Self-revision is an integral part of the translation production procedure; skipping it is simply unprofessionnal.
BRIAN MOSSOP
L’ERREUR EST HUMAINE, dit-on. Personne n’est à l’abri d’une distraction, pas même le traducteur le plus expérimenté. Normalement, toute traduction professionnelle est soumise à une révision avant d’être expédiée au donneur d’ouvrage ou au client. Cette vérification est généralement effectuée par un tiers, d’ordinaire un traducteur chevronné. Est-ce un luxe? Non, c’est presque une obligation professionnelle. Mais avant d’en arriver à cette étape, le traducteur doit se réviser lui-même. L’autorévision fait partie intégrante du processus de traduction. Cela est toutefois plus facile à dire qu’à faire.
En effet, si s’autoréviser est une nécessité, le simple fait d’être l’auteur de la traduction fait en sorte qu’il est difficile de se relire avec toute l’attention voulue pour corriger d’éventuelles erreurs de fond, de forme ou de présentation. Pour escamoter cette étape, on ne saurait invoquer le manque de temps. L’autorévision est une des étapes essentielles du processus de traduction; elle n’en est pas la dernière étape facultative. Il faut prévoir le temps nécessaire pour effectuer ce «travail de finition» indispensable.
Pour sauter cette étape, on pourrait aussi invoquer l’absence de recul, «a certain blindness», comme le dit Brian Mossop. Mais il existe des trucs pour faciliter l’autodistanciation afin de recréer les conditions d’un «regard neuf»: relire son texte non plus à l’écran, mais sur papier; le relire après en avoir changé la police, l’interligne ou les marges; le relire à haute voix, etc. Enfin, l’excès de confiance et l’absence de méthode peuvent aussi être les ennemis de l’autorévision.
Voyons donc comment il convient de procéder pour s’autoréviser. Le but recherché ici n’est pas d’exposer une méthodologie unique et infaillible, mais de préciser l’attitude à adopter en fonction de ses forces et de ses faiblesses. Les publications recensées dans les Suggestions de lecture ci-dessous renferment d’excellents conseils sur le sujet. Nous nous en sommes inspirés pour exposer la méthode de l’autorévision et ses principales règles.
Réviser une traduction, c’est émettre un jugement sur sa qualité en appliquant des critères d’appréciation. Paul Horguelin et Michelle Pharand en dénombrent cinq: l’exactitude (du sens), la correction (de la langue), la lisibilité (du texte), l’adaptation fonctionnelle (au destinataire) et la rentabilité (rapport temps-argent). Pour Brian Mossop, les paramètres d’évaluation sont le transfert (exactitude et complétude), le contenu (logique et rapports de cohérence), la langue (fluidité, fonctionnalité, spécialité, idiomaticité et grammaire) et finalement la présentation (mise en page, typographie et organisation).
Est-ce à dire qu’il faut relire sa traduction cinq fois si l’on applique les critères des coauteurs de Pratique de la révision et douze fois si l’on se fie à ceux de l’auteur de Revising and Editing for Translators? Bien sûr que non. Au stade de l’initiation, il est préférable de ne pas appliquer trop de critères à la fois, des critères de fond et de forme, par exemple, car on risque de ne plus savoir ce qu’on révise. Si l’on décide de corriger la langue, il vaut mieux s’en tenir à ce critère, et cela peut se faire en ne lisant que la traduction. La vérification du transfert du sens, par contre, se fait obligatoirement par confrontation de l’original et de la traduction.
Il ne faut pas confondre transfert et contenu. La vérification du transfert répond à la question «Ma traduction est-elle exacte et complète du point de vue des informations que l’auteur communique dans son texte?». Il n’est pas inutile, par exemple, de compter les paragraphes ou de vérifier que l’affichage à l’écran ne cache pas des portions de texte telles que les en-têtes ou les notes de bas de page. Il faut régler en conséquence l’affichage de son logiciel de traitement de texte. Nous reviendrons plus loin sur la façon d’effectuer cette comparaison.
Le contenu renvoie à la logique de la traduction, indépendamment de l’original. En s’autorévisant, on vérifie si la traduction comporte des non-sens ou des contradictions, si la concordance des temps est respectée, si les rapports entre deux ou plusieurs segments de texte sont logiques, etc. Les données factuelles, conceptuelles et mathématiques, autant d’éléments clés de la communication, font aussi partie du contenu. Par fatigue ou inadvertance, on aura peut-être confondu «courant continu» et «courant alternatif», «haut» et «bas», «droite» et «gauche», «pour» et «contre»; on aura pris la cause pour l’effet, l’animé pour l’inanimé, le concret pour l’abstrait, etc. Cette vérification minutieuse nécessite donc beaucoup de concentration.
Une erreur de transfert passera inaperçue si elle ne brise pas la cohérence du texte, mais les erreurs de logique sauteront aux yeux des lecteurs et mineront la crédibilité du traducteur, rarement celle de l’auteur. C’est donc comme un usager (le destinataire) et non comme un linguiste qu’il faut relire son propre texte. Le traducteur qui s’autorévise ne peut pas se limiter à vérifier la seule qualité linguistique. Il doit veiller à ce que le texte révisé produise chez le lecteur la réaction souhaitée par l’auteur de l’original. En un mot, il faut relire sa traduction en se mettant dans la peau du lecteur. Mais cela aussi est plus facile à dire qu’à faire.
Après la vérification du fond suit la révision de la forme. La langue et la présentation de la traduction ne sont pas moins essentielles à la qualité du produit fini. La révision de la langue comprend la fluidité, la fonctionnalité, la spécialité, l’idiomaticité et la grammaire.
a) Par fluidité, on entend la facilité de lecture et de compréhension. S’il faut relire un passage deux ou trois fois avant de le comprendre, c’est peut-être qu’il y a un problème de charnière (v. le Glossaire) ou que l’ordre des mots ou des phrases est trop calqué sur l’original. On ne saurait attribuer le manque de fluidité de sa traduction à la piètre qualité du texte de départ.
b) Il faut aussi réviser la fonctionnalité de la traduction. Respecte-t-elle le registre de langue (familier, soutenu, technique), l’oralité de l’original? Le destinataire se reconnaîtra-t-il dans les aspects culturels, les unités de mesure ou le genre de discours (lettre, publicité, consignes, protocole expérimental, mode d’emploi)?
c) Tout texte comporte, à des degrés divers, des éléments appartenant à une langue de spécialité (v. le Glossaire). Ces éléments peuvent être de nature terminologique, phraséologique, syntaxique ou stylistique. Par exemple, un procès-verbal s’écrit au présent en français, mais au passé en anglais; le passif est courant dans les textes administratifs et technoscientifiques.
d) La révision de la forme porte aussi sur l’aspect idiomatique de la langue, son idiomaticité (v. «traduction idiomatique» dans le Glossaire et l’OS 74). Le caractère idiomatique d’un texte est heurté, par exemple, s’il renferme de mauvaises collocations (v. les OS 66 et 68) ou des mots ou des expressions dont la fréquence est beaucoup moins élevée en LA qu’en LD (v. l’OS 47), ou si encore on ne s’est pas conformé aux usages syntaxiques, stylistiques et rhétoriques concernant la négativation du discours (v. l’OS 59), la dépersonnalisation (v. l’OS 65) ou les fausses questions (v. l’OS 72).
e) Enfin, il reste la grammaire: l’accord des mots en nombre et en genre, l’accord des participes passés, sans oublier l’orthographe. On accordera une attention particulière aux règles d’écriture (v. l’OG VI): ponctuation, chiffres, majuscules, surtout quand on écrit sa traduction en écrasant le texte original.
La révision de la présentation englobe la mise en page et l’organisation générale du texte. La mise en page concerne les espacements, les marges, les listes et les usages typographiques. Les mots mis en vedette au moyen du gras, de l’italique ou du soulignement ne sont pas forcément les mêmes dans l’original et dans la traduction. Réviser l’organisation générale du texte c’est vérifier les références et les renvois de pages ou de chapitres, la concordance entre la table des matières et les titres et sous-titres de la traduction, les notes de bas de page, les en-têtes, etc.
Le processus d’autorévision est fonction de la méthode de travail que chacun applique, de la connaissance de ses forces et de ses faiblesses et, enfin, de la pratique. Ces trois facteurs ont leur importance. Il est facile de concevoir que l’on puisse acquérir une méthode et que celle-ci s’améliorera à la faveur du travail quotidien. Mais qu’en est-il de l’autoconscience?
L’autoconscience c’est savoir à la fois ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, qui s’applique en l’occurrence à l’autorévision en traduction. Il est difficile de repérer ses propres erreurs, avons-nous dit. Soit. Mais bien connaître ses forces permet d’améliorer le rapport qualité-temps apporté à la traduction. Par exemple, si j’ai la conviction d’avoir bien compris l’original et d’avoir fait toutes les recherches terminologiques et phraséologiques nécessaires, je pourrai faire l’économie de la révision du transfert. Il en va de même pour les faiblesses, qui peuvent être de nature personnelle et situationnelle.
a) Les faiblesses personnelles sont de l’ordre de la compréhension de l’anglais, de la rédaction (interférences, grammaire, temps verbaux, prépositions, etc.), de la concentration, de la rigueur intellectuelle (recherches trop superficielles), etc.
b) Les faiblesses situationnelles sont propres à la situation de traduction: niveau de stress élevé depuis le début du mandat, certaines parties du texte traduites à la hâte, manque de temps pour procéder à une relecture attentive, problèmes personnels ponctuels qui nuisent à la concentration, problèmes informatiques, manque d’intérêt pour le sujet du texte à traduire, etc.
Quelles sont les conséquences de ces faiblesses pour l’autorévision? Elles indiquent où concentrer ses efforts: sur le transfert (compréhension), la langue (rédaction) ou encore certaines parties du texte seulement.
Comme pour la traduction, il n’y a malheureusement pas de recette miracle, pour la simple raison qu’il est impossible de corriger une erreur qui n’a pas été repérée. C’est une chose de savoir qu’une traduction doit être rédigée dans un registre de langue adapté au destinataire, c’en est une autre de juger si c’est réellement le cas. Il faut donc adopter une méthode permettant d’accroître le repérage des erreurs et, une fois celles-ci décelées, d’appliquer des principes de correction.
Une méthode, c’est une marche à suivre. Toutefois, avant d’appliquer une méthode, il faut savoir qui sont les destinataires de la traduction, quel usage ceux-ci en feront et quelles sont les exigences particulières du donneur d’ouvrage ou du client. Compte tenu des circonstances dans lesquelles s’est effectuée la traduction, il faut aussi se demander si le texte sera révisé en tout ou en partie et en fonction de quels critères: transfert, contenu, langue ou présentation.
Le nombre de critères dépend du type de texte à réviser. Durant ses études, l’apprenti traducteur aura surtout à réviser ses propres travaux de traduction. L’autorévision qu’il appliquera sera, par conséquent, la plus complète possible. En milieu de travail, réviser à fond un courriel ou un document à usage strictement interne n’aurait guère de sens. Une méthode n’est pas un carcan. Brian Mossop propose une méthode d’autorévision longue (idéale) et plusieurs méthodes courtes. La méthode idéale se présente comme suit:
1. Lire la traduction pour vérifier le contenu (logique) et certains aspects de langue (fluidité, fonctionnalité, langue de spécialité et idiomaticité), en plus de la typographie et de la ponctuation pouvant avoir des incidences sur le sens.
2. Comparer l’original et la traduction pour vérifier l’exactitude et la complétude; vérifier la mise en page seulement si elle doit correspondre à celle de l’original.
3. Relire toute la traduction pour vérifier la grammaire (sauf l’orthographe), la cohérence et les erreurs de langue.
4. Réviser (si nécessaire) l’organisation du document.
5. Passer le texte traduit au correcteur orthographique.
6. Renommer le document et le sauvegarder.
Aux yeux d’un apprenti réviseur, ces étapes peuvent paraître longues, voire fastidieuses, mais il est bon de s’astreindre à cet exercice en début de formation. On peut parler alors d’une «autorévision didactique», comme on parle de la révision didactique par opposition à la révision pragmatique (Horguelin et Pharand, 2009: 3-4; 40-42). Avec l’expérience, cette tâche s’allégera.
Les méthodes courtes se présentent comme des pis-aller, des solutions d’urgence lorsque la planification du mandat ne permet pas, pour diverses raisons, une autorévision en bonne et due forme.
1. Réviser le plus possible à l’étape de la traduction et passer le correcteur orthographique à la fin.
2. Appliquer les critères de présentation; compter les paragraphes et les énumérations; réviser les noms propres, les dates et les chiffres.
3. Relire la traduction en appliquant les critères relatifs au contenu, à la langue et à la présentation. Ne retourner à l’original qu’en cas de problème de logique.
4. Effectuer une seule comparaison; ne pas s’attarder aux problèmes de style (fluidité, fonctionnalité, langue de spécialité). Ne corriger que les erreurs de langue, puis passer le texte au correcteur orthographique.
5. Relire deux fois — une relecture unilingue et une autre comparative, dans l’ordre de son choix.
Ces dernières méthodes dites d’«urgence» appellent à une mise en garde. Il faut éviter de les appliquer aveuglément. La première est peut-être la seule que l’on peut considérer comme une bonne méthode d’autorévision. Le travail de correction, de justification et de révision effectué pendant la traduction représente une précieuse économie de temps. Au fur et à mesure de l’avancement de la traduction, on ne laisse rien au hasard. Donc, pas de surprise au moment de remettre sa traduction. Une relecture rapide devrait suffire à éliminer les imperfections résiduelles. Cette méthode ne convient cependant pas à tous les traducteurs. D’aucuns préféreront procéder étape par étape. Tant que l’échéance est respectée, il n’y a rien à redire.
L’objectif principal de l’autorévision, comme de la révision, d’ailleurs, est de faciliter la communication, d’assurer un niveau de qualité élevé et de donner satisfaction à un donneur d’ouvrage ou à un client, tout en faisant preuve de professionnalisme. Un traducteur professionnel qui s’autorévise ne peut pas se borner à vérifier la seule qualité linguistique. Sa traduction doit produire, autant que faire se peut, la même réaction chez le destinataire que chez le lecteur du texte original. C’est l’indice d’une traduction réussie. En l’absence de critères absolus ou de norme prédéfinie, certains principes généraux guident l’autorévision et la révision. Brian Mossop (2007: 155-158) énumère les principaux:
1. Si vous devez retourner à l’original pour comprendre la traduction, il faut corriger!
2. Si vous devez relire une phrase pour la comprendre ou faire le lien avec la phrase précédente ou la suivante, il faut corriger!
3. Ne soyez pas perfectionniste. Ne vous demandez pas: «Est-ce que je peux améliorer cela?» Demandez-vous plutôt: «Dois-je améliorer cela?»
4. Ne retraduisez pas: si votre traduction est acceptable, rien ne dit que la nouvelle version sera meilleure.
5. Tâchez de ne pas introduire de nouvelles erreurs!
6. Concentrez-vous sur un seul critère de révision à la fois. Si vous corrigez l’exactitude, n’essayez pas de corriger la langue en même temps.
La gymnastique exigeante de l’autorévision vise, en somme, à aiguiser le sens de la lecture et à développer l’aptitude à repérer les fautes afin de produire des traductions de qualité supérieure. Les exercices et les textes du présent manuel offrent presque tous la possibilité de mettre en application la méthode de l’autorévision décrite ci-dessus. C’est pourquoi l’ajout d’exercices d’application, dont sont assortis la plupart des objectifs spécifiques, nous a semblé superflu.
Au terme de cette présentation, il est clairement apparu, du moins nous l’espérons, qu’il existe une différence fondamentale entre l’autorévision et la fonction de révision (assumée par un réviseur) au sein d’un cabinet ou d’un grand organisme de traduction. L’autorévision est distincte également de la correction d’épreuves, dont nous n’avons pas parlé.
Enfin, l’enseignement de la révision, et partant de l’autorévision, qui en est une modalité, fait l’objet d’un cours distinct dans bon nombre de programmes de traduction.
Bisaillon, Jocelyne (dir.) (2007), La révision professionnelle: processus, stratégies et pratiques.
Horguelin, Paul A. et Michelle Pharand (2009), Pratique de la révision.
Lachance, Ginette (2006), La révision linguistique en français: le métier d’une passion, la passion d’un métier.
Mossop, Brian (2007), Revising and Editing for Translators.
L’œil du correcteur: www.emi-grandouest.com/2012/02/14/loeil-du-correcteur/
1. Cet objectif a été rédigé par Georges L. Bastin.