Chapitre IV

Comment on inspire l'amour de l'égalité
et de la frugalité
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L'amour de l'égalité, et celui de la frugalité, sont extrêmement excités par l'égalité et la frugalité mêmes, quand on vit dans une société où les lois ont établi l'une et l'autre.

Dans les monarchies et les États despotiques, personne n'aspire à l'égalité ; cela ne vient pas même dans l'idée : chacun y tend à la supériorité. Les gens des conditions les plus basses ne désirent d'en sortir, que pour être les maîtres des autres.

Il en est de même de la frugalité : Pour l'aimer, il faut en jouir. Ce ne seront point ceux qui sont corrompus par les délices qui aimeront la vie frugale ; et, si cela avait été naturel et ordinaire, Alcibiade n'aurait pas fait l'admiration de l'univers. Ce ne seront pas non plus ceux qui envient, ou qui admirent le luxe des autres, qui aimeront la frugalité : des gens qui n'ont devant les yeux que des hommes riches, ou des hommes misérables comme eux, détestent leur misère, sans aimer ou connaître ce qui fait le terme de la misère.

C'est donc une maxime très vraie que, pour que l'on aime l'égalité et la frugalité dans une république, il faut que les lois les y aient établies.