Apprendre à déterminer, à caractériser, à distinguer ou à découvrir les circonstances et les relations logiques, c’est apprendre à penser.
JEAN-MARIE LAURENCE
ON APPELLE «caractérisation» le fait d’apporter une précision à un nom, à un adjectif ou à un verbe au moyen d’un adjectif, d’une locution adjectivale, d’un adverbe ou d’une locution adverbiale. En français moderne, en particulier dans la langue du commerce et de la publicité, on caractérise aussi beaucoup au moyen d’un substantif en apposition: mode printemps, destination soleil, clinique minceur, sac fraîcheur, avion radar, emballage cadeau, joueur étoile. La caractérisation oblige à clairement distinguer en français les «adjectifs qualificatifs» des «adjectifs de relation», distinction non pertinente en anglais du point de vue de la traduction.
L’adjectif qualificatif exprime une manière d’être, une qualité de l’être ou de l’objet désigné par le nom auquel il se rapporte, tandis que l’adjectif de relation est un «adjectif qui détermine un nom et exprime une qualité qui n’est pas inhérente à l’être ou à l’objet désigné par le déterminé et qui entretient avec lui un lien de dépendance, d’appartenance ou d’exclusion» (v. le Glossaire).
Ainsi, dans le syntagme a punctual employee, punctual est adjectif qualificatif. Dans a postal employee, postal est adjectif de relation, car il relie, pour ainsi dire, l’employé à un employeur donné et n’indique nullement une qualité de cet employé. Cette différence est importante, car elle a une incidence directe sur la traduction de l’anglais vers le français.
En français, les adjectifs de relation ne sont jamais antéposés (*un postal employé), sauf pour produire un effet humoristique (cf. Astérix et Obélix: au service de Sa Majesté), ne s’emploient pas comme attribut (*l’employé est postal) et ne prennent pas les degrés de comparaison (*l’employé est plus postal). Les auteurs de la SCFA ont observé que l’anglais se sert «des qualificatifs comme adjectifs de relation avec une facilité que le français n’a pas encore égalée. […] Dans le français courant, l’adjectif de relation prend généralement la forme d’une locution adjectivale» (Vinay et Darbelnet, 1958: 124).
Le traducteur et grammairien Robert Le Bidois qualifiait pour sa part d’«adjectivite» la tendance de la langue moderne à substituer un adjectif de relation à un complément prépositionnel. Cette construction de l’épithète, dite en hypallage, est parfois source d’ambiguïté.
Bien que le français ait toujours préféré marquer la relation au moyen d’une locution adjectivale (ex.: colline du Parlement), on constate une nette tendance au recours à l’adjectif qualificatif ayant valeur d’adjectif de relation: colline parlementaire, histoire américaine (des États-Unis), panne électrique (d’électricité), photos familiales (de famille), dette grecque (de la Grèce). Cette pratique ne saurait, toutefois, s’étendre à tous les cas. Dans le premier exemple ci-dessous, on ne pourrait pas parler d’un *étudiant médical, ce qui est parfaitement possible en anglais.
a. a medical student: un étudiant en médecine (mais: un avis médical)
b. the editorial silence: le silence de la rédaction (mais: les pages éditoriales)
c. moon landing: atterrissage sur la Lune (mais: un paysage lunaire)
d. the French ambassador: l’ambassadeur de France (mais: un vin français)
e. an industrial visit: une visite d’usine/d’entreprise (mais: une ville industrielle)
f. a Bible translator: un traducteur de la Bible (mais: un personnage biblique)
Ce n’est pas dans tous les cas que l’on peut substituer l’adjectif qualificatif à l’adjectif de relation. Un avocat est qualifié de «criminel» (a criminal lawyer) s’il a commis une infraction criminelle, mais il peut aussi être «spécialisé en droit criminel»; il est alors un «avocat au criminel», un «criminaliste», un «avocat d’assises» ou un «avocat pénaliste». En anglais, il est a criminal lawyer dans les deux cas. On voit qu’ici, l’adjectif qualificatif ne peut pas fonctionner comme adjectif de relation.
Le contexte est aussi indispensable pour déterminer si l’on est en présence d’un adjectif qualificatif ou d’un adjectif de relation. Hors contexte, a French teacher peut signifier soit «un professeur français» (de nationalité française), soit «un professeur de français» (qui enseigne le français). Il en va de même de an English book, qui peut signifier trois choses: «un livre anglais» (publié en Angleterre), «un livre en anglais» (rédigé en anglais) ou «un livre d’anglais» (pour apprendre l’anglais). Enfin, dans le domaine bancaire, qu’est-ce qu’un central banker, sinon «l’administrateur d’une banque centrale»; ce banquier ne saurait être un *banquier central. L’étoffement s’impose.
Comme on le voit, l’adjectif de relation peut être une épine dans le pied du traducteur qui écrit sans trop réfléchir «*GATORADE, une boisson sportive» au lieu de «… une boisson pour les sportifs». Ou encore: «*Il s’est excusé de son comportement téléphonique» plutôt que «[…] de son comportement au téléphone». Un livre d’histoire n’est pas forcément un livre historique. Les exemples de cas semblables sont innombrables.
Certains auteurs ont tiré des effets humoristiques de l’«adjectivite». L’écrivain québécois Gérard Bessette écrit dans La commensale: «La claque patronale réclamait une réponse tangible» (p. 69). On attendrait normalement «la claque du patron». Dans le même roman, on peut lire: «l’exploration du faciès athanasien» (p. 77). Nous dirions communément le «faciès d’Athanase», alors que l’on dit, sans produire d’effet comique, un «faciès indien».
Il arrive qu’en français l’adjectif de relation, par un effet de télescopage syntaxique, ait toutes les apparences d’un adjectif qualificatif sans en être un. C’est notamment le cas dans le langage des sciences et des techniques, où l’on pratique abondamment l’ellipse pour des raisons d’économie et d’efficacité de la communication. Les exemples suivants, tirés du domaine du brassage de la bière, en font foi: top-fermenting yeast: levure haute; bottom-fermenting yeast: levure basse.
La levure de bière est un ferment du type «saccharomyces» qui produit la transformation classique du glucose en alcool éthylique. On distingue les levures hautes qui agissent à une température supérieure à 10 degrés et les levures basses qui agissent à une température inférieure à 10 degrés. Les premières produisent une fermentation active, rapide, accompagnée d’un fort dégagement de gaz carbonique, lequel les entraîne à la partie supérieure du moût (ce qui leur vaut leur nom). Avec les levures basses, au contraire, le dégagement gazeux est lent, aussi restent-elles vers le fond des cuves (Dictionnaire encyclopédique universel, au mot «bière»).
Haute signifie donc ici «qui agit dans le haut des cuves de fermentation à une température supérieure à 10 degrés», et basse, «qui agit dans le fond des cuves de fermentation à une température inférieure à 10 degrés». Les adjectifs haute et basse, qui ne sont évidemment pas des qualités inhérentes à la levure, offrent un raccourci commode et efficace du point de vue de la communication.
Par ailleurs, lorsqu’un nom commun occupe la fonction de complément déterminatif, il ne peut pas se transformer en adjectif de relation s’il est actualisé (v. l’OS 46). Ainsi, on peut dire indifféremment «le cœur de l’Homme» ou «le cœur humain» (car il ne s’agit pas du cœur d’une personne en particulier), mais «*la journée papale» ne saurait se dire pour «la journée du pape» (puisque ce mot est actualisé: on sait de qui l’on parle). Cette règle ne semble souffrir aucune exception.
Dans le cas du nom propre, il faut chaque fois se poser l’une des deux questions suivantes:
a) Le complément décrit-il l’objet? Un écrivain peut avoir un style qui ressemble au «style de Proust», il peut donc avoir un «style proustien».
b) Le complément marque-t-il un rapport, une relation? Dans «le retrait d’Israël», le nom propre ne qualifie pas le retrait, mais renvoie à un lieu géographique. Il en va autrement de l’expression «les militaires d’Israël», car on peut très bien dire les «militaires israéliens». Dans ce deuxième exemple, Israël qualifie les militaires et les distingue des militaires français ou italiens, par exemple.
En somme, choisir entre un adjectif qualificatif ou un adjectif de relation, ce n’est pas une question de préférence, mais une contrainte à la fois sémantique et grammaticale.
a. It was an ambitious and imaginative project, one that was never expected to be quickly realized. | a. C’était un projet ambitieux qui faisait appel à beaucoup d’imagination [var. original]; jamais on n’aurait pensé pouvoir le réaliser aussi vite. |
b. There was the tedious business of living out of a suitcase 10 months of the year, the interminable hotels, restaurants, planes and trains. [Patineuse participant à de nombreuses compétitions internationales.] | b. C’était devenu pour elle une corvée de vivre dans ses valises dix mois par année et de changer constamment d’hôtels et de restaurants, de prendre avion sur avion, train sur train. |
c. There is abundant evidence that the provision of public old-age pensions has been a major factor in the reduction of poverty. | c. De toute évidence, le versement de pensions de vieillesse par les pouvoirs publics a largement contribué à réduire la pauvreté. |
Darbelnet, Jean (1977), «Caractérologie linguistique».
Rouleau, Maurice (2001b), «Une traductrice médicale à la finale masculine de Wimbledon ou le problème de l’hypallage».
Rouleau, Maurice (2001c), «Les problèmes posés par l’emploi de l’épithète» (suite de l’article précédent).
Termium Plus® (Clefs du français pratique): «Adjectivite».
V. aussi: Vinay et Darbelnet (1958: 124-129).
Exercice 1
Indiquez quels sont les correspondants français des expressions ci-dessous.
1. DOMAINE GÉNÉRAL — 1 the rural women a musical instrument a musical family the presidential year (USA) the American Consul the presidential trip an electrical engineer an electrical failure a teaching hospital |
2. DOMAINE GÉNÉRAL — 2 heart surgery to describe the papal day a medical faculty the periodical room a chemical plant the Iraqi withdrawal Women’s Bookstore the sports news the local people |
3. HÔTELLERIE single bedroom double bedroom single bed double bed |
4. RÉMUNÉRATION overtime straight time overtime time and half overtime double time overtime |
5. MÉDECINE ambulatory inpatient general practitioner graduate nurse late pregnancy exceptional youth |
6. HABITATION detached house semi-detached house row house/town house one-storey house two-storey house |
Exercice 2
Traduisez les passages ci-dessous en accordant une attention particulière aux mots en caractères gras.
1. Much of the angry conflict in our schools, businesses, and governments actually centers on a half-dozen principles.
2. After applying for a grant to develop a new product, the company received a cautionary note from the Department of Industry, Trade and Commerce.
3. The question is not that simple. It is not just a question of violent attacks on foreigners, but a “conservative trend” left over from the former East German state.
4. A study of Aboriginal suicide in British Columbia concluded that Aboriginal suicides were often acts by young men having a personal and family background of alcohol abuse and violence.
5. When your Canadian investments do very well, your foreign investments may lag. But when the Canadian economy—or dollar—does poorly, those foreign investments should pay off.
Exercice 3
1. The promotion of global peace as the key to protecting our security remains a central element of our foreign policy. Stability and security are prerequisites for economic growth and development.
2. Montreal is the second leading world centre for fur industry transactions. Ecological protests and foreign competition have hurt this industry, but sales have increased in the past few years.
3. While the hotels and casinos attempt to recreate pharaonic Egypt or a South Seas paradise, another kind of paradise—the starkly brilliant Mojave kind—is right before their eyes. [starkly: d’une façon frappante, évidente (Robert & Collins)]
4. Each weekend, a spectacular fireworks display lights up the winter night!
5. The university has a traveling library of 10,000 titles, of which there are some 150-200 Native titles.
Exercice 4
Texte 49
Auteur: Jason Stein
Source: Wheelbase Communications
Genre de publication: Site Internet
Domaine: Biographie
Public visé: Grand public
Nombre de mots: 400
He was a Paris-born boy who grew up to be a linguist, a thermal engineer, a connoisseur of the arts and the inventor of an engine that, to this day, would bear his name. After an education in England and Germany, Rudolf Diesel (1858-1913) found his first work as a refrigerator engineer, but his true love was in engine design, a new area of technology at the time. Diesel’s mind couldn’t rest. After setting up his first shop in 1885, at age 27, he began a 13-year ordeal of creating his engine while working with the Krupp company in Germany. Its simplicity was pure genius; its objective reached into his roots.
Born in 1858 to a father who was a leather merchant, Diesel saw his engine as a tool that was adaptable in size and cost, and one that used available fuels. It would allow independent craftsmen to avoid having to use expensive, fuel-wasting steam engine. It would help the small businessman try to beat out the big companies. Realizing the impact of his work, he filed for a patent for his new invention, dubbed the diesel engine, then he would almost die a year later when it exploded in his workshop. Two years later, with patent No. 608,845, the “internal combustion engine” was complete, but the turmoil was just beginning.
Though best known for the pressure-ignited heat engines that would bear his name, Diesel was also a well-respected thermal engineer and a social theorist. The combination of all of his work, including royalties and franchise fees, was making him incredibly rich. By 1898, with his engines used to power pipelines, electric plants, automobiles, trucks and factories around the world, he was a millionaire several times over. But all was not well. In 1912, some 15 years after the birth of his invention, he was openly criticized for his conventional views about the engine. He saw it as a complete work while others viewed it as a raw work in progress.
He turned to promoting the engine instead of working on it, then eventually worked himself into a nervous breakdown by refusing innovation and the help of other engineers around him. He was troubled by the criticism of his role in creating the engine, and on September 29, 1913, vanished from a ship in the English Channel. Apparently, he jumped. His body was found 10 days later.