Le français est moins déictique que l’anglais.
JEAN DARBELNET
ON APPELLE «déictique» tout mot dont le référent ne peut être précisé que par un renvoi à un des éléments de la situation d’énonciation. Le terme déictique, dérivé du mot grec δεiξις (deixis), signifie «action de montrer». Parmi les nombreux mots qui remplissent cette fonction dans la langue, on peut citer les démonstratifs, les adverbes de lieu et de temps, les pronoms personnels et les articles. Leur traduction ne pose généralement pas de difficulté pour qui connaît les langues.
Il y a un cas, cependant, qui présente un intérêt tout particulier du point de vue du maniement du langage en apprentissage de la traduction. Il s’agit du déictique this. Pour aborder cette difficulté (toute relative), les notions d’étoffement et d’explicitation sont particulièrement utiles (v. l’OS 19). Bien entendu, ce qui vaut pour this s’applique tout autant aux démonstratifs those, these et that.
Dans le corps d’un texte, et souvent placé en tête de phrase, this renvoie à ce qui vient d’être dit et est comparable à une charnière de rappel. En début d’apprentissage de la traduction, ceux et celles qui dissocient encore mal les langues ont tendance à traduire this ou that par «ceci» ou «cela». Cette solution aboutit à une formulation banale, maladroite et souvent peu idiomatique. Les traducteurs de métier ont appris à remplacer ces déictiques anglais, entre autres, par des substantifs qui rappellent clairement ce dont il vient d’être question.
Ainsi, selon les contextes, ils emploieront des mots tels que «phénomène», «réaction», «idées», «initiative», «méthode», «solution», précédés le plus souvent d’un adjectif démonstratif servant de rappel (ex.: Cette attitude montre que…).
Il n’est pas toujours nécessaire de rendre this par une explicitation. Il suffit parfois de marquer l’enchaînement des idées au moyen de formulations neutres telles que «[…], ce qui…»; «[…], c’est là…» En début de phrase: «Telle est…»; «Il s’agit de…».
Un exemple emprunté à Jean-Paul Vinay (v. les Suggestions de lecture) servira à illustrer une fois de plus la tendance à l’abstraction du français par rapport à l’anglais dans certaines circonstances. Soit l’énoncé This is your receipt. Pour que la traduction «Voici votre reçu» soit acceptable, il faut que les interlocuteurs voient le reçu en question au moment de la formulation de l’énoncé. Une vendeuse dira, par exemple, à un client en lui remettant son reçu: «Voici votre reçu.»
Lorsque l’énoncé This is your receipt n’accompagne plus un geste de la main, mais est imprimé sur une facture tenant lieu de reçu, la traduction «Voici votre reçu» n’est plus possible. Le message est alors moins déictique que le premier. N’étant plus prononcé dans une situation réelle de communication orale, il acquiert une valeur générale. Il ne s’adresse plus à une personne en particulier, mais à toute personne qui lira la mention sur la facture. Il convient alors de traduire cette information par une tournure plus abstraite: «Reçu du client».
Cette tendance à l’abstraction s’accompagne d’une dépersonnalisation des messages (v. l’OS 65). Ainsi, l’affiche suivante sur un chantier de construction This is a hard-hat area sera correctement traduite par un énoncé abstrait à portée générale tel que «Port du casque obligatoire». Cette formulation respecte la démarche du français en plus d’être concise, ce qui est un avantage non négligeable. L’endroit où le message est affiché fournit un contexte non verbal et rend superflue la traduction de this area (zone où le port du casque est obligatoire).
Les comparatistes ont remarqué que, dans le domaine de la spatialisation (situation du locuteur dans l’espace), il existe un net écart entre le dénuement (économie) du français et la richesse des moyens dont dispose l’anglais pour marquer ce genre de rapports. Citons à cet égard Jean Darbelnet:
On peut rattacher à la spatialisation l’emploi que fait l’anglais du démonstratif là où il est structuralement possible en français, mais n’est pas conforme à la démarche de cette langue. «No bicycling in this park» se traduira par «Défense de circuler à bicyclette dans le parc». De même on dira «Défense de fumer dans la salle». «Cette salle» paraîtrait ici incongru, l’article suffisant à l’identifier comme étant la salle où on lit cet avis. Il ne viendrait pas à l’idée d’un francophone non influencé par l’anglais de l’opposer dans son esprit à une autre salle. C’est un cas semblable que celui du directeur de banque qui, parlant de son établissement, dit «This Bank will do its part». Il dira «La Banque» ou encore «Notre Banque» (Darbelnet, 1978: 137; c’est nous qui soulignons en gras.).
Précisons que l’interdiction de fumer est de plus en plus souvent indiquée visuellement au moyen d’un cercle rouge au centre duquel une cigarette est coupée par une barre oblique. Tout le monde comprend que l’interdiction vaut pour la pièce où cette affiche est posée.
Concernant le déictique, on peut donc énoncer la règle suivante: le français, contrairement à l’anglais, n’a pas recours en général à des déictiques trop actualisateurs. Cette tendance à l’abstraction se manifeste, entre autres, dans l’affichage public, notamment sur les panneaux routiers.
a. You or your proxy voter must present an official application for a proxy certificate to the returning officer of your riding. This should be presented as soon as possible after the voters’list is posted. | a. Vous ou votre mandataire devez présenter une demande de certificat de procuration au président d’élection de votre circonscription. Cette demande doit être faite le plus tôt possible après l’affichage de la liste électorale. |
b. This is just one part of the overall picture. | b. Ce n’est là qu’un aspect de la question. |
c. More than 30% of patients do not respond to current treatments and suffer unpredictable seizures. This highlights the need to manufacture new anti-epileptic drugs. | c. Plus de 30 % des malades ne réagissent pas aux traitements actuels et sont sujets à des crises imprévisibles, ce qui démontre la nécessité de produire de nouveaux antiépileptiques. |
d. Expensive machines cannot be allowed to sit idly, and they operate at rhythms of their own. This produced the third principle of industrial civilization: synchronization. | d. Des machines qui représentent de coûteux investissements ne sauraient rester inactives et elles fonctionnent à un rythme qui leur est propre. D’où le troisième principe de l’industrialisme: la synchronisation. |
e. This is further to your letter of March 12, 2012. | e. La présente fait suite à votre lettre du 12 mars 2012. |
f. This is CFMO-FM, Ottawa. | f. Vous écoutez CFMO-FM, Ottawa. [Var. Vous êtes à l’antenne de…] [Var. Ici CFMO-FM, Ottawa] |
Ballard, Michel (1987), La traduction: de l’anglais au français, p. 76-81.
Darbelnet, Jean (1978), «Systèmes oppositionnels en français et en anglais».
Vinay, Jean-Paul (1956a), «Les déictiques».
V. aussi: Quillard (1979, 1990, 1997).
Exercice 1
1. Not to be taken away from this area.
[Mention inscrite sur la couverture d’un document]
2. The extraordinary achievement of India in achieving cereal self-sufficiency reflects, above all, Indian determination and effort. This has been buttressed by internationally financed research into new varieties of cereals.
3. We are accustomed to think of ourselves as producers or consumers. This wasn’t always true. Until the industrial revolution, the vast bulk of all the food, goods, and services produced by the human race was consumed by the producers themselves and their families.
4. The shift from a decentralized economy to an integrated economy led to new methods for centralizing power. These came into play at the level of individual companies, industries, and the economy as a whole.
5. It’s so difficult to park when those snow removal signs are up.
[signs: panneaux (de déneigement placés sur les bancs de neige)]
6. This is an advertisement.
[Mention au bas d’une annonce publiée dans un journal ou une revue.]
7. Will this country ever learn the danger of the politics of hate?
[Extrait du discours d’un ministre. Le pays en question est le Canada.]
8. Despite hints of the industrial future, agricultural civilization dominated the planet and seemed destined to do so forever. This was the world in which the industrial revolution erupted.
9. We are prepared to become one of the most environmentally sensitive countries in the developed world. And we have taken steps to ensure that this happens.
10. We are committed to protecting the Arctic’s delicate ecosystem as well as ensuring the sustainable use of its resources. This will take a firm hand.
Exercice 2
Texte 53
Auteur: Anonyme
Source: Ministère de la Santé et du Bien-être social
Genre de publication: Dépliant de vulgarisation
Domaine: Santé
Public visé: Grand public
Nombre de mots: 395
When we talk about “blood pressure”, it’s important to remember that we’re not discussing an illness or even an abnormal condition. Blood pressure is simply the push of the circulating blood against the walls of the arteries as the heart pumps blood to all parts of the body. You couldn’t live without some blood pressure. Your blood pressure changes from day to day and even from moment to moment. For instance, it rises when you are active or excited and goes down when you rest or sleep. This is quite normal and nothing to worry about.
In some people, however, blood pressure goes up and stays that way. When this happens, the person is said to suffer from high blood pressure or “hypertension.” The “tension” in this case refers to the pressure of the blood and has nothing to do with nervous tension or stress. In fact, a relaxed person who feels perfectly well can have high blood pressure. This is why it’s important not to guess at your blood pressure but to have it checked regularly.
Blood pressure is measured at two phases of the heart’s action. One is when the heart is contracting. This is called “systolic” pressure. The other is when the heart is relaxing between beats. This is called “diastolic” pressure. Normal systolic blood pressure is about 120 and normal diastolic about 80. […]
High blood pressure makes the heart work harder and increases pressure in the arteries. This may damage the heart and also the brain (“stroke”), kidneys and eyes. If you combine high blood pressure with such factors as smoking, high blood cholesterol levels or diabetes, the risk of heart attack is even greater. The more factors, the greater the risk. The causes of high blood pressure are not fully understood. However, researchers say that the following factors seem to be important: