Chapitre VIII

Comment on conserve l'illusion.

Pour que le prix de la chose et le droit puissent se confondre dans la tête de celui qui paye, il faut qu'il y ait quelque rapport entre la marchandise et l'impôt ; et que, sur une denrée de peu de valeur, on ne mette pas un droit excessif. Il y a des pays où le droit excède de dix-sept fois la valeur de la marchandise. Pour lors, le prince ôte l'illusion à ses sujets : ils voient qu'ils sont conduits d'une manière qui n'est pas raisonnable ; ce qui leur fait sentir leur servitude au dernier point.

D'ailleurs, pour que le prince puisse lever un droit si disproportionné à la valeur de la chose, il faut qu'il vende lui-même la marchandise, et que le peuple ne puisse l'aller acheter ailleurs ; ce qui est sujet à mille inconvénients.

La fraude étant, dans ce cas, très lucrative, la peine naturelle, celle que la raison demande, qui est la confiscation de la marchandise, devient incapable de l'arrêter ; d'autant plus que cette marchandise est, pour l'ordinaire, d'un prix très vil. Il faut donc avoir recours à des peines extravagantes, et pareilles à celles que l'on inflige pour les plus grands crimes. Toute la proportion des peines est ôtée. Des gens qu'on ne saurait regarder comme des hommes méchants sont punis comme des scélérats ; ce qui est la chose du monde la plus contraire à l'esprit du gouvernement modéré.

J'ajoute que, plus on met le peuple en occasion de frauder le traitant, plus on enrichit celui-ci, et on appauvrit celui-là. Pour arrêter la fraude, il faut donner au traitant des moyens de vexations extraordinaires, et tout est perdu.