Chapitre XV

Des lois des Romains, à l'égard des peines.

Je me trouve fort dans mes maximes, lorsque j'ai pour moi les Romains ; et je crois que les peines tiennent à la nature du gouvernement, lorsque je vois ce grand peuple changer, à cet égard, de lois civiles, à mesure qu'il changeait de lois politiques.

Les lois royales, faites pour un peuple composé de fugitifs, d'esclaves et de brigands, furent très sévères. L'esprit de la république aurait demandé que les décemvirs n'eussent pas mis ces lois dans leurs douze tables : mais des gens qui aspiraient à la tyrannie n'avaient garde de suivre l'esprit de la république.

Tite-Live1 dit, sur le supplice de Metius Suffetius, dictateur d'Albe, qui fut condamné par Tullus Hostilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier et le dernier supplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité. Il se trompe : la loi des douze tables est pleine de dispositions très cruelles2.

Celles qui découvrent le mieux le dessein des décemvirs est la peine capitale prononcée contre les auteurs des libelles et les poètes. Cela n'est guère du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui voulaient renverser la liberté craignaient des écrits qui pouvaient rappeler l'esprit de la liberté3.

Après l'expulsion des décemvirs, presque toutes les lois qui avaient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément : mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application.

Voilà le temps auquel on peut rappeler ce que Tite-Live4 dit des Romains, que jamais peuple n'a plus aimé la modération des peines.

Que si l'on ajoute à la douceur des peines le droit qu'avait un accusé de se retirer avant le jugement, on verra bien que les Romains avaient suivi cet esprit que j'ai dit être naturel à la république.

Sylla, qui confondit la tyrannie, l'anarchie et la liberté, fit les lois Cornéliennes. Il sembla ne faire des règlements que pour établir des crimes. Ainsi, qualifiant une infinité d'actions du nom de meurtre, il trouva partout des meurtriers ; et, par une pratique qui ne fut que trop suivie, il tendit des pièges, sema des épines, ouvrit des abîmes sur le chemin de tous les citoyens.

Presque toutes les lois de Sylla ne portaient que l'interdiction de l'eau et du feu. César y ajouta la confiscation des biens5 ; parce que les riches gardant dans l'exil leur patrimoine, ils étaient plus hardis à commettre des crimes.

Les empereurs ayant établi un gouvernement militaire, ils sentirent bientôt qu'il n'était pas moins terrible contre eux que contre les sujets ; ils cherchèrent à le tempérer : ils crurent avoir besoin des dignités, et du respect qu'on avait pour elles.

On s'approcha un peu de la monarchie, et l'on divisa les peines en trois classes6 : celles qui regardaient les premières personnes de l'État7, et qui étaient assez douces ; celles qu'on infligeait aux personnes d'un rang8 inférieur, et qui étaient plus sévères ; enfin, celles qui ne concernaient que les conditions basses9, et qui furent les plus rigoureuses.

Le féroce et insensé Maximin irrita, pour ainsi dire, le gouvernement militaire, qu'il aurait fallu adoucir. Le sénat apprenait, dit Capitolin10, que les uns avaient été mis en croix, les autres exposés aux bêtes, ou enfermés dans des peaux de bêtes récemment tuées, sans aucun égard pour les dignités. Il semblait vouloir exercer la discipline militaire, sur le modèle de laquelle il prétendait régler les affaires civiles.

On trouvera, dans les Considérations sur la grandeur des Romains et leur décadence, comment Constantin changea le despotisme militaire en un despotisme militaire et civil, et s'approcha de la monarchie. On y peut suivre les diverses révolutions de cet État ; et voir comment on y passa de la rigueur à l'indolence, et de l'indolence à l'impunité.