, open bar, pas dans ma cour, plan (de pension), prioriser, revamper, sénior, technicalité, unifamiliale (maison).

La règle la plus sage à suivre, à notre avis, serait celle-ci: juger de la «tolérance linguistique» du client donneur d’ouvrage, de son réviseur ou de son professeur afin d’éviter de prêter le flanc à la critique. Il est prudent de naviguer entre Charybde et Scylla en adoptant une attitude qui se situe à mi-chemin entre le purisme et le laxisme, sans oublier que l’écrit sera toujours plus contraignant que l’oral et que tous les textes n’ont pas la même fonction ni les mêmes destinataires.

Entre le purisme et le laxisme

Les exercices du présent objectif spécifique visent à développer le sens critique à l’égard de certains mots ou de certaines locutions qui sont des influences lexicales de l’anglais, tout en faisant découvrir quelques-unes des principales sources documentaires utiles au traducteur pour confirmer ses choix, la principale étant Le VocabulAIDE. Certaines de ces expressions ont fait l’objet de condamnations sans appel, d’autres ont simplement été déconseillées, d’autres encore ont été entérinées par l’usage et ne posent plus problème. Nous verrons qu’il est parfois présomptueux d’être trop dogmatique en matière d’usage linguistique. Capricieux, l’usage fait des choses selon la raison, sans raison ou contre la raison. Le but recherché ici, en somme, est d’aiguiser le jugement critique.

Le sort que l’usage a réservé à certaines condamnations de chroniqueurs de langue devrait nous faire réfléchir et nous inciter à la prudence. En 1910, l’auteur d’un dictionnaire correctif, Le péril de la langue française, publié à Paris, se désolait de la «décadence» de la langue française et considérait comme expressions «vicieuses» à éviter des mots tels qu’«acoustique, artistiquement, baser (fonder une décision), chic, le clou (de la soirée), être à court de, dévisager, épater, palpitant, à la perfection, racontar». Qui, de nos jours, oserait bannir ces mots ou se faire un scrupule de les utiliser? N’ont-ils pas enrichi la langue française?

Comme l’a remarqué Horace, il y a fort longtemps, dans son Art poétique, «les mots ont toute l’instabilité des choses humaines; ils tombent ou renaissent au gré de l’usage, ce maître absolu du langage» (vers 71-72).

Le cas de «sous-titre»

Voici un autre exemple à méditer. Le chroniqueur Louis Piéchaud a réuni dans un ouvrage préfacé par André Siegfried, de l’Académie française, ses chroniques du Figaro, sous le titre Questions de langage (1952). L’auteur condamnait en ces termes l’expression «sous-titre», appliquée au domaine du cinéma:

Nous allons voir un film anglo-saxon, ou italien, plaqué d’image en image, de sous-titres. Avez-vous réfléchi à l’impropriété de ce terme tel qu’il est employé là? Un sous-titre, en bon français, c’est exactement un titre secondaire placé après le titre principal d’un livre ou d’un journal. Est-ce le cas des phrases résumant en quatre mots, inscrits au bas des images mouvantes, les dialogues de Rome ou d’Hollywood? Nos petits génies de l’écran se sont contentés paresseusement de traduire la locution anglaise sub title [sic], que je n’ai pas à critiquer ou à défendre; d’où: sous-titres français, alors que l’on doit dire: textes ou dialogues français (Piéchaud, 1952: 35).

Le raisonnement de ce chroniqueur n’est pas faux en soi, mais l’usage lui a donné tort et n’a pas obtempéré à son injonction («on doit dire»). Il ne fait aucun doute que l’anglais est à l’origine de cet emprunt lexical, mais les possibilités de dérivation qu’offrait ce mot ont peut-être aussi joué en sa faveur. Sous-titre s’est enrichi d’un nouveau sens. Les néologismes, on a tendance à l’oublier, se forment souvent par extension sémantique. À partir de sous-titre, il était facile de former sous-titrage, sous-titrer et sous-titreur. La dérivation n’est pas aussi facile avec textes ou dialogues.

Le chroniqueur Piéchaud semble, en outre, mal renseigné. En 1952, date de la parution de son ouvrage, il menait déjà un combat d’arrière-garde. En effet, selon Le Petit Robert, sous-titre serait entré dans la langue du cinéma en 1912 et sous-titrer en 1923. Sous-titrage y entrera en 1954. Quand un mot entre au dictionnaire, c’est qu’il est dans l’usage depuis un certain temps.

Depuis lors, sous-titre a été normalisé en 1984 par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) dans le sens de «titre (ou traduction de dialogue) surimprimé à l’image, le long de son bord inférieur». En 1994, l’Office de la langue française a admis officiellement à son tour sous-titrage comme synonyme de sous-titre, mot désignant aussi l’action de sous-titrer un film.

En somme, ce serait vraiment mener un combat futile et perdu d’avance aujourd’hui que d’essayer d’imposer les mots textes ou dialogues dans la langue du cinéma en remplacement de sous-titre. Ces expressions peuvent servir de synonymes au besoin. Cet exemple devrait inciter les chroniqueurs de langue, les pourchasseurs d’anglicismes et les puristes à faire preuve de retenue dans leurs condamnations et de modération dans leurs ostracismes. Les sarcasmes («nos petits génies de l’écran») n’ajoutent rien à l’affaire non plus…

Bien se documenter est essentiel si l’on veut porter un jugement éclairé sur l’acceptabilité d’un mot. L’exemple de sous-titre nous en fournit la preuve. Songeant aux nombreux interdits linguistiques levés au fil des siècles, le préfacier du Dictionnaire des difficultés de la langue française d’Adolphe V. Thomas, Michel de Toro, s’exclame: «Que de mots qui nous semblent aujourd’hui inattaquables et qui ont été honnis par les premiers censeurs de notre langue» (Toro, dans Thomas, 1983: VI).

«L’usage a toujours raison, même quand il a tort», disait le grammairien Maurice Grevisse. Et cet usage n’a plus comme modèle la langue des grands écrivains, mais celle des journaux et des médias en général. De nos jours, le français est sous influences, et c’est pourquoi il évolue si rapidement. Il est utopique de vouloir garder une langue pure et exempte de toute empreinte étrangère. Seule une langue morte n’a pas besoin d’oxygène, et c’est pourquoi, sans nouveaux emprunts, elle reste figée dans le temps, comme un animal empaillé.

Suggestions de lecture

Bossé-Andrieu, Jacqueline (1997), «Entre la norme et l’usage».

Cardinal, Pierre (2009), Le VocabulAIDE.

Leroux fils, Frèdelin (2013), Mots de tête [bis].

V. aussi: Delisle (1998b); Grellet (1991: 18-34); Leroux fils (2002); Racette (1997).

EXERCICES D’APPLICATION

Pour chacune des expressions de l’Exercice 1 — «Cas à étudier», indiquez si elle vous semble acceptable aujourd’hui, si elle est encore jugée critiquable (c’est-à-dire condamnée par les uns, acceptée par les autres) ou si elle est à éviter, car encore en marge du bon usage et condamnée par la majorité des «gardiens de la qualité de la langue» et des bons rédacteurs. Justifiez vos décisions en vous appuyant sur des auteurs ou des publications récentes et fiables. Voici une liste non exhaustive de sources documentaires utiles:

— Recueils de chroniques de langue

— Dictionnaires unilingues anglais et français

— Dictionnaires bilingues

— Dictionnaires sur les difficultés de la langue française

Le VocabulAIDE, de Pierre Cardinal

Le français au micro, de Guy Bertrand

L’Actualité langagière dans Termium Plus®

Chroniques de langue et Clefs du français pratique dans Termium Plus®

— Concordanciers, tels que TransSearch, TradooIT, Linguee, etc.

— Termium Plus® et Le grand dictionnaire terminologique de l’OQLF

— Le correcteur orthographique et grammatical Antidote® qui réunit douze grands dictionnaires et onze guides linguistiques

Exemple d’analyse

«Se traîner les pieds» est-il un calque de l’anglais to drag one’s feet?

Il s’agit de déterminer si l’expression «traîner les pieds» ou «se traîner les pieds», traduction de to drag one’s feet (one’s heels), peut s’employer au sens figuré. Certains défenseurs de la langue affirment que cette locution ne s’emploie qu’au sens propre en français, et que c’est sous l’influence de l’anglais que nous lui donnons le sens figuré de «atermoyer, différer, être lent à, laisser traîner les choses, jouer la montre, piétiner, procrastiner, montrer peu d’empressement à faire qqch., prendre tout son temps pour, renâcler à faire qqch., rester inactif, tarder à réagir, temporiser, tergiverser, tourner en rond, traîner de la patte (fam.), etc.». Que faut-il en penser?

D’après Irène de Buisseret (1975: 25), l’expression «traîner les pieds» est, au sens figuré, un anglicisme à éviter. Gilles Colpron (1982: 92) abonde dans le même sens en affirmant que la tournure ne s’emploie qu’au «sens concret de marcher sans soulever les pieds du sol». Le sens figuré serait, selon lui, un calque de l’anglais à bannir.

La forme non pronominale de cette expression figure pourtant dans de nombreux ouvrages de référence européens. Elle est, en outre, d’un usage fréquent, semble-t-il, à l’Assemblée nationale en France et dans la presse, notamment dans Le Monde, L’Express et Le Monde diplomatique. Elle a été relevée sous la plume d’au moins un romancier et un professeur du Collège de France.

Au Canada, on semble préférer la forme pronominale «se traîner les pieds». Il s’agit, selon Irène de Buisseret (ibid.), d’un «faux pronominal». Seuls les ouvrages canadiens répertorient la forme pronominale.

Quoi qu’il en soit, les exemples d’emplois des deux formes foisonnent. Voyons tout d’abord au moyen du tableau ci-dessous ce qu’il en est dans les dictionnaires et ouvrages consacrés aux difficultés de la langue. Nous présentons les publications dans l’ordre chronologique de leur parution. On consultera aussi l’étude «(se) traîner les pieds» de Frèdelin Leroux fils (2002: 100-102).

Ouvrages consultés Traîner les pieds
(France)
Se traîner les pieds
(Canada)
Guide du traducteur,
Buisseret, 1972
Anglicisme à éviter Anglicisme à éviter
Harrap’s Shorter, 1972 Non traité Non traité
Petit Larousse, 1981 Non traité Non traité
Dictionnaire des anglicismes, Colpron, 1982 Non traité Anglicisme à éviter
Dictionnaire des difficultés du français moderne, Hanse, 1983 Non traité Non traité
Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, 1985 Admis au sens de: «agir, obéir sans empressement, en rechignant» Non traité
Dictionnaire des particularités de l’usage,
Darbelnet, 1986
Non traité Non traité
Dictionnaire du français plus, 1988 Non traité Non traité
Dictionnaire des anglicismes, Robert, 1988 Non traité Non traité
Dictionnaire
des canadianismes, Dulong, 1989
Non traité Admis au sens de: «être lent à agir, à légiférer, à se décider»
Harrap’s Shorter, 1991 Sens figuré traduit par
«montrer peu d’empressement à faire qqch.»
Non traité
Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, Le Robert,
1992
Non traité Non traité
Le nouveau Petit Robert, 1993 Admis au sens de: «obéir sans empressement, sans enthousiasme» Non traité
Larousse bilingue, 1996 Non traité Non traité
Robert & Collins, 1996 Sens figuré traduit par «faire preuve de mauvaise volonté» Non traité
Bordas/Larousse, 1996 Admis au sens de «rechigner, renâcler, piétiner» Non traité
Dictionnaire des difficultés du français, Colin, 1996 Non traité Non traité
Termium, BdT, 1996 Sens figuré traduit par
«piétiner, tourner en rond, traînasser»
(mention: anglicisme)
Non traité
Multidictionnaire de la langue française, Villers, 1997 Non traité Non traité
Larousse de la langue française Lexis, Larousse, 1997 Non traité Non traité
Dictionnaire universel francophone, Hachette, 1997 Admis au sens de: «exécuter qqch. sans enthousiasme» Non traité
Grand Robert, 1997 Non traité Non traité
Le Colpron. Le dictionnaire des anglicismes, 1998 Non traité Non traité
Le grand dictionnaire terminologique, OLF, 1998 Non traité Non traité
Petit Larousse, 1999 Admis au sens de: «agir, obéir avec réticence» Non traité
Dictionnaire des canadianismes, Dulong,
1999
Non traité Admis au sens de: «être lent à agir, à légiférer, à se décider»

Exemples d’emplois en France

a)  «Il existe désormais une armée à deux vitesses: celle des unités opérationnelles, dotées de moyens suffisants, et celle des “bidasses” soupçonnés de traîner les pieds dans les opérations contre les maquis islamistes.» (Le Monde diplomatique, 1999)

b)  «Ses méthodes de travail permettent à cette assemblée de traîner les pieds jusqu’à pratiquer l’obstruction systématique.» (Le Monde, 1984)

c)  «Les chefs d’entreprise ne traînent pas les pieds, ils sont bloqués par des contraintes.» (L’Express, 1984)

Exemples d’emplois au Canada

a)  «À titre d’exemple, monsieur Farrah rappelle que les acériculteurs de Lanaudière qui ont été frappés par une tempête de verglas l’an dernier attendent toujours une aide de Québec. Guy Julien doit arrêter de se traîner les pieds.» (La Presse canadienne, 1998)

b)  «Le nouveau ministre de l’Environnement a publiquement blâmé ses hauts fonctionnaires, les accusant de se traîner les pieds et de vivre dans une culture organisationnelle incapable de générer l’action […].» (Pierre Bourgault, 1990)

c)  «Après s’être traîné les pieds en 1989, le Canada […]» (Le Droit, 1990)

Exemples bilingues extraits du hansard

On remarquera que les traducteurs des débats parlementaires ne recourent pas systématiquement à l’expression «se traîner les pieds» pour traduire to drag one’s feet.

a. While we drag our feet as a nation other nations have ratified it.

a. Alors que nous retardons les choses, d’autres pays ont ratifié la convention.

b. I am not saying I want to drag my feet on it, but we need to have at least a meeting or two in committee on it.

b. Je ne dis pas que je veuille temporiser, mais il me semble qu’une ou deux séances de comité s’imposent.

c. I do not see how we can continue to drag our feet while this sort of thing goes on in this country.

c. Franchement, je ne vois pas ce qu’on attend pour intervenir.

d. Why did the minister drag his feet so much that he is still only at the consulting stage?

d. Comment se fait-il que le ministre se soit traîné les pieds et qu’il ne soit encore qu’au stade de la consultation?

e. We said at the time that unless there was a sanction in the law that these companies would drag their feet.

e. Nous avons dit alors qu’en l’absence de sanctions, les entreprises feraient traîner les choses en longueur.

f. As long as the Senators will not make up their minds about this Bill, and as long as they drag their feet on this decision, I can do nothing.

f. Tant que les sénateurs ne prendront pas une décision au sujet de ce projet de loi et tant qu’ils vont piétiner, je ne pourrai rien faire.

g. Yet the Government continues to drag its collective feet on this very important project.

g. Pourtant, le gouvernement tarde toujours à s’attaquer à ce projet très important.

h. How long is the Prime Minister prepared to drag his feet, pretending to have a special relationship with the United States?

h. Le premier ministre a-t-il l’intention de rester inactif bien longtemps en prétendant qu’il a une relation spéciale avec les États-Unis?

i. We have asked the Department of Transport to do more and it is still continuing to drag its feet.

i. Nous demandons au ministère des Transports de faire davantage, et il continue à se faire tirer l’oreille.

Conclusion

On peut retenir de cette étude que la forme pronominale «se traîner les pieds» est très répandue au Canada et que la forme non pronominale «traîner les pieds» est d’un usage courant en France et peut-être aussi dans le reste de la francophonie.

Si l’on actualise cette étude réalisée en 1999, on se rend compte que le sens figuré de l’expression n’est plus condamné et qu’il est bel et bien entré dans la langue. La plupart des éditions récentes des dictionnaires usuels consignent d’ailleurs cet emploi. Le nouveau Petit Robert (2013) l’admet sans réserve, de même que Marie-Éva de Villers dans son Multidictionnaire de la langue française (5e éd., 2009). L’auteure québécoise considère toutefois la forme pronominale comme une impropriété.

Exercice 1

CAS À ÉTUDIER

 1. Le verbe «nominer» vient de l’anglais to nominate et signifie mentionner le nom d’un film ou d’un acteur dans une présélection avant l’attribution des Oscars ou des Césars. Ex.: «Les nominés pour le titre de meilleur acteur de l’année sont: […].» Que pensez-vous de cet emprunt? Vous semble-t-il acceptable, critiquable ou à éviter?

 2. «Every employer is required to establish procedures to ensure that all employee occupational injuries are reported within three days of their occurrence.» Peut-on traduire cet énoncé ainsi: «Tout employeur est tenu d’établir des modalités pour s’assurer que tous les accidents de travail soient signalés dans un délai de trois jours»? Le verbe «s’assurer» est-il employé à bon escient ici?

 3. Pour traduire la phrase: He demonstrated great courage, dira-t-on en français: «Il a montré beaucoup de courage» ou «Il a démontré beaucoup de courage»? Quand faut-il employer «montrer» pour traduire to demonstrate? Quand peut-on utiliser «démontrer» pour traduire ce même verbe?

 4. «On fait de l’esprit sur son dos, et Dieu sait si elle a le dos large.» Gilles Colpron voit dans l’expression «avoir le dos large» un calque de to have a broad back, expression qu’il conviendrait de rendre par «avoir bon dos». Faut-il éviter d’employer la locution «avoir le dos large»?

 5. Que signifie la locution to be faced with? La phrase «Canada is not the only country faced with declining fish stocks» est-elle correctement traduite par «Le Canada n’est pas le seul pays à faire face à la diminution des stocks de poissons»?

 6. «L’interdiction du commerce de l’alcool a pavé la voie à l’enrichissement d’un certain nombre de trafiquants devenus de respectables financiers.» Dans cet énoncé, la locution «paver la voie» vous semble-t-elle un calque de l’anglais to pave the way et contraire au bon usage?

 7. «Prendre avec un grain de sel» dérive du latin cum grano salis. Au Canada, on donne souvent à cette expression française le sens de «prendre avec réserve». Est-ce un équivalent exact de l’expression to take with a grain of salt? Analysez le sens de ces deux expressions.

 8. Au Canada français, «livrer la marchandise» est d’un emploi fréquent sous la plume de nombreux journalistes. L’expression aurait le sens de «tenir ses promesses» (électorales, en particulier), «répondre aux espoirs, remplir son rôle convenablement». Mais les expressions «livrer la marchandise» et sa variante «délivrer la marchandise» sont vues comme des calques de l’anglais to deliver the goods. Qu’en pensez-vous?

 9. «C’est la troisième fois en autant de jours que la grand-mère soulève la question» (Maurice Henri, La chambre à mourir). «Trois médecins répondaient aux questions d’autant de personnalités du monde du spectacle» (La Presse). «Nous avons visité six villes en autant de jours» (Larousse bilingue). «Cinq examens en autant de jours» (Dictionnaire bilingue Hachette-Oxford). Ces phrases vous semblent-elles toutes correctes? Ceux qui condamnent la locution «en autant de» y voient un calque de l’anglais in as many. Ont-ils raison de penser cela?

10. L’expression «à toutes fins pratiques» est-elle un calque de l’anglais (for all practical purposes)? Faut-il lui substituer «à toutes fins utiles»?

Exercice 2

Répondez aux questions ci-dessous en justifiant vos réponses et en citant vos sources documentaires.

 1. Décelez-vous une impropriété dans l’énoncé suivant: «Cette grande entreprise a contribué 100000 $ à la caisse électorale du Parti libéral»?

 2. Que pensez-vous de l’expression «littérature scientifique» pour désigner l’ensemble des publications à caractère scientifique, qu’il s’agisse d’ouvrages ou d’articles?

 3. «Ce travailleur, qui œuvre dans le domaine de la construction résidentielle, gagne très bien sa vie.» Cette phrase renferme-t-elle une impropriété?

 4. Est-il correct d’écrire: «La première phase du programme Francommunautés virtuelles a commencé avec succès en 2001-2002. Des subventions ont été versées à 32 projets originant des quatre coins du pays»?

 5. Décelez-vous une erreur dans la phrase suivante: «Je vous envoie sous pli les documents demandés»?

 6. Écririez-vous: «Il a forgé la signature du directeur de la banque pour encaisser une importante somme d’argent»?

 7. Pourquoi la phrase «Le premier ministre a eu droit à des funérailles d’État» est-elle critiquable?

 8. Que faut-il corriger dans la phrase «Durant la guerre du Kosovo, l’état-major de l’OTAN a établi ses quartiers généraux en Belgique» pour la rendre conforme à l’usage?

 9. Cette phrase renferme-t-elle une impropriété: «La partie patronale et le syndicat se sont finalement entendus sur les clauses monétaires de la nouvelle convention collective»?

10. «Les policiers ont érigé un périmètre de sécurité.» Le verbe ériger est-il le mot juste ici?

Exercice 3

En vous aidant du VocabulAIDE, indiquez si les énoncés suivants renferment un anglicisme, un usage lexical en transition ou un barbarisme.

 1. Le comité des finances étudie depuis une semaine les estimés budgétaires de la prochaine année.

 2. À l’épicerie, la caissière lui a demandé: «C’est pour payer ou charger?»

 3. N’ayant pas de réservation, je suis en standby. Je me suis inscrite sur une liste d’attente et je ne partirai pour Paris que s’il reste des places disponibles dans l’avion.

 4. La Ville de Saint-Bruno est invitée à refaire ses devoirs en matière de conservation. Son plan de conservation des milieux naturels a besoin d’«améliorations notables», selon les conclusions d’un rapport indépendant.

 5. Vous souhaitez acheter un véhicule neuf? Avez-vous songé à acheter ou à louer un de nos démonstrateurs? Cette option pourrait se révéler des plus avantageuses pour vous.

 6. Le groupe de pression a engagé cette démarche afin de contester la nécessité de démanteler les installations nucléaires. Il s’agit en réalité d’empêcher le gouvernement de procéder de façon précipitée au démantèlement de ce petit réacteur d’une puissance de 70 mégawatts.

 7. Le briefing est un élément important de la mission. Il permet de connaître le but de la mission et les différents objectifs à atteindre.

 8. Fatigué, découragé, démotivé? Vous manquez d’entrain pour vous rendre au bureau? Vous avez du mal à vous lever chaque matin? Attention: vous faites peut-être un burn-out.

 9. Mon enfant a trois ans et il est très insécure. Cela se manifeste surtout lorsqu’il est temps d’aller au lit. Il a peur qu’on parte et qu’on l’abandonne.

10. À Copenhague, en mars, la conférence de l’ONU sur le changement climatique a constaté que le changement était plus rapide qu’anticipé.

Exercice 4

Texte 6

Auteur: Anonyme

Source: Options

Genre de publication: Magazine britannique

Domaine: Judiciaire

Public visé: Grand public

Nombre de mots: 241 mots

Facing Charges

It may sound obvious to most of us, but psychologists in America have just confirmed that baby-faced wrong-doers have a natural advantage over the less good-looking members of the criminal fraternity. Adults who look innocent, with high foreheads, large eyes and rounded chins, apparently stand a better chance of being acquitted for crimes, and in general are seen as warmer and more honest than those with more angular features. Al Capone is probably a good example, though even he was eventually imprisoned—albeit for income tax evasion.

Rather more surprising is the theory that if you look like the archetypal criminal, you are not only treated as one but also behave like one. Which is why hulking brutes currently in the care of Texas prison authorities are being treated to a variety of plastic surgery operations, courtesy of the State. Texas spends about $15 million a year on retraining and rehabilitating hardened criminals, and their plastic surgery programme accounts for only a fraction of that. Yet they have discovered that if you remove Scarface’s scars, then his chances of turning up in jail again are almost halved.

Initially, the operations were offered as a reward for good behaviour. Now the prisoners are picked for the severity of their disfigurements, whether natural or acquired during their life of crime. But the prison authorities are taking no chances. They make sure they photograph each “new” face carefully from all angles before discharge.