Chapitre premier

Comment les républiques pourvoient à leur sûreté.

Si une république est petite, elle est détruite par une force étrangère : Si elle est grande, elle se détruit par un vice intérieur.

Ce double inconvénient infecte également les démocraties et les aristocraties, soit qu'elles soient bonnes, soit qu'elles soient mauvaises. Le mal est dans la chose même : il n'y a aucune forme qui puisse y remédier.

Ainsi il y a grande apparence que les hommes auraient été à la fin obligés de vivre toujours sous le gouvernement d'un seul, s'ils n'avaient imaginé une manière de Constitution qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain, et la force extérieure du monarchique. Je parle de la république fédérative.

Cette forme de gouvernement est une convention, par laquelle plusieurs corps politiques consentent à devenir citoyens d'un État plus grand qu'ils veulent former. C'est une société de sociétés, qui en font une nouvelle, qui peut s'agrandir par de nouveaux associés qui se sont unis.

Ce furent ces associations qui firent fleurir si longtemps le corps de la Grèce. Par elles, les Romains attaquèrent l'univers ; et, par elles seules, l'univers se défendit contre eux : et, quand Rome fut parvenue au comble de sa grandeur, ce fut par des associations derrière le Danube et le Rhin, associations que la frayeur avait fait faire, que les barbares purent lui résister.

C'est par-là que la Hollande1, l'Allemagne, les ligues suisses, sont regardées en Europe comme des républiques éternelles.

Les associations des villes étaient autrefois plus nécessaires qu'elles ne le sont aujourd'hui. Une cité sans puissance courait de plus grands périls. La conquête lui faisait perdre, non seulement la puissance exécutrice et la législative, comme aujourd'hui ; mais encore tout ce qu'il y a de propriété parmi les hommes2.

Cette sorte de république, capable de résister à la force extérieure, peut se maintenir dans sa grandeur, sans que l'intérieur se corrompe : La forme de cette société prévient tous les inconvénients.

Celui qui voudrait usurper ne pourrait guère être également accrédité dans tous les États confédérés. S'il se rendait trop puissant dans l'un, il alarmerait tous les autres : s'il subjuguait une partie, celle qui serait libre encore pourrait lui résister avec des forces indépendantes de celles qu'il aurait usurpées, et l'accabler avant qu'il eût achevé de s'établir.

S'il arrive quelque sédition chez un des membres confédérés, les autres peuvent l'apaiser. Si quelques abus s'introduisent quelque part, ils sont corrigés par les parties saines. Cet État peut périr d'un côté, sans périr de l'autre ; la confédération peut être dissoute, et les confédérés rester souverains.

Composé de petites républiques, il jouit de la bonté du gouvernement intérieur de chacune ; et, à l'égard du dehors, il a, par la force de l'association, tous les avantages des grandes monarchies.