Charles XII.
Ce prince, qui ne fit usage que de ses seules forces, détermina sa chute, en formant des desseins qui ne pouvaient être exécutés que par une longue guerre ; ce que son royaume ne pouvait soutenir.
Ce n'était pas un État qui fût dans la décadence, qu'il entreprit de renverser ; mais un empire naissant. Les Moscovites se servirent de la guerre qu'il leur faisait, comme d'une école. À chaque défaite, ils s'approchaient de la victoire ; et, perdant au-dehors, ils apprenaient à se défendre au-dedans.
Charles se croyait le maître du monde dans les déserts de la Pologne, où il errait, et dans lesquels la Suède était comme répandue ; pendant que son principal ennemi se fortifiait contre lui, le serrait, s'établissait sur la mer Baltique, détruisait ou prenait la Livonie.
La Suède ressemblait à un fleuve, dont on coupait les eaux dans sa source, pendant qu'on les détournait dans son cours.
Ce ne fut point Pultova qui perdit Charles : s'il n'avait pas été détruit dans ce lieu, il l'aurait été dans un autre. Les accidents de la fortune se réparent aisément : on ne peut pas parer à des événements qui naissent continuellement de la nature des choses ?
Mais la nature ni la fortune ne furent jamais si fortes contre lui que lui-même.
Il ne se réglait point sur la disposition actuelle des choses, mais sur un certain modèle qu'il avait pris : encore le suivit-il très mal. Il n'était point Alexandre ; mais il aurait été le meilleur soldat d'Alexandre.
Le projet d'Alexandre ne réussit que parce qu'il était sensé. Les mauvais succès des Perses dans les invasions qu'ils firent de la Grèce, les conquêtes d'Agésilas, et la retraite des Dix mille avaient fait connaître au juste la supériorité des Grecs dans leur manière de combattre, et dans le genre de leurs armes ; et l'on savait bien que les Perses étaient trop grands pour se corriger.
Ils ne pouvaient plus affaiblir la Grèce par des divisions : elle était alors réunie sous un chef, qui ne pouvait avoir de meilleur moyen pour lui cacher sa servitude, que de l'éblouir par la destruction de ses ennemis éternels, et par l'espérance de la conquête de l'Asie.
Un empire cultivé par la nation du monde la plus industrieuse, et qui travaillait les terres par principe de religion, fertile et abondant en toutes choses, donnait à un ennemi toutes sortes de facilités pour y subsister.
On pouvait juger, par l'orgueil de ces rois, toujours vainement mortifiés par leurs défaites, qu'ils précipiteraient leur chute, en donnant toujours des batailles ; et que la flatterie ne permettrait jamais qu'ils pussent douter de leur grandeur.
Et non seulement le projet était sage, mais il fut sagement exécuté. Alexandre, dans la rapidité de ses actions, dans le feu de ses passions mêmes, avait, si j'ose me servir de ce terme, une saillie de raison qui le conduisait ; et que ceux qui ont voulu faire un roman de son histoire, et qui avaient l'esprit plus gâté que lui, n'ont pu nous dérober. Parlons-en tout à notre aise.