Une phrase est assez courte si elle ne contient aucun mot inutile. Il y a des phrases longues qui n’ont que trois mots.
PIERRE BAILLARGEON
AUGUSTE RODIN se plaisait à répéter: «Pour faire une sculpture, je prends un bloc de marbre et j’enlève ce qu’il y a de trop.» Cette boutade nous introduit assez bien dans ce que nous aimons appeler l’«esthétique du dépouillement». La concision est un fait de discours, non de langue. Elle relève de l’application des techniques de rédaction. C’est l’usager qui est plus ou moins concis, plus ou moins verbeux dans l’expression de ses pensées quand il les met par écrit. Ces qualités n’appartiennent pas à la langue elle-même. Il arrive souvent que les textes traduits soient plus longs que les originaux. On décrit ce phénomène au moyen des notions de «foisonnement» et de «coefficient de foisonnement» (v. le Glossaire). Dans le cas des textes pragmatiques — il en va autrement des textes littéraires ou bibliques —, cela tient à plusieurs causes, dont les principales sont les suivantes:
a) Ignorance du sujet. Un traducteur qui ne domine pas son sujet a tendance à paraphraser, à employer des circonlocutions au lieu du terme propre. Il décrit au lieu de désigner.
b) Interprétation insuffisante. Si le traducteur s’accroche trop aux formes du texte de départ plutôt qu’au sens dont les mots sont porteurs, il en résulte des longueurs excessives.
c) Souci de fidélité. Craignant de ne pas rendre tout le sens de l’original, le traducteur pèche par «excès de traduction». Il surtraduit (v. «surtraduction» dans le Glossaire).
d) Méconnaissance des ressources de la LD. Maîtrisant mal sa langue, le traducteur n’exploite pas au maximum son fonds de clichés, d’idiotismes, de formules figées, autant de raccourcis commodes pour exprimer une idée. Irène de Buisseret a d’ailleurs écrit à ce sujet: «Moins un traducteur connaît le français, plus sa traduction est prolixe» (Buisseret, 1975: 9). C’est ce qu’elle appelle «la loi de Buisseret» sur le modèle de «la loi de Parkinson».
e) Faiblesse du texte original. Un texte de départ incohérent et mal écrit peut être la cause de longueurs excessives dans la traduction (v. l’OS 75).
f) Manque de temps. Quand il faut traduire vite, on n’a pas le temps de resserrer les idées, de ramasser son style. «Je n’ai fait celle-ci [cette lettre] plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte», a écrit Blaise Pascal (1656: 116) à un correspondant. Pour faire bref, il faut du temps.
La recherche de la concision n’est pas une fin en soi. Elle se justifie par un souci d’exposer les idées du texte de départ de la façon la plus claire et la plus cohérente possible. Un des devoirs du traducteur de textes pragmatiques est d’éviter de diluer la pensée d’un rédacteur sous un fatras de périphrases, de redondances et de circonlocutions, même si ces défauts de rédaction entachent l’original.
«À valeur communicationnelle égale, la traduction la plus courte sera la plus pertinente», a écrit Henri Van Hoof (1971: 94). Par «valeur communicationnelle», l’auteur entend le degré d’invariance dans le message: du point de vue du sens, rien n’est ajouté, rien n’est supprimé.
Tendre vers la brièveté ne signifie pas résumer le texte de départ. L’effort de renfermer une idée dans le moins de mots possible se confond avec la recherche d’une pensée plus serrée, plus structurée. «Quand les signes sont clairs, moins il y en a, plus ils sont vifs», avait remarqué l’abbé Charles Batteux au XVIIIe siècle (cité dans D’hulst, 1990: 30). «Ajoutez quelquefois, et souvent effacez», conseillait pour sa part Nicolas Boileau dans son Art poétique, conseil qui vaut tout autant pour les traducteurs que pour les auteurs.
Au réflexe périphrastique, il convient donc de substituer l’habitude de la désignation. Et pourquoi le traducteur ne donnerait-il pas des leçons de concision et, partant, de clarté à un rédacteur brouillon? Le risque d’erreur que comporte cette initiative est de loin préférable à la certitude de l’opacité découlant de sa passivité. En condensant une idée dans une expression nette et en ramassant les concepts dans une forme serrée, la concision accentue la cohérence d’un message. Pour nous en convaincre, comparons l’original extrait d’un texte d’informatique et la version française du passage suivant.
Texte original
The magnetic disk pack is made up of six platters arranged one on top of the other. There is a space of approximately 1/2 inch between each platter. The platters are separated one from the other vertically with a metal rod passing up through the center of all six platters.
Éléments condensables
— platter (4 fois), other (2 fois): disques
— arranged one on top of the other/vertically: superposés
— there is a space… between/separated one from the other: espacés
— passing up through the center: centrale
Reformulation
Le chargeur magnétique se compose de six disques superposés et espacés d’environ 1/2 pouce sur une tige métallique centrale.
En condensant ainsi une formulation trop redondante, le traducteur applique les techniques de la bonne rédaction, comme le ferait tout bon auteur. Il tient compte des règles élémentaires de composition, ce que le rédacteur du texte original n’a pas su faire, faute de temps ou de talent pour la rédaction.
Comparons l’exemple ci-dessous, cité par le traducteur et défenseur de la langue française, Pierre Beaudry, dans un article de presse consacré au français de nos lois. L’extrait de gauche provient de la Loi sur l’assurance automobile du Québec; celui de droite est la reformulation simplifiée qu’en propose Pierre Beaudry.
Le contrat d’assurance est renouvelé de plein droit, pour une prime identique et pour la même période, à chaque échéance du contrat, à moins d’un avis contraire émanant de l’assuré ou de l’assureur; lorsqu’il émane de l’assureur, l’avis de renouvellement ou de modification de la prime doit être adressé à l’assuré, à sa dernière adresse connue, au plus tard le trentième jour précédant et incluant le jour de l’échéance. | Le contrat d’assurance est à reconduction tacite, l’assureur ne pouvant ni refuser de le renouveler ni augmenter la prime sans préavis d’au moins trente jours adressé à l’assuré à sa dernière adresse connue (Beaudry, 1991: B-2). |
C’est sans doute en songeant à des exemples de ce genre que Peter Newmark a pu écrire: «A translation is never finished, and one has to keep paring away at it, reducing the element of paraphrase, tightening the language. The shorter the translation, the better it is likely to be» (Newmark, 1976: 21). À la condition bien sûr de rendre tous les éléments d’information de l’original. La verbosité ne crée pas seulement des lourdeurs, sources d’incohérences; elle dilue aussi le sens du message, et cela risque d’émousser l’intérêt des lecteurs. Qu’ajoutent au sens les formules impersonnelles retranscrites en gras ci-dessous?
— It is interesting that the task force has not yet found a solution.
— It is important to add that the department’s performance has been exceptional this year.
— It is significant that most staff members participated in the fund-raising campaign.
— It may be recalled that Mr. Smith managed the office efficiently during Mrs. Black’s three-week absence.
— It should be noted that applicants must sign the attached form to have their file processed.
Comparables aux calories vides, ces formules inutiles entraînent des lourdeurs adipeuses… On peut alléger ces phrases en omettant de traduire les passages en gras. Ce serait par ailleurs une erreur de clarifier un message qu’un auteur a délibérément formulé dans des termes «nébuleux» pour une raison particulière. Il peut avoir été poussé à agir ainsi pour des motifs d’ordre économique, politique, diplomatique ou autre.
Une loi canadienne oblige l’industrie du tabac à informer les consommateurs de la nocivité de ce produit pour la santé. Deux de ces mises en garde imprimées sur des paquets de cigarettes étaient ainsi libellées en anglais (ils ont été modifiés depuis):
SMOKING REDUCES LIFE EXPECTANCY
L’USAGE DU TABAC RÉDUIT L’ESPÉRANCE DE VIE
SMOKING IS A MAJOR CAUSE OF HEART DISEASE
L’USAGE DU TABAC EST UNE CAUSE IMPORTANTE DE LA CARDIOPATHIE
Pourquoi avoir choisi une notion statistique abstraite comme life expectancy? Pourquoi parler de «cardiopathie»? Ce terme technique est sans aucun doute fréquent dans la bouche des cardiologues, mais il dit peu de chose au commun des mortels. On comprend qu’un fabricant ait quelque réticence à signaler clairement les dangers du produit qu’il vend. On peut deviner qu’il ait voulu atténuer (camoufler?) le plus possible l’impact négatif des messages antitabacs en évitant d’être trop explicite, comme il l’aurait été s’il avait retenu les traductions suivantes:
FUMER ABRÈGE LA VIE
FUMER EST MAUVAIS POUR LE CŒUR
Ainsi rédigées, les notices auraient eu le mérite d’être concises et claires pour tout le monde, mais elles auraient trahi les intentions inavouées de l’industrie du tabac, qui ne désire pas voir chuter les ventes de cigarettes. D’ailleurs, c’est bien à contrecœur que, pour se conformer aux exigences de la loi, les fabricants de cigarettes ont dû apposer sur les paquets de cigarettes des avertissements plus directs et plus clairs comme ceux-ci:
RISK OF BLINDNESS
PERTE DE LA VUE
CIGARETTES CAUSE LUNG CANCER
LA CIGARETTE CAUSE LE CANCER DU POUMON
«I WISH I HAD NEVER START SMOKING»
«JE N’AURAIS JAMAIS DÛ COMMENCER À FUMER»
TOBACCO USE CAN MAKE YOU IMPOTENT
LE TABAGISME PEUT VOUS RENDRE IMPUISSANT
Enfin, la concision peut être rendue nécessaire par des contraintes d’ordre purement matériel. Certains textes pragmatiques devant tenir dans un espace prédéterminé imposent au traducteur une exigence supplémentaire. À titre d’exemple, citons les formulaires bilingues, les légendes sous des illustrations, les bandes dessinées, les catalogues, les étiquettes apposées sur des produits, les messages publicitaires, les sous-titres de films, les diapositives sur PowerPoint, etc.
Les exercices qui suivent visent à faire prendre conscience des économies de mots qu’il est possible de réaliser grâce à un léger surcroît de réflexion. Nous faisons nôtre ce conseil du traducteur Albert Bensoussan: «Il faut faire court, viser à la concision, supprimer toutes sortes de particules, prépositions, articles, adjectifs réitératifs, formes verbales trop longues, etc., afin d’arriver à ce que j’appellerai “l’équilibre des volumes” et qui doit être l’une des obsessions du traducteur littéraire» (Bensoussan, 1995: 38). Obsession de tout traducteur, y compris du traducteur de textes pragmatiques.
a. He reduced the time period which must elapse before a decision is made. | a. Il a hâté les décisions. |
b. The general approach is to take the transport system as it is today and use that as a basis from which to develop various scenarios: those which are possible, those which are probable and those which are desirable. | b. La méthode consiste à prendre le réseau de transport tel qu’il est et à élaborer des scénarios possibles, probables et souhaitables. |
Bensoussan, Albert (1995), Confession d’un traître. Essai sur la traduction.
Le guide du rédacteur (1996), p. 219-227. V. aussi Termium Plus®.
Exercice 1
Traduisez les extraits ci-dessous de manière la plus concise possible.
1. Power source. Insert six batteries into the battery compartment making sure that the proper polarities are maintained and that the batteries are installed in the specified numerical order.
2. Failure to provide complete information or submit the required documents might affect or delay consideration of your candidacy.
3. The room will be dimensionally capable of accommodating the computer.
4. The committee recommended that the following fees be prohibited: fees to close an account which had been open for more than a year and fees levied when customers failed to make transactions on an account.
5. Regional officials conducted an enquiry into this delay but, unfortunately, were unable to come up with an explanation.
6. I think it is really important that these children be provided with the means to do as much for themselves as they can and to be as independent as possible.
7. For residents of Canada, the United States and Mexico, the cost of an annual subscription to the Canada Gazette is $25.00 and single issues, $2.00. For residents of other countries, the cost of a subscription is $35.00 and single issues, $3.00.
8. The economy of Canada has undergone many changes which are revealed in the changing composition of the labour force. In 1971, only 8.3% of the total labour force in Canada was engaged in primary activity, while nearly 55% of the national labour force worked in tertiary activities. Manufacturing activities, on the other hand, employed about 28% of the nation’s labour force.
9. The central bank is responsible for seeing that the country has an adequate supply of currency. In performing this function, the central bank must ensure that its issue of new bank notes is not too great. Irresponsible increases in currency can have serious adverse effects on the economy.
10. Plug your hair-dryer into an alternating current outlet only, and please be sure that your household voltage corresponds to the voltage marked on the hair-dryer.
Exercice 2
La force d’un trait d’esprit tient en partie à sa forme ramassée. On cherchera donc à donner aux pensées et maximes ci-dessous l’effet maximal au moyen de la brièveté et du mot juste et percutant.
1. A foot is a device for finding furniture in the dark.
2. Monday is an awful way to spend one-seventh of your life.
3. All you need to grow fine, vigorous grass is a crack in your sidewalk.
4. Tact is the art of making a point without making an enemy.
5. Best time to do a tough job is the day before tomorrow.
6. “I must do something” will always solve more problems than “Something must be done.”
7. The difference between a career and a job is about twenty or more hours a week.
8. What counts is not the number of hours you put in, but what you put into the hours.
9. An open mind is a fine thing to have, provided you can keep something in it.
10. It is usually the man who is wide awake who makes his dreams come true.
11. The easiest way to figure the cost of living is to take your income and add ten percent.
12. “You cannot push anyone up the ladder unless he is willing to climb himself.” (Andrew Carnegie)
13. There is a four-word formula for success that applies equally well to organizations or individuals—make yourself more useful.
14. A pedestrian is a man who has two cars, a wife, and one or more teenage children.
15. One thing common to most success stories is the alarm clock.
Exercice 3
Texte 71
Auteur: Anonyme
Source: Encyclopedia Americana
Genre de publication: Article d’encyclopédie
Domaines: Alimentation, techniques de conservation
Public visé: Grand public
Nombre de mots: 286
Although the process of freeze-drying has been known since the 18th century, it was used primarily for preserving biological and pharmaceutical products until the mid-1900s.
Freeze-drying is a process of preserving food by freezing and then removing most of the moisture. The foods that are freeze-dried most readily and with the best results are liquids, such as coffee and juices, thin slabs of meat, and small objects, such as peas, mushrooms and berries.
In the freeze-drying process, the food to be dried may be fresh or cooked and then cut into the desired size. It is then quick-frozen and placed in a vacuum chamber, where it is heated under very low pressure. The temperature inside the chamber is carefully regulated so that the ice crystals in the food change into a vapor without first passing through the liquid state. The entire process generally takes about 12 hours, and when the food is completely dried, it usually has the same shape and volume as the fresh food but has been reduced to about 1/3 or 1/5 of its original weight. After drying, the food is carefully packaged to protect it from the air, but once packed, it can be stored at any temperature for an indefinite length of time.
Although freeze-drying is a relatively slow and expensive process, the decreased weight of the food reduces shipping costs. Another advantage of freeze-dried foods is that they can be rehydrated in a few minutes and then cooked very quickly. Berries and other foods that do not require cooking are ready to eat when placed in water or milk. There is little or no change in food value or palatability of freeze-dried foods.