Dépersonnalisation du message — Remplacement de la forme personnelle par la forme impersonnelle.
PAUL A. HORGUELIN
IL EST FRÉQUENT que les rédacteurs anglo-saxons s’adressent directement à leurs lecteurs, là où un auteur de langue française préférera rester impersonnel. Le premier procède à une sorte de prise en charge affective du lecteur, tandis que le second adopte un registre neutre. Les destinataires de langue française ne semblent pas avoir les mêmes attentes que les lecteurs anglo-américains en ce qui concerne, par exemple, la communication d’une information technique. Il souhaite une information claire, objective, précise et efficace, sans enrobage affectif.
C’est souvent au moyen du pronom personnel you que les auteurs de langue anglaise donnent à certains de leurs écrits un ton qui peut paraître trop familier à un lecteur francophone. En français, le style personnel est d’un usage courant dans plusieurs genres de textes pragmatiques, mais tout particulièrement en publicité.
a. So your widest choice is Gerber. | a. Avec Gerber, vous avez l’embarras du choix. |
b. Air Canada: the airline that treats you like a guest, not just a passenger. | b. Air Canada, la ligne aérienne qui vous traite comme un invité, pas seulement comme un passager. |
c. But don’t take our word for it. Come in and compare for yourself. | c. Mais ne nous croyez pas sur parole! Venez faire les comparaisons vous-même. |
Si elle est fréquente en français publicitaire, la forme impérative peut parfois produire des messages d’une brutalité choquante en français, comme c’est le cas de l’exemple suivant: Put cocktails back into your cocktail parties: «*Vous promettez un cocktail. Alors servez-en.». Les notices d’entretien, les instructions et les modes d’emploi font aussi un grand usage de l’impératif et de la deuxième personne du pluriel. Ces deux modes d’expression font concurrence à l’infinitif. Voici un extrait des instructions sur l’utilisation et l’entretien des échelles portatives:
Check the Condition of the Ladder
— Watch for split or cracked side rails, missing or broken rungs.
— Faulty ladders shall not be used.
— Be sure that the ladder is equipped with safety feet.
Vérifiez l’état de l’échelle
— Vérifiez si les montants sont fendus ou brisés et s’il manque des échelons.
— N’utilisez pas une échelle en mauvais état.
— Assurez-vous que l’échelle est munie de pieds antidérapants.
Vérifier l’état de l’échelle
— Vérifier si les montants sont fendus ou brisés et s’il manque des échelons.
— Ne pas utiliser une échelle en mauvais état.
— S’assurer que l’échelle est munie de pieds antidérapants.
Dans ce genre de textes, le style personnel et le style impersonnel s’équivalent. La seule règle à respecter est d’éviter, dans un même texte, de passer d’un style à l’autre.
L’impératif français peut aussi avoir une valeur impersonnelle, comme dans cette phrase d’Édouard Montpetit: «Homme pratique aux yeux du public, l’exploitant d’une usine est un théoricien que l’expérience a formé. Voyez-le à l’œuvre. Il commande avec prudence; même ses audaces, il les a pensées et pesées; il porte en soi le sort de son œuvre» (Montpetit, 1938: 49; c’est nous qui soulignons).
Mais les cas qui nous intéressent ici sont ceux où il faut dépersonnaliser (v. «dépersonnalisation» dans le Glossaire) le message en passant de l’anglais au français. La substitution du pronom you par une formule impersonnelle s’impose généralement lorsque l’énoncé où il figure a une portée générale ou est une abstraction. When you inherit a $13 billion surplus, it is not financially prudent to spend all of those funds when the economy is strong: «Quand on hérite d’un surplus de 13 milliards de dollars, il n’est pas prudent, d’un point de vue financier, de dépenser tous ces fonds quand l’économie est forte.»
La dépersonnalisation du message s’impose aussi lorsque le pronom you n’a pas véritablement d’antécédent et surgit au milieu d’un paragraphe «comme un cheveu sur la soupe», pour ainsi dire, ce qui est l’indice de sa valeur impersonnelle. Dans un souci de cohérence et d’uniformité de ton et de style, on le remplace alors par une tournure impersonnelle.
Enfin, une dépersonnalisation s’impose lorsque le message est trop «actualisateur», comme nous l’avons vu dans certains emplois du déictique this (v. l’OS 46). Ainsi, dans une cafeteria, le message «Now serving!» suivi du nom de la soupe figurant au menu ce jour-là ne saurait se traduire par «*Nous servons maintenant!», cette formulation étant trop actualisatrice dans ce contexte. En utilisant une formule plus abstraite telle que «Soupe du jour», on dépersonnalise le message, ce qui est plus conforme à l’esprit de la langue française.
a. When you think of wheat, you may think of endless fields of grain under a hot summer sun. But when you take a close look at those golden shafts of grain, you find that wheat has a lot of the basic nutrition you need as part of a good diet. [Inscription sur une boîte de céréales] |
a. Le blé évoque souvent l’image de vastes prairies ondulant sous le chaud soleil d’été. Mais en examinant de plus près ses riches épis dorés, on découvre qu’il regorge d’éléments nutritifs essentiels à un régime équilibré. |
b. You need up to two dozen sub-culture, one after another and each with its own selection procedure, to derive one stable, productive cell culture. Trial and error is the only way you learn what it takes to create a healthy culture. [Revue de vulgarisation scientifique] | b. Il faut préparer et trier successivement jusqu’à deux douzaines de sous-cultures avant de réussir à isoler une culture stable et productive. Ce n’est qu’à force d’essais que l’on apprend à produire des cultures saines. |
c. You can get an approximation of the heart’s electrical activity by taping six sensors to the skin above it. [Revue de vulgarisation scientifique] | c. Il est possible de déterminer l’activité électrique cardiaque d’un sujet à l’aide de six électrodes disposées sur le torse. |
d. A few moments of your time to complete the declaration card. | d. Il suffit de quelques minutes pour remplir la fiche de déclaration. |
La préférence marquée du français pour les formules impersonnelles (là où l’anglais emploie le pronom you) se manifeste clairement dans les proverbes, dictons et locutions diverses.
a. You could have heard a pin drop. | a. On aurait entendu une mouche voler. |
b. When you can’t get what you like, you must like what you have. | b. Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a. |
c. You must hear both sides. | c. Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. |
d. You cannot please everybody. | d. On ne peut contenter tout le monde et son père. |
e. You don’t have to rub it in. | e. Inutile de tourner le fer dans la plaie. |
f. You can’t have your cake and eat it too. | f. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. [Var. On ne peut pas avoir et la pomme et le paradis.] [Var. On ne peut pas avoir l’oseille et l’argent de l’oseille.] [Var. On ne peut pas être et avoir été.] |
Dans ce genre d’expressions toutes faites, la forme personnelle se rencontre en français, mais plus rarement: «Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur.» «Aide-toi et le ciel t’aidera.» «Chassez le naturel, il revient au galop.» «Connais-toi toi-même.» «En avril, ne te découvre pas d’un fil.» «Fais ce que dois, advienne que pourra.»
En somme, le pronom you ayant une valeur impersonnelle trouve de nombreux équivalents qui contribuent à dépersonnaliser le message lorsqu’il convient en français de rester à un niveau d’abstraction plus élevé qu’en anglais pour ne pas donner à la traduction un ton trop familier, ou lorsqu’il faut respecter les règles d’écriture de certains genres de textes. Voici quelques équivalents impersonnels du pronom you:
— la traduction implicite (When you think of wheat: Le blé évoque l’image);
— le gérondif (When you take a close look: En examinant de plus près);
— le pronom indéfini «on» (You find that: On découvre que);
— un verbe impersonnel tel que «il suffit», «il est possible» (You need up to…: Il faut jusqu’à…);
— une locution (Whether you like it or not: Bon gré mal gré);
— le pronom interrogatif «qui» (You never can tell: Qui sait?);
— un adjectif (You need: essentiel);
— le pronom indéfini «nul» (You can’t expect anybody to do what is impossible: À l’impossible, nul n’est tenu).
Enfin, la notion de «dépersonnalisation» du message est à rapprocher de celle d’animisme, définie comme «le fait de prêter à des choses le comportement de personnes» (Vade-mecum linguistique, 1987: 61 ; v. aussi le Glossaire). «Pour éviter la forme passive, le français emploie parfois des tournures qui se teintent d’animisme, c’est-à-dire qui placent des objets en situation agissante. Ces constructions sont beaucoup plus expressives que ne le serait un passif et présentent en outre l’avantage, dans certains cas, de supprimer une équivoque» (ibid.). Mais suit la mise en garde suivante: «Toutefois, dans la langue de l’administration, on abuse souvent de ce procédé.»
Frèdelin Leroux fils a étudié la question. Dans «Vous avez dit animisme?», il recense des dizaines d’exemples de phrases «animistes» glanées dans des sources aussi nombreuses que variées, dont voici un bref échantillon: «une loi qui décidait que les députés resteraient sept ans en fonction»; «les affiches recommandent le calme à la population»; «cet ouvrage espère avoir suscité»; «des normes juridiques chargées de répondre aux besoins collectifs»; «la plate-forme de l’opposition tire la sonnette d’alarme»; «le champion olympique français Pierre Durant accuse le milieu du cheval d’avoir toujours fermé les yeux».
Les deux derniers exemples sont jugés limites par l’auteur qui, plutôt favorable à l’animisme, conclut ainsi ses observations empiriques: «Si j’osais formuler une règle, je dirais que tant qu’un animisme n’a rien de ridicule ni de choquant, il n’y a pas lieu de s’en priver» (Leroux fils, 2013: 39). Il y voit même plusieurs avantages: donner de la couleur et de la vie à un texte, réaliser des économies d’espace et éviter les lourdeurs. Le procédé n’est donc pas condamnable en soi, mais affaire de bon sens et, encore une fois, de sensibilité linguistique.
Leroux fils, Frèdelin (2013), «Vous avez dit animisme?», p. 32-42.
Mossop, Brian (2003), «Personification of Institutions».
Exercice 1
1. You don’t say! [Exclamation]
2. If you wish to ride far spare your steed. [Proverbe]
3. Believe it or not, recessions offer great opportunities to increase your personal wealth—if you know how to take advantage of them.
4. Explore a part of Canada and you’ll discover a part of yourself. [Inscription sur un sachet de sucre]
5. “You can fool some of the people all the time and all the people some of the time, but you cannot fool all the people all the time.” [Remarque attribuée à Abraham Lincoln]
6. Contrary to general belief, heraldry is a simple and enjoyable science. You need only master a few basic rules and about a hundred heraldic terms to be at ease with it.
7. We help a lot of people. Many mothers are very grateful—they know that you can’t get back the lost time with your child.
8. “I like to think of my company as a ship—one that doesn’t take six months to turn around if you decide to change course”.
9. There are few things more frustrating than that first sign of corrosion on your new car.
10. Almost everybody watches great quantities of television, if you believe the market-research surveys—five, six, seven hours a day, depending on class or age.
Exercice 2
Le paragraphe ci-dessous est extrait de l’introduction d’un ouvrage dans lequel l’auteure, atteinte d’ostéoporose, relate son expérience et donne des conseils aux femmes sur cette maladie. La traduction de cet extrait nécessite un dosage de formes personnelles et impersonnelles.
If you are a post-menopausal woman, the chances are one in four that you harbour within your body a bone robber, called osteoporosis, which for years has been undermining the foundations of your skeletal system. The bone robber may remain undetected in your body until, by slowly depleting the mineral content, it has reduced your bone mass by as much as 30 per cent. And you, the victim, left with the brittle bones of the osteoporotic, will be subject to fractures of wrist or hip at the slightest trauma. You may also suffer wedge or crush fractures of one or several vertebrae (often five will collapse to a point where they occupy the space formerly taken by three).
Exercice 3
Texte 73
Auteurs: Marvin G. Gregory et Arthur Zito
Source: Bits & Pieces
Genre de publication: Brochure
Domaines: Gestion, relations de travail
Public visé: Grand public américain
Nombre de mots: 310
General Eisenhower used to demonstrate the art of leadership with a simple piece of string. He’d put it on a table and say: pull it and it’ll follow wherever you wish. Push it and it will go nowhere at all. It’s just that way when it comes to leading people.
Leadership isn’t something that comes automatically just because you have people working for you. Leadership depends on followers. If people don’t follow a manager’s lead voluntarily—if they always have to be forced—that person is not a good leader.
What do you think the “job” of leadership really is? Is it to tell those who work for you exactly what you want done… and to stay on top of them until they do it? If that’s how you see your job, you don’t have the viewpoint it takes to lead successfully. Leadership depends on the ability to make people want to follow—voluntarily.
Do you think most employees need to be goaded and prodded to do what you want done? Threatened or reprimanded, if necessary? People who are successful leaders don’t think that way. They work to inspire people—to make them want to co-operate.
Managers who prod rather than lead rarely get the best out of those who work for them, because people who work for prodders have little incentive to do more than just get by. All they want to do is keep such a “boss” off their backs.
Effective leaders know that they get the best efforts out of people by working with them… by helping them to do their best… by showing them how to be more productive.
There may always be a few people who have to be watched and occasionally reminded to get on the ball. But the fewer the better. The need for too much pushing usually indicates too little leadership.